Œuvres de Blaise Pascal/Tome 3/Texte entier

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Blaise Pascal : Œuvres de Blaise Pascal, Tome 3

LES

GRANDS ÉCRIVAINS

DE LA FRANCE

A LA MÊME LIBRAIRIE

Pascal (Blaise) : Œuvres complètes, édition des Grands Ecrivains de la France, publiées suivant l’ordre chronologique, avec documents, introductions et notes, 14 vol. in-8o brochés. Chaque volume 3o fr.

Il a été tiré 200 exemplaires de chaque volume sur papier grand vélin, à 5o francs le volume.

PREMIÈRE SÉRIE :

Œuvres jusqu’au Mémorial de 1654, par MM. Léon Brunschvicg et Pierre Boutroux, 3 vol. Chaque vol. in-8o, br., 3o fr.

I : Biographies. — Pascal jusqu’à son arrivée à Paris (1647). II : Pascal depuis son arrivée à Paris (1647) jusqu’à l’entrée de Jacqueline à Port-Royal (1652). III : Pascal depuis l’entrée de Jacqueline à Port-Royal (1663) jusqu’au Mémorial (1654).

DEUXIÈME SÉRIE :

Œuvres depuis le Mémorial de 1654. Lettres provinciales. Traité de la Roulette, etc., par MM. Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, 8 vol. Chaque vol. in-8o, br., 30 fr. IV : Depuis le mémorial du 28 novembre 1654 jusqu’au miracle de la Sainte-Épine (fin mars 1656). V : Depuis le 10 avril 1656 (sixième Provinciale) jusqu’à la fin de septembre 1656. VI : Depuis le 3o septembre 1656 (treizième Provinciale) jusqu’en février 1667. VII : Depuis le 24 mars 1667 (dix-huitième Provinciale) jusqu’en juin 1658. VIII : Depuis juin 1658 jusqu’en décembre 1658. IX : Depuis décembre 1658 jusqu’en mai 1660. X : Pascal depuis juillet 1660 jusqu’à sa mort (19 août 1662).

XI : Abrégé de la vie de Jésus-Christ et écrits sur la grâce.

TROISIÈME SÉRIE :

Pensées, par M. Léon Brunschvicg, 3 vol. Chaque vol. in-8o, br., 3o fr.

XII : Sections l’et II.

XIII : Sections III à VII.

XIV : Sections VIII à XIV.

Pascal : Pensés et Opuscules, publiés avec une introduction, des notices et des notes, par M. Brunschvicg. — 1 vol. petit in-16,

cartonné 8 fr.

Majoration temporaire de 25 %.

Edition couronnée par l’Académie française.

Reproduction en phototypie du Manuscrit des Pensées de Blaise Pascal. No 9202 fonds français de la Bibliothèque Nationale (Paris) avec le texte imprimé en regard et des notes, par M. Léon Brunschvicg. — Un volume in-folio (45x32) comprenant environ 260 planches en phototypie et 260 pages de texte et variantes : » »

Pascal, par M. E. Boutroux, membre de l’Institut (Collection des Grands Ecrivains français). — 1 vol. in-16, broché. . 4 fr.


ŒUVRES

DE

BLAISE PASCAL

——

III

ŒUVRES

��DE

��BLAISE PASCAL

PUBLIÉES "^

SUIVANT L'ORDRE CHRONOLOGIQUE

AVEC DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES, INTRODUCTIONS ET NOTES,

��Léon BRUNSCHVICG et Pierre BOUTROUX

��III

PASCAL DEPUIS l'eNTRÉE DE JACQUELINE A PORT-ROI AL (l652)

jusqu'au mémorial (i65/i).

DEUXIÈME ÉDITION

��PARIS LIBRAIRIE HACHETTE

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1923

Tous droits réservés

�� �

OEUVRES DE BLAISE PASCAL

III

DEPUIS LENTRÉE DE JACQUELINE A PORT-ROYAL

(4 Janvier 1652)

JUSQU’AU MÉMORIAL DU 23 NOVEMBRE 1654

III-1 XLIII

ACTE NOTARIÉ SIGNÉ

DE GILBERTE ET JACQUELINE

PASCAL

1er mars 1652.

Publié par M. Barroux, Bulletin du Comité des Travaux historiques et scientifiques, section d’Histoire et de Philologie, année 1888. Contrat par lequel les sœurs de Pascal prennent la part de leur charge dans la donation faite à Louise Deffaud.

I Mars 1652.

Et le premier jour de mars mil six cens cinquante deux sont comparus par devant les notaires soubzignez Monsieur Me Florin Perier, conseillier du roy en la Cour des Aydes de Clermont Ferrant, damoiselle Gilberte Pascal sa femme, de luy autorizée pour l’effet qui s’ensuict, en leurs noms, à cause d’elle, demeurant audict Clermont, estans de présent à Paris logez rue Beaubourg, parroisse Sainct Nicolas des Champs, et damoiselle Jacqueline Pascal, fille majeure et jouissante de ses droictz, demeurante ordinairement en ladicte rue et parroisse, de présent au monastère du Port Royal scis et estably au faulxbourg de Sainct Jacques de ceste ville de Paris, avecq ledict sieur Blaise Pascal, cy dessus nommé1, enfans et hesritiers chacun pour ung tiers dudict deffunct Messire Estienne Pascal, vivant conseillier du Roy en ses Conseils, lesquelz esdictes qualitez, après que la dicte damoiselle Louise Deffaud, cy dessus nommée, à ce présente, a recongneu et confessé ne luy estre deub chose quelconque par ledict deffunct soict par promesse obligation, ou autre escript, et pour quelque cause et occasion que ce soict, sinon ses gaiges et sallaires pendant lesdictes vingt années qu’elle a demeuré en la maison dudict deffunct sieur Pascal, ont recogneu et confessé que ça est de leur consentement et par leur ordre et en considération des bons et agréables services que ladicte damoiselle Louise Deffaud a rendus pendant lesdictes vingt

I. Minute chez Me Leroy. Le contrat fait suite, sur la minute, au contrat du 28 octobre 1651 qui concerne la même donation (Note de M. Barroux, op. cit., p. 21). 6 OEUVRES

années audict deffunct et auxdits sieur et damoiselles Biaise^ Gilberte et Jacqueline Pascal, que ledict sieur Biaise Pascal a faict en faveur de ladicte damoiselle Deffaud la donnation cy dessus desdicts quatre cens livres de pention viagère, sa vye durant, desquelz quatre cens livres ilz promettent de payer chacun leur tiers à ladicte damoiselle Deffaud aux conditions et dans les termes portez par ladicte donnation, et en indemp- niser d'autant ledict sieur Biaise Pascal, suivant que le con- tient le partaige faict entre eulx des biens à eulx délaissez par ledict deffunct sieur Estienne Pascal...

Faict et passé par les dicts héritiers. Florin Perier, demoi- selles Gilberte Pascal et Louise Deffaud en l'estudedeGuyon, l'un des notaires subzsignez, et pour ladicte damoiselle Jac- queline Pascal audict monastère du Port Royal les an et jour susdicts, et ont signé.

�� � APPENDICE

Au séjour de M. Perier à Paris pour le partage de la suc- cession d'Etienne Pascal se rattache un document auquel il était utile de faire une place ici. C'est la réponse à une con- sultation que Perier avait instituée sur la question déli- cate du prêt à intérêt et où figure le nom de Nicole. Ma-

thurin Quéras, né en i6i4, mort en 1696, était grand- vicaire de l'Archevêque de Sens, Louis de Gondrin (Voir le Nécrologe de 1761, t. I, p. 289).

Lettre de M. Qaeras à M. Perier, conseiller du Roy en sa cour des aydes à Clermont en Auvercrnê.

De Paris, ce 16^ avril i652. Monsieur,

C'est avec quelque sorte de confusion et bien certainement avec desplaisir que j'ay difPeré jusques icy à vous envoyer les sentimens des docteurs sur les difficultez et les cas concernant l'usure dont vous me laissâtes en partant de cette ville le mé- moire entre les mains. »

M. de Quéras rappelle les décisions des Conciles, le texte de l'Evangile : mutuum date, nihil inde sperantes (Luc VI, 35). Et il termine ainsi :

« Il n'est jamais permis de prendre aucun interest d'un simple prest, quelque prétexte spécieux et quelque déguisement que l'avarice des hommes et l'esprit d'interest y apportent ; ce qui fait en mesme temps la décision de la pluspart des cas qui se proposent journellement dans cette matière. Décision à la vérité un peu fascheuse, comme toutes les autres de l'Evangile, à ceux qui suivent l'esprit du siècle, cherchant des casuistes qui flattent leurs cupiditez, mais non pas à ceux qui comme vous cherchent Dieu avec sincérité de cœur, et

�� � 8 ŒUVRES

qui ne désirent autre chose que de se conduire par les lu- mières toutes divines des saintes Escritures et de la tradition qui en effet ne sont pas moins les règles de nos mœurs et de nos actions que de notre foy et de notre créance.

Vostre très humble et très affectionné serviteur

QUERAS * . »

��I. Noie du P. Guerrier, Bibl. Nat., Ms. f. fr. iSgiS, p. 3io: « J'ai transcrit cette lettre sur l'original qui est dans la bibliothèque des PP. de l'Oratoire de Glermont. »

�� � XLIV

LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRERE

7 mars i652.

��Collation du deuxième recueil Guerrier, p. vu, apud Faugère, Lettres, Opuscules et Mémoires, i845, p. 334.

�� � LETTRE DE LA SOEUR JACQUELINE DE

SAINTE EUPHEMIE PASCAL

A M. PASCAL SON FRERE,

A Port Royal du Saint- Sacrement, ce 7 mars i652^

Mon très cher frère, Je ne puis mieux vous tesmoigner le désir que j'ay que vous receviez avec paix et dans un esprit tranquille, et fidelle à correspondre aux grâces de Dieu, la nouvelle quej'ayàvous dire, que par le choix que j'ay fait de M. Hohier^ pour vous la porter. L'estime que vous faites de son mérite, de sa vertu et de l'honneur de son amitié, m'oste tout sujet de craindre que ce qu'il y aura de fas- cheux pour vous, qui pourra estre adouci par la considé- ration de la satisfaction et de l'avantage qui m'en revient, ne le soit par l'entremise d'une personne qui en est si capable. Il a receu avec tant de charité cette commission que nous luy en devons estre éternellement obligez, vous parce qu'il vous aidera à estouffer les sentiments de la nature qui pourroient s'opposer au sacrifice dont Dieu vous offre une si heureuse occasion dans cette rencontre en ma personne ; et moy parce qu'il sera l'instrument dont Dieu se servira pour exaucer enfin les prières et les larmes conti- nuelles que je luy offre depuis plus de quatre ans. Car encore

��1. Nous suivons le texte de Faugère. Le manuscrit de la Biblio- thèque Nationale donne: 7/9 mars , le 3« ms. Guerrier 7/9 mai.

2. Victor Cousin donne, avec le 12988, /?o6jer, qui fait songer à un pseudonyme, ou plutôt encore à une mauvaise lecture, de M. de Rebours. Tallemant des Reaux(2« éd. Monmerqué, i86i,t. XI, p. 68) fait, il est vrai, mention d'un docteur de Sorbonne qui s'appelait M. Hobier et qui aurait eu, sans la mériter tout à fait, « la réputa- tion d'un saint. »

�� � 12 ŒUVRES

que je sois libre et qu'il ait plu àDieu qui chastie en favori- sant et dont les chastiments sont des faveurs, de lever en la manière que vous sçavez^ et que je n'ose nommer pour ne mesler rien de triste parmi ma joye, le seul obstacle légi- time qui pouvoit s'opposer à l'engagement où je désire d'entrer, je ne laisse pas d'avoir besoin de votre consente- ment et de votre aveu, que je demande de toute l'affection de mon cœur, non pas pour pouvoir accomplir la chose, puis qu'ils n'y sont point nécessaires, mais pour pouvoir l'accomplir avec joye, avec repos d'esprit, avec tranquil- lité, puisqu'ils sont nécessaires absolument, etque sans cela jeferay la plus grande, la plus glorieuse et la plus heureuse action de ma vie avec une joye extrême meslée d'une extrême douleur, et dans une agitation d'esprit si indigne d'une telle grâce que je ne croy pas que vous soyiez si insensible pour vous pouvoir résoudre à me causer un si grand mal. C'est pour quoy je m'adresse à vous, comme au maistre en quelque façon de ce qui me doit arriver, pour vous dire : Ne m'ostez pas ce que vous n'estes pas capable de me donner. Car encore que Dieu se soit servy de vous pour me procurer le progrez des premiers mouvements de sa grâce, vous savez assez que c'est de luy seul que procède tout l'amour et toute la joye que nous avons pour le bien , et qu'ainsy vous estes bien capable de troubler la mienne, mais non pas de me la redonner si une fois je viens à la perdre par vostre faute. Vous devez connoistre et sentir en quel- que façon ma tendresse par la vostre, et juger que si je suis assez forte pour ne laisser pas de passer outre mal- gré vous, je ne la suis pas assez peut estre pour estre à l'es- preuve de la douleur que j'en recevray. Ne me réduisez

X. « La mort de M. Pascal, leur père ». Note du P. Guerrier.

�� � LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRÈRE 13

pas à l'extrémité ou de différer ce que j'ay désiré si long- temps avec tant d'ardeur, et de me mettre ainsy au hasard de perdre ma vocation ou de faire bassement, et avec une langueur qui tiendroit de l'ingratitude, une action qui doit estre toute de ferveur, de joye et de charité, pour respondre à celle que Dieu a eue de toute éternité pour nous, en nous choisissant pour ses épouses avant que de nous avoir créées ; et de me rendre par ce moyen tout à fait indigne des grâces que je dois attendre dans tout le reste de ma vie, par la lâcheté que j'auroi eue dans ces com- mencements ; et ne m'obligez pas à vous regarder comme l'obstacle de mon bonheur, si vous estes capable de différer l'exécution de mon dessein, ou comme l'auteur de mon mal si vous estes cause que je l'accomplisse avec tiédeur.

Si j'avois moins d'expérience de ce que peut la ten- dresse naturelle sur ceux de notre famille, j'apporterois moins de précaution à vous faire consentir à une chose toute sainte et toute juste, parce que les grâces naturelles et surnaturelles que Dieu vous a données devroient vous porter mesme à m'encourager dans mon dessein, sij'estois assez malheureuse pour m'y affoiblir. Je n'ose encore attendre cela de vous, quoy que j'eusse droit de l'espérer dans les connoissances que vous avez ; mais j'attends que vous ferez un effort sur vous mesme pour ne pas vous mettre en estât de me faire perdre les grâces que j'ay receues, et de m'en respondre devant Dieu à qui je proteste que ce sera à vous seul que je m'en prendray et que je les redemanderay: Dieu nous garde l'un et l'autre de tomber dans ce malheur I

Je sçay bien que la nature fait arme de tout en ces rencontres, et que pour éviter ce qu'elle craint toutes choses luy semblent justes, et que pour fomenter ce qu'elle vous suggérera tout le monde ne manquera pas en cette occasion d'exercer cette sorte de charité et de

�� � 14 ŒUVRES

ferveur qui luy est ordinaire et qui ne s'oppose qu'au bien. Il n'y a pas assez longtemps que j'en suis sortie pour avoir oublié que l'estime et l'applaudissement qu'il a pour la vertu est un des meilleurs moyens dont nostre ennemy se sert pour l'affoiblir insensiblement dans une ame, sous prétexte de la communiquer aux autres ; et que ce qu'il voit bien qu'il ne pourra emporter par violence, il tasche, de l'emporter par les caresses que le monde nous fait. Il n'a pas manqué d'inspirer aux tyrans cette sorte de supplice pour ébranler la foy et la constance des martyrs ; et il ne manque pas de la suggérer aux meil- leurs amis, dans la paix de l'Eglise, pour vaincre la per- sévérance des fidelles. Résistez courageusement à cette tentation si elle vous arrive, et lorsque le monde vous tesmoignera quelque regret de ne me plus voir, asseurez vous que c'est une illusion qui disparoistroit incontinent, s'il n'estoit question de s'opposer à un bien ; puis qu'il est impossible qu'il ait une véritable amitié pour une per- sonne qui n'est point à luy, qui n'y veut jamais estre, et qui n'a point présentement de plus grand désir que de destruire h son égard, en l'abandonnant pour jamais, par un vœu solennel et par l'engagement dans une vie tout opposée à ses maximes, et qui donneroitde bon cœur tout ce qu'elle a de plus cher pour imprimer un sentiment pareil dans toutes les âmes qu'elle connoist. Que s'il est vray qu'il a conservé quelque impression de l'amitié qu'il me tesmoignoit lorsque j'estois sienne, à Dieuneplaise que cela me puisse destourner de le quitter, et vous d'y consentir I Ce doit estre ma gloire et votre joye, et de tous mes vray s amis, d'avoir ce tesmoignage de la force de la grâce de mon Dieu, que ce n'e§t point luy qui me quitte, mais moy qui l'abandonne ; et qu'encore que l'effort qu'il fait pour me retenir semble une punition toute visible de

�� � LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRERE 15

îa complaisance que j'ay eue autres fois pour luy, il plaise à Dieu me donner la force d'y résister, et que tous ses efforts ne servent qu'à faire esclater la victoire qu'il a dai- gné remporter dans mon cœur sur tous les charmes et les promesses du monde, qui sont si vaines et si bor- nées qu'il ne faut qu'un peu de raison, esclairée de la foy et soutenue par la grâce, pour faire quitter avec joye par avance ce qu'il faudra quitter par nécessité dans quel- ques moments. Ne vous opposez point à cette lumière divine ; n'empeschez pas ceux qui font bien, et faites bien vous mesme ; ou si vous n'avez pas la force de me suivre, au moins ne me retenez pas. Ne vous rendez pas ingrat envers Dieu de la grâce qu'il fait à une personne que vous aimez ; plus elle doit vous estre chère, plus les faveurs qu'elle reçoit vous doivent estre sensibles.

S'il nous est recommandé de ne point négliger les chastiments du Seigneur, combien moins ses grâces, et la plus grande et la plus rare de ses grâces 1 Je parle de l'extérieure par laquelle il me permet d'estre admise au nombre de ces anges visibles qui ne sont au monde que pour l'adorer, et qui n'ont d'autre occupation extérieure ni d'autre désir dans le cœur que de le servir dans toute l'estendue que peuvent des créatures mortelles ; car pour l'intérieure, qui me rendroit un ange en cette manière, si elle trouvoit en moy une matière disposée, je reconnois que j'en ay très peu, quoy que ce peu surpasse infi- niment mon mérite. C'est ce qui doit augmenter nostre reconnoissance et nostre admiration de cette faveur infinie et incompréhensible de nostre Dieu envers une créature qui s'en est rendue si indigne. Je suis tellement touchée de cette pensée à l'heure que j'escris, que si j'osois, je crois que ferois une confession de toute ma vie pour vous faire mieux comprendre quelle est la miséricorde de Dieu

�� � 16 ŒUVRES

envers moy ; mais elle ne sera point nécessaire si vous vou- lez un peu rappeler vostre mémoire pour vous ressouvenir des temps oii j'aimois le monde, et où la connoissance et l'amour que j'avois pour mon Dieu me rendoient d'au- tant plus coupable, que je partageois mon cœur entre ces deux maistres avec une inégalité qui me couvre de con- fusion, sur tout quand il me ressouvient que les exhor- tations fréquentes que vous mefesiez sur ce sujet nepou- voient me faire concevoir que je ne pusse allier deux choses aussy contraires que sont l'esprit du monde et celui de la pieté. Voilà un solide fondement pour rendre nostre reconnoissance éternelle envers Dieu de ce qu'il daigne non seulement me retirer de ce dangereux aveu- glement, mais aussy m'establir dans un lieu et dans une condition où je n'ay plus sujet de craindre d'y retomber.

Je finis tout court, parce que j'aurois tant de choses à dire sur le sujet des obligations que je vous ay (lesquel- les je vous prie de ne pas destruire et de m'ayder à les con- server, comme je feray malgré vous mesme et tout ce qui s'y pourroit opposer, afin de les augmenter en les conser- vant, et de ne pas destruire ce que vous avez esdifié) ; sur les avantages inconcevables de la profession que j'embrasse et de la maison où je suis ; sur ce que vous et moy devons à Dieu, non seulement en gênerai comme ses créatures, mais aussy en particulier ; et sur plusieurs autres choses que, si je m'y estendois, je ferois plustost un livre qu'une lettre.

Je suis dans l'impatience de sçavoir en quelle manière vous aurez receu cette nouvelle, quoy qu'il me semble que ce seroit vous faire tort de douter que vous ne l'eus- siez bien receue, si on ne pardonnoit à la nature toutes les agitations qu'elle aura pu vous causer ; mais il ne faut pas qu'elle soit maistresse. Surmontez la par mon exem- ple, ou plustost parceluy des apostres qui reçoivent avec

�� � LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRERE 17

une sainte joyela séparation de Nostre Seigneur ; sur quoy il y auroit encore beaucoup de choses à dire. Fais par vertu ce qu'il faut que tu fasses par nécessité. Donne à Dieu ce qu'il te demande en le prenant : car il veut que nousluy donnions ce qu'il nous oste comme* nous faisons véritablement ce qu'il fait en nous. Je suis ravie que vous ayez cette occasion de mériter, et j'espère que cette offrande nécessaire vous disposera et méritera la volon- taire que je souhaitte de tout mon cœur, et qui va estre presque tout mon souhait à cette heure que j'ay obtenu ce que je desirois pour mon regard.

Contentez vous que c'est pour vostre considération que je ne suis pas céans il y a plus de six mois, et que j'aurois desja l'habit sans vous ; car nos mères ont receu le noviciat de quatre années que j'ay fait dans le monde, pour toute espreuve, et la volonté que j'ay de bien faire en me lais- sant conduire avec simplicité, pour toute perfection ; si bien que la seule peur que j'ay eue de fascher ceux que j'ayme a différé jusques icy mon bonheur. Il n'est pas raisonnable que je préfère plus longtemps les autres à moy , et il est juste qu'ils se fassent un peu de violence pour me payer de celle que je me suis faite depuis quatre ans. J'attends ce tesmoignage d'amitié de toy principale- ment, et te prie pour mes fiançailles qui se feront. Dieu aydant, le jour de la Sainte Trinité. Je prie Dieu qu'il nous envoyé son Saint Esprit pour nous y disposer. N'est-ce pas une chose estrange que vous vous feriez un grand scrupule, et que tout le monde vous voudroit mal, si pour quelque interest que ce fust vous vouliez m'empescher d'espouser un prince, encore que je dusse le suivre en un lieu fort esloigné de vous ? Faites vous mesme

I. Leçon du manuscrit 12988 : si nous faisions.

III — 2

�� � 18 OEUVRES

l'application, et mettez toutes les différences; car celte lettre est desjà trop longue pour l'amplifier encore.

J'escris à ma fidelle, je vous supplie delà consoler, si elle en a besoin et de l'encourager. Je luy mande que si elle s'y sent disposée, et qu'elle croye que je la pourray encore davantage fortifier, je seray ravie de la voir, mais que si elle vient pour me combattre, je l'avertis qu'elle perdra son temps. Je vous en dis de mesme, et à tous ceux qui voudroient l'entreprendre, pour vous espargner à tous une peine inutile. Je n'ay que trop patienté. Dieu veuille que le déchet que cela m'a causé se repare par la pénitence que je désire d'en faire. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il n'impute point à ceux qui se sont opposez à moy depuis quatre ans le pesché qu'ils ont commis en cela, et qu'il leur pardonne à cause que véritablement ils ne sça- voient ce qu'ils faisoient.

Ce n'est que par forme que je t'ay prié de te trouver à la cérémonie ; car je ne croy pas que tu ayes la pensée d'y man- quer. Vous estes asseuré que je vous renonce si vous le faites.

  • Faites de bonne grâce ce qu'il faut que vous fassiez,

c'est-à-dire en esprit de charité, et ne me donnez point de desplaisir, car il me semble que je ne vous enay point donné de sujet.

Adieu, je suis de tout mon cœur, Mon très cher frère,

Votre très humble et très obéissante sœur et servante S. J. D. Sainte-Euphemie .

��I. Cette phrase paraît avoir été ajoutée après coup, en manière de post-scriptum. Faugère la place, sans doute d'après le recueil Guer- rier, à la suite de Je suis de tout mon cœur ; Cousin, d'après le ms. lagSS, à la suite de la signatuire.

�� � XLV

FRAGMENT D'UNE LETTRE

DE JACQUELINE PASCAL

A MADAME PERIER

10 mai i652.

��Deuxième recueil du Père Guerrier, apud Faugère, Lettres, Opuscules et Mémoires, i845, p. 344-

��[Vide supra, t. II, Appendice et infra, t. XI, p. 352)»

�� � EXTRAIT D'UNE LETTRE DE MADEMOISELLE JACQUELINE PASCAL A MADAME PERIER SA SOEUR'

��A Port-Royal du Saint-Sacrement, ce lo may 1662.

... Il n'y a qu'affliction partout, excepté moy qui suis dans la joye ; car le jour est arresté pour ma vesture qui sera, Dieu aydant, comme je Fespere, le jour de la Sainte T^inité^ J'auray pour compagnes dans cette action, ou plutostpour modelles, mademoiselle de Luzancy^, qui est mon ancienne de deux mois, et une autre bonne sœur que vous ne cognoissez pas, qui recevront aussy le saint habit. II me semble que c'est un songe de m'en voir si proche aprez tant d'oppositions. J'auray tousjours peur que ce ne soit une illusion, jusqu'à ce que toute la céré- monie soit faite. Je ne perdray point le temps à vous raconter ma joye, car vous n'en doutez. Il suffit que la persévérance dans ma resolution tesmoigne que je n'ay point esté trompée dans mon attente et que je puis dire comme David : Sicut audivimus sic vidimus in civitate Dei nostri.

Je fis porter cette nouvelle à mon frère, le jour de l'Ascension, par M. Hobier^ Il vint le lendemain fort

��1. Jacqueline Pascal prit l'habit le 26 mai i652.

2. Mademoiselle de Luzancy était une des filles d'Arnauld d'An- dilly ; elle avait été élevée à Port-Royal, dont elle était sortie en 16^7 ; mais elle y était rentrée, « touchée de Dieu » en octobre i65i. Sa véture eut lieu le i3 décembre i652 : sa profession le 21 novem- bre i65/i ; elle prit en religion le nom de sœur Marie-Angélique de Sainte-Thérèse.

3. Même divergence entre les manuscrits que plus haut, p. 9.

�� � 22 ŒUVRES

outré avec un grand mal de teste que cela luy causoit, et neantmoins fort adoucy, car au lieu de deux ans qu'il me demandoit la dernière fois, il ne vouloit plus me faire attendre que jusqu'à la Toussaint; mais me voyant ferme à ne pas attendre et assez complaisante neantmoins pour condescendre à luy donner quelque peu de temps pour se pouvoir résoudre, il s'adoucit entièrement et eut pitié de la peine que cela me faisoit de différer encore une chose que je souhaitte depuis si longtemps. Il ne se rendit pourtant pas à l'heure; mais M. d'Andilly^ à ma prière eut la bonté de l'envoyer quérir samedy,et l'entreprit avec tant de chaleur et tant d'adresse qu'il le fit consentir à tout ce que nous voulions. De sorte que nous en demeu- râmes là, qu'il me pria de faire mon possible pour gagner sur moy de différer un temps considérable, et que si je ne le voulois pas, il aimoit autant que je ce fust le jour de la Trinité que quinze jours aprez. De sorte que ce sera pour ce jour là, s'il ne survient des empeschements qui ne me regardent point. . .

��I. Robert Ârnauld d'Andilly, l'aîné des enfants de l'avocat Antoin» Arnauld, était né en i585; il était depuis i646 retiré à Port- Eoyal des Champ-

�� � XLVI

LETTRE DE PASCAL A LA REINE CHRISTINE DE SUEDE

Ver» juin i653. Biiiiothèque Nationale, ms. f. fr. 20 945, p, 269,

�� � INTRODUCTION

L'époque même où Jacqueline marque la ferveur de son entrée définitive en religion, est celle où son frère semble avoir recherché avec le plus de passion l'éclat de la gloire mondaine. Deux témoignages de cette ambition nous sont restés, exactement contemporains des lettres de Jacqueline qui sont publiés dans les pages précédentes.

L'un se trouve dans la Muse historique de Loret ; on y lit, à la date du i/i avril 1 652, le récit d'une réunion qui venait de se tenir chez la duchesse d'Aiguillon :

Je me rencontray l'autre-jour Dedans le petit Luxembourg, Auquel beau lieu, que Dieu bénie, Se trouva grande Compagnie Tant Duchesses que Cordons-bleus*, Pour voir les êfets merveilleux D'un Ouvrage d'Aritmetique Autrement de Matématique, Où, par un secret sans égal, Son rare auteur nommé Pascal Fit voir une spéculative Si claire et si persuazive, Touchant le calcul et le jet, Qu'on admira son grand projet.

��I. Le cordon bleu était l'insigne de l'ordre du Saint-Esprit. Quoique l'expression fût parfois employée par manière de plaisanterie, pour déflignor les beaux esprits de l'Académie française par exemple, il est manifeste, ici, que Loret fait seulement allusion à la noblesse des auditeurs de Pascal,

�� � -26 ŒUVRES

Il fît encor sur des fontaines Des démonstrations si pleines D'esprit et de subtilité Que l'on vid bien, en vérité, Qu'un très-beau génie il possède, Et qu'on le traita d'Archiméde.

L'autre témoignage est une lettre de Pascal au per- sonnage de l'Europe qui était alors le plus en vue, à la reine Christine de Suède. Cette lettre, par suite d'une faute d'impression que Bossut avait pourtant corrigée dans ses er- rata (Ed. 1779, t. I, p. 425), est donnée en général comme «tant de i65o. Il est aisé de voir qu'elle est du milieu de 1662, puisqu'elle répond à une lettre écrite de Stockolm le i4 mai i652 par ce même Bourdelot qui avait déjà, en 1644, invité Pascal à montrer sa machine arithmétique au prince de Condé^ ÇVide infra, t. I, p. 283).

I . L'abbé Bourdelot figure parmi les correspondants du chevaliet de Méré. (Lettre XLIII, Ed. i 712, t. II, p. 169).

�� � LETTRE ESCRITE DE SUEDE A M PASCAL PAR M. BOURDELOT

��Vous escrivés merveilleusement bien pour un philosophe et pour un homme qui voit que le courrier va partir. Il faut avoir un esprit comme le vostre et que rien n'estonne. Sa Majesté a lu vostre lettre ; vous vouliez bien que je la luy montrasse, puisqu'elle parloit tant d'elle. La Reyne se trouve bien louëe de ce que vous m'avez escrit qui la regarde, et moy je me trouve trop loue. Je ne suis pas d'une si haute exaltation que vous dites ; l'amitié que vous avez pour moy doit avoir aliéné vos sentiments, les miens seront pour vous éternellement les mesmes. Je les ay fait savoir à la Reyne, et toute la terre en sera instruite. Vous estes l'esprit le plus net et le plus pénétrant que j'aye jamais vu. Avec l'assiduité que vous avez au travail, vous passerés esgallement les anciens et les modernes, et laisse- rez à ceux qui vous suivront une merveilleuse facilité d'apprendre. Vous estes l'ennemi déclaré de la vaine gloire, du galimatias et des énigmes, et quand vous parlés vous inspirés des connoissances avec tant de douceur que l'esprit a plaisir de les suivre, et déteste en un moment les opinions qu'il avoit contraires aux vostres. Je haïs les sentiments violents qui s'impriment dans l'imagination à force de chicanneries et de sophismes. Ce sont des séduc- tions dont l'ame fait une abjuration avec grande joye, des qu'elle s'aperceoit qu'elle a esté trompée ; vous estes un de ces génies que la Reine cherche ; elle ayme la clarté dans les raisonnements, et des preuves solides mieux appuyées

�� � 28 OEUVRES

que sur des vraisemblances. Elle sera bien ayse d'avoir vostre machine et vostre discours. N'y meslés aulcuns faux dogmes ; à l'estime qu'elle a pour vous, elle seroit pour le croire. Mais j'ay peur d'une chose qui ne peut arriver. Vous estes l'infaillible avec la mesme certitude que je suis et avec laquelle je vous proteste d'estre, Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur à jamais.

BOURDELOT. A Stockolm, le i4 mai i652.

��I . « Copié sur l'original. Voyez ci après la lettre de l\h Pascal escrite à la Reine en luy envoyant sa machine ».

�� � LETTRE A LA SERENISSIME REYNE DE SUEDE

Madame, Si j'avois autant de santé que de zèle, j'irois moy- mesme présenter à Vostre Majesté un ouvrage de plusieurs années, que j'ose luy offrir de sy loin; et je ne souffrirois pas que d'autres mains que les miennes eussent l'honneur de le porter aux pieds de la plus grande princesse du monde. Cet ouvrage, Madame, est une machine pour faire les règles d'arithmétique sans plume et sans jetons. Vostre Ma- jesté n'ignore pas la peine et le temps que coûtent les productions nouvelles, surtout lorsque les inven- teurs les veulent porter eux mesmes à la dernière perfection ; c'est pour quoy il seroit inutile de dire combien il y a que je travaille à celle-cy ; et je ne peux mieux l'exprimer qu'en disant que je m'y suis attaché avec autant d'ardeur que si j'eusse preveu qu'elle devoit paroistre un jour devant une personne si auguste. Mais, Madame, si cet honneur n'a pas esté le véritable motif de mon travail, il en sera du moins la recompense, et je m'estimeray trop heu- reux si, ensuitte de tant de veilles, il peut donner à Vostre Majesté une satisfaction de quelques moments. Je n'importuneray pas non plus Vostre Majesté du particulier de ce qui compose cette machine : si elle en a quelque curiosité, elle pourra se contenter

�� � 30 ŒUVRES

dans un discours que j'ay adressé à M. de Bourde- lot ; j'y ai touché en peu de mots toute l'histoire de cet ouvrage, l'objet de son invention, l'occasion de sa recherche, l'utilité de ses ressorts, les difficultez de son exécution, les degrez de son progrez, le suc- cez de son accomplissement et les règles de son usage. Je diray donc seulement ici le sujet qui me porte à l'offrir à Vostre Majesté, ce que je considère comme le couronnement et le dernier bonheur de son aven- ture. Je sais, Madame, que je pourray estre suspect d'avoir recherché de la gloire en la présentant à Vostre Majesté, puisqu'elle ne sauroit passer que pour ex- traordinaire, quand on verra qu'elle s'adresse à elle, et qu'au lieu qu'elle ne devroit luy estre offerte que par la considération de son excellence, on jugera qu'elle est excellente, par cette seule raison qu'elle luy est offerte. Ce n'est pas neantmoins cette espé- rance qui m'a inspiré ce dessein. Il est trop grand, Madame, pour avoir d'autre objet que Vostre Majesté mesme. Ce qui m'y a véritablement porté, est l'union qui se trouve en sa personne sacrée, de deux choses qui me comblent également d'admiration et de res- pect, qui sont l'autorité souveraine et la science so- lide ; car j 'ai une vénération toute particulière pour ceux qui sont élevez au suprême degré, ou de puis- sance, ou de cognoissance. Les derniers peuvent, si je ne me trompe, aussi bien que les premiers, passer pour des souverains. Les mesmes degrez se rencon- trent entre les génies qu'entre les conditions ; et le pouvoir des roys sur les sujets n'est, ce me semble,.

�� � LETTRE DE PASCAL A LA REINE CHRISTINE DE SUÈDE 31

qu'une image du pouvoir des esprits sur les esprits qui leur sont inférieurs, sur lesquels ils exercent le droit de persuader ^ , qui est parmi eux ce que le droit de commander est dans le gouvernement politique. Ce second empire me paroist mesme d'un ordre d'au- tant plus élevé, que les esprits sont d'un ordre plus élevé que les corps, et d'autant plus équitable, qu'il ne peut estre desparti et conservé que par le mérite, au lieu que l'autre peut l'estre par la naissance ou par la fortune ^ Il faut donc avouer que chacun de ces empires est grand en soy; mais, Madame, que Vostre Majesté me permette de le dire : elle n'y est point blessée, l'un sans l'autre me paroist défectueux. Quelque puissant que soit un monarque, il manque quelque chose à sa gloire, s'il n'a pas la prééminence de l'esprit; et quelque esclairé que soit un sujet, sa condition est toujours rabaissée par la dépendance. Les hommes, qui désirent naturellement ce qui est le plus parfait, avoient jusques icy continuellement

��1. Il s'agit, dans le langage très précis -de Pascal, de la persuasion qui naît de la démonstration par l'entendement (Réflexions sur l'Art de persuader, vers i658), et à laquelle s'oppose dans un fragment des Pensées (p. i3o, Sect. I, fr, i5) 1' « éloquence qui persuade par dou- ceur, non par empire, en tiran, non en Roy ».

2. Ce passage n'est pas seulement remarquable en soi; il atteste encore d'une façon saisissante comment s'est développé l'esprit de Pascal. L'idée indiquée dans cette lettre qui porte la marque delà rhétorique hyperbolique du temps, se retrouvera également dans le fragment célèbre des Pensées, qui traite de l'humilité de la naissanc* de Jésus et delà simplicité du style des Évangiles (page 63, Sect. XIU fr. 783), Seulement la supériorité intellectuelle, dont l'autorité poli- tique n'est que l'image, sera elle-même la figure de la sainteté. Les deux ordres de grandeur que Pascal célèbre ici s'effacent devant la

�� � 32 ŒUVRES

aspiré à rencontrer ce souverain par excellence \ Tous les roys et tous les savants en estoient autant d'ébauches, qui ne remplissoient qu'à demy leur at- tente, et à peine nos ancêtres ont pu veoir en toute la durée du monde un roy médiocrement savant ; ce chef d 'œuvre estoit réservé pour vostre siècle. Et afin que cette grande merveille parut accompagnée de tous les sujets possibles d'estonnement, le degré où les hommes n'avoient pu atteindre est remply par une jeune Reyne, dans laquelle se rencontrent en- semble l'avantage de l'expérience avec la tendresse de Tage ", le loisir de l'estude avec l'occupation d'une royale naissance, et l'eminence de la science avec la foiblesse du sexe. C'est Vostre Majesté, Madame, qui îournit à l'univers cet unique exemple qui luy man- quait. C'est elle en qui la puissance est dispensée par les lumières de la science, et la science relevée parl'esclat de l'autorité. C'est cette union si mer-

��charité. Archimède, auquel Pascal a été si souvent comparé, ne vaut pas Jésus. Et le souvenir de la reine de Suède n'est plus évoqué dans les Pensées que pour instruire le chrétien de la vanité des grandeurs du monde : « Qui auroit eu l'amitié du Roj d'Angleterre, du Roy de Pologne et de la Reine de Suéde auroit il cru manquer de retraitte et d'asile au monde ? m (p. 78, Sect. II, fr. 177).

1. Ceci fait allusion, entre autres choses, à la conception fonda- mentale de la République platonicienne : il faut que les philosophes soient rois, ou que les rois soient philosophes. On sait comment Pla- ton essaya de former « ce souverain par excellence » et quel fut l'échec de ses tentatives à Syracuse. Un siècle après Pascal, Voltaire et Diderot se laisseront éblouir par la philosophie de Frédéric et de Catherine, et l'expérience tournera encore à leur confusion.

2. Christine n'avait encore que vingt-six ans ; mais, reine de Suède en i632, elle s'occupait déjà depuis longtemps des affaires du royaume.

�� � LETTRE DE PASCAL A LA REINE CHRISTLNE DE SUÈDE 33

veilleuse qui fait que comme Vostre Majesté ne veoit rien qui soit au dessus de sa puissance, elle ne veoit rien aiissy qui soit au dessus de son esprit, et qu'elle sera l'admiration de tous les siècles qui la suivront, comme elle a esté l'ouvrage de tous les siècles qui l'ont précédée. Régnez donc, incomparable prin- cesse, d'une manière toute nouvelle ; que vostre génie vous assujettisse tout ce qui n'est pas soumis à vos armes : régnez par le droit de la naissance, durant une longue suite d'années, sur tant de triomphantes provinces ; mais régnez toujours par la force de vostre mérite sur toute l'estendue de la terre. Pour moy, n'étant pas né sous le premier de vos empires, je veux que tout le monde sache que je fais gloire de vivre sous le second ; et c'est pour le tesmoigner, que j'ose lever les yeux jusqu'à ma Reyne, en luy donnant cette première preuve de ma dépendance. Voilà, Madame, ce qui me porte à faire à Vostre Majesté ce présent, quoy que indigne d'elle. Ma foi- Messe n'a pas estonné mon ambition. Je me suis figuré qu'encore que le seul nom de Vostre Majesté semble esloigner d'elle tout ce qui luy est dispro- portionné, elle ne rejette pas neantmoins tout ce qui luy est inférieur ; autrement sa grandeur seroit sans hommages et sa gloire sans éloges. Elle se contente de recevoir un grand effort d'esprit, sans exiger qu'il soit l'effort d'un esprit grand comme le sien. C'est par cette condescendance qu'elle daigne entrer en communication avec les autres hommes ; et toutes ces considérations jointes me font luy protester avec

III — 3

�� � 34 ŒUVRES

toute la soumission dont l'un des plus grands ad- mirateurs de ses héroïques qualités est capable, que je ne souhaitte rien avec tant d'ardeur que de pouvoir estre avoué,

Madame, de Yostre Majesté,

pour son très humble, très obéissant et très fidelle serviteur,

Blaise Pascal.

�� � XLVII

EXTRAITS DES ACTES NOTARIÉS

SIGNÉS PAR

BLÂISE ET JACQUELINE PASCAL

8 juillet i653

��Publiés pnr M. Barroux, Bulletin cla Comité des Travaux historiques et scientifiques, section d'Histoire et de Philologie, année 1808.

�� � LEGS (APRÈS DÉCÈS) DE 4ooo LIVRES TOURNOIS FAIT PAR PASCAL EN FAVEUR DE L'ABBAYE DE PORT-ROYAL*.

8 juillet i652.

Par devant. . . fut présent Biaise Pascal. . . lequel a recongneu et confessé avoir donné par ces présentes par donnation irré- vocable faicte entre vifs, en la meilleure forme que donnation peult avoir lieu, et promet garentir de tous troubles et em- peschemens générallement quelconques, au monastère du Port Royal du Sainct Sacrement de l'ordre de Cyteaulx, fondé à Paris, faulxbourg Sainct Jacques, ce acceptant par sœur Marie Angélicque de Saincte Magdelaine, mère abbesse du- dict monastère, à ce présente, la somme de quatre mil livres tournois, à prendre sur tous et chacuns ses biens tant meu- bles que immeubles (après son décedz) en cas qu'il décedde sans enfans, et ce pour estre particippant aux prières et oraisons dudict monastère et de l'affection que lesdictes reli- gieuses ont pour sœur Jacqueline Pascal, sa sœur, de présent audict monastère...

Faict et passé au parloir dudict monastère l'an mil six cens" cinquante deux, le huictiesme jour de juillet après midy, et ont signé [la minute des présentes demeurée par devers et en la possession de Guyon, l'un desdicts notaires soubzignés. Signé Lebert et Guyon].

��I, Minute chez M« Leroy; Arch. N. Y 189, f. 181.

�� � EXTRAIT DE LA CONSTITUTION PAR JACQUELINE PASCAL DE L.\ SOMME QU'ELLE A RECONNUE A SON FRÈRE PAR LES ACTES D'OCTOBRE iG5i^

8 juillet i652.

... ledict sieur Pascal, en la présence et du consentement de ladictc sœur Jacqueline Pascal - sa sœur, [aj pris et clioisy du second lot du partaige des effectz liquides des successions des dicLs deffunctz ses père et mère faict entre elle, ledict sieur Pascal et la dicte damoiselle Gilleberte Pascal soubz leurs seings, le xxx® décembre xvi" cinquante ung, recongneu par devant Vassetz et Prieur, notaires audict Chastelet le douze febvricr dernier, ce qui s'ensuit...

Faict et passé au parloir dudict monastère l'an mil six cens cinquante deux, lehuictiesme jour de juillet après midy, et ont signé.

��1. Minute chez M« Leroy.

2. Qualifiée plus haut : « de présent novice en monastère du Port Roval du faulïbourg Sainct Jacques à Paris.

3. Les seize mille livres sont instituées par la cession des obliga- tions qui revenaient de la succession d'Etienne Pascal, en vertu des contrats passés à Clermont, le 7 septembre i635 avec le président Biaise Pascal, et avec les héritiers de feu M^ Fayet, par contrat du aS février i646.

�� � XLVIII ACTE SIGNE

PAR

BLAISE PASCAL

POUR LA CONSTITUTION DE LA DOT DE JACQUELINE PASCAL

[\ juin i653.

Publiés par M. Barroux, Bulletin du Comité des Travaux historiques et scientifiques, section d'Histoire et de Philologie, année i888.

�� � EXTRAIT DE LA CONSTITUTION DE LA DOT DE JACQUELINE PASCAL POUR SA PROFESSION A PORT-ROYALE

4 juin i653.

Par devant les notaires gardenotes du roy au Chastelet de Paris soubzignés fut présent Biaise Pascal, escuyer, demeu- rant à Paris, rue Beaubourg, parroisse Sainct Nicolas des Champs lequel en faveur de la profession que doibt faire dans peu de jours damoiselle Jacqueline Pascal, sa sœur, en l'abbaie du Port Royal, sciz à Paris, au faulxbourg Sainct Jacques, où elle est de présent religieuse novice, nommée sœur Jacque» line de Saincte Euphémie, et pour luy donner lieu d'estre moins à charge à ladicte abbaie, a volontairement donné, ceddé, quitté, transporté et délaissé par ces présentes du tout dès maintenant à tousjours par donnation entre vifs, pure, simple, irrévocable et en la meilleure forme et manière que faire se peult et que donnation peult avoir lieu, et promet garentir de tous troubles et empeschemens générallements quelconques, fors des faicts du prince

à ladicte abbaie du Port-Royal, ce acceptant par Révérende Mère sœur Marie Angélique de Saincte Magdelaine, abbesse de ladicte abbaie, et par sœur Catherine Agnès de Sainct Paul, prieure, sœur Marie des Anges, sœur Marie de Saincte Magdelaine et sœur Geneviefve de l'Incarnation, toutes reli- gieuses professes, faisans et représentans la plus grande et saine partye des religieuses de ladicte abbaie, assemblées à la grande grille et parloir d'icelle au son de la cloche en la manière accoustumée pour ce, présentes pour elles et leurs successeures religieuses en ladicte abbaie,

c'est assavoire quinze cens livres tournoiz de rente ^... ; en

1. Arch. N. Y 190 f. 71, v*' -72.

2. A prendre sur les 1794 livres de rente sur l'hôtel de ville

�� � 42 ŒUVRES

outre ledict sieur donateur pour les mesmes causes que dessus a promis, promet et s'oblige par lesdictes présentes de donner, bailler, fournir et délivrer dans six mois d'huy prochains, ou plus tost, sy bon lui semble, auxdictes dames abbesse et reli- gieuses de ladicte abbaie aussy ce acceptantes la somme dé cinq mil livres tournoiz en deniers comptans, à la charge de par lesdictes religieuses et leur successeures bailler et payer audict sieur Pascal donateur, sa vie durant, et à sa vefve, au cas qu'il se marie, aussy sa vie durant, deux cens cin- quante livres tournoiz de rente viagère... à condition que ladicte rente demeurera esteinte et admortie du jour du décedz dudict sieur donateur et de celuy de sadicte vefve, s'il se marie, et qu'icelle somme demeurera appartenante à ladicte abbaie, ainsy que le consent ledict sieur donateur...; et moyennant ces présentes la donnation de quatre mil livres faicte par ledit sieur donateur, à la dicte abbaie, en cas qu'il mourust sans enfans, par contrat passé par devant... notaires au Chastelet de Paris, le jour de xvi^

demeure nulle et sans aucun effect comme non faicte ny advenue * .

Cette donnation faicte tant en faveur de ladicte profession qu'en recognoissance de ce que lesdictes religieuses abbesse et couvent se chargent de nourrir, loger et entretenir ladicte da- moiselle Pascal le reste de ses jours en ladicte abbaie ainsy que les autres religieuses professes d'icelle, et au surplus pour TafTection que ledict sieur Pascal porte à ladicte damoiselle sa sœur et que tel et son plaisir et volonté d'ainsy le faire...

Faict et passé à ladicte grille et parloir de ladicte abbaye du Port Royal, l'an xvi^liii, le quatriesme jour de juin après midy, et ont signé... Bonot et Baudrj.

��qu'Etienne Pascal avait achetées le 2 janvier i635, appartenant à la part de Biaise Pascal dans la succession de son père. I. Voir l'acte du 8 juillet 1662, p. 87.

�� � XLIX

FRAGMENT D'UNE LETTRE DE BLAISE PASCAL A M. PERIER

6 juin i653.

��Deuxième recueil du Père Guerrier, apud Faugère, Pensées, fragments et lettres, i845, t. ï, p. 34-

�� � INTRODUCTION

De la lettre écrite par Pascal à son beau-frère et à sa sœur le lendemain de la profession de Jacqueline, quelques lignes seulement ont été conservées. Voici, à titre de complément, ou de contraste, un passage intéressant de la lettre que la mci e Agnès envoyait le même jour à la sœur Marie Dorothée de l'Incarnation le Conte. Elle y parle des « trois sœurs d'hier, qui sont des âmes d'oraison, mais d'une oraison, elles ne sentent pas elles mesmes parce qu'elle est continuelle. Nous devons des actions de grâces à Dieu de nous les avoir données, car certes ce sont des personnes rares pour la solidité de la vertu. M. Singlin sentoit bien cela dans son sermon, car il le prescha miraculeusement bien, et on voyoit qu'il a voit son compte en elles » ^Lettres, t. I, p. 266). L'annotatrice de la correspondance de la mère Agnès^ donne les noms des deux compagnes de la sœur Jacque- line de Sainte-Euphémie Pascal : la sœur Marguerite de Sainte- Gertrude du Pré ^ et la sœur Marie de Sainte-Aldegonde des Pommares^. Elle ajoute que ce fut M. de Sainte-Beuve qui les reçut à la profession.

1. Prosper Faugcre a présenté au public l'édition dans une Préface datée de juillet 1857; mais le travail de l'édition et l'annotation sont dues, d'après une communication que M. Gazier nous a faite, à Mlle Rachcl Gillet.

2. Voir Vies intéressantes et édifiantes des Religieuses de Port-Royal, 1761, t. II, p. 36o sqq., et le Nécrologe de ijaS, p. 26/i.

3. Nécrologe de 1728, p, 5.

�� � EXTRAIT D'UNE LETTRE DE BLAISE PASCAL A M. PERIER

De Paris, ce vendredy 6 juin i653.

^ Je viens de recepvoir vostre lettre où estoit celle de ma seur, que je n'ay pas eu loysir de lire, et de plus je croy que cela seroit inutile ^

Ma seur fit hier profession, jeudy 5 juin i653^ Il m'a esté impossible de retarder : MM de Port- Royal craignoient qu'un petit retardement en appor- tast un grand et vouloient la haster par cette raison qu'ils espèrent la mettre bientost dans les charges *;

��1. Ce premier paragraphe est conservé dans la minute autographe, et joint au manuscrit des Pensées (Bibliothèque Nationale, f . fr. 9 202

2. [estant]. — Vide infra, p. 8g.

3. Sur le verso du fragment autographe, au i° /igô, figure le dé- but du règlement de compte que Pascal envoyait à Florin et à GJl- berte Perier.

Ce n'est icy qu'un abbregé par tables pour vostre intelligence.

��Déclaration de l'estat de son bien au Si dé- cembre i65i.

��Il luy est deub par les créanciers

��Il luy est deub par moy, seavoir parce que je l'ay receu.

��Effets non liquides. 5 729. 3. 4 O. Car cela m'estoit...

4- Cette raison que Pascal accepte avec une certaine mauvaise hu- meur ne fut pourtant pas un prétexte. Voir les Vies intéressantes eU édifiantes des Religieuses de Port-Royal, 176 1, t. II, p. 356. Après avoir rappelé ';^e Jacqutî-ne Pascal eut, avant sa profession, à supporter une assez rude épreuve de la part de ses parents, on ajoute : « La

�� � FRAGMENT D'UNE LETTRE DE BLAISE PASCAL 47

et partant il faut haster, parce qu'il faut qu'elles ayent pour cela plusieurs années de profession. Yoyla de quoy ils m'ont payé. Enfin, je ne l'ay pu...

��sœur Euphémie (ce fut le nom qu'elle prit), depuis sa consécration ne fit plus d'autre usage des perfections dont Dieu l'avoit ornée, que pour lui plaire. Aussi parut-elle dès le commencement un modèle parfait des vertus Religieuses, Sur-tout ii n'y a jamais eu, au juge- ment de ses Supérieurs, rien de plus édifiant que sa douceur, son humilité, sa soumission, son obéissance, sa modestie et son amour pour la pauvreté ; tous ses talens étant tellement couverts de l'éclat de ses vertus, qu'on avoit peine à les appercevoir. Sa vie fut toujours si sainte, que ce fut un continuel sujet d'édification pour la Com- munauté. Comme on la jugea capable de remplir les emplois les plus difficiles, on l'employa de bonne heure, sur-tout à former les Postulantes et les enfans à la piété, et ensuite les Novices. Elle auroit été certainement élevée aux plus grandes charges, si elle ne fût pas morte jeune. Mais, quoi qu'il en soit, pendant le peu d'années qu'elle a. passées dans le Cloître, on doit dire qu'elle a rempli une longue course. » (Vide infra, t. X, p. I24-)

�� � L RELATION

��DE

��JACQUELINE PASCAL

10 juin i653.

Manuscrit intitulé : Diverses lettres de piété de quelques religieuses d& Port-Royal et autres personnes, communiqué par M. Gazier.

��m — 4

�� � HELATION DE MA SŒUR JACQUELINE DE S»* EU- PHÉMIE ADRESSÉE PAR ELLE A LA MÈRE PRIEURE DE PORÏ-ROYAL DES CHAMPS i.

Gloire à Jésus, au très saint sacrement.

A Port-Royal, ce lo juin i653.

Ma très chère Mère, ^ Je ne doute point que vostre charité ne vous ait fait prendre part à l'affliction très sensible que Dieu ^ a per-

��1. Marie-Dorothée de l'Incarnation Le Conte, née en i6io, morte en 1674. Élevée à Port-Royal, elle y prit l'habit en 1625 : « Après qu'elle eut rempli plusieurs des charges inférieures, elle fut établie en i653 Prieure de Port Royal des Champs qu'elle gouverna pen- dant six ans ». Elle fut prieure de la maison de Paris en 1661J pour avoir refusé de signer le Formulaire, elle fut, en i664 envoyée « en captivité » chez les Filles de la Visitation de la rue Montorgueil (Vies intéressantes et édifiantes des Religieuses de Port-Royal, 1761, t. II, p. 27 sqq.).

2. La Relation a paru dans les Mémoires pour servir à l'Histoire de Port-Royal et à la vie de la Révérende Mère Marie Angélique de Sainte Magdeleine Arnauld Reformatrice de ce Monastère, t. III, Utrecht, 1742, p. 54-io5. Le texte imprimé reproduit, avec de nombreux remaniements de détail, des copies manuscrites qui sont sur certains points tout à fait différentes du manuscrit que nous suivons {Biblio- thèque Nationale, ms. f. fr. 17 797, fo 25o sqq. et Recueils de M. Gazier). Nous empruntons à l'un de ces derniers recueils un certain nombre de variantes qui nous ont semblé intéressantes.

3. Deuxième Recueil Gazier : « M'a envoyé-^ dans le temps de ma pro- fession, peut estre pour servir de contrepoids à l'extrême joye que j'en avois : c'est ce qui m'oblige, par une juste reconnoissance, de vous faire participer à la consolation que j'y ay receue. C'est à ce dessein que je me donne l'honneur de vous escrire. Mais parce qu'il est nécessaire, pour vous en donner l'intelligence du tout, que vous soyez informée de mon aventure, j'ai cru que je devois vous en faire un petit abrégé

�� � S2 ŒUVRES

mis qui me soit arrivée, peust être pour servir de contre- poids à Fextreme joye que j'avois de ma profession. C'est pour quoy je me crois obligée de vous faire participer à la consolation que j'ay receuë. Mais, afin de vous la faire mieux entendre, il me semble nécessaire de vous faire un petit récit fort abrégé de cette hystoire, ce qui servira en mesme temps pour vous en donner l'intelligence et pour satisfaire à l'obligation que j'ay de publier au moins entre nous, puisque je ne puis le faire sçavoir à tout le monde, ce que j'ay reconnu par expérience de la grande charité de nos Mères et de la pureté de leur conduite, qui a tellement paru dans mes affaires qu'il est visible qu'elles ne regardent jamais que Dieu dans toutes sortes d'evenemens.

Ma conscience me presse de rendre ce tesmoignage à la vérité, qui est d'autant plus digne de foy qu'il est plus volontaire, et que mesme je n'ose le rendre public, parce

qui servira en mesme temps pour vous en donner l'esclaircissement et pour satisfaire à l'obligation que j'ay de publier, au moins entre nous, puis qu'il m'est impossible de le porter plus loin, ce que j'ay reconnu par une notable expérience du désintéressement de cette Maison, de la grande charité de nos Mères et de la pureté de leurs intentions et de leur conduite, qui a tellement paru dans mes affaires qu'il ne faut point d'autre preuve pour reconnoistre qu'elles ne regardent jamais que Dieu en toutes les choses où elles sont obligées d'agir.

« Ma conscience me presse, ma très chère mère, de rendre à la vé- rité que je connois ce tesmoignage qui est d'autant plus digne de foy qu'il est tout volontaire, et que mesme je n'ose le rendre public, parce cpie la modestie de notre mère ne pourroit jamais le souffrir et m'empesche d'oser tenter ce que la gratitude et la justice deman- dent de moy, de peur que l'obéissance ne m'interdit ensuite le peu qui m'est encore permis, puisqu'on ne me l'a pas défendu, qui est de vous en laisser un petit mémorial, qui conservera, à la faveur du silence et du secret que nous garderons entre nous, la mémoire de ce qui s'est passé, que nous serions autrement contraintes de laisser périr, et sera le monument de ma reconnoissance, et le fidèle tesmoin du souvenir qui me reste de la grâce cpie j'ay receue, puisque je ne puis rien de plus ».

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 5?

que, comme vous sçavez, la modestie de notre Mère ne le pourroit jamais souffrir ; et quoy que ce soit peu pour sa gloire que d'en parler à une personne qui a une connois- sance si parfaite des grâces que Dieu luy a départies, néant- moins j'espère que Dieu l'aura aggreable parce qu'il veoit dans mon cœur que, si je pouvois quelque chose de plus pour tesmoigner ma reconnoissance, je l'embrasserois de toute mon affection, et que voyant que je ne puis la faire paroistre autrement, j'essaye au moins de conserver la mémoire de la grâce que j'ay receuë.

Vous sçaurez donc, ma chère Mère, qu'aussy tost que j'eus mes voix pour ma profession, je l'escrivis âmes parens^ pour mettre la dernière main à mes affaires et pour leur donner avis de la disposition que je desirois faire du peu de bien que Dieu m'avoit donné ^, avec beaucoup de fran- chise, croyant avoir tout sujet de m'asseurer qu'ils entre- roient dans mes sentimens comme moy mesme et que

��I. Ibid. : « avec beaucoup de liberté et de franchise, leur déclarant ■que je desirois le luy rendre, puisque je m'en despouillois, car je croyois avoir tout sujet de m'asseurer qu'ils approuveroient tous mes desseins ; et que, connoissant le fond de mes intentions et la dispo- sition de mon cœur à leur égard, j'avois la vanité de présumer qu'il ne m'auroit jamais esté possible de les fascher, quoy que je fisse. Et TOUS sçavez que j'avois quelque raison de vivre dans cette confiance, veu l'union et l'amitié que nous avions toujours eue ensemble.

« Cependant ils s'offencerent au vif de mes desseins et crurent que je leur faisois une sensible injure de les vouloir déshériter en faveur de personnes étrangères, que je leur preferois, disoient ils, sans qu'ils m'eussent jamais desobligée. Enfin, ma chère mère, ils prirent les .choses dans un esprit tout séculier, comme auroient peu faire des per- sonnes tout du monde, qui n'auroient pas mesme connu le nom de la charité, et regardèrent celles que j'avois dessein de faire à quelques personnes dont ils n'ignorent pas les besoins, pour des marques d'amitié envers eux à leur préjudice, sans vouloir reconnoistre le mo- tif qui m'y poussoit, et Dieu le permit ainsi sans doute pour nous hu- milier l'un par l'autre... »

�� � 54 OEUVRES

taschant en cela de satisfaire à ce que la charité deman- doit de moyje ne pourrois en aucune sorte les fascher. Cependant ils s'irritèrent si fort de mes desseins, croyant que je leur faisois une sensible injure de leur préférer des personnes estrangeres à qui je voulois faire du bien en les, déshéritant, comme s'ils m'avoient desobligée, qu'enfin, ma chère Mère, ils prirent quelques charitez que j'avois dessein de faire pour une marque d'amitié envers ces per- sonnes, à leur préjudice, tout en la manière qu'auroient fait des personnes vrayement du monde, et qui n'auroient sçeu ce que c'est que d'estre à Dieu. Et il le permit pour nous humilier Fun par l'autre et nous faire reconnoistre de plus en plus combien peu on doit faire de fondement sur Famitié des* hommes. Car je ne puis attribuer cet aveuglement, si ^ j'ose le nommer ainsy, à une autre cause qu'à un secret jugement de Dieu sur nous : estant certain que les uns et les autres ont trop de lumière dans les choses de Dieu pour s'attendre à les trouver encore si humains dans une affaire de pieté et qui ^, outre cela, estoit de très petite conséquence. C'est la raison pour quoy j'hesitois moins, ou pour mieux dire point du tout, à leur proposer ce desheritement, comme ils le nomment, me tenant cer- taine qu'ils seroient ravis de participer par leur consente- ment à ces petites charitez que j'avois dans l'esprit, veu qu'eux mesmes en font souvent de considérables.

  • Ce prétendu manque d'amitié de ma part leur donna

1. « créatures ».

2. « le respect que je leur dois me permet de le nommer ainsy ».

3. « D'ailleurs estoit de si petite conséquence et les interessoit si peu que je n'avois pas cru devoir hésiter un moment à leur proposer ce prétendu desheritement, en ne désirant le faire que pour Dieu, parce que je me tenois asseurée, non seulement qu'ils l'approuve- roian*, mais qu'ils seroient bien aises de participer... »

4. « Mais, ma chère mère, vous n'avez que faire de tout celaj il

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 55

beau jeu de raisonner sur l'inconstance de l'esprit numain; mais ils n'en demeurèrent pas là, car ils me donnèrent ensuite un sujet véritable de la reconnoistre, sans néant - moins me donner envie de l'imiter.

Ils m'escrivirent donc chacun à part, mais de mesme stile ; et, sans me dire que je les eusse choquez, ils me traitterent neantmoins comme l'estant beaucoup, et me firent une déduction de mes affaires, par laquelle ils m'ap- prenoient que par nos partages, nos lots estoient solidaire- ment obUgez à respondre l'un pour l'autre de toutes les parties qui viendroient à manquer, pendant un fort long temps ^ Ils me firent voir encore quantitez d'engagemens qu'avoit mon bien, tous véritables en soy : mais il paroist clairement qu'ils avoient, avant leur mauvaise humeur, quelque voye pour m'en tirer, puisqu'ils m'avoient laissé prendre l'habit sans m'en avertir. Et pour conclusion me mandèrent franchement qu'il ne me restoit rien dont je peusse disposer en faveur de qui que ce soit, à moins de les mettre en procez entre eux, et eux contre tous ceux qui auroient profité de cette disposition ; ce qu'ils assuroient estre inévitable, à cause de quelques formalitez de justice qu'il falloit garder. Et pour cette raison ils me donnèrent avis qu'ils alloient donner ordre à ce que je ne peusse disposer de rien du tout, comme n'en ayant point le pou-

��faut seulement vous dire, pour la suite de l'hystoire, que ce prétendu manque d'amitié de ma part leur donna beau jeu de raisonner sur l'inconstance de l'esprit humain et l'instabilité de mon affection. Mais à la bonne heure, s'ils en fussent demeurez là : ils auroient exercé leur esprit sans troubler le mien ; mais ils ne le firent pas ; car ils m'escrivirent chacun à part, de mesme style, et, sans me dire qu'ils fussent choquez, ils me traitèrent neantmoins comme l'estant beaucoup, et pour toute response à mes propositions, ils me faisoient une déduction, etc. » (La fin du paragraphe est assez sensiblement Abrégée).

�� � ^6 ŒUVRES

voir, me réduisant pour toutes choses à une somme très peu considérable qu'ils m'avoient fait toucher avant ma vesture, et que j'avois employée par avance en quelques charitez, sans me mettre en peine de les en avertir, non par mespris de leur consentement, mais par ce que je le tenois pour tout donné, et vous sçavez ^ [que j'avois] rai- son de croire qu'ils approuveroient tout ce que je ferois.

Jugez, je vous supplie, ma chère Mère, ^[de] Pestât où me mirent ces lettres d'un stile si différent de nostre ma- nière ordinaire d'agir, et qui d'ailleurs me mettoient abso- lument en estât ou de différer ma profession de quatre ans pour retirer mon bien de l'engagement où il estoit pour la garentie des autres lots, sans mesme estre asseurée qu'il peust estre entièrement libre d'ailleurs, ou de recevoir la confusion d' estre receuë gratuitement et d'avoir le des- plaisir de faire cette injustice à la Maison. Aussy la dou- leur que je ressentis fut si violente, que je ne puis assez m'estonner de n'y avoir point succombé.

Aussy tost que la M. Agnes sceut que j'estois affligée, elle m'envoya quérir ; et ayant appris que ce qui me tou- choit le plus sensiblement estoit la nécessité, ou de dif- férer ce que je souhaittois depuis tant d'années avec' une extrême ardeur, ou de le faire avec des conditions qui m'estoient si pénibles, elle me dit plusieurs choses pour me consoler sur ce que ce qui n'est que temporel ne doit jamais troubler parce qu'il n'est jamais irrémédiable — que tout ce qui n'est pas éternel ne doit point toucher — qu'il faut reserver les larmes pour pleurer ses peschez qui sont les véritables malheurs — et qu'il falloit regarder aux

��1. Le manuscrit porte, par erreur évidemment, qu'ils avoieni.

2. Ms. si.

2>. « tant de passion. »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 57

moyens de me tirer de peine, au lieu de perdre le temps il s'en affliger ; adjoutant avec sa bonté ordinaire que si la chose se gouvernoit par son avis, elle seroit bien tost et bien aisément terminée, que je laisserois là toutes mes affaires telles qu'elles estoient pour ne penser plus qu'à faire profession sans m'inquieter de rien.

Elle adjousta plusieurs autres ^ choses ; et ^ meslant la raillerie avec le sérieux, afin de ne rien oublier qui peust adoucir la douleur où j'estois, elle disoit qu'il seroit honteux à la Maison et incroyable à ceux qui la connoissent, s'il estoit dit qu'une novice receuë à la profession fust capable d'estre affligée de quoy que ce soit ; mais beaucoup plus si on sçavoit que c'est de se veoir réduite à estre receuë pour rien. Et^ sur cela, rentrant dans le sérieux, elle s'efforça de me faire comprendre comme quoy c'estoit la chose la plus avantageuse qui me peust arriver, et que nostre Mère n'eut rien tant désiré que d'avoir esté libre de faire ce qu'elle auroit voulu en se faisant professe, afin de pou- voir donner tout son bien aux pauvres, et puis d'estre re- ceuë par charité dans une maison inconnue. Et, pouroster à ma douleur tout prétexte de justice, elle tascha de me faire veoir que c'estoit aussy non seulement le plus honnorable, mais mesme le plus utile pour la Maison, et que si la cha- rité qu'on doit au prochain nous deffend qu'on désire qu'il nous fasse des injustices, celle qu'on doit à soy mesme se resj ouït quand il nous en fait, et qu'il n'y a point d'avan- tage temporel qui puisse estre comparé à celuy là, parce qu'il n'y a rien de plus profitable à la religion que la vraye

��1. « belles ».

2. « me parlant ensuite avec plus de gayeté pour ne rien ou- l)lier. »

3. « ensuite elle s'efforça. »

�� � 58 ŒUVRES

pauvreté, qu'il n'est pas tousjours permis de se la procurer ^ mais qu'il est toujours bon de la désirer, de Taymer et de se resjouïr de tout ce qui peut y contribuer, qu'on doit trembler quand on reçoit des biens, en les regardant comme un piège à la vertu et à l'esprit de pauvreté, et se resjouïr lorsqu'on en est privé, parce qu'on n'en est plus responsable. Enfin elle se servit de tant de moyens, qu'elle me réduisit à me resjouïr de tout ce qui m'affligeoit le plus, et à n'oser plus avoir de douleur que par la com- passion que j'avois de ceux qui m'en donnoient sujet*. Mais neantmoins ce ne fut qu'un endormissement, car j'estois trop foible et trop touchée pour estre susceptible de tant de vertu, et j'avoue à ma confusion qu'un moment après je rentray avec la mesme foiblesse dans mes pre- miers sentimens.

Ensuitte elle me fit veoir M. S. .. à qui je fis récit de ce qui se passoit, tandis qu'elle prist la peine de l'aller faire à nostre Mère; et, revenant sur ses pas, elle dit à M. S. . . que le sentiment de nostre Mère estoit que je devois laisser le tout à mes parens en la manière qu'il estoit, sans m'en mesler, non plus que s'il ne m'appartenoit point, et ne penser qu'à faire profession, sans me mettre en peine de rien. M. S... ne se rendit pas d'abord à cette pensée, craignant qu'il n'y eut peut estre trop de géné- rosité, et pas assez d'humilité dans cette action. Sur quoy il nous dit avec beaucoup de force qu'après qu'on a surmonté la cupidité insatiable d'amasser du bien, qui règne presque partout, il faut beaucoup appréhender de

I. « Et si je fusse demeurée dans cette insensibilité, j'aurois esté telle qu'elle me demandoit. Mais j'estois trop foible et trop touchée pour eslre capable de tant de vertu; et j'avoue à ma honte qu'un moment après je rentray dans ma première foiblesse et dans mes- premiers sentimens. »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 59

tomber dans l'autre extrémité, qui est de tirer vanité des actions qu'on peut faire ensuitte, de mespriser ceux qui sont encore attachez aux richesses, et de faire ostentation de cette vertu et quand on a mis son honneur à estre au dessus de l'amour des richesses, comme les autres à en posséder beaucoup, si on n'y prend bien garde, on fait des actions tout opposées par le mesme principe ; et la mesme cupidité qui fait que les uns disputent leur droit [avec trop de chaleur] fait que les autres le cèdent trop librement — qu'il faut en cela se rendre ' [neutre] en ne re- gardant que ce que la justice demande de part et d'autre, et que si les personnes à qui nous avons affaire s'esga- rent et s'emportent à quelque injustice contre nous, la charité nous oblige de les ayder à se reconnoistre et à rentrer dans leur devoir à notre égard, comme nous leur serions redevables d'un semblable secours, s'il s'agissoit de l'interest d'un autre, pourveu qu'on ne se trompe pas soy mesme en cela et qu'on n'y agisse pas par une cupi- dité secrette qui se pourroit couvrir du prétexte de cha- rité, mais par un désir désintéressé de veoir la justice gardée en tout.

Toutefois après y avoir un peu pensé il se rendit, et jugea comme nostre mère que cette opposition que mes parens formoient si hors de propos, estoit une marque qu'ils ^ n'avoient point pour lors d'autres dispositions, et

��1. Le manuscrit donne maître, qui me semble une faute de copie. Je suis la version du second manuscrit,

2. « Avoient quelque attache au bien, qu'ils avoient peut estre regardé comme une chose qui leur estoit toute acquise ; et que cela estant ce ne seroit que les choquer sans leur profiter, si on les obligeoit à souffrir que les choses allassent autrement qu'ils ne vouloient, et qu'on ne feroit que les aigrir au lieu de les rappeler. Et voyant que j'y resistois de tout mon pouvoir, ne pouvant souffrir qu'on laissast aller les choses de cette manière, il me dit qu'il les connoissoit tous,

�� � 60 ŒUVRES

qu'on les choqueroit sans leur profiter si on les obligeoit à souffrir que les choses allassent autrement qu'ils ne vou- \oient, que ce ne seroit que le moyen de les aigrir et non pas de les rappeler : et enfin il conclut, quelque résistance que j'y apportasse, que la charité nous obligeoit à suivre ce conseil, et qu'il failloit que la chose en allast ainsy, sans me permettre de répliquer.

Je ne puis dire avec vérité, ma chère mère, laquelle eut plus d'effet sur moy dans ce moment : ou la confusion si peu attendue qu'il ne m'estoit plus permis d'éviter, ou la joye de ce que ma profession ne seroit point différée; mais je sçay bien qu'elles me partagèrent tellement, que je ne pou vois me résoudre à l'un ny à l'autre, je veux dire, à'consentir ny à résister à la loi qu'on m'imposoit. Il faillut neantmoins me déterminer à ce qui m'estoit or- donné ; et tout ce que je peus faire pour me consoler dans cette confusion qui estoit tout à fait insupportable à mon orgueil, et que neantmoins je n'eusse jamais peu me résoudre de refuser quand il auroit esté à mon choix, puis qu'il estoit si favorable au désir que j'avois d'estre

��qu'il estoit bien assuré qu'ils estoient raisonnables, et qu'il falloit in- failliblement qu'il y eust quelque malentendu qui les rendoist dérai- sonnables en cette rencontre, et qu'ainsy il falloit espérer, lorsque nous pourrions nous veoir et nous esclaircir de tout, qu'ils feroient justice à eux mesmes et à moy ; de leur propre mouvement; ce qui estant, je n'avois qne faire de m'en mettre en peine ; mais que si après nous estre veus ils ne le faisoient pas, ce me seroit une preuve du tort que je leur ferois en leur faisant faire par force des à présent, et que je ne ferois que les irriter et les aigrir. Et pour conclusion, il me dit abso- lument qu'il falloit se rendre à ce conseil qui, de tous ceux qu'on pouvoit prendre, estoit le plus conforme à la charité et à l'exemple que nous leur devions.

« Je ne puis dire avec vérité, ma chère Mère, si cette resolution qui fut prise avec tant de fermeté qu'elle ne me laissa plus lieu de résister, me donna plus de confusion de la charité — »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 61

bientost professe, ce fut de luy proposer une pensée qui ne m'estoit point partie de l'esprit, depuis que je m'estois veue réduite à la nécessité, ou de différer ma profession ou d'estre à charge à la maison ; car ne pouvant me ré- soudre à l'un ny à l'autre en aucune manière, je n'avois point trouvé de plus courte voye pour les éviter toutes deux, que de supplier instamment qu'on me receut en qualité de sœur converse, afin de pouvoir tesmoigner aux sœurs, par l'humble service que je leur eusse rendu toute ma vie, ma reconnoissance de la charité qu'elles me fai- soient en me recevant gratuitement, qui estoit une double grâce dont je me reconnoissois si indigne que je ne pou- vois souffrir qu'on ne vist pas assez la gratitude que j'en conservois, et de ne pas au moins suppléer par le travail à ce qui me manquoit d'ailleurs.

M. S... n'improuva pas d'abord cette proposition, ju- geant qu'il n'y avoit rien de plus utile pour moy ; toute- fois il ne s'y rendit pas, et, après l'avoir examiné, il con- clut qu'on n'y devoit pas ^ condescendre, à cause qu'il ne trouvoit pas que j'eusse des forces suffisantes pour cette condition; ce qui, obligeant par nécessité à me soulager plus que mes compagnes, eust esté capable de les affoi- blir, en leur donnant lieu de penser qu'on le feroit peut estre pour d'autres considérations, et que cela porteroit l'image d'une acception des personnes qui offense la cha- rité et l'esprit de religion qui ne permet aucune distinc- tion entre les sœurs. Et cela le fit terminer à refuser absolument l'instante prière que je luy en faisois, bien qu'il approuvast que j'en eusse eu le désir, si bien que je me vis réduite à laisser les choses dans les termes que nostre Mère avoit proposé.

I. Man. ^.

�� � 62 OEUVRES

J'écrivis à l'heure mesme cette resolution à mes parents, selon Tordre que M. S... m'en donna et dans le style qu'il me prescrivit luy mesme, de crainte que je ne tesmoignasse trop de chaleur. Il approuva neantmoins que je leur fisse connaistre un peu fortement" le tort qu'ils avoient et le des- plaisir extrême que j'en avois receu, parce que la charité demandoit qu'on leur aydast à se faire justice à eux mesmes en les guérissant de l'opinion qu'ils avoient prise d'estre offencez, sans vouloir le paroistre, qui leur faisoit croire qu'ils gaignoient une assez grande victoire sur eux mesmes de ne pas tesmoigner plus de colère qu'ils n'en montroient et qu'ils n'estoient plus obligez à rien qu'à me pardonner dans leur cœur. Mais il m'advertit, en mesme temps, d'y mesler beaucoup de marques de douceur et d'affection, et mesme de tendresse, sans faire paraistre aucune aigreur, puisque Dieu me faisoit la grâce de n'en point avoir, afin que si l'une leur pouvoit faire connoistre ce petit égarement, l'autre servit à les en rappeller ; et il m'ordonna surtout de leur apprendre avec tant de discré- tion la charité qu'on avoit de me faire professe, sans y apporter aucun retardement, non pas mesme pour veoir l'ordre que je pourrois mettre à mes affaires, qu'il ne parust en cela aucune animosité, et qu'il ne semblast point que ce fust un effet de dépit et de courage, ou une bravade qu'on voulust leur faire, ou une invention pour les picquer d'honneur ; mais que j'exprimasse naïvement et nuëment les sentimens de la maison et les miens, qui

��I. « leur injustice et le déplaisir qu'ils m'avoient donné, par ce qu'il leur estoit utile de les aider à se faire justice à eux mesmes en les guérissant de l'opinion qu'il estoit clair qu'ils avoient d'estre offen- sez, qui leur faisoit croire que c'estoit me faire assez de grâce de ne me pas tesmoigner leur colère par des effets plus signalez, et qu'ils n'estoient plus...»

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 63

n'estoient rien moins que toutes ces choses, et que je leur fisse seulement voir qu'on n'estimoit pas assez un petit avantage temporel pour le juger digne de faire différer une chose aussy importante pour une ame qu'est la consécra- tion totale et solennelle qu'elle veut faire à Dieu d'elle mesme.

Cette lettre, qui ne pouvoit pas estre courte, m'ayant occupée presque jusques au soir, je ne peus voir nostre Mère ce jour là. Mais le lendemain elle fit assembler tout le noviciat pour la veoir, comme vous sçavez qu'elle fait tousjours lorsqu'elle arrive de P. R.^ Je m'y trouvay comme les autres, et la saluant à mon tour, je ne peus m'empescher de luy dire que j'estois la seule qui fust triste parmi toutes nos sœurs, qui avoient grande joye de la veoir.

« Quoy, me dit-elle, ma fille, est-il possible que vous soyez encore triste ? ^ Ne sçaviez-vous pas, il y a longtemps, qu'il ne faut jamais s'asseurer à l'amitié des créatures, et que le monde n'ayme que ce qui est sien ? N'estes vous pas bien heureuse que Dieu vous fasse connoistre cela clairement en la personne de ceux dont vous le deviez moins attendre, pour vous oster tout le sujet d'en douter avant que vous les quittiez tout à fait, afin que vous fas- siez cette action avec plus de courage et pour vous en faire une espèce de nécessité qui vous rende inébranlable dans la resolution que vous en avez prise ; puisque vous pouvez dire que vous n'avez plus personne en quelque sorte. -^ Je luy respondis en pleurant, qu'il ne sembloitpas que

��1. De Port-Royal des Champs. C'est vers le 20 mai que la mère Angélique vint à Port-Royal de Paris ; elle y resta jusqu'au samedi 7 juin. Voir les Lettres de la mère Acjnes, i858, t. I, p. 260 n^ i et 262 no 2.

2. Texte imprimé: « N'estiez-vous pas préparée à ce que vous veoyez ? »

�� � 64 OEUVRES

j'en eusse besoin puis que j'en estois, ce me semble, bien détachée. — « Dieu vous veut faire veoir par cette espreuve, dit-elle, que vous vous trompez dans cette pensée ; car si cela estoit, vous regarderiez tout cela avec indifférence sans vous en affliger comme vous faites. C'est une grande grâce que Dieu vous fait, profitez en bien. » Elle me dit encore plusieurs autres choses sur la vanité de toute l'af- fection des hommes, en me tenant toujours embrassée avec une grande tendresse jusqu'à ce qu'il fallust la quit- ter pour laisser approcher les autres.

Le lendemain matin, nostre Mère ayant remarqué pendant Prime une tristesse extraordinaire sur mon vi- sage, elle sortit du chœur avant que la messe commen- çast, et m'ayant fait appeler, elle fit tous ses efforts pour donner quelque soulagement à ma douleur. Et parce qu'elle jugea que ce temps estoit trop court pour satis- faire à sa charité [aussy tost après la messe, elle me fit signe de la suivre ; et me faisant mettre auprès d'elle] elle me tint encore prest d'une heure la teste appuyée sur elle, en m'embrassant avec la tendresse d'une vraye Mère, et n'oubliant rien de tout ce qui pouvoit * enchanter mon desplaisir.

Pleut à Dieu que j'eusse assez de liberté d'esprit et de mémoire pour n'avoir rien laissé perdre de cette précieuse liqueur qu'elle s'efforça de faire entrer dans mon cœur pour adoucir l'amertume qu'il ressentoit 1 J'estimerois avoir beaucoup gaigné par mon affliction, et j'ose dire que je vous ferois un '^ présent bien précieux. Mais je n'ay pas eu assez de bonheur ny de capacité. Tout ce que j'ay pa faire, au lieu de tout conserver, comme il eust esté à

��1. Deuxième Recueil Gazier: « charmer ».

2. « rare »,

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 65

souhaitter, c'a esté de ne pas tout perdre, et c'est parlicu- lierement pour conserver le peu qui m'en est resté, que je vous envoyé ce petit escrit, comme une relique qui ne laisse pas d'estre bien précieuse, quoy qu'elle ne 'Soit qu'une petite parcelle d'un grand tout.

Elle me dit d'abord avec une sévérité toute pleine de douceur: « Je ne puis assez m'estonner, ma fille, de vous veoir dans la foiblesse où vous estes, pour une chose de rien. Vous me surpristes tellement hier, quand vous me dites que vous estiez triste, que je ne sçaurois assez vous le dire. Car je croyois asseurement que vous aviez oublié tout cela, et que les choses estant demeurées dans les termes où elles sont, vous n'y pensiez plus, puisque vous n'avez plus rien à faire. Je vous asseure que je ne sçavois ce que vous vouliez dire ; il me fallut un peu de temps pour le deviner et pour me remettre toute cette afiaire dans l'esprit.

L'abattement où j'estois ne fut pas assez grand pour m'empescher d'admirer en moy-mesme^ le grand déga- gement qui paroissoit dans ce prompt oubly. Car vous vous souvenez bien, ma Mère, que toute cette affaire n'avoit esté sceiie et vuidée que le jour précèdent; cepen- dant elle n'y pensoit desja plus, pour faire veoir combien elle tenoit tout cela dans une véritable indifférence, et avec quelle sincérité elle avoit voulu que je me démisse de toutes choses, regardant cette affaire comme terminée par ce moyen, et comme une chose à quoy il n'estoit plus besoin de songer. Mais moy, qui estois bien esloignée d'une si grande vertu, je ne luy peus repondre que par les larmes. De quoy s'appercevant, elle me dit : « Pour- quoy pleurez- vous de cela ? Ou bien pourquoy ne vous affli-

I. « un si prompt oubly ».

ITT _5

�� � 66 ŒUVRES

gez VOUS pas autant de tous les peschez du monde ? Si vous ne regardez que Dieu et Finterrest de [la conscience de] vos proches, pourquoy, lorsque vous en avez veu tomber dans de plus grands peschez et de plus grande infidélité au regard de Dieu, n'avez vous pas autant pleuré comme à cette heure que vous veoyez qu'ils ont manqué à l'amitié qu'ils vous dévoient. Je luy respondis, comme je le croyois véritable, que je n'estois touchée que de l'injustice qu'on faisoit à la Maison, et que pour ce cpii ne regardoit que moy je ne sentois aucun mouvement d'aigreur ny de douleur, et qu'il me sembloit estre insensible de ce costé là. « \ous vous trompez, ma fdle, me dit-elle, il n'y a rien d'outra- geant ny d'affligeant comme l'amitié blessée ^ et principale- ment à une personne qui est tendre comme vous ; car vous en avez eu une véritable pour eux, et vous voyez que la leur n'a pas esté pareille. Ce n'est pas que je ne sçache bien qu'ils vous ayment ; mais voyez vous, ils sont en- core du monde, et quoy que l'on doive reconnoistre qu'ils ont receu de grandes grâces, et qn'ils ont beaucoup de lumière dans les choses de Dieu, neantmoins on agit au monde, comme au monde, c'est à dire que le propre in- terrest marche toujours le premier; et c'est de cela que vous estes choquée sans y penser, car il est vray que vous n'avez pas fait de mesme ; mais c'est aussy que vous n'estiez desja plus du monde, encore que vous n'en fus- siez pas sortie. Et pour preuve que c'est vous mesme que vous regardez là dedans, et non pas seulement l'injustice que la Maison souffre, comme vous pensez — quoy que je sçache bien que c'est ce qui vous touche le plus, mais d'une manière qui vous regarde — c'est que vous n'estes

I. Les mots sviivants jusqu'à comme vous manquent dans le second Recueil Gazier.

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 67

pas emeuë de la mesme façon de toutes celles qu'on luy fait.

Sur cela elle eut la bonté de me raconter plusieurs histoires de mesme nature fort en détail, et sans neant- moins faire connoistre les personnes, autant comme j'en puis juger pour me donner cette espèce de consolation qui se rencontre dans la société de plusieurs affligez, que pour me faire reconnoistre qu'on n'est jamais si vivement touché des injustices où l'on n'a point de part que de celles où l'on est interressé. Et puis elle adjousta : « C'est pour cela que j'ay une grande joye que cela soit arrivé, mais je dis : une joye sensible et véritable, et je ne voudrois, pour le double du bien que vous avez, que vous n'eussiez eu cette espreuve avant vostre profession. Elle vous estoit tout à fait nécessaire ; car vous n'avez point esté esprouvée pendant vostre noviciat, et il est nécessaire de l'estre. Voyez vous, ma sœur, vous avez renoncé au monde avec beaucoup de facilité, Dieu vous ayant fait la grâce de connoistre la vanité et le peu de soli- dité de tous les divertissemens et de tous les amusemens du monde qui charment les autres et les ravissent. Vous estiez fort détachée de tout cela ; mais il restoit encore deux choses dont il failloit vous dépouiller, et vous n'y pensiez pas : l'une est qu'encore que selon le monde vous n'eussiez pas de grands biens, neantmoinspour la religion vous en aviez abondamment, parce qu'il ne faut presque rien au prix du monde ; et l'autre, c'est que la princi- pale richesse de vostre famille, c'estoit cette amitié, cette tendresse, ce désintéressement, cette union si estroitte qui rendoit toutes choses communes entre vous. Dieu vous a voulu dépouiller de tous les deux, pour vous rendre vrayement pauvre de toutes façons, et plus encore de l'amitié que du bien ; car vous estiez preste à le quitter,

�� � ŒUVRES

��et pour le regard de ce que vous desiriez faire pour la Maison, vous devez estre satisfaite de ce qui est desja fait ; car quelque intention que vous ayez eue en le donnant, et quelque distribution qui en ait esté faite, enfin c'est vous qui l'avez donné ; et c'est pour quoy, bien que vous ayez espéré de faire plus que cela, neantmoins vostre dénuement n'est pas si grand de ce costé. Mais vous ne pensiez point à vous défaire de cette affection et de cette estime que vous aviez pour vos proches, parce que vous n'y voyiez rien que d'innocent : et en effet, tout cela estoit fort permis et légitime. Cependant ^ vous veoyez que Dieu demande en vous plus de détachement, et c'est pour cela qu'il a voulu vous faire connoistre quels sentimens ils ont pour vous ; c'est ce qui fait que je ne puis m'empescher d'avoir une grande joye que tout cela soit arrivé ; car ils n'eussent pas laissé d'estre tousjours dans les mesmes dis- positions, mais vous n'en eussiez rien sçeu, et vous vous seriez toujours flattée de la croyance qu'ils estoient pour vous dans les dispositions que vous aviez pour eux, com- me il y a voit tout sujet de le penser. Mais croyez moy, cela est bien rare ; car les personnes qui se donnent à Dieu font toutes choses dans la veuë de Dieu, avec fran- chise et sincérité, sans meslange d'interrest^ : mais ceux

��1. Mss. : vous vous.

2. Voici, d'après le second Recueil Gazier, une page qui n'est pas dans notre copie : « Mais ceux qui sont encore dans le monde ne peu- vent s'empescher d'avoir toujours quelques veuës humaines dans les choses mesme les plus saintes ; et au lieu que les uns traitent les choses séculières par l'esprit de Dieu, les autres traitent les choses de Dieu par l'esprit du siècle : et il ne faut pas s'en estonner, il n'est presque pas possible de faire autrement tant qu'on vit dans le monde, si ce n'est par une grâce de Dieu toute particulière ; parce que tous ceux avec qui on converse en font autant, et que personne ne conseille ny ne juge des choses que selon l'esprit du monde et par la

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qui sont encore du monde ne peuvent s'empescher d'avoir tousjours quelque veuës humaines. C'est pour quoy, si j'eusse esté icy et que vous m'eussiez parlé de tout cela avant que de leur faire cette proposition, je vous aurois prédit tout ce que vous voyez, car j'en ay veu de toutes manières.

« Voyez- vous, ma sœur, quand une personne est hors du monde, on considère tous les plaisirs qu'on luy fait comme une chose perdue. Il n'y avoit que deux motifs qui les peussent porter à agréer votre dessein : ou la cha- rité, en entrant dans vos sentimens, ou l'amitié, en vou- lant vous obliger. Or, vous sçaviez bien que celuy qui est le plus interressé en cette affaire est encore trop du monde', pour préférer l'aumosne que vous vouliez faire à sa com- modité particulière ; et de croire qu'il auroit assez d'ami- tié pour le faire à vostre considération, c'estoit espérer une chose inouyë et impossible. Cela ne se pouvoit faire sans miracle, je dis un miracle de nature et d'affection ; car il n'y avoit pas lieu d'attendre un miracle de grâce en une

raison humaine ', de sorte qu'on ne sçait pas mesme regarder les choses en la ve\ië de Dieu : cela passeroit pour une simplicité. Jugez vous mesme s'il n'est pas vray que tout le monde diroit qu'une per- sonne seroit bien beste si elle ne faisoit pas tout son possible pour conserver le droit qu'elle a de prétendre à une succession, et qu'elle en laissât disposer en faveur de quelque autre ? Et je vous dis qu'il est très rare d'en trouver qui ne soyent point dans ce sentiment là, quelque pieté qu'ils ayent; car on est tellement prévenu de son pro- pre interest, qu'on ne considère que cela; et s'il y a quelque charité à faire, on aime toujours mieux qu'elle se fasse par ses mains que par celles des autres, encore que cela ne soit pas fort ordinaire ; car croyez moy, les gens du monde ne sont gueres portez à faire la cha- rité, parce qu'ils ne sçavent ce que c'est que nécessité ; ils nel'esprou- vent jamais, car ils ne se laissent manquer de rien. C'est pour quoy si j'eusse esté icy... »

I . L'imprimé ajoute : « et mesme dans la vanité et dans les amu- semens du monde ».

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personne comme luy ; et vous sçavez bien qu'on ne doit jamais* se fonder sur les miracles. »

Je ne peas m'empescher de luy dire que, quand j'aurois fait cette reflexion, j'aurois creu avoir droit d'en espérer un de cette sorte, puisqu'il y en avoit des exemples dans nostre famille plus extraordinaires que celuy là, et de feu mon Père mesme envers un de mes oncles qui lui estoit desja assez obligé d'ailleurs.

« Je croy bien cela, dit-elle ; mais M. votre oncle estoit un homme engagé dans le monde. N'avez vous jamais veu dans la vie des Pères ^ une petite histoire qui a bien du rapport à ce que vous dites? Un homme de bien et qui vivoit dans le monde avec l'authorité d'un religieux, s'estant enfin retiré dans la solitude, à quelque temps de là un de ses frères le vint voir et le vit disner à l'heure de None. Il ne peut s'empescher de luy dire, qu'il s'estonnoit de le voir si relasché que de manger à cette heure là contre sa coutume ordinaire de ne prendre son repas [qu] à l'heure de Vespres, lorsqu'il estoit dans le monde. Aquoy le solitaire respondit : « Ne vous en estonnez pas, mon frère. Quand j'estois dans le monde, mes oreilles me repaissoient : les louanges qu'on donnoit à mon aus- térité satisfaisoient si bien mon esprit, que le corps en estoit fortifié et animé à les redoubler s'il eut esté besoin ; mais icy où personne ne me dit mot, et où l'amour propre n'a rien qui le contente, je suis obligé malgré moy de donner cette satisfaction à la nature, parce qu'elle en est

��1 . « s'attendre aux » .

2. A.llusion probable à la traduction d'Arnauld d'Andilly. Dans le second volume qui parut précisément en i653, Arnauld d'Andilly rapporte l'anecdote à la page 6i8, sous ce titre: « Belle response d'un solitaire touchant le jeusne ». Abrégé du Pré Spiriluel de Jean surnommé Mose, prestre et solitaire, eh. i53-xliii.

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absolument depourveuë d'ailleurs. » Voyez-vous, ma fille, il en est tout demesmede ce que vous parlez. Un honneste homme dans le monde se sent porté à obliger volontiers, et mesme au préjudice de son interrest propre, une per- sonne qui demeure dans le monde comme luy, parce que c'est un tesmoin tousjours présent et [un] trompette qui publie son action par sa seule veuë, et que la gratitude de cet homme et les louanges qu'il luy procure le recom- pensent autant de fois de son bienfait qu'il y a de^ [com- plaisants] qui l'en congratulent.

« Mais le plaisir qui se fait à une personne hors du monde n'a rien de tout cela : c'est une action mise au rang des œuvres de charité, qui sont plus utiles à celuy qui donne qu'à celuy qui reçoit ; ainsy personne ne s'avise de vous en louer. Celle qui le pourroit mieux faire, parce qu'elle en a receu la commodité, n'y est pas pour le publier : ceux qui le peuvent sçavoir et l'approuver l'ou- blient aisément, n'y ayant point d'interrest, et personne n'est payé pour les en faire ressouvenir ; et de là vient qu'on tient pour perdu tout ce qui se fait aux religieuses, parce qu'on n'y rencontre ny honneur, ny avantage tem- porel qui tienne lieu de recompense. Et tenez cela pour une maxime indubitable, sur quoy il ne faut jamais man- quer de faire fondement, j'en ay tant d'expériences que je n'en sçaurois plus douter. Mais la raison mesme fait veoir qu'il est nécessaire que la chose soit ainsy ; car le monde a toujours esté fait comme cela et le sera toujours, et s'il estoit autrement fait, il ne seroit plus monde ^. »

��1. Le ms. porte complaisances par erreur.

2. « C'est pour quoy faites estât que vous n'avez plus aucun amy dans le monde, du moment que vous en estes sortie. Il n'y en a plus aucun de qui vous deviez attendre de grands tesmoignages d'amitié, si ce n'est de ceux qui le f croient par esprit de charité. Mais en ce cas

�� � 72 ŒUVRES

Sur cela elle rapporta plusieurs hystoires presque pa- reilles à la mienne qu'elle avoit veuës arriver céans mesme, ou ailleurs ; et entre autres que les parens d'une fille de condition, qu'elle avoit fait professe, ne luy ayant point tenu la parole qu'ils luy avoient donnée touchant le dot de leur parente, qui devoit estre fort considérable, en un temps ou le Monastère en avoit un très notable besoin \ feu M. de S. Cy . . . luy conseilla de supporter cette injustice avec une telle paix, qu'elle n'en devoit pas mesme parler à ces personnes ny leur tesmoigner en aucune sorte d'estre blessée; l'asseurant avec^ une grande confiance que si elle en usoit ainsy. Dieu sçauroit bien recompenser cette perte par d'autres voyes. Puis elle adjousta^ : « Je l'ay fait par la grâce de Dieu ; car je ne pensois pas qu'il me fust permis de rien faire contre sa lumière, et j'ay connu depuis, par des expériences continuelles, la vérité de cette promesse, comme vous le veoyez vous mesme. C'est pour quoy, ma fille, au nom de Dieu, ne vous emportez point contre vos parens, ne leur tesmoignez aucun ressentiment, et que cela n'alienne en rien du tout vostre union. Car enfin, de quoy s'agit-il ? d'un peu de bien, voila tout ;

��ce ne sera pas vous qu'ils regarderont, et ils en feroient autant pour la plus estrangere. »

1 . « Et aprez avoir fait profession de tout temps d'une affection toute particulière envers leur parente. « Je vous asseure, me dit elle, que cette injustice me surprit et me toucha beaucoup; car j'avois tenu cela pour seur, de la manière qu'ils avoient tous- jours agi avec nous. Cependant feu M. de Saint-Cyran me con-

seilla de supporter cette dureté avec tant de douceur et de paix qu'il

ne vouloit pas mesme que je leur en parlasse ni leur tesmoignasse en aucune sorte d'en... »

2. « beaucoup de confiance en la Providence ».

3. « Dieu me fit la grâce de le croire et de suivre son conseil; car je n'ay jamais creu qu'il me fust permis... »

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n'est ce pas moins que rien ? Il est vray que le bien est nécessaire à la vie : mais dans la vérité, il arrive rarement qu'on en manque assez pour tomber dans une véritable né- cessité ; et c'est cupidité que d'en demander pour le superflu. Quand Dieu en envoyé par des voyes légitimes, on le peut recevoir, parce qu'on ne sçauroit entièrement s'en passer; mais quand il permet qu'on nous en oste mesme du nostre, en vérité il s'en faut resjouyr. Feu M. de S. Gyran'disoit que les richesses sont dans le monde comme les humeurs peccantes du corps, qui se jettent tousjours avec plus d'abondance sur la partie la plus foible et la plus susceptible de mal. C'est pour quoy c'est un mau- vais préjugé pour une personne quand on voit que le bien luy vient en abondance de tous costez. De sorte que vous n'avez rien tant à craindre pour cette Maison que de veoir qu'elle s'enrichisse beaucoup, et souvenez vous en bien, s'il vous plaist. Vous estes jeune, et vous pouvez veoir en d'autres des choses semblables à ce qui se passe maintenant en vostre personne et en vos affaires. Gela me donne grande joye de tout ce qui s'est fait ; car au moins, si jamais on se servoit de vostre conseil en une rencontre pareille, vous apprendriez à faire aux autres ce qu'on vous a fait.

« Escrivez donc encore à vos parens, et surtout à celle que vous sçavez qui a le plus de tendresse pour vous, et luy tesmoignez toute l'amitié possible dans une grande ouverture de cœur, afin qu'ils reconnoissent tous que c'est avec une entière sincérité, et seulement de peur de les blesser, que vous vous estes desmise de la disposition de votre bien, et que vous ne pensez plus du tout à tout cela ; et quand celuy qui doit arriver bien tost sera venu, parlez luy aussy de la mesme sorte sans luy faire le moindre mauvais visage de tout ce qui s'est passé, pour

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tesmoigner que vous lavez oublié. Et, en effet, vous devriez desja l'avoir fait ; et pour moy j'attendois cela de vous, et je ne puis assez m'estonner de vous trouver si foible en une chose si peu importante. »

Je luy dis qu'une des choses qui me tenoient le plus au cœur la dedans estoit le scrupule où j'estois d'avoir mal employé mon bien, lorsqu'il estoit en ma disposi- tion, avant fait quelques donations qui auroient peu eslre distribuées avec plus de charité. Et quoy que je pen- sasse alors avoir suffisamment pour cela et le reste que je me proposois, je craignois beaucoup d'estre coulpable de précipitation.

« Je ne croys pas, me dit-elle, que quand les choses seroient encore en vostre disposition, vous puissiez, en conscience, vous dispenser de faire ce que vous avez fait dans les circonstances de la chose. Vous sçavez bien que vous avez regardé Dieu en cela, et le bien de cette personne, et que ce n*a pas esté par ambition pour le faire grand et luy donner de Tesclat dans le monde : cela ne luy en donne pas le moyen, puisqu'avec cela mesme il ne luy en reste pas encore assez pour >i>Te comme les autres de sa condition. Sur quoy donc fondez vous la crainte que vous avez de Tavoir mal employé? Que pou>"iez-vous faire de moins ? Mais je vous diray plus : car quand il seroit "STay que ce que vous luy avez donné ne ser^iroit à présent qu'à l'entretenir dans la vanité, je crois que vous n'auriez pas deu, selon Dieu, laisser de faire ce que vous avez fait ' . puisque vous l'eus- siez choqué et luy eussiez fait grand tort, je dis pour sa conscience, d'en user autrement.

��I. Dexiiième Recueil Gaiier : puis quà moins de cela.

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 75

« *Feu de M. de S. G. avoit un frère qui estoit extrê- mement du monde, et qui mesme est mort dans cette humeur là, ce qui l'a beaucoup fasché ; et neant- moins, quoy qu'il le connust bien tel qu'il estoit, il ne laissa pas de luy donner une terre considérable qu'il avoit, dont il voulut se défaire pour ne posséder que le moins qu'il pourroit des biens de la terre. Vous ne doutez pas qu'il l'eut bien mieux employée, s'il eut voulu, et qu'il n'eut peu en faire beaucoup de charitez ; mais il le fit par un autre motif de charité, afin de ne le pas esloigner de luy, ny luy faire croire quileut assez mauvaise opinion de son estât pour penser que le bien qu'on luy donneroit se- roit mal employé ou perdu: ipdiTce que c'eust esté luy oster une partie de la confiance qu'il avoit en luy, et par mesme moyen perdre l'espérance de le pouvoir servir en la manière qu'il desiroit ; car, comme il sçavoit bien met- tre le prix aux choses, il ne faisoit point de difficulté de prodiguer et mesme perdre un peu de bien temporel pour luy pouvoir procurer les biens véritables. C'est pour vous dire, ma fille que vous n'avez pas malfait d'en faire au- tant, puisque vous l'avez fait pour la mesme raison.

« Mais, afin de vous oster tout sujet de scrupule, il faut que vous sçachiez que, quand mesme il seroit vray que vous auriez fait une faute en cela, ce qui n'est pas, comme je vous ay dit, et que ce seroit une perte et une dissipation de vostre bien, vous le devriez regarder comme une des moindres de toutes celles qu'on peut faire. Je dis, en vérité une des moindres : veoyez-vous, ma soeur, toutes les choses extérieures et périssables ne sont rien ; la perte que l'on fait de la moindre grâce est mille fois plus considérable

��I. « Feu M. de Saint-Cvran qui estoit à Dieu, comme vous sça- vez... »

�� � 76 ŒUVRES

devant Dieu que celle de tous les biens de la terre, quelque usage qu'on en peust faire. Dieu ne considère point tout cela. Il n'a que faire de nos biens, il les estime comme rien en comparaison des vertus qu'il met en nous. C'est là les biens véritables, et il faut souvent s'examiner sur l'usage qu'on en fait pour son profit particulier et pour celuy des autres. Cependant on ne songe point à cela ; on n'est que peu ou point touché quand on vient à decheoir de son humilité accoustumée, de sa douceur ou de quel- que autre vertu ; et on entre en scrupule d'avoir mal employé un peu d'argent, qui est le moindre de tous les biens que Dieu nous commet et qui ne peut tout au plus servir qu'à soulager quelque misère tempo- relle ou à quelque autre œuvre qui passera avec le temps, au lieu que les grâces et les vertus sont des trésors qui doivent servir éternellement à sa propre ame et à celle des autres, si on a soin d'en faire usage et de ne pas les laisser perdre. Et puis, enfin, c'est une chose faite ; vous n'avez plus à y pensera Songez seulement à bien rendre grâce à Dieu de vous avoir donné la connoissance de cette Maison, et l'estime que vous en avez conceuë, qui vous l'a faite préférer à toutes les autres ; car sans cela vous auriez sans doute esté dans une de celles qui sont en vogue à présent et dans une si grande réputation de sainteté, et avec raison ; car il est vray que ce sont des filles aussy saintes qu'on le sçauroit désirer, dans les austeritez pro- digieuses et dans une si exacte observance de toute leur règle qu'elles n'y voudroient pas avoir manqué d'un

��I . « Je dis que c'est une tentation pour vous qui vous détourne de ce que vous avez à faire ; ne songez donc plus à tout cela, pensez seu' lement à rendre grâces à Dieu de ce qu'après vous avoir fait la miscv ricorde de vous donner la pensée de sortir du monde, il vous a donné la connoissance... »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 77

iota. Mais pour le regard du bien il n'y a point de quartier, et vous estes bien asseurée que, vos affaires estant comme elles sontj on vous feroit faire querelle avec tous vos proches, et rompre avec tout le monde plustost que de rabbattre un point de ce qu'elles auroient eu lieu d'espérer de vous\

« C'est une chose qui nous doit faire grande pitié et nous couvrir de confusion ; car ce sont des personnes si saintes et sifidelles à tout le bien qu'elles connoissent, qu'il est visible qu'elles ne font cela que manque d'une instruction qui leur fasse connoistre que c'est un mal et un très grand mal ; et on a tout sujet de croire, et je dis mesme qu'il est indubitable que si elles avoient là dedans des lumières dont Dieu nous a favorisées, elles y seroient bien plus fidelles que nous, sans comparaison. C'est pour quoy nous devons davantage admirer la miséricorde que Dieu nous fait, qui est si rare et que nous méritons si peu ; et cela seul vous doit donner tant de joye qu'elle vous doit faire oublier tout le reste ; car si vous estiez là dedans, vous croiriez ne pouvoir mieux faire que de suivre l'ordre de vos supérieurs, comme vous faites icy. Cepen- dant où en seriez vous ? N'estes-vous donc pas bien heu- reuse^ [t/'e^^re] tombée entre les mains des personnes qui vous conduisent par les pures règles de la charité, comme s'ils n'y avoient aucun interrest ? )>

Je luy dis que je la suppliois de considérer que c'estoit cela mesme qui me donnoit plus de sujet de peine, parce que l'injustice qu'on faisoit à la Maison estoit d'autant plus blâmable qu'EUe estoit plus désintéressée.

��I. « On a la consolation de voir aujourd'hui le désintéressement de Port-Royal par rapport aux dots des Religieuses, imité parplusieurs Communautés, et en particulier dans quelques couvents de Carmélites. » {Note au texte imprimé, loc. cit., p. 84).

a. Ms. : de n'estre pas.

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« Voila un sentiment qui fait bien veoir, me dit elle en souriant, que vous vous regardez encore comme apparte- nant plus à vostre famille qu'à celle cy, puisque vous estes jalouse de leur honneur et de leur avantage au pré- judice du nostre. » Et puis rentrant dans le sérieux : i( Veoyez-\ous, dit-elle, ma fille, il est certain que la cha- rité que vous devez à vos proches vous doit faire désirer qu'ils se rendent à la raison, mais en toutes choses, et non pas simplement en ce qui nous regarde ; autrement, ce seroit un effet de cupidité et non pas de charité ; et au contraire, s'il estoit nécessaire qu'ils fissent injustice à quelqu'un, desirez plustost que ce soit à nous qu'à d'au- tres, parce que premièrement, quoy que par la grâce de Dieu nous ne soyons pas riches, aussy ne sommes nous pas assez en nécessité pour* que cela nous fasse souffrir. Vous veoyez qu'il ne nous manque rien ; c'est de cela que nous devons avoir de confusion, nous qui faisons pro- fession de pauvreté. Mais, outre '^ cela, c'est que dans la vérité notre avantage, à nous, est qu'on nous mesprise, qu'on nous rebutte, qu'on nous calomnie, qu'on nous fasse des injustices. Ce n'est pas que nous souhaittions que tout cela nous arrive, ny que nous deussions le procurer ^ parce que ce seroit manquer de charité envers ceux qui le feroient, puis qu'il y auroit du pesché de leur part ; mais quant à nous, c'est un bonheur très grand ; de sorte que, lorsque Dieu permet qu'il nous arrive, nous devons

��I. « Ne nous pouvoir passer de cela vous veoyez qu'il ne nous manque rien, nous ne souffrons aucun besoin véritable (dont nous devons avoir une >Ta}e confusion devant Dieu. « 

3. « tout cela c'est de cela, c'est que nostre avantage à nous, c'est d'cstre maltradtées en toute chose, qu'on nous mesprise...

4- « quand il seroit en nostre pouvoir. »

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beaucoup nous en resjouyr d'une véritable joye : c'est nostre plus grand avantage, et nous le devons croire ainsy et agir suivant cela ; autrement en quoy consisteroit nostre desinterressement si nous n'estions dans ce sentiment là? Ce ne serolt donc que des discours et des mines pour nous faire estimer du monde. »

Elle me dit ces paroles avec beaucoup de force, comme doutant en quelque sorte que je fusse capable de les pra- tiquer à la rigueur, et voulant me les imprimer dans le cœur ; puis* se radoucissant, elle me dit en souriant : « Je ne doute point du tout que vous ne soyez dans les mesmes sentimens, et je suis asseurée que si on vous de- mandoit conseil dans une affaire pareille qui regarderoit une personne indifférente, vous seriez bien faschée qu'on en usast autrement qu'on ne fait". Mais cela vous doit faire veoir qu'il vous reste encore bien de l'amour propre et, quoy que vous pensiez, ce n'est proprement ny la Maison ny la justice que vous considérez le plus en cela, mais vous mesme et la peine que vous avez de ce que les choses ne vont pas comme vous les demandez. S'il estoit venu des voleurs cette nuit, qui eussent em- porté nostre argent, en pleureriez vous et vous en affligeriez vous comme vous faites à présent? Il est sans doute cpie non; car encore qu'on soit fasché de ces choses là et qu'on l'empescheroit si on pouvoit, on n'en a pourtant point une véritable affliction : il faudroit estre bien atta- ché au bien. Cependant ce seroit une injustice et un tort qui auroit esté fait à la Maison. Vous veoyez donc bien

1. « comme si elle eût veu ma pensée, elle y respondit aussv tost. »

2. « Et je suis certaine que vous n'en auriez ni déplaisir ni peine contre ces gens là, et que vous ne voudriez pas leur en faire la moin- dre mine ny le moindre reproche ; j'en mettrois la main au feu. »

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qu'il ne faut point se flatter, et que c'est pour soy mesme et pour son propre interrest qu'on se fasche.

« Oubliez donc tout ce qui s'est passé, et usez envers vos parens, comme je vous ay dit, je vous en prie ; parlez leur et leur escrivez comme si rien ne s'estoit passé, sinon que vous confirmerez la démission que vous avez faite ; mais souvenez vous qu'en tout cela vous devez escrire et parler sincèrement, en évitant d'un costé de le faire par orgueil et par courage, en disant : nous aurons plus de générosité que vous ; car il ne faut pas que ce soit par ce principe que nous le faisons, cela ne vaudroit rien du tout, il faut que ce soit la charité qui nous y oblige ; et de l'autre, il faut bien se garder de le faire pour les pi- quer d'amitié, et les obliger par là à faire ce que vous voulez ; car ce seroit reprendre d'un costé ce que vous lais- sez de l'autre. Mais il faut que ce soit le seul désir de les mettre tous en paix, et surtout vostre parente, que vous sçavez qui est fort tendre, et qui seroit si touchée si elle pensoit que vous fussiez faschée contre elle, que cela seroit capable de redoubler dangereusement l'indisposition où elle est à présent ^ » .

Je vous raconte^ toutes ces petites choses, ma chère Mère, peut estre avec plus de liberté que de raison ; mais c'est qu'il me semble que tout le monde doit estre aussy touché que moy de voir ce soin et cette charité de nos- tre chère Mère, et comme, lorsque cette divine vertu est

��1. Voir plus bas, p. 97.

2. « Tout ce petit particulier, ma chère Mère, peut estre avec plus de liberté que de raison, et mesme contre la civilité qui ne veut pas qu'on importune les autres de ce qui ne touche que nous, et moins encore des personnes à qui l'on doit beaucoup de respect ; mais je n'ay point creu que cette maxime eust lieu icy, parce qu'il me sem- ble que chacun doit estre aussy touchéque moy... »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 81

aussy fortement enracinée dans une ame qu'elle est dans la sienne, c'est elle qui y règle tout : elle y opère tout, elle y produit jusques aux moindres de ses mouvemens et de ses pensées, et n'obmet rien de tout ce qui peut donner des preuves de l'heureux empire qu'elle y exerce, et cela dans les actions les plus naturelles et le moins délibérées, parce qu'elle luy tient lieu d'une se- conde nature, après s'estre rendue maistresse de la pre- mière. Vous sçavez que cela paroist clairement dans toute la conduite de nos Mères ; mais je puis dire avec vérité que je ne Fay jamais mieux remarqué qu'en cette rencontre. Je ne sais si cela vient de ce que je ne les ay veuës en affaires que cette seule fois, ou de ce qu'on est tous- jours plus affecté de ce qui nous regarde.

Il me semble, ma Mère, que j'ay le bien d'estre assez connue de vous pour vous figurer combien, au milieu de toute ma douleur, je sentois de joye de me veoir confir- mée avec tant de certitude, puisque c'estoit par ma pro- pre expérience, dans les sentimensque j'avois du desinter- ressement de cette Maison et de la pureté de sa conduite. Et neantmoins je ne pouvois du tout me résoudre à lais- ser les choses comme elles estoient. Je la suppliay donc de considérer qu'en différant ma profession de quatre ans, je pouvois estre maistresse de tout comme auparavant, en ajoustant mesme au principal de mon bien l'espargne d'un revenu plus grand qu'il ne pouvoit estre naturelle- ment, à cause d'une pension que mes parens me dévoient faire, en considération de mes donations, et dont la ri- gueur qu'ils me tenoient me dispensoit, ce semble, bien légitimement de les quitter à l'advenir comme j'avois fait jusques alors ; et que la chose estant ainsy, quelque vio- lent et juste que fust le désir que j'avois d'estre professe, qui alloit au delà de toute l'expression que j'en puis faire,

m — 6>

�� � 32 ŒUVRES

je croyois neantmoins estre obligée en conscience, et tout interest esté, de faire ce delayement pour me mettre en estât de pouvoir faire justice à la Maison. « Non, me dit elle, ma fille ; au contraire, vous estes obligée en con- science de ne le pas faire*, puis qu'encores qu'il fust en votre pouvoir d'exécuter vos desseins, il ne l'est pas de leur faire agréer. Lorsque vous pensiez que toutes choses fussent en vostre pouvoir, vous avez voulu avoir leur aveu, et vous avez deu le faire, autrement vous leur eussiez donné sujet d'estre choquez. Jugez donc combien ils le seroient, si vous le faisiez malgré eux et par une espèce de violence. S'il se doit faire quelque chose, il faut que ce soit eux qui le fassent de leur propre mouvement, sans qu'il y ayt rien du vostre. » — Mais, luy respondis je, ma Mère, du moins permettez moy de les en menacer pour veoir l'effet que cela fera. — « Non, dit-elle, ma fille, gar- dez-vous en bien ; vous destruiriez tout ce que vous voulez faire par votre démission. Vous devez laisser toutes choses comme elles sont, et vous estes obligée de préférer le repos de leur esprit et la paix à tout autre interrest, pour ne pas faire céans ce que vous feriez dans les lieux dont

��I. « Car ne veoyez-vous pas bien qu'encore que vous eussiez tout pouvoir d'exécuter vos desseins, il n'est pas pourtant en vostre pouvoir de faire qu'il les agréent ? Je n'ay jamais douté de cela ; je sçay fort bien qu'à la rigueur personne ne vous peut empescher de faire tout ce que vous voulez de vostre bien. ^lais je n'ay point eu d'égard à ce que vous pouvez, je ne regarde qu'à ce que vous devez faire : voilà toute la question, et je ne fais point de doute que vous ne soyez obli- gée, je dis indispensablement, à procurer la paix de leur esprit autant que vous le pourrez, et à ne rien faire qui les choque. Lorsque vous pensiez que toutes choses fussent en vostre pleine disposition sans y prévoir aucune difficulté, vous avez neantmoins voulu avoir leur adveu pour faire ce que vous desiriez, et vous avez deu le faire ; autrement vous leur eussiez donné sujet de s'offenser, et en effet c'est pour cela que vous l'avez fait. Jugez donc... »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 83

nous parlions tantost ; et celuy la vous doit estre si pre- tieux;, que si vous aviez deux millions de bien, je vous conseillerois de les donner sans hésiter, pour procurer que la charité ne fut point refroidie. N'en parlez donc plus, et n'y pensez plus. Quand vous les verrez, ne leur en dites rien du tout : s'ils vous en parlent, vous leur direz qu'ils sçavent bien que vous vous estes démise de toutes choses entre leurs mains, et que vous n'y songez plus. »

Sur cela, elle me congédia sans vouloir plus de répli- que, et cette conférence se termina de la sorte. A peu de jours de là, celuy de mes parens qui avoit le plus d'inter- rest en cette affaire arriva en cette ville, je traittay avec luy, autant qu'il me fut possible selon l'intention de nos- tre Mère ; mais je n'eus jamais assez de forces sur moy pour cacher la tristesse où j'estois. Cela m'est si extraor- dinaire qu'il ne fut pas long temps sans s'en appercevoir, et il n'eut pas besoin d'interprète pour en apprendre la cause; et, quoy que je luy fisse le meilleur, visage que je pouvois, il jugea aisément que son procédé m'avoit mis en cet estât. Il voulut d'abord se plaindre le premier, et ce fut alors que j'appris qu'ils se tenoient si offencez du mien ; mais il ne continua gueres, voyant que je ne fai- sois aucune plainte de mon costé, quoy que d'ailleurs je détruisisse par une seule parole toutes leurs raisons, et que je luy déclarasse avec assez de gayeté c'est à dire, au- tant que mon estât me le pouvoit permettre, que, puis que la Maison vouloit bien me faire la charité de me rece- voir gratuitement et que ma profession ne seroit plus différée, je ne serois plus en peine que de la bien faire et d'attirer la grâce dont j'avois besoin pour vivre en vraye professe.

Si tout ce colloque estoit aussy digne d'estre recueilly que le précèdent, j'eusse pris peine à le retenir, et je ne

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plaindrois nullement le temps que j'employerois à l'es- crire ; mais par ce qu'il n'est pas tout à fait ny si beau ny si utile, comme je m'asseure que vous le croyez sans qu'il soit besoin que je l'affirme davantage, il vaut mieux le passer sous silence que de perdre du temps à vous en- nuyer, et dire en un mot qu'il fut touché de confusion, et que de son propre mouvement il se résolut de mettre ordre à cette affaire, s'offrant de prendre sur luy toutes les charges et les risques du bien, et de faire en son nom, pour la Maison, ce qu'il jugeoit bien qu'on ne pouvoit obmettre sans injustice ' ; voulant mesme que cela se fist avant ma profession, parce qu'il ne trouvoit point de raison à le différer plus long temps.

Lorsqu'il fut party, j'allay rendre compte à nos Mères de cette conférence, afin de sçavoir ce que je devois exi- ger de luy. Mais elles me deffendirent absolument de luy taj.er aucune chose; m'ordonnant expressément de me satisfaire de ce qu'il voudroit donner, sans luy rien pres- crire ny luy rien repartir, et ne suivre que son intention. Toutefois, ayant appris la qualité de son bien, elles ap- prouvèrent que je luy fisse quelque proposition pour son propre accommodement ; et l'affaire fut ainsy terminée, car il ne falut point de temps pour le faire résoudre à faire plus qu'il n'eut voulu, puisque j'avois ordre de prendre sa volonté pour loy, mais si expressément, et par une authorité si absolue, et accompagnée de tant de raisons à quoy je n'avois point de réplique, quoy que je ne peusse

��I. « J'achève, ma cheremere, de vous raconter cette histoire, quoy que ce n'ait pas esté mon dessein de vous la faire sçavoir, elle n'en vaut pas la peine, mais seulement de conserver la mémoire des obligations que j'ay à nos Mères et les instructions si profitables que j'ay receues en cette rencontre, et c'est pour quoy je me veoy obUgce d'achever^ parce que l'un et l'autre a continué jusqu'à la fin. »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 85

m'y rendre, que je n'osay jamais agir dans tout cela, et si je l'ay fait quelquefois, c'a esté dans le premier mou- vement et dans la chaleur, et j'avoue avec confusion que c'a esté en suivant les mouvemens de mon propre esprit et de cette malheureuse nature que tous les soins de nos Mères n'avoient encore peu entièrement mortifier.

Toute cette affaire ne peut neantmoins estre entièrement terminée qu'après trois ou quatre entreveuës, dont je ne manquois point d'aller rendre compte à nos Mères • ce qui me donnoit occasion de les voir souvent, et d'admirer le soin continuel qu'elles avoient que tout cela se traittast selon Dieu\ Car à chaque fois que je veoyois la Mère

��I. « Et selon les règles de la parfaite charité. Je ne puis assez vous dire, ma chère mère, combien cela paroissoit en toute occasion. Je prie Dieu de ne pas permettre que je l'oublie jamais, car je puis dire avec vérité que j'ay plus esté instruite de leur procédé que de beau- coup des meilleurs sermons que j'aye oûys sur ces matières.

« Mais ce qui estoit admirable, c'était de veoir la diversité de la con- duite que le mesme Esprit saint qui les animoit tous leur inspiroit • car nostre Mère, prenant avec raison l'interest de la Maison, faisoit paroistre que son intention principale estoit d'empescher qu'il ne se meslast en toute cette affaire la moindre ombre d'interest, d'avarice ou de lascheté, et enfin elle ne tondoit qu'à faire qu'on souffrit plus tost toute sorte d'injustice que de faire la moindre chose tant soit peu contraire au véritable esprit de religion, M. Singlin, comme père commun et de la Maison et de mes proches, dont quelques uns sont entièrement sous sa conduite, et les autres l'honorent infiniment et ont pour luy une afiection extrême, estoit de telle sorte animé du zèle de nostre Mère au regard de la Maison, qu'il estoit aussy touché de compassion pour eux, et ne s'alfligeoit pas moins de l'injustice de leur procédé qu'il ne se rejouissoit de l'avantage qu'il estimoit en re- venir au monastère. La Mère Agnès sembloit se descharger sur eux deux de ces deux interests et ne s'occupoit principalement qu'à faire profiter sa novice de tout ce qui se passoit ; car à chaque fois que je la voïois elle examinoit soigneusement ce que je luy rapportois pour me faire remarquer tout ce qu'il y avoit eu d'humain dans mon pro- cédé ou qui sentoit l'esprit du'monde. Et par une charité infatiguable elle ne cessoit de faire tous ses efforts pour prévenir par ses avis les

�� � 86 ŒUVRES.

Agnes, elle examinoit soigneusement tout ce que jeluy rap- portayquej'avois dit ou fait pour me faire remarquer dans mon procédé tout ce qui m'estoit encore resté d'humain ou de l'esprit du monde, et ne pensoit point à toute l'affaire dont elle se deschargeoit sur nostre Mère, mais seulement à empescher que je ne tombasse dans quelque faute, à me redresser quand j'y estois tombée, ou à faire, s'il estoit possible, que je ne perdisse aucune des occasions qui s'offroient, ou de patience ou de tolérance ou d'humilia- tion. Et nostre Mère qui estoit plus chargée du soin et de la conduite des affaires de la Maison, que de celles de ma personne, ne s'informoit pas sy souvent de cela, quoy qu'elle y pensast aussy dans l'occasion. Mais sa principale peine, toutes les fois que ma veuë luy faisoit ressouvenir de ce qui se passoit, estoit que je m'empressasse trop pour faire aller les choses comme elle sçavoit que j'eusse désiré; de sorte qu'elle ne manquoit jamais toutes les fois qu'elle me parloit, de me recommander d'estre ferme à ne rien exiger. Et voyant une fois, par le rapport que je luy en faisois, que je luy avois parlé avec un peu de chaleur du peu^ qu'il se proposoit de faire, elle m'en reprit sévè- rement et me dit, de cette manière ferme qui donne tant de poids aux paroles de feu qui sortent souvent de sa bou- che, que ce ne pouvoit estre que l'orgueil ou l'avarice qui me faisoit parler de la sorte, ou peut estre tous les deux

fautes où je pouvois tomber, ou pour m'en relever quand ses précau- tions se trouvoient inutiles, et pour faire que je ne perdisse aucune des occasions qui s'offroient de pratiquer ou la patience, ou la tolé- rance, ou l'humilité, ou quelque autre de ces vertus qui ne plaisent guère aux imparfaites.

« Ce n'est pas que notre Mère ne s'y appliquast aussy ; mais estant en quelque sorte plus chargée de la conduitte générale de la Maison que de celle de ma personne en particidier, elle ne s'informoit pas... »

I. « Que cette personne. »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 87

ensemble, pour accroistre le bien de la Maison et avoir l'avantage d'y avoir beaucoup porté ; et me représenta si fortement les sentimens que l'esprit de pauvreté devoit m'inspirer en cette* rencontre que je fus contrainte par obeïssance et par scrupule de laisser toutes choses à la discrétion de mon parent. A la fin, tout estant conclu, la surveille de ma profession dont le jour estoit pris il y avoit longtemps, sans avoir égard en quel estât estoit l'affaire, et ne restant plus qu'à signer de part et d'autre, je vins supplier notre Mère de se rendre au parloir pour cela, mais elle ne le peut, estant fort indisposée; ce qui est remarquable, par ce qu'elle en fust très aise, « afin, me dit-elle, que tout cela se diffère après vostre profes- sion, et qu'il ne fasse rien que par une entière liberté et par un pur esprit de charité ; car, veoyez-vous, ma fille, il faut estre ferme dans les principes. Nous sçavons que tout ce qui n'est point fait par l'esprit de Dieu et par la charité est fait par cupidité, et que tout ce qui est fait par cupi- dité est pesché ; c'est pour quoy je vous ay tant exhortée à ne picquer point cette personne ny d'honneur ny d'ami- tié, car j'aimerois beaucoup mieux qu'il ne donnast rien du tout, que de donner beaucoup par un^ de ces prin- cipes. S'il le fait par luy mesme, nous ne pouvons pas y remédier. Tout ce que nous pouvons, c'est de l'exhorter à ne le pas faire (car nous n'avons pas sa conscience à gouverner pour veoir par quel motif il agit ; c'est à luy

��1. 4c Occasion qii'il eût fallu estre tout à fait endurcie pour ne pas concevoir de scrupule d'y agir autrement. »

A la fin, toutes choses estant conclues, la surveille de ma profes- sion... » — Le jour de la surveille était le 3 juin. M. Barroux signale, à cette date, la mention sur le répertoire du notaire Bonot du testa- ment de Jacqueline (op. cit., p. g). Le testament paraît perdu.

2. « principe tovit humain. »

�� � 88 ŒUVRES

à l'examiner) ; mais de contribuer, par nos discours, ou par nos mines, ou en quelque manière que ce soit, à luy en faire prendre un mauvais, ce seroit non seulement par- ticiper à son pesché, mais en estre cause. C'est pour quoy, ma fille, au nom de Dieu, gardez-vous bien [deY l'exciter à faire ce que vous ne voudriez pas faire vous-mesme. Car si c'estoit à vous à gouverner, vous ne voudriez pas faire une aumosne à la Maison par considération humaine ; pourquoy^ taschez vous à la luy faire faire de cette sorte ? S'il n'est pas disposé à la faire par un bon motif, il vaut beaucoup mieux qu'il n'en fasse point du tout ; peut estre qu'en un autre temps Dieu le touchera : mais quand cela ne seroit pas, il ne faut pas nous en mettre en peine, c'est l'avantage de la Maison. Allez donc encore luy dire qu'il sonde son cœur pour veoir ce qui le porte à faire cette aumosne, qu'il ne fasse rien avec précipitation, et qu'il sera tousjours temps après vostre profession, puis que je ne suis pas aujourd'huy en estât de pouvoir faire ce qu'il faut pour l'accepter; aussy bien vous sçavez qu'on ne parle jamais céans du^ dot d'une fille qu'après sa pro- fession. »

Je m'acquittay fidellement de cette commission, et je luy fis récit de tout ce petit discours* comme il est icy. Ce qui ne le surprit pas tant, à cause qu'il estoit informé depuis long temps de la manière dont on traite ces affai-

��1. Ms. à.

2. « donc tascheriez vous. »

3. Dot est encore fréquemment du masculin au xyii^ siècle. Littré rappelle que cet usage, conforme à l'étymologie, est suivi par Molière dans l'École des Femmes, IV, 2 et dans l'Avare, II, 6, approuvé par Vaugelas et Perrot d'Ablancourt.

4. (c iNIot à mot comme à vous, dont il ne fut pas peu surpris, quoy qu'il fust... »

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 89

res làicy.Mais il avoitavec luy des hommes d'affaires qui en furent si estonnez qu'ils ne pouvoient se lasser d'ad- mirer ce procédé; et tous d'un accord disoient qu'ils n'avoient jamais veu agir de la sorte, et que ce n'estoit pas là une conduitte ordinaire ^

11 ne voulut pas neantmoins différer davantage ; pour montrer de son costé qu'il faisoit de bon cœur le peu qui estoit en son pouvoir, et me persuader, ce qu'il me protestoit souvent, qu'il estoit bien fasché de n'estre pas en estât de faire plus, il revint le lendemain, où il trouva nostre Mère en santé ^ Elle luy dit avec une merveilleuse force, selon qu'il me le raporta ensuitte, qu'elle ne sçavoit si j'avois agi avec luy en la manière que l'on m'avoit sans cesse recommandé. « C'est pour quoy, luy dit elle, Mon- sieur, de peur qu'elle y ait manqué, je suis obligée de vous dire que je vous conjure, au nom de Dieu, de ne rien faire par considération humaine, et que, si vous ne vous sentez point disposé à faire cette aumosne, vous ne la fassiez point^[(/a] tout. Veoyez vous, Monsieur, nous avons appris de feu M. de S*-Gyran de ne rien recevoir pour la Maison de Dieu qui ne vienne de Dieu : tout ce qui est fait par un autre motif que la charité n'est point un fruit de l'esprit de Dieu, et par conséquent nous ne devons point le recevoir. » Il luy respondit avec protestation tout ce que la civilité sçait dire en ces rencontres, et l'affaire fut terminée.

Je rencontray nostre Mère lorsqu'elle sortit d'avec luy. Elle me dit que je n'avois plus à me tourmenter de rien

��1 . « Et beaucoup plus que cela ; mais cela ne fait rien à nostre discours. »

2. Le 4 juin. Voir l'extrait de la constitution de dot, p. /ii.

3. Ms. en

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à présent, et que tout estoit achevé. Et ensuitte elle m'as- seura qu'elle estoit fort en peine de m'avoir vue si inquiétée pour faire que cette personne agit avec libéralité, et trop faschée quand j'avois creu qu'il ne le faisoit pas. « Je crains tout à fait, ma fille ^, que vous n'ayez offencé Dieu là dedans. Je vous prie, pensez y sérieusement; et outre cela, considérez que vous n'avez aucun sujet de peine contre Muy, car il est certain qu'il donne largement à pro- portion de son bien, surtout si on le compare presque à tous les autres. Je voudrois que vous sçussiez comme la plus part usent du desinterressement qu'on leur tesmoi- gne : cela n'est pas croyable. Mais nous ne devons pas neantmoins pour cela laisser de faire notre devoir. On dit que les séculiers sont si avares et si injustes, qu'il ne faut pas s'estonner si les^ religieuses le sont aussy, et qu'ils leur en donnent l'exemple; mais veoyez vous, ma fille, nous ne voulons pas les imiter dans leurs autres vices, pourquoy les imiterons nous dans celuy là ? Ils ayment les divertissemens, les jeux et les beaux habits; ils se vengent quand on les offence, et font plusieurs autres choses semblables, et pour cette raison là faut il que nous le fassions aussy ? Personne ne sera assez fou pour le dire ; pour quoy donc veut on que nous les imi- tions dans leur avarice ? N'est-ce pas un pesché aussy grand que tous ceux là ? Mais c'est que, quand on est avare, on est bien aise de s'excuser en disant que chacun en fait autant ; il ne faut pas se tromper ainsy, il faut connoistre le mal tel qu'il est et où il est. »

Voila, ma chère Mère, les dernières paroles qui me

��1 . « Me dit elle avec une admirable charité. »

2. « vostre parent, »

3. « religieux ».

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 91

furent dites sur ce sujet, et la conclusion de toute cette affaire, que la gratitude ne m'a pas permis de tenir plus long temps secrette, quoy que le' peu de loisir que me laisse Fobeïssance où je suis semblast m'en oster tout moyen. Mais le grand désir ne trouve point d'obstacles ; c'est ce qui m'a fait surmonter celuy la aussy bien que tous les autres qui pouvoient s'offrir, entre lesquels vous ne doutez pas que la confusion de m'en acquitter si mal n'ayt esté un des plus grands. Mais il a fallu que toutes^ choses ayent cédé à mon devoir ; et puis je n'ay pas pré- tendu à bien faire, mais seulement à faire ce que je pou- vois. Si ma mémoire m'avoist esté assez fidelle pour me rapporter les propres termes de nostre Mère, je n'aurois pas besoin de vous faire d'excuse ; mais parce que je crains qu'elle ne l'ait pas fait en beaucoup de lieux, bien que je sois certaine qu'elle ne m'a point trompée pour le sens, je me sens obligée de vous supplier à n'avoir point d'égard à ce que^ j'ay peu gaster, et le séparer du reste : l'habitude que vous avez d'entendre nos- tre Mère vous fera aisément connoistre son style. Je vous supplie aussi de me pardonner, ma chère Mère, si cette lettre est si mal en ordre, si plaine de ratures, de pastez, d'additions et de tant d'autres desordres. Je l'aurois volontiers coppiée, pour satisfaire au respect que je vous dois ; mais j'ay si peu de loisir que je ne sçay quand j'au- rois pu m'en promettre la fin. Et puis je ne sçay pas si j'y eusse fait moins de fautes, en la rescrivant ; car outre que les espaces où je le puis faire sont si courtes, que la plus longue ne me laissa pas assez de temps pour en es- crire deux douzaines de lignes, et les ordinaires cinq ou six, c'est que je suis si souvent interrompue par des demandes

I. « j'auray. »

�� � 92 ŒUVRES

OU des responses qui ne sont de nulle importance, mais si fréquentes, qu'il n'en faut pas davantage à un si petit cerveau que le mien pour le troubler et luy faire brouiller tout ce qu'il fait, comme vous veoyez qu'il m'est arrivé. Et de plus, j'ay si peur que nostre Mère m'en trouve saisie que j'ay une merveilleuse haste de m'en défaire. Toutes ces raisons font que j'espère de votre bonté une pleine abolition ^ ; mais je désire quelque chose déplus, et vous conjure de tout mon cœur, ma chère Mère, de conjurer Nostre Seigneur qu'il me pardonne toutes les fau- tes que j'ay commises en cette affaire et le peu d'usage que j'ay fait de tant de salutaires avis. Ce n'a pas esté mon premier dessein en vous escrivant ; mais puisque Dieu m'en offre l'occasion, j'ay creu ne la devoir pas négliger. J'espère cet effet de vostre charité, que j'ay tant de fois esprouvée, et que, sans avoir égard à ce que je suis, vous ne me refuserez pas le secours dont j'ay besoin pour devenir ce que je ne suis pas, afin que ce ne soit plus en vain que j'aye receu l'avantage incomparable d'estre associée à une si sainte famille, soumise à une conduitte si sage et si remplie de l'esprit de Dieu, et fille de telles Mères. Et enfin je vous conjure d'offrir à Sa divine majesté tous ceux qui sont renfermez dans ma vocation à cette Maison, afin qu'il me fasse la grâce désormais d'éviter cette sorte d'ingratitude, qui se rencontre dans le peu d'usage qu'on fait des grandes faveurs.

��I. Uobolition signifiait dans l'ancien droit « le pardon que le roi accordait d'autorité absolue pour un crime » (Littre). L'emploi du mot dans un sens large a été signalé par Littré dans Bourdaloue : « C'est par là que Magdeleine, cette fameuse pécheresse et cette pé- nitente aussi célèbre, obtint l'entière abolition de tous les dérègle- ments de sa vie et qu'elle parvint à un degré si éminent de sainteté, » Pensées, t. II, p. i65.

�� � RELATION DE JACQUELINE PASCAL 93

Vous veoyez, par ce petit récit, combien*, [ou/r^] les générales, j'en ay receu de particulières dont il me fau- dra rendre compte ; je l'appréhende beaucoup, et c'est pour quoy j'implore de tout mon cœur le secours de vos prières, et de celles des autres qui peuvent quelque jour le veoir, pour obtenir cette miséricorde dont j'ay si grand besoin, de vivre et de mourir en vraye religieuse du Saint Sacrement et de la maison de P.-R. (ces deux tiltres comprenant tout ce que je pourrois dire) ; de peur qu'après avoir receu tant de grâces pour mon salut, elles ne servent à ma condamnation, et que les mesmes conso- lations dont sa bonté a daigné essuyer mes larmes ne soyent les accusatrices de mon infidélité. J'ay quelque droit d'attendre cela de vous, puisque parmy celles là se trouve nécessairement l'obligation heureuse d'estre toute ma vie et de tout mon cœur, [ma très chère mère, vostre très humble et très obéissante servante et fille,

ScEUR Jacqueline de Sainte Euphemie R. L]

Je pensois, ma chère Mère, qu'il ne me restoit plus d'excuses à vous faire ; mais je me souviens que j'ay oublié de vous descandalizer du papier doré que j'ay employé icy ^ Je l'ay trouvé dans une cassette qu'on

��1. Ms. : entre. Nous suivons la leçon du second Recueil Gazier.

2. Le manuscrit sur papier doré ne nous est pas parvenu. Les copies que nous avons consultées fournissent deux textes à certains égards très différents; l'un n'est que dans un Recueil, mis par M. Gazier à notre disposition; l'autre, qui se retrouve dans deux Recueils de la bibliothèque de M. Gazier, avec cette mention : Relations de ma sœur Euphemie qu'il faut tenir secrette à cause des personnes qu'elle touche^ et aussi dans les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, (f. fr. 17797) est le prototype du texte imprimé de 1742. Cette dernière particula- rité semble indiquer que le second texte est un texte disposé en vue d'une publication éventuelle et par conséquent postérieur. Il n'est

�� � 94 ŒUVRES

m'avoit laissée ; et comme il ne me restoit plus que cela du monde, au moins dans Fexterieur, j'ay creu en devoir faire un sacrifice à Dieu ; et il m'a semblé que l'or ne pouvoit estre mieux employé que pour reconnoistre la cha- rité, puisqu'il en est l'image, et c'est ainsy que je ne puis rendre que l'ombre à la vérité de celle qu'on a eue pour moy, qui meriteroit à mon sens mieux des caractères de sang que du papier doré, pour en conserver la mémoire.

��pas défendu de penser que Jacqueline elle-même serait l'auteur de la nouvelle rédaction, entreprise à la prière de la mère prieure, peut-être au moment où les religieuses de Port-Rojal, et Jacqueline Pascal entre autres, écrivirent leurs souvenirs sur la mère Angélique (Mé- moires cités, t. III, p. loo-iio). Par les variantes que nous avons empruntées à ce second texte, on voit que Jacqueline aurait profité de ce qu'elle mettait au net son « brouiUon » de i653 pour atténuer la rigueur de ses jugements vis-à-vis des siens, conformément au scru- pule qui se manifeste dans la mention relevée au titre de ce second texte.

�� � LI

LETTRE

DE JACQUELINE PASCAL

A M. PERIER

3i juillet i653. •

)euxième recueil du Père Guerrier, p. cLxxxn, apiid Faugère, Lettres, Opuscules et Mémoires, i845, p. 345.

�� � LETTRE DE LA SŒUR JACQUELINE DE SALNTE-EUPHEMIE PASCAL A M. PERIER

Gloire à Jésus au Très-Saint- Sacrement.

��Ce 3i juillet i653*.

Je vous escris à tous deux, si Dieu veut que cette lettre vous trouve encores tous deux en estât de la veoir ; car le billet du vingt quatre ne me laisse presque plus au- cun lieu d'espérer. Je vous prie de juger de Testât où je suis ; je n'entreprends pas de vous l'exprimer, et aussy il seroit bien inutile. Mais j'ay cru que j'estois obligée de rendre à ma sœur et à vous toute l'assistance qui est à mon pouvoir en cette extrémité. Je le fais devant Dieu le plus souvent que je puis, et nos mères ont eu la bonté de faire ressouvenir plusieurs fois la communauté de prier pour elle. Enfm elle peut bien s'asseurer qu'on ne l'ou- blie point ; on a trop de charité pour tout le monde, et pour elle en particulier. Mais je croy que la plus efficace de toutes les prières, et celle qui méritera que Dieu daigne escouter toutes celles de nos amis^, c'est de luy tesmoigner la fidélité que nous luy devons en cette rencontre si im- portante. Je vous parle dans le plus sensible de ma dou- leur, et ce me semble comme n'ayant plus d'espérance, quoy que je sente bien souvent que la dernière nouvelle fera tout un autre effet en moy, si Dieu veut nous affliger

��1. « Madame Perier étoit alors fort malade et grosse de Biaise Perier » (^Note du P. Guerrier.) Elle accoucha, vers le milieu d'aoûst « en dehors de Port-Rojal-des-Ghamps » suivant l'expression du Recueil d'Utrecht, 1740, p. 243.

2. [anjes]

III- 7

�� � 58 ŒUVRES

tout à fait. Gela m'oblige de vous dire qu'il n'y a point d'occasion où nous puissions mieux recognoistre si nous avons une véritable foy ; car enfin Dieu veut, ce me semble, que nous espérions qu'il luy fera miséricorde en ce mo- ment si redoutable, aprez luy avoir fait la grâce de luy donner un sincère désir de le servir et d'estre toute à luy pendant sa santé. Cette seule pensée doit adoucir toute l'amertume de cette affliction ; car il ne faut pas espérer ni mesme désirer qu'elle estoufîe tous les sentiments de la nature. Mais je croy qu'elle les doit modeler jusques là mesme de ne demander pas sa vie à Dieu. Je l'ay fait neantmoins en faveur de vous et de ses enfants. Mais quand je me suis ressouvenue que Dieu nous a osté feu ma mère beaucoup plus jeunes qu'ils ne sont, et dans des cir- constances plus fascheuses que celles qui suivroient cette perte, et que neantmoins il ne nous a point abandonnez, mais qu'il a daigné tesmoigner en nostre personne qu'il est le père des orphelins et le consolateur des affligez, j'ay cru qu'il ne falloit point s'opposer à ses ordres, mais que nous devions nous jeter entre ses bras avec tout ce qui nous tient le plus au cœur.

Vos enfants sont à luy plus qu'à nous ; ne craignons pas qu'il les abandonne tant que nous les remettrons entre ses mains ; et pour vous, je croy certainement que si Dieu vous prive d'une si grande consolation, c'est pour vous attirer tout à luy ; car, encore que votre union soit toute légitime et toute sainte, neantmoins il y a quelque chose de plus parfait ; et possible Dieu, cognoissant par sa sagesse divine que vous n'eussiez pas esté disposé à escou ter l'inspiration qu'il vousauroitpu donner d'aspirer à un estât si pur et de vous résoudre à prévenir par un divorce saint et tout volontaire cette dure séparation qui est inévitable tost ou tard, il veut vous tesmoigner que tous

�� � LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A M. PERIER 99

les prétendus obstacles que l'amour propre suggère en ces occasions sont levez en un moment quand il lui plaist, et que, lorsqu'il le veut, il fait faire * par nécessité ce qu'on n'a pu faire volontairement. C'est une pensée que m'a donnée le bonheur de ma condition, qui me semblera imparfaite tant que ceux que j'aime comme mon frère et vous deux ne le cognoistront pas assez et n'y partici- peront point. Il est tel que je ne puis m'empescher de vous dire que je ne puis faire aucun autre souhait pour qui que ce soit, si ce n'est qu'il plaise à Dieu les mettre dans un plus parfait repos et une plus pleine asseurance, en les attirant à luy, qui est la seule fin où l'on tend dans tout ce qu'on fait. S'il luy plaist de faire cette miséricorde à ma chère sœur plutost qu'à nous, pourquoi nous oppo- serions nous à son bonheur P Je n'en veoy point d'autre dans le monde qu'une entière retraitte et un abandon ^ de toutes choses pour servir Dieu seul ; mais celuy là mesme n'est rien en comparaison de le posséder avec une entière plénitude et une asseurance certaine de ne le perdre jamais. Estouffons donc autant qu'il nous sera possible tous les sentiments de la nature, qui s'opposent trop fortement à ceux que la foy et la charité nous doivent donner sur ce sujet ; et puisque tous nos efforts et tous nos souhaits se- ront inutiles contre le décret de Dieu, faisons de bon cœur ce qu'il est nécessaire que nous fassions s'il l'a ré- solu. Dieu sait que j'ayme plus ma sœur, sans comparai- son, que je ne faisois lorsque nous estions toutes deux du monde, quoiqu'il me semblât en ce temps que l'on ne

��1, Cousin, malgré l'avertissement donné par Faugère, a maintenu la version : il faut faire, qui fait ici contresens.

2. General dans le manuscrit 12988, omis, peut-être par erreur dans le texte de Faugère {Vide infra, t. XI, p. 352).

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pouvoit rien adjouter à Taffection que j'avois pour elle ; mais au lieu qu'en ce temps elle se tournit tout au soin et au désir que j'avois de sa vie, qui m'a esté tou- jours, comme à présent, beaucoup plus chère que la mienne propre, je ne pense à cette heure sur toutes cho- ses qu'à son salut. C'est pour quoy, quelque violente que soit ma douleur et la crainte et l'émotion oiî je suis à toute heure qu'on me vienne porter cette nouvelle, qui fait que des qu'on me regarde pour me parler il me prend un tremblement tel que je ne me puis soutenir ; neant- moins, quand je rentre en moy mesme, et que je consi- dère la misère et les périls de cette vie, surtout pour une personne engagée dans le monde, je ne puis m'empescher de m'accuser de m'aymer plus qu'elle, en désirant ce qui m'est utile et non pas à elle ; et tout ce que je demande à Dieu de tout mon cœur, et à quoy tendent surtout toutes mes prières, c'est qu'il luy plaise donner la vie de la grâce à l'enfant, et qu'il fasse faire à la mère un bon usage de sa maladie * ; qu'il la détache de toutes choses ; qu'il luy fasse oublier tout ce qu'elle laisse pour ne penser plus qu'au bonheur qui l'attend, qui doit emporter toutes ses pensées, et la ravir de telle sorte qu'elle en soit entiè- rement occupée. Si son mal est trop violent, faisons le pour elle, je vous en prie : protestons à Dieu du cœur et de la bouche que, comme nous ne desirons que luy pour nous mesmes, nous ne demandons autre chose pour ceux qui nous sont plus chers que nous mesmes. C'est encores un des sujets continuels de la prière que je fais à Dieu dans ma douleur, qu'il luy plaise nous faire la grâce à vous et à moy de lui estre entièrement fidelles en cette

��I. C'est le titre même de la prière que Biaise Pascal composa, pro- bablement, dans les dernières années de sa vie. Vide supra, t, I, p. 83.

�� � LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A M. PERIER 101

occasion; elle est unique, mon cher frère, ne la laissons pas passer sans en tirer tout le fruit que Dieu demande. Je crois qu'il attend de nous plus qu'une résignation ordi- naire, et que nous ne pouvons pas, sans estre ingrats des faveurs qu'il a faites à la malade depuis plusieurs années, nous contenter de souffrir qu'il reprenne ce qu'il nous avoit preste, si nous ne luy offrons nous mesmes, et si nous ne voulons bien qu'il la recompense des services continuels qu'elle s'est efforcée de luy rendre. Je vous supplie de luy demander cette grâce pour moy comme je le fais pour vous ; et comme je sçay que Dieu est proche des affligez et qu'il escoute favorablement leurs prières, j'y joins mon pauvre frère, et je vous supplie d'en faire au- tant, afin que Dieu daigne de se servir de cette affliction pour le faire rentrer dans luy mesme et luy ouvrir les yeux sur la vanité de toutes les choses du monde. Ce doit estre une consolation bien sensible pour ma chère sœur et pour ^ nous que Dieu luy ait, par sa grâce, donné cette lumière longtemps avant que de luy en donner l'expérience, et à nous en sa personne. Je le supplie de ne pas permettre qu'elle et nous nous affoiblissions assez dans notre affliction pour oublier une faveur si particu- lière; et si nous l'avons profondement gravée dans la mé- moire, de ne pas permettre que nous en soyons ingrats en refusant de donner lieu à l'espérance qu'elle nous per- met de concevoir, et par conséquent à la consolation que. nous en devons tirer.

Ne vous estonnez pas, je vous prie, de me veoir parler comme n'ayant plus d'espérance de sa santé. Je vous l'ay dit dez l'abord ; et quoy que je ne sois pas dans la der- nière affliction comme si j'estois certaine démon mal, je

I. Cousin donne vous, leçon du manuscrit 12988.

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n'ose pourtant recevoir aucune espérance de ce costé là, de peur de tomber d'un coup plus rude. Je prie Dieu qu'il nous fortifie tous dans cette occasion, et qu'il im- prime dans nos cœurs les sentiments d'une foy vive qui nous fasse regarder l'absence de ceux que nous aymons comme un voyage pour aller à Dieu, où ils ne nous pré- cèdent que de quelques moments, et où nous devons nous eflbrcer de les suivre en les imitant. Gardons-nous bien de nous plaindre de ce que Dieu nous oste ce qui nous est cher ; avi lieu de luy rendre grâce de nous l'avoir preste si long temps. Je prie ma sœur, en quelque estât qu'elle soit, de se ressouvenir de cette belle parole de M. de Saint-Cyran, que ides malades doivent regarder leur lit comme un autel où ils ojjfrent continuellement à Dieu le sacrifice de leur vie pour la luy rendre quand il luy plaira ; » et cette autre que (( les douleurs et les divers accidents de la maladie sont cette clameur qu'on Jait à minuit pour avertir les vierges de la venue de Vespoux. » Qu'elle espère d'entrer avec luy dans ces bienheureuses noces, puisqu'elle n'a point laissé étein- dre sa lampe en quittant la voye de Dieu, depuis le mo- ment qu'elle y est entrée, et qu'elle n'a point acheté d'huile à ceux qui en vendent en voulant estre flattée de ses conducteurs, mais qu'elle a conservé dans son cœur celle que Dieu y a répandue par le Saint Esprit ; et qu'elle se ressouvienne de prier Dieu pour moy des à présent pour ne cesser plus dans l'éternité, afin qu'il me fasse mi- séricorde, et qu'il me rappelle bientost de mon exil, si c'est pour sa gloire ; qu'elle prie pour mon frère, pour la sainte Eglise et pour tout l'Estat ; car Dieu escoute les prières des malades, quand ils sont tout à luy comme je sais qu'elle y est * .

I. « Copié sur l'original » (A'oie du P. Guerrier).

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LII

DISCOURS
SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR
ATTRIBUÉ A BLAISE PASCAL

Date présumée : fin 1653.

Bibliothèque Nationale, ms. fr. Nouv. Acq. 4015, et f. fr.19 3o3, pièce 3, f° 90-117.

INTRODUCTION

I

Sous ce titre : Fait inédit de la Vie de Pascal, François Collet publiait en 1848 une étude fort curieuse sur une anecdote contée par le chevalier de Méré quinze ans seulement après la mort de Pascal : « Je fis un voyage avec le D. D. R., qui parle d'un sens juste et profond, et que je trouve de fort bon commerce. M. M., que vous connoissez et qui plaist à toute la Cour, estoit de la partie ; et parce que c'estoit plùtost une promenade qu'un voyage, nous ne songions qu'à nous réjouir, et nous discourions de tout. Le D. D. R. a l'esprit mathématique et, pour ne se pas ennuyer sur le chemin, il avoit fait provision d'un homme d'entre deux âges, qui n'estoit alors que fort peu connu, mais qui depuis a bien fait parler de luy. C'estoit un grand Mathématicien, qui ne savoit que cela. Ces sciences ne donnent pas les agremens du monde ; et cet homme qui n'avoit ny goust, ny sentiment, ne laissoit pas de se mesler en tout ce que nous disions, mais il nous surprenoit presque toujours et nous faisoit souvent rire. Il admiroit l'esprit, et l'éloquence de M. du Vair, et nous rapportoit les bons mots du Lieutenant Criminel d'O ; nous ne pensions à rien moins qu'à le desabuser : cependant nous luy parlions de bonne foy. Deux ou trois jours s'estant écoulez de la sorte, il eut quelque défiance de ses sentimens, et ne faisant plus qu'écouter, ou qu'interroger, pour s'éclaircir sur les sujets qui se presentoient, il avoit des tablettes qu'il tiroit de tems en tems, où il mettoit quelque observation. Cela fut bien remarquable, qu'avant que nous fussions arrivez à P... il ne disoit presque rien qui ne fust bon, et que nous n'eussions voulu dire, et sans mentir, c'estoit estre revenu de bien loin. Aussi, pour dire le vray, la joye qu'il nous témoignoit d'avoir pris tout un autre esprit estoit si visible, que je ne croy pas qu'on en puisse sentir une plus grande ; il nous la faisoit connoitre d'une manière envelopée, et mystérieuse.

« Quel subit changement du sort qui me conduit!
J'estois en ces climats où la neige et la glace
Font à la terre une horrible surface,
Pendant cinq ou six mois d'une profonde nuit;
Apres, quand le Soleil y revient à son tour.
Il se montre si bas, et si pasle et si sombre,
Que c'est plûtost son fantosme ou son ombre.
Que l'aimable Soleil qui rameïne le jour.
Dans un triste silence et comme en un tombeau,
Je cherchais à me plaire, ou l'extrême froidure
Ensevelit au sein de la Nature
Par un nuage espais ce qu'elle a de plus beau.

« Cependant, continuoit cet homme, je ne laissois pas d'aimer des choses qui ne me pouvoient donner que de tristes plaisirs, et je les aimois, parce que j'estois persuadé que les autres ne pouvoient connoistre que ce que j'avois connu. Mais enfin je suis sorti de ces lieux sauvages, me voila sous un Ciel pur et serein. Et je vous avoue que d'abord, n'estant pas fait au grand jour, j'ay été fort ébloui d'une lumière si vive, et je vous en voulois un peu de mal ; mais, à cette heure que j'y suis accoutumé, elle me plaist, elle m'enchante, et, quoique je regrette le tems que j'ay perdu, je suis beaucoup plus aise de celui que je gagne. Je passois ma vie en exil, et vous m'avez ramené dans ma patrie. Aussi vous ne sauriez croire combien je vous suis obligé. Depuis ce voyage, il ne songea plus aux Mathématiques qui l'avoient toujours occupé, et ce fut là comme son abjuration. » (De l'Esprit, Discours de Monsieur le chevalier de Méré à Madame ***. Paris, 1677, p. 98 sqq.)

François Collet rétablit sans peine les noms désignés par des initiales. Le D. D. R. est le duc de Roannez : au moment des troubles de la Guyenne, vers la fin de 1651, il avait acheté le gouvernement du Poitou, devenu vacant par la démission du prince de Marsillac, l'auteur des Maximes[1]. M. M. est sans doute ce Miton, qui tient une si grande place dans la correspondance de Méré. Méré était du Poitou, comme le duc de Roannez ; la ville de P... est la ville de Poitiers.

Or le duc de Roannez, qui, par sa mère, se rattachait au monde du Parlement, avait lié connaissance avec Pascal[2] : l’hôtel de Roannez « qui se voit encore à l’angle de la rue du Cloître Saint-Merry et de la rue Taillepain[3] », était en effet contigu à la rue Brisemiche, où fut jusqu’en 165o la maison d’Etienne Pascal. Marguerite Perier ajoute même que le duc de Roannez emmena Pascal avec lui dans son gouvernement du Poitou[4]. D’autre part, nous savons par une lettre de Pascal à Fermat, qu’en 1654 Pascal était engagé dans de grandes discussions mathématiques avec le chevalier de Méré[5]. A plus d’une reprise, enfin dans les Fragments des Pensées, Pascal nomme et interpelle Miton. Il est difficile donc de contester que ces diverses circonstances convergent vers l’hypothèse formulée par Collet : le grand mathématicien dont le duc de Roannez avait fait provision, et qui depuis a bien fait parler de lui, c’est Blaise Pascal.

À vrai dire, puisque le voyage en Poitou, dans les conditions où le chevalier de Méré le rapporte, n’a pu avoir lieu ni plus tôt que l’hiver 1651 ni plus tard que l’été de 1654, que vraisemblablement il appartient à la période qui sépare la vêture de Jacqueline, le 26 mai 1662, et sa profession, le 5 juin 1653[6], Pascal n’avait pas dépassé trente ans ; bien que la maladie ait pu le vieillir prématurément, il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il fût entre deux âges. Surtout on peut contester la fidélité du portrait moral que Méré trace avec sa désinvolture à la cavalière, avec son exagération habituelle[7]. Les pages que Pascal a eu l’occasion d’écrire au cours de sa carrière scientifique, et jusqu’à cette lettre de juin 1662 qu’il vient d’adresser à la reine de Suède, n’attestent-elles pas une ouverture d’esprit, un usage des ressources de la langue, qui dépassent singulièrement l’horizon du mathématicien professionnel ? Mais il faut bien s’entendre : ce que Méré présente comme une transformation à vued’œil, accomplie sous son intluence, ne correspond à rien d’autre qu’à une erreur de jugement de sa part ; il s’en est assez vite aperçu, mais il ne veut pas l’avouer au lecteur, ni peut-être se l’avouer explicitement à lui-même. Il n’avait pas discerné d’abord la profondeur de l’esprit de Pascal, parce que l’esprit de Pascal ne lui avait pas paru habillé à la mode de la Cour, imprégné de ce « bon air » qui fait l’honnête homme. Le chancelier du Vair, que Pascal faisait profession d’admirer, auquel il dut cette profonde connaissance du Stoïcisme dont témoigne l’entretien avec M. de Saci, n’était-il pas le guide de la génération précédente, celui qu’au temps des barbons Étienne Pascal avait appris à apprécier dans la maison de M. Arnauld l’avocat ? Les plaisanteries de M. d’O étaient les bons mots de la vieille Cour, que Blaise Pascal avait pu entendre autrefois chez M. le Pailleur ou chez Madame de Morangis. Réduisons donc r « abjuration » de Pascal à ses justes proportions. Ce ne fut pas la révélation d’un monde nouveau pour lequel il aurait renoncé au monde ancien ; ce fut la découverte et l’intelligence de la génération nouvelle qui commençait à remplacer la génération de Voiture et des premiers précieux qui substituait aux règles artificielles du langage, au Code du sentiment, un retour au naturel et à la simplicité[8] : « Je suis, disait Méré, l’homme du monde qui a eu le moins d’affectation. »

Assurément donc plus d’une réserve doit donc être faite sur le récit de Méré ; Leibniz, qui riait presque des airs que M. le Chevalier de Méré s’est donné dans sa Lettre à M. Pascal[9], aurait ri tout à fait, je pense, en lisant dans un manuscrit relatant les propos du chevalier de Méré ce jugement ingénu sur l’auteur des Lettres Provinciales : « M. Pascal fit bien de se mettre à escrire trois mois après m’avoir vu ; mais il falloit continuer à me voir »[10] — ou cette appréciation sommaire sur les écrivains de Port-Royal : « Messieurs de P.-R. n'ont excellé en rien ; ce sont mes arriere-escoliers. » Il n'en reste pas moins que l'évolution intellectuelle de Pascal ne saurait être comprise si l'on ne se réfère avec insistance à l'intervention de Méré et de Miton. Pascal leur a dû d'approfondir, à une heure décisive, son expérience de la pensée libre et de la vie libre. Le monde ne sera pas, pour l'auteur des Pensées, ce que veut la peinture conventionnelle des prédicateurs : un lieu de corruption et de perdition, le théâtre des abominations ; c'est une réunion d'esprits distingués, chez qui les sentiments naturels étaient relevés par la délicatesse de l'éducation, qui reflétaient dans leur conversation les nuances les plus subtiles de l'âme, qui trouvaient leur plus grand plaisir à gagner et à retenir les cœurs, « se mettant, comme disait Méré et comme dit Pascal aussi, à la place de ceux à qui on veut plaire. » Et cela Pascal ne l'oubliera certes ni en écrivant ses Réflexions sur l'Art de persuader, ni en rédigeant spécialement à l'adresse des libertins des fragments d'apologie de la Religion, comme l'argument du Pari ; la lettre qu'il

 adresse à Fermat le 10 août 1660 montre même que dans la 

pratique des relations sociales il ne renie pas l'idéal de l'honnêteté, tel que Méré le professait.


II

Mais nous voudrions une précision de plus : nous voudrions voir Pascal vivre au milieu de ce monde qui le retint de la mort de son père jusqu'à l'heure de la conversion définitive, au mois de novembre i654. Les expressions dont la mère Angélique ou dont Gilberte Pascal elle-même se servent sont assez énergiques pour autoriser toutes les hypothèses ; elles ne fournissent pourtant aucune indication positive[11]. Nous devrions nous contenter d'ajouter que le jeu tenait une grande place dans le cercle où Pascal vivait à ce moment, et que Méré provoqua ainsi Pascal à des recherches mathématiques, du genre de celles qu'il se flattait de lui avoir fait abjurer — si nous ne devions à Victor Cousin la découverte d'un document infiniment curieux.

« En parcourant, écrit Victor Cousin, le volumineux catalogue des manuscrits français de l'abbaye de Saint-Germain- des-Prés, je rencontrai au tome XIe l'indication d'un manuscrit in-4o, coté n° 74, contenant, selon le catalogue, des écrits de Nicole, de Pascal et de Saint-Evremond. Soigneux de ne négliger aucun indice, je voulus examiner ce manuscrit. Il porte au dos : Nicole. De la Grâce. Autre pièce manuscrite[12]. Sur la première page est la table des écrits que cet in-4o" renferme : Système de M. Nicole sur la Grâce. — Si la dispute sur la Grâce universelle n'est qu'une dispute de nom. — Discours sur les passions de l'amour, de M. Pascal. — Lettre de M. de Saint- Evremond sur la dévotion feinte. — Introduction à la Chaire. A la vue de ce titre : Discours sur les passions de l'amour, de M. Pascal, vous comprenez que je cherchai bien vite au milieu du volume ; j'y trouvai le même titre avec cette légère variante : Discours sur les passions de l'Amour. On l'attribue à M. Pascal[13]. »

Le manuscrit décrit par Victor Cousin porte aujourd'hui y dans l'inventaire du fonds français de la Bibliothèque Nationale, le n° 19803. Il fait partie du fonds Gesvres, c'est un recueil factice de copies qui sont faites de plusieurs écritures, avec un ex libris au nom de B.-H. de Fourcy[14]. Quoiqu'il y ait d'autres manuscrits de la même origine qui soient relatifs au jansénisme, la bibliothèque de M, de Fourcy réunissait au XVIIe siècle des copies de tout caractère et de toute provenance. La présence dans le recueil 19303 d'une copie de Nicole (elle est d'ailleurs d'une autre main que la copie du Discours sur les Passions de l'Amour) ne peut donc être retenue qu'à titre de coïncidence. D'autre part, le copiste à qui nous devons le Discours y a transcrit en même temps une Lettre de Saint-Evremond sur la Dévotion feinte qui est plus près, comme le fait remarquer M. Giraud dans une récente étude de la Revue des Deux Mondes, du libertinage que de l'ascétisme[15].

L'incertitude qu'entraîne la forme réservée de l'attribution anonyme n'est nullement dissipée par les conditions dans lesquelles se présente à nous le recueil du fonds de St Germain-Gesvres. Elle est encore accrue par l'examen d un second manuscrit du Discours sur les passions de l'amour que M. Gazier a découvert à la Bibliothèque Nationale, et que M. Giraud a étudié[16]. Ce second manuscrit, qui est une copie indépendante de 19303, et qui permet une très notable amélioration du texte, ne donne aucun nom d'auteur. On peut supposer, il est vrai, que le nom figurerait, avec le titre, sur une couverture, qui n'aurait pas été conservée ; toujours est-il que la première page du manuscrit ne contient que le titre : Discours sur les passions de l'amour.

Bref, les critères extérieurs ne nous permettent de rien dire, sinon qu'on attribue ce Discours à Pascal. Nous ne savons pas qui est cet on, et quel degré de confiance il convient de lui accorder. L'attribution à Pascal demeure donc matière de doute ; remarquons seulement qu'elle n'est pas matière de discussion ; nous n'avons aucune indication positive qui vienne à l'appui d'un nom autre que celui de Pascal.

Dans ces conditions, les présomptions que peut fournir la critique interne prennent une importance décisive. Or ces présomptions, d'un accord qui est quasi unanime entre les critiques, sont favorables à l'attribution que nous a transmise le copiste anonyme. Non que l'on n'ait hasardé d'hypotbèse divergente. Comme M. Henri Chantavoine l'a fait remarquer avec beaucoup de finesse, on peut penser à Méré: une collaboration de Pascal à un recueil de maximes auquel on aurait travaillé vers 1653 dans le cercle du chevalier serait la chose la plus vraisemblable du monde. On pourrait penser également à une imitation par quelqu'un des écrivains de second ordre auxquels Bridieu appliquait l'épithète de Pascalins[17] ; les analogies nombreuses du Discours avec les Pensées s'expliqueraient ainsi de la façon la plus élégante. Mais ces hypothèses gravitent encore autour du nom de Pascal ; elles ne prendraient de consistance que si, pour des raisons de convenance esthétique ou psychologique, on pouvait retirer le Discours à Pascal. Mais c'est ici que la contestation est faible, comme dit Émile Faguet. M. Giraud, qui estime avoir « des présomptions très fortes » contre l'hypothèse de l'attribution à Pascal, conclut pourtant sa discussion par ces mots : « Ni littérairement, ni même moralement, le Discours n'est assurément indigne de l'auteur des Pensées, voilà tout ce que l'on peut dire. » Or, répondrons-nous, il suffit qu'on puisse dire cela pour que, — réserve faite d'une découverte future qui fournirait une preuve définitive dans un sens ou dans l'autre — un écrit, attribué par les manuscrits au seul Pascal, soit considéré comme une œuvre de Pascal. Sur ce premier débat, qui touche à l'authenticité du Discours, s'est greffé un second débat qui intéresse la vie intérieure et la psychologie de Pascal.

Si cette œuvre est de Pascal, s'ensuit-il qu'il y ait eu dans la vie de Pascal une crise de passion, coïncidant par exemple avec la période mondaine, et se dénouant brusquement par le retour de Pascal à la vie ascétique ?

En dehors du Discours, il n'y a pas de document qui puisse ajouter beaucoup de poids à cette conjecture. Il est difficile, en effet, de donner une bien grande portée à une page assez piquante des Mémoires sur les Grands Jours d'Auvergne (éd. Gonod, p. 79). Fléchier, de passage à Clermont, en 1665, parle d'une demoiselle qui était la Sapho du pays : « M. Pascal, qui s'est depuis acquis tant de réputation, et un autre savant étoient continuellement auprès de cette belle savante. »

Beaucoup plus important est le texte où Marguerite Périer montre son oncle conférant avec Jacqueline du double projet de « prendre une charge et de se marier », prenant déjà « ses mesures pour l'un et pour l'autre ». Il n'est pas sûr en effet qu'il ne s'agisse pour Pascal que de s'établir en suivant « le train commun du monde ». Est-il invraisemblable qu'il ait rêvé de satisfaire en même temps aux deux passions de l'ambition et de l'amour que le Discours unit à plus d'une reprise ?

On répondrait certes avec toute la précision désirable, si l'on avait ici le droit de prononcer le nom de la sœur du duc de Roannez, Charlotte Gouffier de Roannez. Née le 15 avril 1633, elle avait deux ou trois ans de moins que son frère, dix ans de moins que Pascal. Elle habitait l'hôtel du cloître Saint- Merry où Pascal fréquentait, où il avait même sa chambre[18]. Ne serait-elle point la personne à laquelle le Discours fait allusion, dans un passage tel que celui-ci : « Quand on aime sans égalité de condition...? » Inévitablement la conjecture devait séduire quelque historien de Pascal[19]. Mais, en l'absence de toute confirmation positive, elle demeure purement gratuite ; M. Gazier en a fait justice dans l'étude que nous avons eu déjà l'occasion de citer : Pascal et Mlle de Roannez. Les prétendues amours de Pascal[20]. Nous ajouterons, pour notre part, que le procédé était un peu puéril, de disposer ainsi du nom de Mlle de Roannez, simplement parce que le sort, qui préside à la conservation des documents historiques, ne nous en fournit point d'autre. Et même, à en juger par les extraits qui nous sont parvenus des lettres que Pascal écrivait, en 1656[21], il semble que la puérilité s'accompagne de quelque inconvenance morale.

Si donc Pascal a traversé une crise de passion, c'est le texte du Discours qui nous en fournira la preuve, en transmettant l'écho, en révélant le « signe » de l'amour. De là l'intérêt que les commentateurs et les historiens de Pascal ont attaché à l'examen du Discours sur les Passions de l'Amour; de là les controverses auxquelles le Discours a donné lieu. Il y a une dizaine d'années, j'avais résumé en ces termes ce qui me parais- sait devoir être retenu des diverses thèses en présence : « D'ailleurs ce Discours est loin de prouver que Pascal ait été véritablement amoureux ; quelques expressions témoignent de sentiments trop finement décrits pour ne pas avoir été éprouvés, mais il ne s'y agit que des commencements de l'amour, d'un attachement idéal. Tout le reste est une dissertation subtile et abstraite, qui fait infiniment plus de part à l'art de plaire dans la conversation qu'à la passion véritable ; cette analyse tout intellectuelle n'a pu être écrite qu'avec un sang-froid parfait, et peut-être est-elle née d'une gageure tenue contre Méré ou quelque autre de ses amis, qui aurait mis le mathématicien qu'était Pascal au défi de traiter galamment de l'amour ? » Depuis la question a été reprise avec beaucoup de profondeur dans le Pascal de M. Émile Boutroux (1900, p. 60 sqq.) et dans un article de M. Émile Faguet : Pascal amoureux, Revue latine, 25 octobre 1904, reproduit dans le volume intitulé : Amours d'hommes de lettres, Paris, 1907. M. Faguet a bien établi que la solution du problème devait se trouver dans un dosage des différentes parties du Discours, dans une sorte d'analyse qualitative, plutôt que dans une interprétation homogène et intégrale. Pour notre compte, nous serions disposé — en dépit des réserves que fait M. Victor Giraud dans son récent article de la Revue des Deux Mondes (15 octobre 1907) — à considérer comme acquis les points essentiels de l'argumentation de M. Faguet ; nous renverserions les termes de notre appréciation antérieure, et nous subordonnerions la dissertation de salon à l'expérience intime de l'amour. En tout cas, l'étude de M. Faguet doit servir de guide au lecteur pour la pratique de cette méthode où le jugement est fait d'impressions et de réflexions toutes personnelles.

Quant aux thèses plus générales que renferme le Discours, elles ont été étudiées par Sully-Prud'homme, Examen du Discours sur les Passions de l'Amour, Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1890 (reproduit dans la Vraie religion selon Pascal, 1905, p. 415) et par M. Frédéric Rauh dans un excellent travail sur la Philosophie de Pascal (Annales de la Faculté de Bordeaux, 1891).



DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L’AMOUR

L’homme est né pour penser[22]  ; aussi n’est-il pas un moment sans le faire ; mais les pensée pures[23], qui le rendroient heureux s’il pouvoit tousjours les soutenir, le fatiguent et l’abbatent. C’est une vie unie à laquelle il ne peut s’accommoder ; il luy faut du remuement et de l’action, c’est à dire qu’il est nécessaire qu’il soit quelquesfois agité des passions, dont il sent dans son cœur des sources si vifves et si profondes.

Les passions qui sont le [24] plus convenables à l’homme, et qui en renferment beaucoup d’autres, sont l’amour et l’ambition : elles n’ont gueres de liaison ensemble. Cependant on les allie assez souvent ; mais elles s’affoiblissent l’une l’autre réciproquement, pour ne pas dire qu’elles se ruynent.

Quelque estendue d’esprit que l’on ayt, l’on n’est capable que d’une grande passion[25] c’est pour quoy, quand l’amour et l’ambition se rencontrent ensemble, elles ne sont grandes que de la moitié de ce qu’elles seroient s’il n’y avoit que l’une ou l’autre. L’aage ne détermine point ni le commencement, ni la fin de ces deux passions ; elles naissent des les premières années, et elles subsistent bien souvent jusques au tombeau. Neantmoins, comme elles demandent beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres, et il semble qu’elles se ralentissent avec les années ; cela est pourtant fort rare.

La vie de l’homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée[26] au monde ; pour moy je ne voudrois la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis[27] que l’on commence à estre ébranlé par la raison, ce qui n’arrive pas ordinairement avant vingt ans. Devant ce[28] terme l’on est enfant ; et un enfant n’est pas un homme.

Qu’une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par l'ambition[29] ! Si j'avois à en choisir une, je prendrois celle là. Tant que l'on a du feu, l'on est aymable; mais ce feu s'esteint, il se perd : alors, que la place est belle et grande pour l'ambition[30]  ! La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n'y ont aucun plaisir; ils sont machines par tout. C'est pourquoy, l'amour et l'ambition commençant et finissant la vie, on est dans l'estat le plus heureux dont la nature humaine est cappable.

A mesure que l'on a plus d'esprit, les passions sont plus grandes, par ce que les passions n'estant que des sentimens et des pensées, qui appartiennent purement à l'esprit, quoy qu'elles soient occasionnées[31] par le corps, il est visible qu'elles ne sont plus que l'esprit mesme, et qu'ainsy elles remplissent toutte sa capacité. Je ne parle que des passions de feu[32] car pour les autres, elles se meslent souvent ensemble, et causent une confusion trez incommode ; mais ce n'est jamais dans ceux qui ont de l'esprit.

Dans une grande ame tout est grand.

L'on demande s'il faut aymer. Cela ne se doit pas demander : on le doit sentir. L'on ne délibère point la dessus, l'on y est porté, et l'on a le plaisir de se tromper quand on consulte[33].

La netteté d'esprit cause aussy la netteté de la passion ; c'est pour quoy un esprit grand et net ayme avec ardeur, et il voit distinctement ce qu'il ayme.

Il y a de deux sortes d'esprits, l'un géométrique, et l'autre que l'on peut appeler de finesse[34].

Le premier a des veuës lentes, dures et inflexibles ; mais le dernier a une souplesse de pensée qui l'applique en mesme temps aux diverses parties aymables de ce qu'il ayme. Des yeux il va jusques au cœur, et par le mouvement du dehors il connoist ce qui se passe au dedans.

Quand on a l'un et l'autre esprit tout ensemble, que l'amour donne de plaisir ! Car[35] l'on possède à la fois la force et la flexibilité de l'esprit, qui est trez nécessaire pour l'éloquence de deux personnes.

Nous naissons avec un caractère d'amour dans nos cœurs, qui se développe à mesure que l'esprit se perfectionne, et qui nous porte à aymer ce qui nous paroist beau sans que l'on nous aye jamais dit ce que c'est. Qui doute aprez cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aymer? En effet[36], l'on a beau se cacher[37] à soy mesme, l'on ayme tousjours. Dans les choses mesmes où il semble que l'on aye séparé l'amour, il s'y trouve secrettement et en cachette; et il n'est pas possible que l'homme puisse vivre un moment sans cela.

L'homme n'ayme pas demeurer avec soy ; cependant il ayme : il faut donc qu'il cherche ailleurs de quoy aymer. Il ne le peut trouver que dans la beauté ; mais comme il est luy mesme la plus belle créature que Dieu ayt jamais formée, il faut qu'il trouve dans soy mesme le modelle de cette beauté qu'il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soy mesme les premiers rayons ; et selon que l'on s'apperçoit que ce qui est au dehors y convient ou s'en éloigne, on se forme les idées de beau ou de laid sur touttes choses[38]. Cependant, quoy que l'homme cherche de quoy remplir le grand vuide qu'il a fait en sortant de soy mesme, neantmoins il ne peut pas se satisfaire pour touttes sortes d'objects. lia le cœur trop vaste ; il faut au moins que ce soit quelque chose qui luy ressemble, et qui en approche le plus prest. C'est pour quoy la beauté qui peut contenter l'homme consiste non seulement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance : elle la restraint [39] et elle l'enferme dans la différence du sexe.

La nature a si bien imprimé cette vérité dans nos âmes, que nous trouvons cela tout disposé ; il ne faut point d'art ny d'estude ; il semble mesme que nous ayons une place à remplir dans nos cœurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu'on ne peut le dire. Il n'y a que ceux qui sa- vent brouiller et mespriser leurs idées qui ne le voyent pas.

Quoy que cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fonds de nos âmes avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas que de recevoir de très grandes différences dans l'application particulière ; mais c'est seulement pour la manière d'envisager ce qui plaist. Car l'on ne souhaitte pas nuëment une beauté ; mais l'on y désire mille circonstances qui dépendent de la disposition où l'on se trouve ; et c'est en ce sens que l'on peut dire que chacun a l'original de sa beauté, dont il cherche la copie dans le grand monde[40]. Neantmoins les femmes déterminent souvent cet original ; comme elles ont un empire absolu sur l'esprit des hommes, elles y dépeignent ou les parties des beautez qu'elles ont, ou celles qu'elles estiment, et elles adjoutent par ce moyen ce qui leur plaist à cette beauté radicale. C'est pour quoy il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes ; et le partage qu'il y a entre les femmes sur l'estime des unes ou des autres fait aussy le partage entre les hommes dans un mesme temps sur les unes et les autres.

La mode mesme et les païs règlent souvent ce que l'on appelle beauté[41]. C'est une chose estrange que la coutume se mesle si fort de nos passions[42]. Cela n'empesche pas que chacun n'aye son idée de beauté sur laquelle il juge des autres, et à laquelle il les rapporte ; c'est sur ce principe qu'un amant trouve sa maistresse plus belle, et qu'il la propose comme exemple.

La beauté est partagée en mille différentes manières. Le sujet le plus propre pour la soustenir, c'est une femme : quand elle a de l'esprit, elle l'anime et la relevé merveilleusement.

Si une femme veut plaire, et qu'elle possède les advantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira ; et mesme si les hommes y prenoient tant soit peu garde, quoy qu'elle n'y taschast point, elle s'en feroit aymer. Il y a une place d'attente dans leur cœur, elle s'y logeroit.

L'homme est né pour le plaisir : il le sent, il n'en faut point d'autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son cœur sans sçavoir par où elle a commencé.

Un plaisir vray ou faux peut remplir également l'esprit ; car qu'importe que ce plaisir soit faux, pourveu que l'on soit persuadé qu'il est vray[43]?

A force de parier d'amour[44], l'on devient amoureux ; il n'y a rien si aysé, c'est la passion la plus naturelle à l'homme[45].

L'amour n'a point d'aage ; il est tousjours naissant. Les Poettes nous l'ont dit ; c'est pour cela qu'ils nous le représentent comme un enfant. Mais sans[46] leur rien demander, nous le sentons.

L'amour donne de l'esprit, et il se soustient par l'esprit. Il faut de l'addresse pour aymer. L'on épuise tous les jours les manières de plaire ; cependant il faut plaire, et l'on plaist.

Nous avons une source d'amour propre qui nous représente à nous[47] mesme comme pouvant remplir plusieurs places au dehors ; c'est ce qui est cause que nous sommes[48] bien ayses d'être aymez. Comme on le souhaitte avec ardeur, on le remarque bien viste, et[49] on le reconnoist dans les yeux de la personne qui ayme; car les yeux sont les interprettes du cœur, mais il n'y a que celuy qui y a interest qui entend leur langage.

L'homme seul est quelque chose d'imparfait ; il

faut qu’il trouve un second pour estre heureux. Il le cherche [50] le plus souvent dans l’égalité de la condition, à cause que la liberté et que l’occasion de se manifester s’y rencontrent plus aysement. Neantmoins l’on va[51] quelquesfois [52]bien au-dessus, et l’on sent le feu s’agrandir, quoy [53]que l’on n’ose pas le dire à celle qui l’a causé.

Quand l’on ayme une dame sans égalité de condition, l’ambition peut accompagner le commencement de l’amour ; mais en peu de temps il devient le maistre. C’est un tyran qui ne souffre point de compagnon ; il veut estre seul ; il faut que touttes les passions ployent et lui obéissent.

[54]Une haute amitié remplit bien mieux qu’une commune et égale : le cœur de l’homme est grand, les petittes choses flottent dans sa capacité ; il n’y a que les grandes qui s’y arrestent et qui y demeurent.

L’on escrit souvent des choses que l’on ne prouve qu’en obligeant tout le monde à faire reflection sur soy mesme, et à trouver la vérité dont on parle. C’est en cela que consiste la force des preuves de ce que je dis.

Quand un homme est délicat en quelque endroit de son esprit, il l'est en amour. Car comme il doit estre ébranlé par quelque objet qui est hors de luy, s'il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s'en apperçoit, et il le[55] fuit. La règle de cette délicatesse dépend d'une raison pure, noble et sublime. Ainsy l'on se peut croire délicat, sans qu'on le soit effectivement, et les autres ont droit de [56] nous condamner au lieu que pour la beauté chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres. Neantmoins entre estre délicat et ne l'estre point du tout, il faut demeurer d'accord que, quand on souhaitte d'estre délicat, l'on n'est pas loin de Festre absolument. Les femmes ayment à [57]apercevoir une délicatesse dans les hommes ; et c'est, ce me semble, l'endroit le plus tendre pour les gagner : l'on est aize devoir que mil autres sont mesprisables, et qu'il n'y a que nous d'estimables [58].

Les qualitez d'esprit ne s'acquièrent point par l'habitude[59] on les perfectionne seulement ; de là, il est aysé de voir que la délicatesse est un don de nature, et non pas une acquisition de l'art.

A mesure que l'on a plus d'esprit, l'on trouve plus de beautez originales[60] ; mais il ne faut pas estre amoureux, car quand l'on ayme l'on n'en trouve qu'une.

Ne semble il pas qu'autant de fois qu'une femme sort d'elle mesme pour se caractériser dans le cœur des autres, elle fait une place vuide pour les autres dans le sien? Cependant j'en connois qui disent que cela n'est pas vray[61] . Ozeroit[62] on appeler cela[63] injustice? Il est naturel de rendre autant[64] que l'on a pris.

L'attachement à une mesme pensée fatigue et ruyne l'esprit de l'homme. C'est pour quoy pour la solidité et la [65]durée du plaisir de l'amour, il faut quelquesfois ne pas sçavoir que l'on ayme ; et ce n'est pas commettre une infidélité, car l'on n'en ayme pas d'autre ; c'est reprendre des forces pour mieux aymer. Cela se fait sans que l'on y pense ; l'esprit s'y porte de soy mesme ; la nature le veut ; elle le commande. Il faut pourtant avouer que c'est une misérable suitte de la nature humaine, et que l'on seroit plus heureux si l'on n'estoit point obligé de changer de pensée ; mais il n'y a point de remède[66].

Le plaisir d'aymer sans l'oser dire a ses[67] épines; mais aussy il a ses douceurs. Dans quel transport n'est-on point de former touttes ses actions dans la veuë de plaire à une personne que l'on estime infiniment? L'on s'estudie tous les jours pour trouver les moyens de se descouvrir, et l'on y employé autant de temps que si l'on devoit entretenir celle que l'on ayme. Les yeux s'allument et s'esteignent dans un mesme moment ; et quoy que l'on nevoye pas manifestement que celle qui cause tout ce desordre y prenne garde, l'on a neantmoins la satisfaction de sentir[68] tous ces remuements pour une personne qui le mérite si bien. L'on voudroit avoir[69] cent langues pour[70] se faire connoistre ; car comme l'on ne peut pas se servir de la parolle, l'on est obligé de se réduire à l'éloquence d'action.

Jusques la on a tousjours de la joye, et l'on est dans une assez grande occupation. Ainsy l'on est heureux ; car le secret d'entretenir tousjours une passion, c'est de ne pas laisser naistre aucun vuide dans l'esprit, en obligeant de s'appliquer sans cesse à ce qui le touche si agréablement. Mais quand il est dans Testât que je viens de descrire, il n'y peut pas durer long temps, à cause qu'estant seul acteur dans une passion où il en faut nécessairement deux, il est difficile qu'il n'espuise bientost tous les mouvemens dont il est agité.

Quoy que ce soit une mesme passion, il faut de la nouveauté ; l'esprit s'y plaist, et qui sçayt [71] la procurer sçayt se faire aymer.

Aprez avoir fait ce chemin, cette plénitude quelquesfois diminue, et ne recevant point de secours du costé de la source, l'on décline misérablement, et les passions ennemies se saisissent d'un cœur qu'elles dechirent en mille morceaux. Neantmoins un rayon d'espérance, si bas que l'on soit, relevé aussy haut [72]que l'on estoit auparavant. C'est quelques fois un jeu auquel les dames se plaisent ; mais quelques fois en faisant semblant d'avoir compassion, elles l'ont tout de bon. Que l'on est heureux quand cela arrive! Un amour ferme et solide commence tousjour par l'éloquence d'action ; les yeux y ont la meilleure part. Neantmoins il faut deviner, mais bien deviner.

Quand deux personnes sont de mesme sentiment, ils ne devinent point, ou du moins il y en a une qui[73] devine ce que veut dire l'autre sans que cet autre l'entende ou qu'il ose l'entendre.

Quand nous aymons, nous paroissons à nous mesmes tout autres que nous n'estions auparavant. Ainsi nous nous imaginons que tout le monde s'en aperceoit; cependant il n'y a rien de si faux. Mais parce que la raison a sa veuë bornée par la passion, l'on ne peut s'asseurer, et l'on est tousjours dans la défiance.

Quand l'on ayme, on se persuade que l'on decouvriroit la passion d'un autre : ainsy l'on a peur.

Tant plus le chemin est long dans l'amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir [74].

Il y a de certains esprits à qui il faut donner long temps des espérances, et ce sont les délicats. Il y en a d'autres qui ne peuvent pas résister longtemps aux difficultez, et ce sont les plus grossiers. Les premiers ayment plus long temps et avec plus d'agrément; les autres ayment plus vite, avec plus de liberté, et finissent bien tost. Le premier effect de l'amour c'est d'inspirer un grand respect ; l'on a de la vénération pour ce que l'on ayme. Il est bien juste : on ne reconnoist rien au monde de grand comme cela.

Les autheurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de l'amour de leurs[75] héros : il faudroit qu'ils fussent héros eux mesmes.

L'égarement à aymer en[76] divers endroits est aussy monstrueux que l'injustice dans l'esprit.

En amour un silence vaut mieux qu'un langage. Il est bon d'estre interdit ; il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne [77]sçauroit faire. Qu'un amant persuade bien sa maistresse quand il est interdit, et que d'ailleurs il a de l'esprit ! Quelque vivacité que l'on aye, il est [78] des rencontres où il est bon qu'elle s'éteigne. Tout cela se passe sans règle et sans reflection ; et quand l'esprit le fait, il n'y pensoit pas auparavant. C'est par nécessité que cela arrive.

L'on adore souvent ce qui ne croit pas estre adoré, et [79]on ne laisse pas de luy garder une fidélité inviolable, quoy qu'il n'en sache rien. Mais il faut que l'amour soit bien fin et bien pur.

Nous connoissons l'esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous mesmes avec les autres. Je suis de l'advis de celuy qui disoit que dans l'amour on oublioit sa fortune, ses parents et ses amis : les grandes amitiez[80] vont jusques là. Ce qui fait que l'on va si loin dans l'amour, c'est[81] qu'on ne songe pas que l'on[82] aura besoin d'autre chose que de ce que l'on ayme : l'esprit est plain ; il n'y a plus de place pour le soin ny pour l'inquiétude. La passion ne peut pas[83] estre belle sans cet excez ; de là vient qu'on ne se soucie[84] pas de ce que dit le monde que l'on sçayt desja ne devoir pas condamner nostre conduitte, puisqu'elle vient de la raison. Il y a une plénitude de passion, il ne peut pas y avoir un commencement de reflection.

Ce n'est point un effect de la coutume, c'est une obligation de la nature, que les hommes fassent les avances pour gagner l'amitié[85] d'une dame.

Cet oubly que cause l'amour, et cet attachement à ce que l'on ayme, fait naistre des qualitez que l'on n'avoit point auparavant. L'on devient magnifique, sans jamais l'avoir esté[86]. Un avaricieux mesme, qui ayme, devient libéral ; et il ne se souvient pas d’avoir jamais eu une habitude opposée. L’on en voit la raison en considérant qu’il y a des passions qui resserrent l’ame et qui la rendent immobile, et qu’il y en a qui l’agrandissent et la font répandre au dehors.

L’on a osté mal à propos le nom de raison à l’amour, et on les a opposez sans un bon fondement, car l’amour et la raison n’est[87] qu’une mesme chose. C’est une précipitation de pensées qui se porte d’un costé sans bien examiner tout, mais c’est tousjours une raison, et l’on ne doit et on ne peut[88] souhaitter que ce soit autrement, car nous serions des machines très désagréables[88]. N’excluons donc point la raison de l’amour, puisqu’elle en est inséparable.

Les Poettes n’ont donc pas eu raison de nous dépeindre l’amour comme un aveugle ; il faut luy oster son bandeau, et luy rendre désormais la jouissance de ses yeux.

Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui eclatte en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussy que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C’est de là que ceux de la cour sont mieux receus dans l’amour que ceux de la ville, par ce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l’uniformité n’a rien qui frappe : la vie de tempeste surprend, frappe et pénètre[89].

Il semble que l'on aye toute une autre ame quand [90]l'on ayme que quand on n'ayme pas ; on s'eleve par cette passion, et on devient tout[91] grandeur ; il faut donc que le reste aye proportion ; autrement cela ne convient pas, et partant cela est désagréable.

L'agréable et le beau n'est que la mesme chose tout le monde en a l'idée[92] . C'est d'une beauté morale que j'entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions[93] de dehors. L'on a bien une règle pour devenir agréable ; cependant la disposition du corps y est nécessaire ; mais elle ne se peut acquérir.

Les hommes ont pris plaisir à se former une idée[94] [de l'agréable] si eslevée, que personne n'y peut atteindre. Jugeons en mieux, et disons que ce n'est pas le naturel, avec une facilité et une vivacité d'esprit qui surprenne. Dans l'amour ces deux qualitez sont nécessaires : il ne faut rien de[95] forcé, et cependant il ne faut point de lenteur. L'habitude donne le reste.

Le respect et l'amour doivent estre si bien proportionnez qu'ils se soustiennent sans que ce respect étouffe l'amour.

Les grandes âmes ne sont pas celles qui ayment le plus souvent, c'est d'un amour violent que je parle : il faut une inondation de passion pour les ébranler et pour les remplir. Mais quand elles commencent à aymer, elles ayment beaucoup mieux.

L'on dit qu'il y a des nations plus amoureuses les unes que les autres ; ce n'est pas bien parler, ou du moins cela n'est pas vray en[96] tout sens. L'amour ne consistant que dans un attachement de[97] pensée, il est certain qu'il doit estre le mesme par toute la terre. Il est vray que, se[98] terminant autre part que dans la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps.

Il est de l'amour comme du bon sens : comme l'on croit avoir autant d'esprit qu'un autre[99], on croit aussy aymer de mesme. Neantmoins quand[100] on a plus de veuë, l'on ayme jusques aux moindres choses, ce qui n'est pas possible aux autres; il faut estre bien fin pour remarquer cette différence.

L'on ne peut presque faire semblant d'aymer que l'on ne soit bien prest d'estre amant, ou du moins que l'on n'ayme en quelque endroit ; car il faut avoir l'esprit et les pensées de l'amour pour ce semblant, et le moyen[101] d'en bien parler sans cela? La vérité des passions ne se desguise pas si aysement que les veritez sérieuses. Il faut du feu, de l'activité et un [102] jeu d'esprit naturel et prompt pour la première : les autres se cachent avec la lenteur et la soupplesse, ce qu'il est plus aysé de faire.

Quand on est loing de ce que l'on ayme, l'on prend la resolution de faire et de dire beaucoup de choses ; mais quand on est prest, [103]l'on est irrésolu ; d'où vient cela? c'est que quand [104]l'on est loing la raison n'est pas si ébranlée, mais elle l'est estrangement[105] à la presence de l'object; or, pour la resolution il faut delà fermeté, qui est ruynee par l'ébranlement.

Dans l'amour on n'oze bazarder parce que l'on craint de tout perdre ; il faut pourtant avancer, mais qui peut dire jusques où? L'on tremble tousjours jusques à ce que l'on aye trouvé ce point[106]. La prudence ne fait rien pour s'y maintenir quand on l'a trouvé.

Il n'y a rien de si embarrassant que d'estre amant et de voir quelque chose en sa faveur sans l'oser croire : l'on est également combattu de l'espérance et de la crainte. Mais enfin, la dernière devient victorieuse de l'autre.

Quand on ayme fortement, c'est toujours une nouveauté[107] de voir la personne aymée ; aprez un moment d'absence, on la trouve de manque dans son cœur. Quelle joye de la retrouver! l'on sent aussy tost une cessation d'inquiétudes. Il faut pourtant que cet amour soit desjà bien avancé ; car quand il est naissant et que l'on n'a fait aucun progrez ; l'on sent bien une cessation d'inquiétudes, mais il en survient d'autres.

Quoy que les maux succèdent[108] ainsy les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaitter la présence de sa maistresse par l'espérance de moins souffrir ; cependant quand on la voit, on croit souffrir plus qu'auparavant. Les maux passez ne frappent plus, les présents touchent, et [109]c'est sur ce qui touche que Ton juge. Un amant dans cet estât n'est-il pas digne

de compassion ?

APPENDICE
Tiré de l'Édition des Œuvres de Pascal par l'abbé Bossut, 1779, t. III, pp. 525-526[110].

Avertissement sur les vers suivants.

On voit par plusieurs Pensées de Pascal, qu'il avoit peu de goût pour la Poésie. Cependant il y a au Château de Fontenay-le-Comte deux Tableaux derrière lesquels sont les Vers suivants, qu'on assure par tradition estre escrits de sa main même. C'est ce que j'ai appris immédiatement d'un homme très digne de foi, qui les a vus. Je n'ai pas été à portée de vérifier par moi-même si la tradition dont il s'agit est fondée : je le suis encore moins de prononcer si Pascal est réellement l'Auteur de ces Vers ; mais je crois devoir les insérer ici, pour compléter, autant qu'il est possible, la présente édition.


Vers écrits derrière le premier tableau.

Les plaisirs innocents ont choisi pour asyle
Ce palais, où l'art semble épuiser son pouvoir :
Si l'œil de tous côtés est charmé de le voir,
Le cœur à l'habiter goûte un bonheur tranquille.
On y voit dans mille canaux
Folâtrer de jeunes Naïades :
Les Dieux de la terre et des eaux
Y choisissent leurs promenades ;
Mais les Maîtres de ces beaux lieux
Nous y font oublier, et la terre, et les cieux.

Vers écrits derrière le second tableau.

De ces beaux lieux, jeune et charmante Hôtesse,
Votre crayon m'a tracé le dessein :
J'aurois voulu suivre de votre main
La grâce et la délicatesse.
Mais pourquoi n'ai-je pu, peignant ces Dieux dans l'air[111]
Pour rendre plus brillante une aimable Déesse,
Lui donner vos traits et votre air?


LIII



TRAITEZ

DE

L’ÉQUILIBRE DES LIQUEURS

ET DE

LA PESANTEUR DE LA MASSE DE L’AIR


contenant l’explication des causes de divers effets de la nature qui n’avoient point esté bien connus jusques ici et particulièrement de ceux que l’on avoit attribuez a l’horreur du vuide



par Monsieur Pascal
À Paris chez Guillaume Desprez, rue S. Jacques, à l’image S. Prosper
M. DC. LXIII.
Avec privilege du Roy.


Date probable de l’achèvement : 1654.

INTRODUCTION


Les deux traités : de l’Équilibre des Liqueurs et la pesanteur de la Masse de l’air ont paru pour la première fois en 1663, au lendemain de la mort de Pascal. C’est d’après cette édition posthume, réimprimée en 1664 et en 1698, que nous en donnons le texte. Nous les rapportons, suivant notre plan de publication, à la date où ils nous paraissent avoir été composés : en 1654. Au cours de l’année 1654, en effet, Pascal, s’adressant aux « membres de l’Académie parisienne », leur annonce la prochaine impression de son ouvrage sur le vide[112]. D’autre part, si les deux Traités publiés en 1663 sont destinés à remplacer un premier Traité sur le vide, qui aurait été rédigé au moins en grande partie[113], aucun indice ne permet de supposer que Pascal, après l’année 1654, soit jamais revenu aux questions de physique qui l’avaient préoccupé jusque-là. En l’état des choses, 1654 est donc la date extrême que nous ne pouvons dépasser.

Mais les traités que Pascal se proposait de livrer aux presses en 1654 n’étaient-ils pas déjà vieux de deux ou trois ans ? La Préface de l’édition posthume semble formelle sur ce point : « Encore, est-il dit à la page 3, que ces deux traitez fussent tout prests à imprimer il y a plus de douze ans, comme le sçavent plusieurs personnes qui les ont veus dés ce temps là[114]. » Les Traités seraient donc de 1651. Mais il semble qu’il y ait confusion à cet égard. Si l’on se reporte en effet à la fin de la lettre à M. de Ribeyre, qui est du 12 juillet 1651, on voit que Pascal achève un traité sur le vide ; « je l’ay, dit-il, desjà communiqué à plusieurs de nos amis[115] ». Or, ce traité contenait une longue partie historique, que nous ne retrouvons plus dans ceux que nous avons. Les observations météorologiques que Pascal a poursuivies pendant les années 1650 et 1651 devaient s’y retrouver aussi, puisqu’elles nous ont été conservées avec l’indication de la place qu’elles devaient prendre dans les cadres d’une division par livres, chapitres et sections[116]. Le Traité de 1651 devait donc être celui qui, d’après la Préface de 1663, « a esté perdu ou plûtost, ajoute la Préface, comme il [Pascal] aimoit fort la brieveté, il l’a reduit luy mesme en ces deux petits Traitez que l’on donne maintenant[117]. »

Cette réduction correspond, si nous ne nous trompons, à un renversement complet dans l’ordre des idées exposées. Les expériences sur l’ascension de l’eau dans le corps de pompe et dans le tube de Toricelli, au lieu d’être des points de départ pour la recherche des hypothèses, deviennent des conséquences de principes généraux, et les principes généraux sont appliqués à l’équilibre des liquides avant d’être étendus aux effets de la pression atmosphérique. La méthode de Pascal, qui promettait d’abord d’être historique et analytique, apparaît finalement comme logique et synthétique.

Sans doute la liaison de la pneumatique et de l’hydraulique, qui domine l’œuvre de Pascal, n’a rien d’inattendu. Elle s’imposait à lui dès le moment où il lisait et méditait les lettres de Toricelli à Ricci[118] ; nous en avons trouvé la notion la plus nette dans les conférences publiques de Roberval[119] ; le récit de l’Expérience du Puy-de-Dôme, qui mettait en évidence l’action de la pression atmosphérique, est intitulé Récit de la grande Expérience de l’Équilibre des Liqueurs. Toutefois, il semble bien que Pascal ne soit arrivé que par degrés à tirer parti de cette généralisation pour bouleverser l’ordre de sa démonstration, et pour étendre le cadre de ses recherches aux phénomènes de l’hydrostatique. L’allusion que contient la Muse historique de Loret pourrait sans doute être précisée dans ce sens. Dans les premiers mois de 1652, Pascal se serait occupé d’expériences sur les liquides[120]. D’autre part il n’est pas défendu de penser que le changement dans la manière de l’écrivain correspondrait aux influences nouvelles qui se sont exercées sur lui après la mort de son père. L’honnête homme de la génération précédente, au milieu de laquelle a vécu Pascal, se caractérise par son attachement au droit, mais aussi par la susceptibilité avec laquelle il va au-devant de toute allusion blessante ou offensante, par l’ardeur avec laquelle il entreprend et soutient la lutte pour la défense de ce qui lui est dû[121]. L’honnête homme de la génération nouvelle se distingue au contraire par l’application qu’il met à se détacher de ce que nous appellerions aujourd’hui le moi social, à se placer au-dessus de toute vanité de métier, à prévenir et à effacer tout ce qui, aux yeux du monde et à ses propres yeux, laisserait paraître la trace du « pli professionnel ». Au Pascal de la lettre à M. de Ribeyre, qui s’efforce d’établir « exactement et separement ce qui est de l’invention de Galilée, ce qui est de celle du grand Toricelli, et ce qui est de la [sienne] » s’oppose le Pascal de la « période mondaine », pour qui la concision du style, l’impersonnalité de l’œuvre sont des signes d’élégance morale. Il a peut-être appris du chevalier de Méré à écrire un Traité de physique sur le modèle des Commentaires de César.

C’est donc ce nouveau Traité que Pascal était à la veille d’imprimer en 1654, comme il était à la veille d’imprimer l’ancien en 1651. Si la Préface de 1663 n’a pas tout à fait dissipé l’équivoque sur ce point, ce n’est peut-être pas sans dessein. Dans la Vie de Pascal que Mme Perier écrit sitôt après la mort de son frère, comme dans la Préface des Traités, qui paraît avoir été rédigée un peu plus tard par M. Perier, la date de la « conversion définitive » est donnée avec un certain vague, et de façon à permettre de réduire autant que possible la période du désaccord aigu entre Blaise et Jacqueline : « Il avoit trente ans quand il resolut de quitter ces nouveaux engagements qu’il avoit dans le monde. » La rédaction imprimée insiste encore : « Il avoit pour lors environ trente ans, écrit Mme Perier, et il estoit toujours infirme ; et c’est depuis ce temps-là qu’il a embrassé la manière de vivre où il a esté jusques à la mort[122]. » M. Perier va même plus loin : « Il avoit neanmoins tellement connu depuis plus de dix ans avant sa mort la vanité et le neant de toutes ces sortes de connoissances, et il en avoit conçeu un tel dégoust qu’il avoit peine à souffrir que des personnes d’esprit s’y occupassent et en parlassent serieusement[123]. » Pascal aurait donc renoncé aux recherches scientifiques en 1652 au plus tard. C’est cette transposition de date qui conduit Perier à faire remonter à « plus de douze ans » l’achèvement des Traités qu’il publia en 1663.

Dans la mesure donc où nous sommes ici fondés à rectifier le témoignage de la Préface de l’édition posthume, c’est de 1651 à 1654 que se serait développé le mouvement de pensée d’où sont sortis les deux Traités de l’Équilibre des liqueurs et de la Pesanteur de la masse de l’Air.

Ce mouvement de pensée continue celui que nous avons eu l’occasion de décrire, à travers les documents qui nous restent, entre l’expérience de Rouen, exécutée par Petit en octobre 1646, et l’expérience faite par Perier en septembre 1648. L’air est pesant ; il n’y a pas d’autre cause à faire intervenir pour l’explication des phénomènes que la pesanteur de la masse de l’air. L’équilibre entre une masse gazeuse et une colonne liquide n’est qu’un cas particulier de l’équilibre que l’on observe entre deux colonnes liquides dans des vases qui communiquent : ou, si l’on préfère, l’équilibre des fluides gazeux, que l’ « insensibilité » des gaz rend si difficile à imaginer, est exactement analogue à l’équilibre des fluides liquides dont il est bien plus facile de saisir et de mesurer les conditions[124]. De là l’idée originale de Pascal : faire du Traité de la pesanteur de la masse de l’air, où seront rapportées les premières expériences sur le vide et résolues les controverses théoriques qu’elles ont soulevées, le corollaire du Traité de l’équilibre des liqueurs, où sont décrits et expliqués les phénomènes fondamentaux de l’hydrostatique.

Les ressources que Pascal trouvait devant lui pour l’étude de l’hydrostatique, nous les connaissons de la façon la plus précise par l’encyclopédie physico-mathématique dont Mersenne s’était fait l’éditeur. Tout d’abord, dans l’Universæ geometriœ mixtæque mathematicæ synopsis (1644), Mersenne avait reproduit à nouveau les propositions du traité d’Archimède περὶ τῶν ὀχουμενῶν, hoc de insidentibus in humido. D’autre part, dans les Cogitata physico-mathematica, qui paraissent la même année, il fait la plus grande place à l’étude des phénomènes hydrauliques, mettant à contribution Galilée, dont il fait en passant l’éloge funèbre[125], et Stevin dont il reproduit les définitions et les théorèmes : « Jam vero, dit-il en terminant la courte introduction à l’Ars navigandi hydrostaticæ liber primus, quæ vel Stevinus vel observationes nostræ docuerint, consideremus[126]. » À Stevin il empruntait les lois de la pression exercée par le liquide sur le fond des vases, avec le paradoxe hydrostatique qui en est la conséquence. Il y ajoutait, inspiré par les considérations qu’il avait trouvées dans les ouvrages de Galilée[127], la loi de la transmission de la pression à travers l’étendue d’une masse liquide, le principe de la presse hydraulique qui en est la conséquence[128]. « N’est-il pas certain », écrit M. Duhem, qui a jeté sur les origines de la pensée de Pascal une lumière définitive, et que nous suivons de très près dans toute cette étude préliminaire, « que ce principe de la presse hydraulique, connu sous le nom de principe de Pascal, pourrait plus justement se nommer principe de Mersenne[129] ? »

Mais cette lecture ne pouvait suffire à Pascal ; l’œuvre du Père Mersenne ne paraissait pas suffisamment coordonnée pour le dispenser de s’informer de plus près. Dans le recueil même où il publie les principes de Stevin, n’arrive-t-il pas que Mersenne se demande pourquoi un homme plongé dans l’eau ne sent pas le poids du milieu liquide, et qu’il repousse expressément la solution de Stevin, pour revenir à la conception traditionnelle des éléments qui ne pèsent pas dans eux-mêmes[130] ?

À travers Mersenne, l’hydrostatique de Pascal se rattache donc à l’œuvre de Stevin, comme l’avait remarqué Thurot en 1869[131]. L’œuvre de Stevin continue directement celle d’Archimède, qui n’était connue d’ailleurs que depuis les travaux de Tartaglia (1543), de Curtius Trojanus et de Commandin (1565). Stevin explique les solutions d’Archimède relatives aux corps plongés dans l’eau par la pression que dans un liquide les couches supérieures exercent sur les couches inférieures. Il indique avec exactitude la règle pour calculer cette pression, en tenant compte, non du poids absolu du liquide, mais de la base et de la hauteur d’un cylindre idéal. Il en développe amplement les conséquences avec le double souci de la déduction rationnelle (livre IV) et de la vérification expérimentale (livre V). Ajoutons que les œuvres de Stevin, publiées tout d’abord en flamand (1586), puis en latin par Snell (1609), avaient trouvé un traducteur et commentateur français, Albert Girard, et que les Œuvres mathématiques, parues en 1634 à Leyde, devaient naturellement, par la richesse du contenu et par la rigueur de la méthode, attirer l’attention de Pascal.

Nous savons, d’autre part, quelles relations étroites le P. Mersenne, et par lui le groupe des savants parisiens, entretenaient avec les représentants, alors si actifs et si brillants, de la science italienne. Dans le traité de l’Harmonie universelle, dont une partie est dédiée à Étienne Pascal[132], Mersenne renvoie, comme le fait remarquer M. Duhem[133], aux Mécaniques de Jean Benoist. Or le traité de Mechanicis forme une section (p. 141–167) du Recueil que Benedetti publiait en 1585 à Turin, sous ce titre : Io. Baptistæ Benedicti Patritii Veneti philosophi Diversarum speculationum Mathematicarum et Physicarum Liber. À la page 287 de ce même recueil, une lettre à Jean-Paul Capra, intitulée : de Machina, quæ impellit et sublevat, a pour objet d’expliquer pourquoi « dans une fontaine le corps de pompe où pénètre le piston qui chasse l’eau ne doit pas avoir un diamètre plus grand que celui du tuyau par où l’eau doit monter. » Benedetti montre comment l’équilibre s’établit dans les deux vases communicants, non pas entre poids égaux absolument, mais entre poids proportionnels à l’étendue de la surface sur laquelle leur action s’exerce. En signalant l’originalité de cette lettre, M. Vailati demandait si elle était venue à la connaissance de Pascal et de Stevin[134] ; il semble bien que par l’intermédiaire de Mersenne on puisse, pour Pascal, répondre affirmativement.

Ce n’est pas tout : il restait à fonder sur une théorie de mécanique la loi de cet équilibre. Or ceci avait été fait, dit encore M. Duhem[135], dans un ouvrage auquel les Cogitata physico-mathematica renvoyaient Pascal : Discorso intorno alle cose che stanno in su l’Acqua, o che in quella si muovono, publié en 1612 à Florence, par Galilée, et dédié au grand duc Cosme II. Galilée reprend l’exemple des vases communicants d’inégal diamètre ; il explique l’équilibre qui s’établit entre les deux colonnes de poids inégal par une compensation entre le moment de la vitesse du mouvement dans un mobile et le moment de la gravité de l’autre. L’ascension très rapide de la petite quantité d’eau dans le tuyau du plus petit calibre résiste à la très lente descente de la grande quantité d’eau. « Il arrive donc en cette opération la même chose exactement que dans la balance romaine, où un poids de 2 livres en contrepèse un autre de 200 toutes les fois que dans le même temps le premier doit se mouvoir à travers un espace cent fois plus grand que le second ; ce qui arrive quand un bras de la balance est cent fois plus long que l’autre[136]. »

Ces considérations de Galilée reportaient la question sur le terrain de la mécanique générale qui était familier à Pascal depuis sa première enfance. Les problèmes de « mathématique mixte » étaient de ceux qui étaient le plus souvent agités dans les conférences scientifiques auxquelles il assistait aux côtés de son père ; peut-être est-ce en sa présence qu’avait été concertée, entre Étienne Pascal et Roberval, la lettre à Fermat du 16 août 1636, sur la question de la pesanteur[137]. Il n’ignora rien des travaux et des controverses auxquels les principes de la mécanique donnèrent lieu. En 1636, Mersenne avait publié, en tête de l’Harmonie universelle, un court Traité de mécanique de Roberval, qui n’était encore qu’une introduction de principe aux mécaniques promises par le même auteur[138]. De son côté, dans deux rédactions successives — l’une envoyée à Constantin Huygens le 5 octobre 1637[139], dont les copies circulèrent en Hollande et que Mersenne fut autorisé à utiliser pour les Cogitata physico-mathematica de 1644[140] — l’autre écrite directement pour Mersenne le 13 juillet 1638[141], et complétée par des réponses aux objections de Mersenne[142], Descartes avait repris la théorie des machines simples en la ramenant à un principe unique. Enfin Pascal, nous le savons par ailleurs[143], avait été un des premiers lecteurs du Recueil des Œuvres géométriques de Torricelli, paru en 1644 à Florence, où l’équilibre entre deux corps était fondé sur la considération de leur centre de gravité commun.

Avec le principe de Torricelli l’œuvre de réduction analytique était, pour Pascal, achevée : « La dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage, suivant un mot qu’on rapporte de lui, est de savoir celle qu’il faut mettre la première[144]. » Cette première chose, ce serait donc ce principe suivant lequel, quand deux poids sont appliqués à un même mécanisme, la condition nécessaire et suffisante pour que celui-ci demeure en repos, c’est que parmi les déplacements que le mécanisme permet, il n’y en ait aucun qui fasse subir un abaissement au centre commun de tels poids[145]. Torricelli avait déjà appliqué son propre principe à « l’équilibre d’un poids sur un plan incliné » et il en avait tiré aussi la « loi d’équilibre du levier[146]. » Pascal étendait la méthode à la théorie de toutes les machines simples, il avait rédigé ainsi, à l’imitation de Roberval et de Descartes, et pour parfaire son œuvre, un petit Traité de mécanique. Ce traité n’a pas été retrouvé, ou il a été négligé, par les éditeurs de 1663 ; nous ne le connaissons que par les indications que Pascal lui-même donne dans le Traité de l’Équilibre des liqueurs, nous ne pouvons donc pas décider si cette introduction à l’usage des seuls géomètres était destinée à précéder ses deux Traités de physique. Mais la pensée de Pascal est claire ; il n’y a qu’une manière de considérer les corps ; un corps est un poids si l’on peut ainsi parler. Les gaz sont pesants et sont des fluides pesants, comme les liqueurs ; mais à leur tour les liquides n’ont pas une autre façon de peser que les solides ; ils pèsent dans eux-mêmes comme ils pèsent dans un milieu différent d’eux ; les lois de la pesanteur sont les mêmes dans quelque milieu que les corps soient plongés. La statique des solides, l’hydrostatique, la statique des gaz sont parties intégrantes d’une seule et même science, qui est capable de revêtir la forme d’une déduction rationnelle et d’envelopper le détail des expériences qui avaient paru d’abord les plus déconcertantes. L’unité et la simplicité de cette conception feraient facilement oublier quelle longue série d’obstacles il fallait avoir surmontée pour y atteindre, si l’on ne se rappelait le désordre et l’obscurité des faits et des raisonnements assemblés par Mersenne, le prédécesseur immédiat de Pascal.

Torricelli n’avait traité que « du mouvement des graves » ; Descartes ne s’était jamais arrêté à l’étude de l’hydrostatique, faute peut-être, comme l’a rappelé Thurot, d’avoir suffisamment médité l’œuvre de Stevin[147]. Pascal, au contraire, se propose d’appliquer l’évidence et la rigueur de la mécanique moderne à l’équilibre des liqueurs. L’exemple avait été donné par Stevin ; mais Stevin s’était borné à la considération de la pression exercée par un cylindre de liquide, il n’avait pas dépassé le paradoxe hydrostatique. Pascal, en outre, est en possession des courtes indications données par Benedetti en 1585, par Galilée en 1612 ; il les féconde, non seulement par les principes auxquels il les rattache, mais aussi par les conséquences expérimentales qu’il en tire.

Contrairement à ce qui s’est produit pour les expériences sur le vide, nous n’avons aucun renseignement sur l’histoire des expériences relatives à l’équilibre des liqueurs. Pascal a renoncé, nous l’avons vu, à faire intervenir ce qui rappellerait dans une étude scientifique, soit la personnalité de l’auteur, soit la personnalité de ses prédécesseurs, et il est à présumer qu’il aurait, en publiant son ouvrage, expliqué cette abstention systématique. Mais la préface de 1663 est muette, peut-être encore une fois, parce que Gilberte Perier et son mari tenaient à ne pas réveiller le souvenir de la période qui s’était écoulée entre la rédaction du « grand Traité » en 1651 et la conversion de Pascal à la vie ascétique[148].

TRAITÉ DE L’ÉQUILIBRE DES LIQUEURS[149]


Chapitre I.Que les liqueurs pesent suivant leur hauteur.


Si l’on attache contre un mur plusieurs Vaisseaux, l’un tel que celuy de la première figure ; l’autre panché, comme en la seconde ; l’autre, fort large, comme en la troisiéme ; l’autre estroit, comme en la quatriéme ; l’autre qui ne soit qu’un petit tuyau qui aboutisse à un Vaisseau large par en bas, mais qui n’ait presque point de hauteur, comme en la cinquiéme Figure ; et qu’on les remplisse tous d’eau jusques à une mesme hauteur, et qu’on fasse à tous des ouvertures pareilles par en bas, lesquelles on bouche pour retenir l’eau ; l’experience fait voir qu’il faut une pareille force pour empescher tous ces tampons de sortir, quoy que l’eau soit en une quantité toute differente en tous ces differents Vaisseaux, parce qu’elle est à une pareille hauteur en tous : et la mesure de cette force est le poids de l’eau contenuë dans le premier Vaisseau, qui est uniforme en tout son corps ; car si cette eau pese cent livres, il faudra une force de cent livres pour soûtenir chacun des tampons, et mesme celuy du Vaisseau


Planche du Traité de l’Equilibre des liqueurs

cinquiéme, quand l’eau qui y est ne peseroit pas une once[150].

Pour l’éprouver exactement, il faut boucher l’ouverture du cinquiéme Vaisseau avec une piece de bois ronde, enveloppée d’étoupe comme le piston d’une Pompe, qui entre et coule dans cette ouverture avec tant de justesse[151], qu’il n’y tienne pas, et qu’il empesche neanmoins l’eau d’en sortir, et attacher un fil au milieu de ce Piston, que l’on passe dans ce petit tuyau, pour l’attacher à un bras de balance et pendre à l’autre bras un poids de cent livres : on verra un parfait Equilibre de ce poids de cent livres avec l’eau du petit tuyau qui pese une once ; et si peu qu’on diminue de ces cent livres, le poids de l’eau fera baisser le Piston ; et par consequent baisser le bras de la balance où il est attaché, et hausser celui où pend le poids d’un peu moins de cent livres.

Si cette eau vient à se glacer, et que la glace ne prenne pas au Vaisseau, comme en effet elle ne s’y attache pas d’ordinaire, il ne faudra à l’autre bras de la balance qu’une once pour tenir le poids de la glace en Equilibre : mais si on approche du feu contre le Vaisseau, qui fasse fondre la glace, il faudra un poids de cent livres pour contrebalancer la pesanteur de cette glace fonduë en eau, quoy que nous ne la supposions que d’une once[152].

La mesme chose arriveroit quand ces ouvertures que l’on bouche seroient à costé, ou mesme en haut : et il en seroit mesme plus aisé de l’éprouver en cette sorte[153].


Figure VI. — Il faut avoir un Vaisseau clos de tous costez, et y faire deux ouvertures en haut, une fort-étroitte, l’autre plus large, et souder sur l’une et sur l’autre des tuyaux de la grosseur chacun de son ouverture ; et on verra que si on met un Piston au tuyau large, et qu’on verse de l’eau dans le tuyau menu, il faudra mettre sur le Piston un grand poids, pour empescher que le poids de l’eau du petit tuyau ne le pousse en haut ; de la mesme sorte que dans les premiers exemples, il falloit une force de cent livres pour empescher que le poids de l’eau ne les poussât en bas, parce que l’ouverture estoit en bas ; et si elle estoit à côté, il faudroit une pareille force pour empescher que le poids de l’eau ne repoussât le Piston vers ce costé.

Et quand le tuyau plein d’eau seroit cent fois plus large ou cent fois plus estroit, pourveu que l’eau y fût toujours à la mesme hauteur, il faudroit toûjours un mesme poids pour contrepeser l’eau ; et si peu qu’on diminue le poids, l’eau baissera, et fera monter le poids diminué.


Regle de la force necessaire pour arrester l’eau[154]


Mais si on versoit de l’eau dans le tuyau à une hauteur double, il faudroit un poids double sur le Piston pour contrepeser l’eau ; et de mesme si on faisoit l’ouverture où est le Piston, double de ce qu’elle est, il faudroit doubler la force necessaire pour soutenir le Piston double : d’où l’on voit que la force necessaire pour empescher l’eau de couler par une ouverture, est proportionnée à la hauteur de l’eau, et non pas à sa largeur ; et que la mesure de cette force est toûjours le poids de toute l’eau qui seroit contenuë dans une colonne de la hauteur de l’eau, et de la grosseur de l’ouverture[155].

Ce que j’ay dit de l’eau se doit entendre de toute autre sorte de Liqueurs.


Chapitre II.Pourquoy les liqueurs pesent suivant leur hauteur.


On voit, par tous ces exemples, qu’un petit filet d’eau tient un grand poids en Equilibre : il reste à montrer quelle est la cause de cette multiplication de force ; nous l’allons faire par l’experience qui suit.


Figure VII.Nouvelle sorte de Machine pour multiplier les forces.


Si un Vaisseau plein d’eau, clos de toutes parts, a deux ouvertures, l’une centuple de l’autre : en mettant à chacune un Piston qui luy soit juste[156], un homme poussant le petit Piston égalera la force de cent hommes, qui pousseront celuy qui est cent fois plus large, et en surmontera quatre vingt dix neuf.

Et quelque proportion qu’ayent ces ouvertures, si les forces qu’on mettra sur les Pistons sont comme les ouvertures, elle seront en Equilibre. D’où il paroist qu’un Vaisseau plein d’eau est un nouveau principe de Mechanique, et une machine nouvelle pour multiplier les forces à tel degré qu’on voudra, puis qu’un homme par ce moyen pourra enlever tel fardeau qu’on luy proposera.

Et l’on doit admirer qu’il se rencontre en cette Machine nouvelle cet ordre constant qui se trouve en toutes les anciennes ; sçavoir : le levier, le tour, la vis sans fin, etc., qui est, que le chemin est augmenté en mesme proportion que la force[157]. Car il est visible que, comme une de ces ouvertures est centuple de l’autre, si l’homme qui pousse le petit Piston, l’enfonçoit d’un poulce, il ne repousseroit l’autre que de la centiéme partie seulement[158] ; car comme cette impulsion se fait à cause de la continuité de l’eau[159] ; qui communique de l’un des Pistons à l’autre, et qui fait que l’un ne peut se mouvoir sans pousser l’autre, il est visible que quand le petit Piston s’est meu d’un poulce, l’eau qu’il a poussée, poussant l’autre Piston, comme elle trouve son ouverture cent fois plus large, elle n’y occupe que la centiéme partie de la hauteur : de sorte que le chemin est au chemin, comme la force à la force. Ce que l’on peut prendre mesme pour la vraye cause de cet effet : estant clair que c’est la mesme chose de faire faire un poulce de chemin à cent livres d’eau, que de faire faire cent poulces de chemin à une livre d’eau ; et qu’ainsi, lors qu’une livre d’eau est tellement ajustée avec cent livres d’eau, que les cent livres ne puissent se remuer un poulce qu’elles ne fassent remuer la livre de cent poulces, il faut qu’elles demeurent en Equilibre, une livre ayant autant de force pour faire faire un poulce de chemin à cent livres, que cent livres pour faire faire cent poulces de chemin à une livre.

On peut encore ajoûter, pour plus grand éclaircissement, que l’eau est également pressée sous ces deux Pistons ; car si l’un a cent fois plus de poids que l’autre, aussi en revanche il touche cent fois plus de parties ; et ainsi chacune l’est également[160] ; donc toutes doivent estre en repos, parce qu’il n’y a pas plus de raison pourquoy l’une cede que l’autre : de sorte que si un Vaisseau plein d’eau n’a qu’une seule ouverture, large d’un poulce, par exemple, où l’on mette un Piston chargé d’un poids d’une livre, ce poids fait effort contre toutes les parties du Vaisseau generalement, à cause de la continuité et de la fluidité de l’eau[161] : mais pour determiner combien chaque partie souffre, en voicy la regle : Chaque partie large d’un poulce, comme l’ouverture, souffre autant que si elle estoit poussée par le poids d’une livre (sans compter le poids de l’eau dont je ne parle pas icy, car je ne parle que du poids du Piston), parce que le poids d’une livre presse le Piston qui est à l’ouverture, et chaque portion du Vaisseau plus ou moins grande, souffre precisément plus ou moins à proportion de sa grandeur, soit que cette portion soit vis à vis de l’ouverture ou à costé, loin ou prez ; car la continuité et la fluidité de l’eau rend toutes ces choses là égales et indifferentes : De sorte qu’il faut que la matiere dont le Vaisseau est fait, ait assez de resistance en toutes ses parties pour soûtenir tous ces efforts : si sa resistance est moindre en quelqu’une, elle creve ; Si elle est plus grande, il en fournit ce qui est necessaire, et le reste demeure inutile en cette occasion : tellement que si on fait une ouverture nouvelle à ce Vaisseau, il faudra, pour arrester l’eau qui en jalliroit, une force égale à la résistance que cette partie devoit avoir, c’est à dire une force qui soit à celle d’une livre, comme cette derniere ouverture est à la premiere.

Voicy encore une preuve qui ne pourra estre entenduë que par les seuls Geometres[162], et peut estre passée par les autres.

Je prends pour principe, que jamais un corps ne se meut par son poids, sans que son centre de gravité descende. D’où je prouve que les deux pistons figurez en la Figure VII. sont en Equilibre, en cette sorte ; car leur centre de gravité commun est au point qui divise la ligne, qui joint leurs centres de gravité particuliers, en la proportion[163] de leurs poids ; qu’ils se meuvent maintenant, s’il est possible : donc leurs chemins seront entre eux comme leurs poids réciproquement, comme nous avons fait voir : or, si on prend leur centre de gravité commun en cette seconde situation, on le trouvera precisément au mesme endroit que la premiere fois ; car il se trouvera toûjours au point qui divise la ligne, qui joint leurs centres de gravité particuliers, en la proportion de leurs poids ; donc, à cause du parallelisme des lignes de leurs chemins, il se trouvera en l’intersection des deux lignes qui joignent les centres de gravité dans les deux situations ; donc le centre de gravité commun sera au mesme point qu’auparavant : donc les deux Pistons, considerez comme un seul corps, se sont meus, sans que le centre de gravité commun soit descendu ; ce qui est contre le principe ; donc ils ne peuvent se mouvoir : donc ils seront en repos, c’est à dire en Equilibre ; ce qu’il falloit démontrer.

J’ay démontré par cette Methode, dans un petit Traitté de Mechanique, la raison de toutes les multiplications de forces qui se trouvent en tous les autres instrumens de Mechanique qu’on a jusques à present inventez. Car je fais voir en tous, que les poids inégaux qui se trouvent en Equilibre par l’avantage des Machines, sont tellement disposez par la construction des Machines, que leur centre de gravité commun ne sçauroit jamais descendre, quelque situation qu’ils prissent : D’où il s’ensuit qu’ils doivent demeurer en repos, c’est à dire en Equilibre.

Prenons donc pour tres veritable, qu’un Vaisseau plein d’eau, ayant des ouvertures, et des forces à ces ouvertures qui leur soient proportionnées, elles sont en Equilibre ; et c’est le fondement et la raison de l’Equilibre des Liqueurs, dont nous allons donner plusieurs exemples.

Cette Machine nouvelle de Mechanique fait entendre pourquoy les Liqueurs pesent suivant leur hauteur.

Cette Machine de Mechanique pour multiplier les forces, estant bien entenduë, fait voir la raison pour laquelle les Liqueurs pesent suivant leur hauteur, et non pas suivant leur largeur, dans tous les effets que nous en avons rapportez.

Car il est visible qu’en la Figure VI. l’eau d’un petit tuyau contrepese un Piston chargé de cent livres, parce que le Vaisseau du fond est luy mesme un Vaisseau plein d’eau, ayant deux ouvertures, à l’une desquelles est le Piston large, et à l’autre l’eau du tuyau, qui est proprement un Piston pesant de luy mesme, qui doit contrepeser l’autre, si leurs poids sont entr’eux comme leurs ouvertures.

Aussi en la Figure V. l’eau du tuyau menu est en Equilibre avec un poids de cent livres, parce que le Vaisseau du fond, qui est large, et peu haut, est un Vaisseau clos de toutes parts, plein d’eau, ayant deux ouvertures, l’une en bas, large, où est le Piston ; l’autre en haut, menuë, où est le petit tuyau, dont l’eau est proprement un Piston pesant de luy mesme, et contrepesant l’autre, à cause de la proportion des poids aux ouvertures ; car il n’importe pas si ces ouvertures sont vis à vis ou non, comme il a esté dit.

Où l’on voit que l’eau de ces tuyaux ne fait autre chose que ce que feroient des Pistons de cuivre également pesans ; puisqu’un Piston de cuivre pesant une once, seroit aussi bien en Equilibre avec le poids de cent livres, comme le petit filet d’eau pesant une once : de sorte que la cause de l’Equilibre d’un petit poids avec un plus grand, qui paroist en tous ces exemples, n’est pas en ce que ces corps qui pesent si peu, et qui en contrepesent de bien plus pesans, sont d’une matiere liquide ; car cela n’est pas commun à tous les exemples, puisque ceux où de petits Pistons de cuivre en contrepesent de si pesans, montrent la mesme chose ; mais en ce que la matiere qui s’étend dans le fond des Vaisseaux depuis une ouverture jusqu’à l’autre, est liquide ; car cela est commun à tous, et c’est la veritable cause de cette multiplication.

Aussi dans l’exemple de la figure V. si l’eau qui est dans le petit tuyau se glaçoit, et que celle qui est dans le Vaisseau large du fond demeurast liquide, il faudroit cent livres pour soutenir le poids de cette glace ; mais si l’eau qui est dans le fond se glace, soit que l’autre se gele ou demeure liquide, il ne faut qu’une once pour la contrepeser.

D’où il paroist bien clairement que c’est la liquidité du corps qui communique d’une des ouvertures à l’autre, qui cause cette multiplication de forces, par ce que le fondement en est, comme nous avons déjà dit, qu’un Vaisseau plein d’eau est une Machine de Mechanique pour multiplier les forces.

Passons aux autres effets, dont cette machine nous découvre la raison.


Chapitre III.Exemples et raisons de l’Equilibre des Liqueurs.


Figure VIII. — Si un Vaisseau plein d’eau a deux ouvertures, à chacune desquelles soit soudé un tuvau ; si on verse de l’eau dans l’un et dans l’autre à pareille hauteur, les deux seront en Equilibre.

Car leurs hauteurs estant pareilles, elles seront en la proportion de leurs grosseurs, c’est à dire de leurs ouvertures ; donc [les][164] deux eaux de ces tuyaux sont proprement deux Pistons pesans à proportion des ouvertures ; donc ils seront en Equilibre, par les demonstrations precedentes.

De là vient que si on verse de l’eau dans l’un de ces tuyaux seulement, elle fera remonter l’eau dans l’autre, jusques à ce qu’elle soit arrivée à la mesme hauteur, et lors elles demeureront en Equilibre ; car alors ce seront deux Pistons pesans en la proportion de leurs ouvertures.


Pourquoy l’eau monte aussi haut que sa source.

C’est la raison pour laquelle l’eau monte aussi haut que sa source.

[165] Que si l’on met des Liqueurs differentes dans les tuyaux, comme de l’eau dans un et du vif argent dans l’autre, ces deux Liqueurs seront en Equilibre, quand leurs hauteurs seront proportionnées[166] à leurs pesanteurs ; c’est à dire quand la hauteur de l’eau sera quatorze fois plus grande que la hauteur du vif argent, parce que le vif argent pese de luy mesme quatorze fois plus que l’eau ; car ce sera deux Pistons, l’un d’eau, l’autre de vif argent, dont les poids seront proportionnéz aux ouvertures.

Et mesme quand le tuyau plein d’eau seroit cent fois plus menu que celuy où seroit le vif argent, ce petit filet d’eau tiendroit en Equilibre toute cette large masse de vif argent, pourveu qu’il eût quatorze fois plus de hauteur.

Tout ce que nous avons dit jusques à cette heure des tuyaux se doit entendre de quelque Vaisseau que ce soit, regulier ou non ; car le mesme Equilibre s’y rencontre : de sorte que si, au lieu de ces deux tuyaux que nous avons figurez à ces deux ouvertures, on y mettoit deux Vaisseaux qui aboutissent aussi à ces deux ouvertures, mais qui fussent larges en quelques endroits, estroits en d’autres, et enfin tous irreguliers dans toute leur estenduë, en y versant des liqueurs à la hauteur que nous avons dit, ces liqueurs seroient aussi bien en Equilibre dans ces tuyaux irreguliers, que dans les uniformes, parce que les Liqueurs ne pesent que suivant leur hauteur, et non pas suivant leur largeur[167].

Et la demonstration en seroit facile, en inscrivant en l’un et en l’autre plusieurs petits tuyaux reguliers ; car on feroit voir, par ce que nous avons démontré, que deux de ces tuyaux inscripts, qui se correspondent dans les deux Vaisseaux, sont en Equilibre : donc tous ceux d’un Vaisseau seroient en Equilibre avec tous ceux de l’autre. Ceux qui sont accoutumez aux inscriptions et aux circonscriptions de la Geometrie, n’auront nulle peine à entendre cela ; et il seroit bien difficile de le démontrer aux autres, au moins Geometriquement.

Figure IX. — Si l’on met dans une riviere un tuyau recourbé par le bout d’en bas, plein de vif argent, en sorte toutefois que le bout d’en haut soit hors de l’eau, le vif argent tombera en partie, jusques à ce qu’il soit baissé à une certaine hauteur, et puis il ne baissera plus, mais demeurera suspendu en cet estat ; en sorte que sa hauteur soit la quatorziéme partie de la hauteur de l’eau au dessus du bout recourbé ; de sorte que si depuis le haut de l’eau jusques au bout recourbé, il y a quatorze pieds, le vif argent tombera jusques à ce qu’il soit arrivé à un pied seulement plus haut que le bout recourbé, à laquelle hauteur il demeurera suspendu ; car le poids du vif-argent qui pese au dedans, sera en Equilibre avec le poids de l’eau qui pese au dehors du tuyau, à cause que ces Liqueurs ont leurs hauteurs[168] proportionnées à leurs poids, et que leurs largeurs sont indifferentes dans l’Equilibre ; et il est aussi indifferent par la mesme raison, que le bout recourbé soit large ou non, et qu’ainsi peu ou beaucoup d’eau y pese.

Aussi, si on enfonce le tuyau plus avant, le vif argent remonte, car le poids de l’eau est plus grand ; et si on le hausse au contraire, le vif argent baisse, car son poids surpasse l’autre ; et si on panche le tuyau, le vif argent remonte jusques à ce qu’il soit revenu à la hauteur necessaire, qui avoit esté diminuée en le panchant ; car un tuyau panché n’a pas tant de hauteur que debout.

Figure X. — La même chose arrive en un tuyau simple, c’est à dire qui n’est point recourbé ; car ce tuyau ouvert par en haut et par en bas, estant plein de vif argent, et enfoncé dans une riviere, pourveu que le bout d’en haut sorte hors de l’eau, si le bout d’en bas est à quatorze pieds avant dans l’eau, le vif argent tombera, jusques à ce qu’il n’en reste plus que la hauteur d’un pied ; et là il demeurera suspendu par le poids de l’eau[169] : ce qui est aisé à entendre ; car l’eau touchant le vif argent par dessous, et non pas par dessus, fait effort pour le pousser en haut, comme pour chasser un Piston, et avec d’autant plus de force qu’elle a plus de hauteur ; tellement que le poids de ce vif argent ayant autant de force pour tomber, que le poids de l’eau en a pour le pousser en haut, tout demeure en contrepoids.

Aussi, si le vif argent n’y estoit pas[170] il est visible que l’eau entreroit dans ce tuyau, et y monteroit à quatorze pieds de hauteur, qui est celle de son niveau ; donc ce pied de vif argent pesant autant que ces quatorze pieds d’eau, dont il tient la place, il est naturel qu’il tienne l’eau dans le mesme Equilibre où ces quatorze pieds d’eau la tiendroient.

Mais si on mettoit le tuyau si avant dans l’eau, que le bout d’en haut y entrât, alors l’eau entreroit dans le tuyau, et le vif argent tomberoit ; car l’eau pesant aussi bien au dedans qu’au dehors du tuyau, le vif argent seroit sans un contrepoids nécessaire pour estre soûtenu.


Chapitre IV.De l’equilibre d’une Liqueur avec un corps solide.


Nous allons maintenant donner des exemples de l’Equilibre de l’eau avec des corps massifs, comme avec un Cilindre de cuivre massif ; car on le fera nager dans l’eau en cette sorte.

Figure XI. — Il faut avoir un tuyau fort long, comme de vingt pieds, qui s’élargisse par le bout d’en bas, comme ce qu’on appelle un entonnoir : si ce bout d’en bas est rond, et qu’on y mette un Cilindre de cuivre fait au tour avec tant de justesse, qu’il puisse entrer et sortir dans l’ouverture de cet entonnoir, et y couler sans que l’eau puisse du tout couler entre deux, et qu’il serve ainsi de Piston, ce qui est aisé à faire, on verra qu’en mettant le Cilindre et cet entonnoir ensemble dans une riviere, en sorte toutefois que le bout du tuyau soit hors de l’eau, si l’on tient le tuyau avec la main, et qu’on abandonne le Cilindre de cuivre à ce qui devra arriver, ce Cilindre massif ne tombera point, mais demeurera suspendu, parce que l’eau le touche par dessous et non par dessus (car elle ne peut entrer dans le tuyau) ; et ainsi l’eau le pousse en haut de la mesme sorte qu’elle poussoit le vif argent dans l’exemple precedent, et avec autant de force que le poids de cuivre en a pour tomber en bas ; et ainsi ces efforts contraires se contrebalancent. Il est vray qu’il faut pour cet effet qu’il soit assez avant dans l’eau, pour faire qu’elle ait la hauteur necessaire pour contrepeser le cuivre ; de sorte que si ce Cilindre a un pied de haut, il faut que depuis le haut de l’eau jusques au bas du Cilindre, il y ait neuf pieds, à cause que le cuivre pese de luy mesme neuf fois autant que l’eau ; aussi si l’eau n’a pas assez de hauteur, comme si on retire le tuyau plus vers le haut de l’eau, son poids l’emporte, et il tombe ; mais si on l’enfonce encore plus avant qu’il ne faut, comme à vingt pieds, tant s’en faut qu’il puisse tomber par son poids, qu’au contraire il faudroit employer une grande force pour le separer et l’arracher d’avec l’entonnoir, car le poids de l’eau le pousse en haut avec la force de vingt pieds de haut. Mais si on perce le tuyau et que l’eau y entre, et pese aussi bien sur le Cilindre comme par dessous, lors le Cilindre tombera par son poids, comme le vif argent dans l’autre exemple, parce qu’il n’a plus le contrepois qu’il faut pour le soutenir.

Figure XII. — Si ce tuyau, tel que nous le venons de figurer, est recourbé et qu’on y mette un Cilindre de bois, et le tout dans l’eau, en sorte neanmoins que le bout d’en haut sorte de l’eau, le bois ne remontera pas, quoyque l’eau l’environne ; mais, au contraire, il s’enfoncera dans le tuyau, à cause qu’elle le touche par dessus, et non pas par dessous ; car elle ne peut entrer dans le tuyau, et ainsi elle le pousse en bas par tout son poids, et point du tout en haut ; car elle ne le touche pas par dessous.

Figure XIII. — Que se Cilindre estoit à fleur d’eau, c’est à dire qu’il fût enfoncé seulement en sorte que l’eau ne fût pas au dessus de luy, mais aussi qu’il n’eût rien hors de l’eau ; lors il ne seroit poussé ny en haut, ny en bas, par le poids de l’eau ; car elle ne le touche ny par dessus, ny par dessous, puis qu’elle ne peut entrer dans le tuyau ; et elle le touche seulement par tous ses costez : ainsi il ne remonteroit pas, car rien ne l’éleve, et il tomberoit au contraire, mais par son propre poids seulement.

Que si le bout d’en bas du tuyau estoit tourné de costé, comme une crosse, et qu’on y mît un Cilindre, et le tout dans l’eau, en sorte toûjours que le bout d’en haut sorte hors de l’eau, le poids de l’eau le poussera de costé au dedans du tuyau, parce qu’elle ne le touche pas du costé qui luy est opposé, et elle agira de cette sorte avec d’autant plus de force, qu’elle aura plus de hauteur.


Chapitre V.Des corps qui sont tout enfoncez dans l’eau.


Figure XV. — Nous voyons par là que l’eau pousse en haut les corps qu’elle touche par dessus ; qu’elle pousse en bas ceux qu’elle touche par dessous ; et qu’elle pousse de costé ceux qu’elle touche par le costé opposé : d’où il est aisé de conclure que, quand un corps est tout dans l’eau, comme l’eau le touche par dessus, par dessous et par tous les costez, elle fait effort pour le pousser en haut, en bas et vers tous les costez : mais comme sa hauteur est la mesure de la force qu’elle a dans toutes ces impressions, on verra bien aisément lequel de tous ces efforts doit prevaloir.

Car il paroist d’abord que comme elle a une pareille hauteur sur toutes les faces des costez, elle les poussera également ; et partant ce corps ne recevra aucune impression vers aucun costé, non plus qu’une giroüette entre deux vents égaux[171]. Mais comme l’eau a plus de hauteur sur la face d’en bas que sur celle d’en haut, il est visible qu’elle le poussera plus en haut qu’en bas, et comme la difference de ces hauteurs de l’eau est la hauteur du corps mesme, il est aisé d’entendre que l’eau le pousse plus en haut qu’en bas, avec une force égale au poids d’un volume d’eau pareil à ce corps.

Un corps dans l’eau est contrepesé par un volume d’eau pareil, de là vient que quelques corps y tombent.

De sorte qu’un corps qui est dans l’eau y est porté de la mesme sorte, que s’il estoit dans un bassin de balance, dont l’autre fût chargé d’un volume égal au sien.

De là vient que quelques corps y tombent.

D’où il paroist que s’il est de cuivre ou d’une autre matiere qui pese plus que l’eau en pareil volume, il tombe ; car son poids l’emporte sur celuy qui le contrebalance.

D’autres y montent.

S’il est de bois, ou d’une autre matière plus legere que l’eau en pareil volume, il monte avec toute la force dont le poids de l’eau le surpasse.

D’autres ny ne montent ny ne descendent.

Et s’il pese également, il ne descend ny ne monte, comme la cire qui se tient à peu prés dans l’eau au lieu où on l’a [mis[172]].

De là vient que le seau d’un puis n’est pas difficile à hausser tant qu’il est dans l’eau, et qu’on ne sent son poids que quand il commence à en sortir, de mesme qu’un seau plein de cire ne seroit non plus difficile à hausser estant dans l’eau ; ce n’est pas que l’eau aussi bien que la cire ne pesent autant dans l’eau que dehors ; mais c’est qu’estant dans l’eau, ils ont un contrepoids qu’ils n’ont plus quand ils en sont tirés ; de mesme qu’un bassin de balance chargé de cent livres n’est pas difficile à hausser, si l’autre l’est également.

Du cuivre pese plus en l’air que dans l’eau.

De là vient que quand du cuivre est dans l’eau, on le sent moins pesant precisément du poids d’un volume d’eau égal au sien ; de sorte que s’il pese neuf livres en l’air, il ne pese plus que huit livres dans l’eau ; parce que l’eau, en pareil volume qui le contrebalance, pese une livre ; et dans l’eau de la mer il pese moins, parce que l’eau de la mer pese plus, à peu pres d’une quarante-cinquiesme partie.

Deux corps estant en Equilibre en l’air, ne le sont point dans l’eau.

Par la mesme raison, deux corps, l’un de cuivre, l’autre de plomb, étant également pesants, et par consequent de different volume, puisqu’il faut plus de cuivre pour faire la mesme pesanteur, on les trouvera en Equilibre, en les mettant chacun dans un bassin de balance : mais si on met cette balance dans l’eau, il ne sont plus en Equilibre ; car chacun estant contrepesé par un volume d’eau égal au sien, le volume de cuivre estant plus grand que celuy de plomb, il a un plus grand contrepoids ; et partant le poids du plomb est le maistre.

Ny mesmes dans l’air humide.

Ainsi deux poids de differente matiere estant ajustez dans un parfait Equilibre, de la derniere justesse où les hommes peuvent arriver, s’ils sont en Equilibre quand l’air est fort sec, ils ne le sont plus quand l’air est humide.

L’eau pousse tous les corps qui y sont en haut par son poids, et non pas en bas.

C’est par le mesme principe que, quand un homme est dans l’eau, tant s’en faut que le poids de l’eau le pousse en bas, qu’au contraire elle le pousse en haut ; mais il pese plus qu’elle ; et c’est pourquoy il ne laisse pas de tomber, mais avec bien moins de violence qu’en l’air, parce qu’il est contrepesé par un volume d’eau pareil au sien, qui pese presque autant que luy ; et s’il pesoit autant, il nageroit. Aussi en donnant un coup à terre, ou faisant le moindre effort contre l’eau, il s’éleve et nage : et dans les bains d’eau bourbeuse, un homme ne sçauroit enfoncer, et si on l’enfonce, il remonte de luy mesme.

Par la mesme cause, quand on se baigne dans une cuve, on n’a point de peine à hausser le bras, tant qu’il est dans l’eau ; mais quand on le sort de l’eau, on sent qu’il pese beaucoup, à cause qu’il n’a plus le contrepoids d’un volume d’eau pareil au sien, qu’il avoit estant dans l’eau.

Comment les corps nagent.

Enfin, les corps qui nagent sur l’eau, pesent precisément autant que l’eau dont ils occupent la place ; car l’eau les touchant par dessous, et non par dessus, les pousse seulement en haut.

Et c’est pourquoy une platine de plomb estant mise en figure convexe, elle nage, parqu’elle occupe une grande place dans l’eau par cette figure ; au lieu que si elle estoit massive, elle n’occuperoit jamais dans l’eau que la place d’un volume d’eau égal au volume de sa matiere, qui ne suffiroit pas pour la contrepeser.


Chapitre VI.Des corps compressibles qui sont dans l’eau.


On voit, par tout ce que j’ay montré, de quelle sorte l’eau agit contre tous les corps qui y sont, en les pressant par tous les costez : d’où il est aisé à juger que, si un corps compressible y est enfoncé, elle doit le comprimer en dedans vers le centre ; et c’est aussi ce qu’elle fait, comme on va voir dans les exemples suivans.

Figure XIV. — Si un soufflet qui a le tuyau fort long, comme de vingt pieds, est dans l’eau, en sorte que le bout du fer sorte hors de l’eau, il sera difficile à ouvrir, si on a bouché les petits trous qui sont à l’une des aîles ; au lieu qu’on l’ouvriroit sans peine, s’il estoit en l’air, à cause que l’eau le comprime de tous costez par son poids : mais si on y employe toute la force qui y est necessaire, et qu’on l’ouvre ; si peu qu’on relâche de cette force, il se referme avec violence (au lieu qu’il se tiendroit tout ouvert, s’il estoit dans l’air), à cause du poids de la masse de l’eau qui le presse. Aussi plus il est avant dans l’eau, plus il est difficile à ouvrir, parce qu’il y a une plus grande hauteur d’eau à supporter.

Figure XVI. — C’est ainsi que si on met un tuyau dans l’ouverture d’un balon et qu’on lie le balon autour du bout du tuyau long de vingt pieds, en versant du vif argent dans le tuyau jusques à ce que le balon en soit plein, le tout estant mis dans une cuve pleine d’eau, en sorte que le bout du tuyau sorte hors de l’eau, on verra le vif argent monter du balon dans le tuyau, jusques à une certaine hauteur, à cause que le poids de l’eau pressant le balon de tous costez, le vif argent qu’il contient estant pressé également en tous ses points, hormis en ceux qui sont à l’entrée du tuyau (car l’eau n’y a point d’acces, le tuyau qui sort de l’eau l’empeschant), il est poussé des lieux où il est pressé vers celuy où il ne l’est pas ; et ainsi il monte dans le tuyau jusques à une hauteur à laquelle il pese autant que l’eau qui est au dehors du tuyau.

En quoy il arrive la mesme chose que si on pressoit le balon entre les mains ; car on feroit sans difficulté remonter sa liqueur dans le tuyau, et il est visible que l’eau qui l’environne le presse de la mesme sorte.

Figure XVII. — C’est par la mesme raison que, si un homme met le bout d’un tuyau de verre, long de vingt pieds, sur sa cuisse, et qu’il se mette en cet estat dans cuve pleine d’eau[173], en sorte que le bout d’en haut du tuyau soit hors de l’eau, sa chair s’enflera à la partie qui est à l’ouverture du tuyau, et il s’y formera une grosse tumeur avec douleur, comme si sa chair y estoit succée et attirée par une vantouze, parce que le poids de l’eau comprimant son corps de tous costez, hormis en la partie qui est la bouche du tuyau qu’elle ne peut toucher, à cause que le tuyau où elle ne peut entrer empesche qu’elle n’y arrive ; la chair est poussée des lieux où il y a de la compression, au lieu où il n’y en a point ; et plus il y a de hauteur d’eau, plus cet enfleure est grosse ; et quand on oste l’eau, l’enfleure cesse ; et de mesme si on fait entrer l’eau dans le tuyau ; car le poids de l’eau affectant aussi bien cette partie que les autres, il n’y a pas plus d’enfleure en celle là qu’aux autres.

Cet effet est tout conforme au precedent ; car le vif argent en l’un, et la chair de cet homme en l’autre, estant pressés en toutes leurs parties excepté en celles qui sont à la bouche des tuyaux, ils sont poussez dans le tuyau autant que la force du poids de l’eau le peut faire.

Si l’on met au fond d’une cuve pleine d’eau un balon où l’air ne soit pas fort pressé, on verra qu’il sera comprimé sensiblement ; et à mesure qu’on ostera l’eau, il s’élargira peu à peu, parce que le poids de la masse de l’eau qui est au dessus de luy le comprime de tous costez vers le centre, jusqu’à ce que le ressort de cet air comprimé soit aussi fort que le poids de l’eau qui le presse.

Si l’on met au fond de la mesme cuve pleine d’eau un balon plein d’air pressé extremement, on n’y remarquera aucune compression : ce n’est pas que l’eau ne le presse ; car le contraire paroist dans l’autre balon, et dans celuy où estoit le vif argent, dans le soufflet et dans tous les autres exemples, mais c’est qu’elle n’a pas la force de le comprimer sensiblement, parce qu’il l’estoit déja beaucoup : de la mesme sorte que, quand un ressort est bien roide, comme celui d’une arbalestre, il ne peut estre plié sensiblement par une force mediocre, qui en comprimeroit un plus faible bien visiblement.

Et qu’on ne s’étonne pas de ce que le poids de l’eau ne comprime pas ce balon visiblement, et que neanmoins on le comprime d’une façon fort considerable, en appuyant seulement le doigt dessus, quoy qu’on le presse alors avec moins de force que l’eau. La raison de cette difference est que, quand le balon est dans l’eau, elle le presse de tous costez, au lieu que quand on le presse avec le doigt, il n’est pressé qu’en une partie seulement : or, quand on le presse avec le doigt en une partie seulement, on l’enfonce beaucoup et sans peine, d’autant que les parties voisines ne sont pas pressées, et qu’ainsi elles reçoivent facilement ce qui est osté de celle qui l’est ; de sorte que, comme la matiere qu’on chasse du seul endroit pressé, se distribuë à tout le reste, chacune en a peu à recevoir ; et ainsi il y a un enfoncement en cette partie, qui devient fort visible par la comparaison de toutes les parties qui l’environnent, et qui en sont exemptes.

Mais si on venoit à presser aussi bien toutes les autres parties comme celle là, chacune rendant ce qu’elle avoit receu de la premiere, elle reviendroit à son premier estat, parce qu’elles seroient pressées elles mesmes aussi bien qu’elle ; et comme il n’y auroit plus qu’une compression generale de toutes les parties vers le centre, on ne verroit plus de compression en aucun endroit particulier ; et l’on ne pourroit juger de cette compression generale, que par la comparaison de l’espace qu’il occupe à celuy qu’il occupoit ; et comme ils seroient très peu différents, il seroit impossible de le remarquer. D’où l’on voit combien il y a de difference entre presser une partie seulement, ou presser generalement toutes les parties.

Il en est de mesme d’un corps dont on presse toutes les parties, hors une seulement ; car il s’y fait une enfleure par le regorgement des autres, comme il a paru en l’exemple d’un homme dans l’eau, avec un tuyau sur sa cuisse. Aussi, si l’on presse le mesme balon entre les mains, quoy qu’on tâche de toucher chacune de ses parties, il y en aura toûjours quelqu’une qui s’échappera entre les doigts, où il se formera une grosse tumeur ; mais s’il estoit possible de le presser partout également, on ne le comprimeroit jamais sensiblement, quelque effort qu’on y employast, pourveu que l’air du balon fût déjà bien pressé de luy mesme ; et c’est ce qui arrive quand il est dans l’eau ; car elle le touche de tous costez.


Chapitre VII.Des animaux qui sont dans l’eau.


[174] Pourquoy le poids de l’eau ne les comprime pas visiblement. — Tout cela nous découvre pourquoy l’eau ne comprime point les animaux qui y sont, quoy qu’elle presse generalement tous les corps qu’elle environne, comme nous l’avons fait voir par tant d’exemples : Car ce n’est pas qu’elle ne les presse, mais c’est que, comme nous l’avons déjà dit, comme elle les touche de tous costez, elle ne peut causer ny d’enfleure, ny d’enfoncement en aucune partie en particulier, mais seulement une condensation generale de toutes les parties vers le centre, qui ne sçauroit estre visible, si elle n’est grande, et qui ne peut estre qu’extrémement legere, à cause que la chair est bien compacte.

Car si elle ne le touchoit qu’en une partie seulement, ou si elle le touchoit en toutes, excepté en une, pourveu que ce fut en une hauteur considerable, l’effet en seroit remarquable, comme nous l’avons fait voir ; mais le pressant en toutes, rien ne paroist.

[175] Pourquoy on ne sent point le poids de l’eau. — Il est aisé de passer de là à la raison pour laquelle les animaux qui sont dans l’eau n’en sentent pas le poids.

Car la douleur que nous sentons, quand quelque chose nous presse, est grande, si la compression est grande ; parce que la partie pressée est épuisée de sang, et que les chairs, les nerfs, et les autres parties qui la composent, sont poussées hors de leur place naturelle, et cette violence ne peut arriver sans douleur. Mais si la compression est petite, comme quand on effleure si doucement la peau avec le doigt, qu’on ne prive pas la partie qu’on touche de sang, qu’on n’en détourne ny la chair, ny les nerfs, et qu’on n’y apporte aucun changement ; il n’y doit aussi avoir aucune douleur sensible ; et si on nous touche en cette sorte en toutes les parties du corps, nous ne devons sentir aucune douleur d’une compression si legere.

Et c’est ce qui arrive aux animaux qui sont dans l’eau ; car le poids les comprime à la verité, mais si peu que cela n’est aucunement perceptible, par la raison que nous avons fait voir : si bien qu’aucune partie n’estant pressée, ny épuisée de sang, aucun nerf, ny veine, ny chair, n’estant détournez (car tout estant également pressé, il n’y a pas plus de raison pourquoy ils fussent poussez vers une partie que vers l’autre), et tout enfin demeurant sans changement, tout doit demeurer sans douleur et sans sentiment.

Et qu’on ne s’étonne pas de ce que ces animaux ne sentent point le poids de l’eau ; et que neanmoins ils sentiroient bien si on appuyoit seulement le doigt dessus, quoy qu’on les pressât alors avec moins de force que l’eau ; car la raison de cette difference est que, quand ils sont dans l’eau, ils sont pressez de tous les costez generalement ; au lieu que quand on les presse avec le doigt, ils ne le sont qu’en une seule partie. Or, nous avons montré que cette difference est la cause pour laquelle on les comprime bien visiblement par le bout du doigt qui les touche ; et qu’ils ne le sont pas visiblement par le poids de l’eau, quand mesme il seroit augmenté du centuple : et comme le sentiment est toujours proportionné à la compression, cette mesme difference est la cause pour laquelle ils sentent bien le doigt qui les presse, et non pas le poids de l’eau.

Et ainsi la vraye cause qui fait que les animaux dans l’eau n’en sentent pas le poids, est qu’ils sont pressez également de toutes parts.

Aussi si l’on met un ver dans de la paste, quoiqu’on la pressât entre les mains, on ne pourroit jamais l’écraser, ny seulement le blesser, ny le comprimer ; parce qu’on le presseroit en toutes ses parties : l’experience qui suit le va prouver. Il faut avoir un tuyau de verre, bouché par en bas, à demy plein d’eau, où on jette trois choses ; sçavoir : un petit balon à demy plein d’air, un autre tout plein d’air, et une mouche (car elle vit dans l’eau tiede aussi bien que dans l’air) ; et mettre un Piston dans ce tuyau qui aille jusqu’à l’eau. Il arrivera que, si on presse ce Piston avec telle force qu’on voudra, comme en mettant des poids dessus en grande quantité, cette eau pressée pressera tout ce qu’elle enferme : aussi le balon mol sera bien visiblement comprimé ; mais le balon dur ne sera non plus comprimé que s’il n’y avoit rien qui le pressât, ny la mouche non plus, et elle ne sentira aucune douleur sous ce grand poids ; car on la verra se promener avec liberté et vivacité le long du verre, et même s’envoler dés qu’elle sera hors de cette prison[176].

Il ne faut pas avoir beaucoup de lumiere pour tirer de cette experience tout ce que nous avions déja demontré.

On voit que ce poids presse tous ces corps autant qu’il peut.

On voit qu’il comprime le balon mol ; par consequent il presse aussi celuy qui est à costé ; car la mesme raison est pour l’un que pour l’autre. Mais on voit qu’il n’y paroist aucune compression.

D’où vient donc cette difference ? et d’où pourroit elle arriver ? sinon de la seule chose en quoy ils different : qui est que l’un est plein d’un air pressé, qu’on y a poussé par force, au lieu que l’autre est seulement à demy plein, et qu’ainsi l’air mol qui est dans l’un est capable d’une grande compression, dont l’autre est incapable, parce qu’il est bien compact, et que l’eau qui le presse, l’environnant de tous costez, n’y peut faire d’impression sensible, parce qu’il fait arcade de tous costez.

On voit aussi que cet animal n’est point comprimé ; et pourquoy ? sinon par la mesme raison pour laquelle le balon plein d’air ne l’est pas. Et enfin on voit qu’il ne sent aucune douleur, par la mesme cause.

Que si on mettoit au fond de ce tuyau de la paste au lieu d’eau, et le balon et cette mouche dans cette paste, en mettant le Piston dessus et le pressant, la mesme chose arriveroit.

Donc puisque cette condition d’estre pressé de tous costez, fait que la compression ne peut estre sensible ny douloureuse, ne faut il pas demeurer d’accord que cette seule raison rend le poids de l’eau insensible aux animaux qui y sont ?

Qu’on ne dise donc plus que c’est parce que l’eau ne pese pas sur elle-même, car elle pese partout également[177] ; ou qu’elle pese d’une autre maniere que les corps solides[178], car tous les poids sont de mesme nature ; et voici un poids solide qu’une mouche supporte sans le sentir.

Et si on veut encore quelque chose de plus touchant, qu’on oste le Piston, et qu’on verse de l’eau dans le tuyau, jusqu’à ce que l’eau qu’on aura mise au lieu du Piston, pese autant que le Piston mesme : il est sans doute que la mouche ne sentira non plus le poids de cette eau que celuy du Piston. D’où vient donc cette insensibilité sous un si grand poids dans ces deux exemples ? Est-ce que le poids est d’eau ? Non ; car quand le poids est solide, elle arrive de mesme. Disons donc que c’est seulement parce que cet animal est environné d’eau, car cela seul est commun aux deux exemples ; aussi c’en est la veritable raison.

Aussi s’il arrivoit que toute l’eau qui est au-dessus de cet animal vint à se glacer, pourveu qu’il en restât tant soit peu[179] au dessus de luy de liquide, et qu’ainsi il en fût tout environné, il ne sentiroit non plus le poids de cette glace, qu’il faisoit auparavant le poids de l’eau.

Et si toute l’eau de la riviere se glaçoit, à la reserve de celle qui seroit à un pied prés du fonds, les poissons qui y nageroient ne sentiroient non plus le poids de celle glace, que celui de l’eau où elle se resoudroit ensuite.

Et ainsi les animaux dans l’eau n’en sentent pas le poids ; non pas parce que ce n’est que de l’eau qui pese dessus, mais parce que c’est de l’eau qui les environne.

TRAITÉ DE LA PESANTEUR DE LA MASSE DE L’AIR[180]


Chapitre I.Que la masse de l’Air a de la pesanteur, et quelle presse par son poids tous les corps qu’elle enferme.


On ne conteste plus aujourd’huy que l’Air est pesant ; on sçait qu’un balon pese plus enflé que desenflé : cela suffit pour le conclure ; car s’il estoit leger, plus on en mettroit dans le balon, plus le tout auroit de legereté ; car le tout en auroit davantage qu’une partie seulement : or, puisqu’au contraire plus on y en met, plus le tout est pesant, il s’ensuit que chaque partie est elle mesme pesante, et partant que l’Air est pesant.

Ceux qui en desireront de plus longues preuves n’ont qu’à les chercher dans les Auteurs qui en ont traitté exprés[181].

Si on objecte que l’Air est leger quand il est pur, mais que celuy qui nous environne n’est pas l’air pur, parce qu’il est meslé de vapeurs et de corps grossiers, et que ce n’est qu’à cause de ces corps estrangers qu’il est pesant, je réponds, en un mot, que je ne connois point cet Air pur, et qu’il seroit peut estre difficile de le trouver ; mais je ne parle, dans tout ce discours, que de l’Air tel qu’il est dans l’estat où nous le respirons, sans penser s’il est composé ou non ; et c’est ce corps là, ou simple, ou composé, que j’appelle l’Air, et duquel je dis qu’il est pesant ; ce qui ne peut estre contredit ; et c’est tout ce qui m’est necessaire dans la suite.

Ce principe posé, je ne m’arresteray qu’à en tirer quelques consequences.

1. Puisque chaque partie de l’Air est pesante, il s’ensuit que la masse entiere de l’Air, c’est à dire la sphere entiere de l’Air, est pesante ; et comme la Sphere de l’Air n’est pas infinie en son estenduë, qu’elle a des bornes, aussi la pesanteur de la masse de tout l’Air n’est pas infinie.

2. Comme la masse de l’eau de la mer presse par son poids la partie de la terre qui luy sert de fond, et que si elle environnoit toute la terre, au lieu qu’elle n’en couvre qu’une partie, elle presseroit par son poids toute la surface de la terre : ainsi la masse de


Planche du Traité de la Pesanteur et de la Masse de l'Air

l’Air couvrant toute la surface de la terre, ce poids la presse en toutes les parties.

3. Comme le fonds d’un seau où il y a de l’eau est plus pressé par le poids de l’eau, quand il est tout plein que quand il ne l’est qu’à demy et qu’il l’est d’autant plus qu’il y a plus de hauteur d’eau : aussi les lieux élevez, comme les sommets des montagnes, ne sont pas si pressez par le poids de la masse de l’Air, que les lieux profonds, comme les vallons ; parce qu’il y a plus d’air au dessus des vallons, qu’au dessus des sommets des montagnes ; car tout l’Air qui est le long de la montagne pese sur le vallon, et non pas sur le sommet ; parce qu’il est au dessus de l’un et au dessous de l’autre.

4. Comme les corps qui sont dans l’eau sont pressez de toutes parts par le poids de l’eau qui est au-dessus, comme nous l’avons montré au Traitté de l’Equilibre des liqueurs ; ainsi les corps qui sont dans l’air sont pressés de tous costez par le poids de la masse de l’Air qui est au dessus.

5. Comme les animaux qui sont dans l’eau n’en sentent pas le poids ; ainsi nous ne sentons pas le poids de l’Air, par la mesme raison : et comme on ne pourroit pas conclure que l’eau n’a point de poids, de ce qu’on ne le sent pas quand on y est enfoncé ; ainsi on ne peut pas conclure que l’Air n’a pas de pesanteur, de ce que nous ne [la][182] sentons pas. Nous avons fait voir la raison de cet effet dans l’Equilibre des liqueurs.

6. Comme il arriveroit en un grand amas de laine, si on en avoit assemblé de la hauteur de vingt ou trente toises, que cette masse se comprimeroit elle mesme par son propre poids, et que celle qui seroit au fond seroit bien plus comprimée que celle qui seroit au milieu, ou prés du haut, parce qu’elle seroit pressée d’une plus grande quantité de laine[183], ainsi la masse de l’Air, qui est un corps compressible et pesant aussi bien que la laine, se comprime elle mesme par son propre poids ; et l’Air qui est au bas, c’est à dire dans les lieux profonds, est bien plus comprimé que celuy qui est plus haut, comme aux sommets des montagnes, parce qu’il est chargé d’une plus grande quantité d’Air.

7. Comme il arriveroit en cette masse de laine, que si on prenoit une poignée de celle qui est dans le fond, dans l’estat pressé où on la trouve, et qu’on la portât, en la tenant toujours pressée de la mesme sorte, au milieu de cette masse, elle s’élargiroit d’elle mesme, estant plus proche du haut, parce, qu’elle auroit une moindre quantité de laine à supporter en ce lieu là. Ainsi si l’on portoit de l’Air, tel qu’il est icy bas, et comprimé comme il y est, sur le sommet d’une montagne, par quelque artifice que ce soit, il devroit s’élargir luy mesme, et devenir au mesme estat que celuy qui l’environnoit sur cette montagne, parce qu’il seroit chargé de moins d’Air en cet endroit là qu’il n’estoit au bas ; et, par consequent, si on prenoit un balon à demy plein d’air seulement, et non pas tout enflé, comme ils le sont d’ordinaire, et qu’on le portât sur une montagne, il devroit arriver qu’il seroit plus enflé au haut de la montagne, et qu’il devroit s’élargir à proportion de ce qu’il seroit moins chargé ; et la difference en devroit estre visible, si la quantité d’Air qui est le long de la montagne, et de laquelle il est déchargé, a un poids assez considerable pour causer un effet et une difference sensible.

Il y a une liaison si necessaire de ces consequences avec leur principe, que l’un ne peut estre vray, sans que les autres le soient également : et comme il est asseuré que l’Air qui s’étend depuis la terre jusques au haut de sa Sphere a de la pesanteur, tout ce que nous en avons conclu est également veritable.

Mais quelque certitude qu’on trouve en ces conclusions, il me semble qu’il n’y a personne qui, mesme en les recevant, ne souhaitast de voir cette derniere consequence confirmée par l’experience, parce qu’elle enferme, et toutes les autres, et son principe mesme ; car il est certain que si on voyoit un balon tel que nous l’avons figuré, s’enfler à mesure qu’on l’éleve, il n’y auroit aucun lieu de douter que cette enflure ne vint de ce que l’Air du balon estoit plus pressé en bas qu’en haut, puis qu’il n’y a aucune autre chose qui pûst causer qu’il s’enflast, veu mesme qu’il fait plus froid sur les montagnes que dans les vallons ; et cette compression de l’Air du balon ne pourroit avoir d’autre cause que le poids de la masse de l’Air : car on l’a pris tel qu’il estoit au bas, et sans le comprimer, puisque mesme le balon estoit flasque et à demy plein seulement ; et partant cela prouveroit absolument que l’Air est pesant ; que la masse de l’Air est pesante ; qu’elle presse par son poids tous les corps qu’elle enferme ; qu’elle presse plus les lieux bas que les lieux hauts ; qu’elle se comprime elle mesme par son poids ; que l’air est plus comprimé en bas qu’en haut. Et comme dans la Phisique les experiences ont bien plus de force pour persuader que les raisonnements, je ne doute pas qu’on ne desirast de voir les uns confirmez par les autres.

Mais si l’on en faisoit l’experience, j’aurois cet avantage, qu’au cas qu’il n’arrivast aucune difference à l’enfleure du balon sur les plus hautes montagnes, cela ne détruiroit pas ce que j’ay conclu ; parce que je pourrois dire qu’elles n’ont pas encore assez de hauteur pour causer une difference sensible[184] : au lieu que s’il arrivoit un changement extrémement considerable, comme de la huit ou neufième partie, certainement elle seroit toute convaincante pour moy ; et il ne pourroit plus rester aucun doute de la verité de tout ce que j’ay estably.

Mais c’est trop differer ; il faut dire en un mot que l’épreuve en a esté faite, et qu’elle a réussi en cette sorte.


Experience faite en deux lieux, élevez l’un au-dessus de l’autre d’environ 500. toises.


Si[185] l’on prend un balon à demy plein d’Air, flasque et mol, et qu’on le porte au bout d’un fil sur une montagne haute de 500. toises, il arrivera qu’à mesure qu’on montera, il s’enflera de luy mesme, et quand il sera en haut, il sera tout plein et gonflé comme si on y avoit souflé de l’Air de nouveau ; et en redescendant, il s’applatira peu à peu par les mesmes degrez ; de sorte qu’estant arrivé au bas, il sera revenu à son premier estat.

Cette experience prouve tout ce que j’ay dit de la masse de l’Air, avec une force toute convaincante : aussi estoit il necessaire de le bien establir, parce que c’est le fondement de tout ce discours.

Il ne reste qu’à faire remarquer que la masse de l’Air est plus pesante en un temps qu’en un autre ; sçavoir, quand il est plus chargé de vapeurs, ou plus comprimé par le froid.

Remarquons donc, 1. Que la masse de l’Air est pesante ; 2. Qu’elle a un poids limité ; 3. Qu’elle est plus pesante en un temps qu’en un autre ; 4. Qu’elle est plus pesante en de certains lieux qu’en d’autres, comme dans les vallons ; 5. Qu’elle presse par son poids tous les corps qu’elle enferme, et d’autant plus qu’elle a plus de pesanteur.


Chapitre II.Que la pesanteur de la masse de l’Air produit tous les effets qu’on a jusques icy attribuez à l’horreur du vuide.


Ce chapitre est divisé en deux Sections : dans la premiere, est un recit des principaux effets qu’on a attribuez à l’horreur du vuide ; et dans la seconde, on montre qu’ils viennent de la pesanteur de l’Air.


Section première.Recit des effets qu’on attribuë à l’horreur du vuide.


Il y a plusieurs effets qu’on pretend que la nature produit par une horreur qu’elle a pour le vuide ; en voici les principaux.

I. Un soufflet, dont toutes les ouvertures sont bien bouchées, est difficile à ouvrir ; et si on essaye de le faire, on y sent de la resistance, comme si ses aîles estoient collées. Et le Piston d’une Seringue bouchée resiste quand on essaye de le tirer, comme s’il tenoit au fond.

On pretend que cette resistance vient de l’horreur que la nature a pour le vuide, qui arriveroit dans ce soufflet, s’il pouvoit estre élargy ; ce qui se confirme parce qu’elle cesse des qu’il est débouché, et que l’Air s’y peut insinuer pour le remplir, quand on l’ouvrira.

II. Deux corps polis, estant appliquez l’un contre l’autre, sont difficiles à separer et semblent adherer.

Ainsi un chapeau estant mis sur une table, est difficile à lever tout à coup.

Ainsi un morceau de cuir mis sur un pavé, et levé promptement, l’arrache et l’enleve.

On pretend que cette adherence vient de l’horreur que la nature a du vuide, qui arriveroit pendant le temps qu’il faudroit à l’Air pour arriver des extremitez jusques au milieu.

III. Quand une Seringue trempe dans l’eau, en tirant le Piston, l’eau suit et monte comme si elle lui adheroit.

Ainsi l’eau monte dans une Pompe aspirante, qui n’est proprement qu’une longue Seringue, et suit son piston, quand on l’éleve, comme si elle luy adheroit.

On prétend que cette élevation de l’eau vient de l’horreur que la nature a du vuide, qui arriveroit à la place que le Piston quitte, si l’eau n’y montoit pas, parce que l’Air n’y peut entrer ; ce qui se confirme, parce que si l’on fait des fentes par où l’Air puisse entrer, l’eau ne s’élève plus.

De mesme, si on met le bout d’un soufflet dans l’eau, en l’ouvrant promptement, l’eau y monte pour le remplir, parce que l’Air n’y peut succeder, et principalement si on bouche les trous qui sont à une des aîles.

Ainsi, quand on met la bouche dans l’eau, et qu’on succe, on attire l’eau par la mesme raison ; car le poulmon est comme un soufflet, dont la bouche est comme l’ouverture.

Ainsi, en respirant, on attire l’Air, comme un soufflet en s’ouvrant attire l’Air pour remplir sa capacité.

Ainsi, quand on met des étoupes allumées dans un plat plain d’eau, et un verre par dessus, à mesure que le feu des étoupes s’éteint, l’eau monte dans le verre, parce que l’Air qui est dans le verre, et qui estoit rarefié par le feu, venant à se condanser par le froid, attire l’eau et la fait monter avec soy, en se reserrant pour remplir la place qu’il quitte ; comme le Piston d’une Seringue attire l’eau avec soy quand on le tire.

Ainsi, les ventouzes[186] attirent la chair, et forment une empoulle ; parce que l’Air de la ventouze, qui estoit rarefié par le feu de la bougie, venant à se condanser par le froid quand le feu est éteint, il attire la chair avec soy pour remplir la place qu’il quitte, comme il attiroit l’eau dans l’exemple precedent.

IV. Si l’on met une bouteille pleine d’eau, et renversée le goulet en bas, dans un vaisseau plein d’eau, l’eau de la bouteille demeure suspenduë sans tomber.

On pretend que cette suspension vient de l’horreur que la nature a pour le vuide, qui arriveroit à la place que l’eau quitterait en tombant, parce que l’Air n’y pourrait succeder : et on le confirme, parce que si on fait une fente par où l’air puisse s’insinuer, toute l’eau tombe incontinent.

On peut faire la mesme epreuve avec un tuyau long, par exemple, de dix pieds, bouché par le bout d’en haut, et ouvert par le bout d’en bas ; Car s’il est plein d’eau, et que le bout d’en bas trempe dans un vaisseau plein d’eau, elle demeurera toute suspenduë dans le tuyau, au lieu qu’elle tomberoit incontinent si on avoit débouché le haut du tuyau.

On peut faire la mesme chose avec un tuyau pareil, bouché par en haut, et recourbé par le bout d’en bas, sans le mettre dans un vaisseau plein d’eau, comme on avoit mis l’autre : car s’il est plein d’eau, elle y demeurera aussi suspenduë ; au lieu que si on débouchoit le haut, elle jailliroit incontinent avec violence par le bout recourbé en forme de jet d’eau.

Enfin, on peut faire la mesme chose avec un simple tuyau, sans qu’il soit recourbé, pourveu qu’il soit fort étroit par en bas : car s’il est bouché par en haut, l’eau y demeurera suspenduë ; au lieu qu’elle en tomberoit avec violence, si on débouchoit le bout d’en haut.

C’est ainsi qu’un tonneau plein de vin n’en lâche pas une goûte, quoy que le robinet soit ouvert, si on ne débouche le haut pour donner vent.

V. Si l’on remplit d’eau un tuyau fait en forme de croissant renversé, ce qu’on appelle d’ordinaire un siphon, dont chaque jambe trempe dans un vaisseau plein d’eau, il arrivera que si peu qu’un des vaisseaux soit plus haut que l’autre, toute l’eau du vaisseau le plus élevé montera dans la jambe qui y trempe jusques au haut du siphon, et se rendra par l’autre dans le vaisseau le plus bas où elle trempe ; de sorte que si on substitue toûjours de l’eau dans le vaisseau le plus élevé, ce flux sera continuel.

On pretend que cette élevation d’eau vient de l’horreur que la nature a du vuide, qui arriveroit dans le siphon, si l’eau de ces deux branches tomboit de[187] [chacun] dans son vaisseau, comme elle y tombe en effet quand on fait une ouverture au haut du siphon par où l’Air s’y peut insinuer.

Il y a plusieurs autres effets pareils que j’obmets à cause qu’ils sont tous semblables à ceux dont j’ay parlé, et qu’en tous il ne paroist autre chose, sinon que tous les corps contigus resistent à l’effort qu’on fait pour les separer quand l’Air ne peut succeder entre eux : soit que cet effort vienne de leur propre poids, comme dans les exemples où l’eau monte, et demeure suspenduë malgré son poids ; soit qu’il vienne des forces qu’on employe pour les des-unir, comme dans les premiers exemples.

Voilà quels sont les effets qu’on attribuë vulgairement à l’horreur du vuide : nous allons faire voir qu’ils viennent de la pesanteur de l’Air.


Section seconde.Que la pesanteur de la masse de l’Air produit tous les effets qu’on a attribués a l’horreur du vuide.


Si l’on a bien compris, dans le Traitté de l’Equilibre des liqueurs, de quelle manière elles font impression par leur poids contre tous les corps qui y sont, on n’aura point de peine à comprendre comment le poids de la masse de l’Air, agissant sur tous les corps, y produit tous les effets qu’on avoit attribuez à l’horreur du vuide ; car ils sont tout à fait semblables, comme nous l’allons montrer sur chacun.


I
Que la pesanteur de la masse de l’Air cause la difficulté d’ouvrir un soufflet bouché.

Pour faire entendre comment la pesanteur de la masse de l’Air cause la difficulté qu’on sent à ouvrir un soufflet, lorsque l’air n’y peut entrer, je feray voir une pareille resistance causée par le poids de l’eau. Il ne fait pour cela que se remettre en memoire ce que j’ay dit dans l’Equilibre des liqueurs (Figure XIV), qu’un soufflet dont le tuyau est long de vingt pieds ou plus, estant mis dans une cuve pleine d’eau, en sorte que le bout du tuyau sorte hors de l’eau, il est difficile à ouvrir, et d’autant plus qu’il y a plus de hauteur d’eau ; ce qui vient manifestement de la pesanteur de l’eau qui est au dessus ; car quand il n’y a point d’eau, il est tres aisé à ouvrir ; et à mesure qu’on y en verse, cette resistance augmente, et est toujours égale au poids de l’eau qu’il porte, parce que, comme cette eau n’y peut entrer à cause que le tuyau est hors de l’eau, on ne sçauroit l’ouvrir sans soûlever et soûtenir toute la masse de l’eau ; car celle qu’on écarte en l’ouvrant, ne pouvant pas entrer dans le soufflet, est forcée de se placer ailleurs, et ainsi de faire hausser l’eau, ce qui ne se peut faire sans peine ; au lieu que s’il estoit crevé, et que l’eau y peust entrer, on l’ouvriroit et on le fermeroit sans resistance, à cause que l’eau y entreroit par ces ouvertures à mesure qu’on l’ouvriroit, et qu’ainsi en l’ouvrant on ne feroit point soulever l’eau.

Je ne crois pas que personne soit tenté de dire que cette résistance vienne de l’horreur du vuide, et il est absolument certain qu’elle vient du seul poids de l’eau.

Or ce que nous disons de l’eau se doit entendre de toute autre liqueur ; car si on le met dans une cuve pleine de vin, on sentira une pareille résistance à l’ouvrir, et de mesme dans du lait, dans de l’huile, dans du vif argent, et enfin dans quelque liqueur que ce soit. C’est donc une regle generale, et un effet necessaire du poids des liqueurs : que si un soufflet est mis dans quelque liqueur que ce soit, en sorte qu’elle n’ait aucun accés dans le corps du soufflet, le poids de la liqueur qui est au dessus fait qu’on ne peut l’ouvrir sans sentir de la resistance, parce qu’on ne sçauroit l’ouvrir sans la supporter ; et par consequent, en appliquant cette regle generale à l’Air en particulier, il sera veritable que, quand un soufflet est bouché, en sorte que l’Air n’y a point d’accés, le poids de la masse de l’air qui est au dessus fait qu’on ne peut l’ouvrir sans sentir de la resistance, parce qu’on ne sçauroit l’ouvrir sans faire hausser toute la masse de l’Air : mais dés qu’on y fait une ouverture, on l’ouvre et on le ferme sans resistance, parce que l’Air y peut entrer et sortir, et qu’ainsi en l’ouvrant on ne hausse plus la masse de l’Air ; ce qui est tout conforme à l’exemple du soufflet dans l’eau.

D’où l’on voit que la difficulté d’ouvrir un soufflet bouché, n’est qu’un cas particulier de la regle generale de la difficulté d’ouvrir un soufflet dans quelque liqueur que ce soit, où elle n’a point d’accés.

Ce que nous avons dit de cet effet, nous allons le dire de chacun des autres, mais plus succinctement.


II
Que la pesanteur de la masse de l’Air est la cause de la difficulté qu’on sent à separer deux corps polis, appliquez l’un contre l’autre.

Pour faire entendre comment la pesanteur de la masse de l’Air cause la resistance que l’on sent, quand on veut arracher deux corps polis qui sont appliquez l’un contre l’autre, je donneray un exemple d’une resistance toute pareille causée par le poids de l’eau, qui ne laissera aucun lieu de douter que l’Air ne cause cet effet.

Il faut encore ici se remettre en memoire ce qui a esté rapporté dans l’Equilibre des Liqueurs (Figure XI).

Que si l’on met un Cilindre de cuivre fait au tour, à l’ouverture d’un entonnoir fait aussi au tour, en sorte qu’ils soient si parfaitement ajustez, que ce Cilindre entre et coule facilement dans cet entonnoir, sans que neanmoins l’eau puisse couler entre deux ; et qu’on mette cette machine dans une cuve pleine d’eau, en sorte toutefois que la queüe de l’entonnoir sorte hors de l’eau, en la faisant longue de vingt pieds, s’il est necessaire ; si ce Cilindre est à quinze pieds avant dans l’eau, et que tenant l’entonnoir avec la main, on lasche le Cilindre, et qu’on l’abandonne à ce qui en doit arriver, on verra que non seulement il ne tombera pas, quoiqu’il n’y ait rien qui semble le soutenir ; mais encore qu’il sera difficile à arracher d’avec l’entonnoir, quoiqu’il n’y adhere en aucune sorte ; au lieu qu’il tomberoit par son poids avec violence, s’il n’estoit qu’à quatre pieds avant dans l’eau, et encore plus s’il estoit tout à fait hors de l’eau. J’en ay aussi fait voir la raison, qui est que l’eau le touchant par dessous, et non pas par dessus (car elle ne touche pas la face d’en haut, parce que l’entonnoir empesche qu’elle n’y puisse arriver), elle le pousse par le costé qu’elle touche vers celuy qu’elle ne touche pas, et ainsi elle le pousse en haut et le presse contre l’entonnoir.

La mesme chose doit s’entendre de toute autre liqueur ; et par consequent si deux corps sont polis et appliquez l’un contre l’autre, en tenant celuy d’en haut avec la main, et en abandonnant celuy qui est appliqué, il doit arriver que celuy d’en bas demeure suspendu, parce que l’Air le touche par dessous, et non pas par dessus ; car il n’a point d’accés entre deux : et partant il ne peut point arriver à la face par où ils se touchent ; d’où il s’ensuit par un effet necessaire du poids de toutes les liqueurs en general, que le poids de l’Air doit pousser ce corps en haut, et le presser contre l’autre ; en sorte que si on essaye de les separer, on y sente une extréme resistance : ce qui est tout conforme à l’effet du poids de l’eau.

D’où l’on voit que la difficulté de separer deux corps polis, n’est qu’un cas particulier de la regle generale de l’impulsion de toutes les liqueurs en general contre un corps qu’elles touchent par une de ses faces, et non pas par celle qui luy est opposée.


III
Que la pesanteur de la masse de l’Air est la cause de l’élevation de l’eau dans les Seringues et dans les Pompes.

Pour faire entendre comment la pesanteur de la masse de l’Air fait monter l’eau dans les Pompes, à mesure qu’on tire le Piston, je feray voir un effet entierement pareil du poids de l’eau, qui en fera parfaitement comprendre la raison en cette sorte.

Si l’on met à une Seringue un Piston bien long, par exemple, de dix pieds, et creux tout du long, ayant une souspape au bout d’en bas disposée d’une telle sorte qu’elle puisse donner passage du haut en bas, et non de bas en haut ; et qu’ainsi cette Seringue soit incapable d’attirer l’eau, ny aucune liqueur par-dessus le niveau de la liqueur, parce que l’Air peut y entrer en toute liberté par le creux du piston : en mettant l’ouverture de cette Seringue dans un vaisseau plein de vif argent, et le tout dans une cuve pleine d’eau, en sorte toutefois que le haut du Piston sorte hors de l’eau, il arrivera que si on tire le Piston, le vif argent montera et le suivra, comme s’il luy adheroit ; au lieu qu’il ne monteroit en aucune sorte, s’il n’y avoit point d’eau dans cette cuve, parce que l’Air a un accés tout libre par le manche du Piston creux, pour entrer dans le corps de la Seringue.

Ce n’est donc pas de peur du vuide ; car quand le vif argent ne monteroit pas à la place que le Piston quitte, il n’y auroit point de vuide, puisque l’Air y peut entrer en toute liberté ; mais c’est seulement parce que le poids de la masse de l’eau pesant sur le vif argent du vaisseau, et le pressant en toutes ses parties, hormis en celles qui sont à l’ouverture de la Seringue (car l’eau n’y peut arriver, à cause qu’elle en est empeschée par le corps de la Seringue et par le Piston) : ce vif argent pressé en toutes ses parties, hormis en une, est poussé par le poids de l’eau vers celle là, aussi tost que le Piston en se levant luy laisse une place libre pour y entrer, et contrepese dans la Seringue le poids de l’eau qui pese au dehors.

Mais si l’on fait des fentes à la Seringue par où l’eau puisse y entrer, le vif argent ne montera plus, parce que l’eau y entre, et touche aussi bien les parties du vif argent qui sont à la bouche de la Seringue, que les autres ; et ainsi tout estant également pressé, rien ne monte. Tout cela a esté clairement démontré dans l’Equilibre des liqueurs.

On voit en cet exemple comment le poids de l’eau fait monter le vif argent ; et on pourroit faire un effet pareil avec le poids du sable, en ostant toute l’eau de cette cuve ; si au lieu de cette eau on y verse du sable, il arrivera que le poids du sable fera monter le vif argent dans la Seringue, parce qu’il le presse de mesme que l’eau faisoit, en toutes ses parties, hormis celle qui est à la bouche de la Seringue ; et ainsi il le pousse et le force d’y monter.

Et si on met les mains sur le sable, et qu’on le presse, on fera monter le vif argent davantage au dedans de la Seringue, et toujours jusques à une hauteur à laquelle il puisse contrepeser l’effort du dehors.

L’explication de ces effets fait entendre bien facilement pourquoy le poids de l’air fait monter l’eau dans les Seringues ordinaires, à mesure qu’on hausse le Piston ; car l’Air touchant l’eau du vaisseau en toutes ses parties, excepté en celles qui sont à l’ouverture de la Seringue où il n’a point d’accés, parce que la Seringue et le Piston l’en empeschent, il est visible que ce poids de l’Air la pressant en toutes ses parties, hormis en celle là seulement, il l’y doit pousser et l’y faire monter, à mesure que le Piston en s’élevant luy laisse la place libre pour y entrer, et contrepeser au dedans de la Seringue le poids de l’Air qui pese au dehors, par la mesme raison et avec la mesme necessité que le vif argent montoit, pressé par le poids de l’eau et par le poids du sable, dans l’exemple que nous venons de donner.

Il est donc visible que l’élevation de l’eau dans les Seringues, n’est qu’un cas particulier de cette regle generale, qu’une liqueur estant pressée en toutes ses parties, excepté en quelqu’une seulement, par le poids de quelqu’autre liqueur ; ce poids la pousse vers l’endroit où elle n’est point pressée.


IV
Que la pesanteur de la masse de l’Air cause la suspension de l’eau dans les tuyaux bouchez par en haut.

Pour faire entendre comment la pesanteur de l’Air tient l’eau suspenduë dans les tuyaux bouchez par en haut, nous ferons voir un exemple entierement pareil d’une suspension semblable causée par le poids de l’eau, qui en découvrira parfaitement la raison.

Et, premierement, on peut dire d’abord que cet efiet est entierement compris dans le precedent ; car comme nous avons montré que le poids de l’Air fait monter l’eau dans les Seringues, et qu’il l’y tient suspenduë, ainsi le mesme poids de l’Air tient l’eau suspendue dans un tuyau. Afin que cet effet ne manque pas plus que les autres d’un autre tout pareil à qui on le compare : nous dirons qu’il ne faut pour cela que se remettre ce que nous avons dit dans l’Equilibre des liqueurs (Fig. IX), qu’un tuyau long de dix pieds ou plus, et recourbé par en bas, plein de mercure, estant mis dans une cuve pleine d’eau, en sorte que le bout d’en haut sorte de l’eau, le mercure demeure suspendu en partie au dedans du tuyau ; sçavoir, à la hauteur où il peut contrepeser l’eau qui pese au dehors ; et que mesme une pareille suspension arrive dans un tuyau qui n’est point recourbé, et qui est simplement ouvert en haut et en bas, en sorte que le bout d’en haut soit hors de l’eau.

Or, il est visible que cette suspension ne vient pas de l’horreur du vuide, mais seulement de ce que l’eau pesant hors le tuyau, et non pas dedans, et touchant le mercure d’un costé, et non pas de l’autre, elle le tient suspendu par son poids à une certaine hauteur : aussi si l’on perce le tuyau, en sorte que l’eau y puisse entrer, incontinent tout le mercure tombe, parce que l’eau le touche par tout, et agissant aussi bien dedans que dehors le tuyau, il n’a plus de contrepoids. Tout cela a esté dit dans l’Equilibre des liqueurs.

Ce qui estant un effet necessaire de l’Equilibre des Liqueurs, il n’est pas estrange que, quand un tuyau est plein d’eau, bouché par en haut, et recourbé par en bas, l’eau y demeure suspenduë ; car l’Air pesant sur la partie de l’eau qui est à la recourbeure, et non pas sur celle qui est dans le tuyau, puisque le bouchon l’en empesche, c’est une necessité absoluë qu’il tienne l’eau du tuyau suspenduë au dedans, pour contrepeser son poids qui est au dehors, de la mesme sorte que le poids de l’eau tenoit le mercure en Equilibre dans l’exemple que nous venons de donner.

Et de mesme quand le tuyau n’est pas recourbé ; car l’Air touchant l’eau par dessous, et non pas par dessus, puisque le bouchon l’empesche d’y toucher, c’est une necessité inévitable que le poids de l’Air soûtienne l’eau ; de la mesme sorte que l’eau soûtient le mercure dans l’exemple que nous venons de donner, et que l’eau pousse en haut et soutient un Cilindre de cuivre qu’elle touche par dessous, et non pas par dessus ; mais si on débouche le haut, l’eau tombe ; car l’Air touche l’eau dessous et dessus, et pese dedans et dehors le tuyau.

D’où l’on voit que[188] ce que le poids de l’air soutient suspenduës les liqueurs qu’il touche d’un costé et non pas de l’autre, est un cas de la regle generale, que les liqueurs contenuës dans quelque tuyau que ce soit, immergé dans une autre liqueur, qui les presse par un costé et non pas par l’autre, y sont tenuës suspenduës par l’Equilibre des Liqueurs.


V
Que la pesanteur de la masse de l’Air fait monter l’eau dans les Siphons.

Pour faire entendre comme la pesanteur de l’Air fait monter l’eau dans les Siphons, nous allons faire voir que la pesanteur de l’eau fait monter le vif-argent dans un Siphon tout ouvert par en haut, et où l’Air a un libre accés ; d’où l’on verra comment le poids de l’Air produit cet effet. C’est ce que nous ferons en cette sorte.

Si un Siphon a une de ses jambes environ haute d’un pied, l’autre d’un pied et un poulce, et qu’on fasse une ouverture au haut du Siphon, où l’on insere un tuyau long de vingt pieds, et bien soudé à cette ouverture ; et qu’ayant remply le Siphon de vif argent, on mette chacune de ses jambes dans un vaisseau aussi plein de vif argent, et le tout dans une cuve pleine d’eau, à quinze ou seize pieds avant dans l’eau, et qu’ainsi le bout du tuyau sorte hors de l’eau, il arrivera que si un des vaisseaux est tant soit peu plus haut que l’autre, par exemple d’un poulce, tout le vif argent du vaisseau le plus élevé montera dans le Siphon jusques en haut, et se rendra par l’autre jambe dans le vaisseau le plus bas, par un flux continuel ; et si on substituë toûjours du vif argent dans le vaisseau le plus haut, le flux sera perpetuel ; mais si on fait une ouverture au Siphon par où l’eau puisse entrer, incontinent le vif argent tombera de chaque jambe dans chaque vaisseau, et l’eau luy succedera.

Cette élevation de vif argent ne vient pas de l’horreur du vuide, car l’Air a un accés tout libre dans le Siphon : aussi, si on ostoit l’eau de la cuve, le vif argent de chaque jambe tomberoit chacun dans son vaisseau, et l’Air luy succederoit par le tuyau qui est tout ouvert.

Il est donc visible que le poids de l’eau cause cette élevation, parce qu’elle pese sur le vif argent qui est dans les vaisseaux, et non pas sur celuy qui est dans le Siphon ; et par cette raison elle le force par son poids de monter et de couler comme il fait ; mais dés qu’on a percé le Siphon, et qu’elle y peut entrer, elle n’y fait plus monter le vif argent, parce qu’elle pese aussi bien au dedans qu’au dehors du Siphon.

Or par la mesme raison et avec la mesme necessité que l’eau fait ainsi monter le mercure dans un Siphon quand elle pese sur les vaisseaux, et qu’elle n’a point d’accés au dedans du Siphon ; aussi le poids de l’Air fait monter l’eau dans les Siphons ordinaires, parce qu’il pese sur l’eau des vaisseaux où leurs jambes trempent, et qu’il n’a nul accés dans le corps du Siphon, parce qu’il est tout clos ; et dés qu’on y fait une ouverture, l’eau n’y monte plus : mais elle tombe, au contraire, dans chaque vaisseau, et l’Air luy succede, parce qu’alors l’Air pese aussi bien au dedans qu’au dehors du Siphon.

Il est visible que ce dernier effet n’est qu’un cas de la regle generale ; et que si on entend bien pourquoy le poids de l’eau fait monter le vif argent dans l’exemple que nous avons donné, on verra en mesme temps pourquoy le poids de l’Air fait monter l’eau dans les Siphons ordinaires ; c’est pourquoy il faut bien éclaircir la raison pour laquelle le poids de l’eau produit cet effet, et faire entendre pourquoy c’est le vaisseau élevé qui se vuide dans le plus bas, plûtost que le plus bas dans l’autre.

Pour cela il faut remarquer que l’eau pesant sur le vif argent qui est dans chaque vaisseau, et point du tout sur celuy des jambes qui y trempent, il arrive que le vif argent des vaisseaux est pressé par le poids de l’eau à monter dans chaque jambe du Siphon jusques au haut du Siphon, et encore plus, s’il se pouvoit, à cause que l’eau a seize pieds de haut, et que le Siphon n’a qu’un pied, et qu’un pied de vif argent n’égale le poids que de 14. pieds d’eau : d’où il se voit que le poids de l’eau pousse le vif argent dans chaque jambe jusques au haut, et qu’il a encore de la force de reste ; d’où il arrive que le vif argent de chaque jambe estant poussé en haut par le poids de l’eau, ils se combattent au haut du Siphon, et se poussent l’un l’autre : de sorte qu’il faut que celuy qui a le plus de force prevale.

Or, cela sera aisé à supputer ; car il est clair que puisque l’eau a plus de hauteur sur le vaisseau le plus bas d’un poulce, elle pousse en haut le vif argent de la longue jambe plus fortement que celuy de l’autre, de la force que lui donne un poulce de hauteur ; d’où il semble d’abord qu’il doit resulter que le vif argent doit estre poussé de la jambe la plus longue dans la plus courte ; mais il faut considerer que le poids du vif argent de chaque jambe resiste à l’effort que l’eau fait pour le pousser en haut, mais ils ne resistent pas également ; car comme le vif argent de la longue jambe a plus de hauteur d’un poulce, il resiste plus fortement de la force que luy donne la hauteur d’un poulce : donc le mercure de la plus longue jambe est plus poussé en haut par le poids de l’eau, de la force de l’eau de la hauteur d’un poulce ; mais il est plus poussé en bas par son propre poids, de la force du vif argent de la hauteur d’un poulce : Or un poulce de vif argent pese plus qu’un poulce d’eau : Donc le vif argent de la plus courte jambe est poussé en haut avec plus de force ; et partant il doit monter, et continuer à monter tant qu’il y a aura du vif argent dans le vaisseau où elle trempe.

D’où il paroist que la raison qui fait que c’est le vaisseau le plus haut qui se vuide dans le plus bas, est que le vif argent est une liqueur plus pesante que l’eau. Il en arriveront au contraire, si le Siphon estoit plein d’huile, qui est une liqueur plus legere que l’eau, et que les vaisseaux aussi où il trempe en fussent pleins, et le tout dans la mesme cuve pleine d’eau ; car alors il arriveroit que l’huile du vaisseau le plus bas monteroit, et couleroit par le haut du Siphon dans le vaisseau le plus élevé, par les mesmes raisons que nous venons de dire ; car l’eau poussant toûjours l’huile du vaisseau le plus bas, avec plus de force, à cause qu’elle a un poulce de plus de hauteur, et l’huile de la longue jambe resistant, et pesant davantage d’un poulce qu’elle a de plus de hauteur, il arriveroit qu’un poulce d’huile pesant moins qu’un poulce d’eau, l’huile de la longue jambe seroit poussée en haut avec plus de force que l’autre ; et partant[189] [elle] couleroit, et se rendroit du vaisseau le plus bas dans le plus élevé.

Et enfin, si le Siphon estoit plein d’une liqueur qui pesast autant que l’eau de la cuve, lors, ny l’eau du vaisseau le plus élevé ne se rendroit pas dans l’autre, ny celle du plus bas dans celle du plus élevé ; mais tout demeureroit en repos, parce qu’en supputant tous les efforts, on verra qu’ils sont tous égaux.

Voilà ce qu’il estoit necessaire de bien faire entendre, pour sçavoir à fond la raison pour laquelle[190] [les] liqueurs s’élevent dans les Siphons ; aprés quoy il est trop aisé de voir pourquoy le poids de l’air fait monter l’eau dans les Siphons ordinaires, et pourquoy du vaisseau le plus élevé dans le plus bas, sans s’y arrester davantage, puisque ce n’est qu’un cas de la regle generale que nous venons de donner.


VI
Que la pesanteur de la masse de l’Air cause l’enfleure de la chair, quand on applique des ventouzes.

Pour faire entendre comment le poids de l’Air fait enfler la chair à l’endroit où l’on met des ventouzes, nous rapporterons un effet entierement pareil, causé par le poids de l’eau, qui n’en laissera aucun doute.

C’est celuy que nous avons rapporté dans l’Equilibre des liqueurs, Figure XVII, où nous avons fait voir qu’un homme mettant contre sa cuisse le bout d’un tuyau de verre long de vingt pieds, et se mettant en cet estat au fond d’une cuve pleine d’eau, en sorte que le bout d’en haut du tuyau sorte hors de l’eau ; il arrive que[191]sa chair s’enfle en la partie qui est à l’ouverture du tuyau, comme si quelque chose la suçoit en cet endroit là.

Or il est évident que cette enfleure ne vient pas de l’horreur du vuide, car ce tuyau est tout ouvert, et elle n’arriveroit pas, s’il n’y avoit que peu d’eau dans la cuve : et il est tres constant qu’elle vient de la seule pesanteur de l’eau ; parce que cette eau pressant sa chair en toutes les parties du corps, excepté en celle là seulement qui est à l’entrée du tuyau (car elle n’y a point d’accés), elle y renvoye le sang et les chairs qui font cette enflure.

Et ce que nous disons du poids de l’eau se doit entendre du poids de quelque autre liqueur que ce soit ; car[192] s’il se met dans une cuve pleine d’huile, la mesme chose arrivera, tant que cette liqueur le touchera en toutes ses parties, excepté une seulement : mais si on oste le tuyau, l’enflure cesse ; parce que l’eau venant à affecter cette partie aussi bien que les autres, il n’y aura pas plus d’impression qu’aux autres.

Ce qui estant bien compris, on verra que c’est un effet necessaire, que quand on met une bougie sur la chair et une ventouze par dessus, aussi tost que le feu s’éteint, la chair s’enfle ; car l’Air de la ventouze, qui estoit très rarefié par le feu, venant à se condenser par le froid qui luy succede des que le feu est éteint, il arrive que le poids de l’Air touche le corps en toutes les parties, excepté en celles qui sont à la ventouze ; car il n’y a point d’accés ; et par consequent la chair doit s’enfler en cet endroit, et le poids de l’Air doit renvoyer le sang et les chairs voisines qu’il presse, dans celle qu’il ne presse pas, par la mesme raison et avec la mesme necessité que le poids de l’eau le faisoit en l’exemple que nous avons donné, quand elle touchoit le corps en toutes ses parties, excepté en une seulement : d’où il paroist que l’effet de la ventouze n’est qu’un cas particulier de la regle generale de l’action de toutes les liqueurs contre un corps qu’elles touchent en toutes ses parties, excepté une.


VII
Que la pesanteur de la masse de l’Air est cause de l’attraction qui se fait en suçant.

Il ne faut plus maintenant qu’un mot pour expliquer pourquoy, quand on met la bouche sur l’eau et qu’on suçe, l’eau y monte : car nous sçavons que le poids de l’Air presse l’eau en toutes les parties, excepté en celles qui sont à la bouche ; car il les touche toutes, excepté celle là ; et de là vient que quand les muscles de la respiration, élevant la poitrine, font la capacité du dedans du corps plus grande, l’Air du dedans ayant plus de place à remplir qu’il n’avoit auparavant, a moins de force pour empescher l’eau d’entrer dans la bouche, que l’Air de dehors, qui pese sur cette eau de tous costez hors cet endroit, n’en a pour l’y faire entrer.

Voila la cause de cette attraction, qui ne differe en rien de l’attraction des Seringues.


VIII
Que la pesanteur de la masse de l’Air est la cause de l’attraction du lait que les enfans tettent de leurs nourrices.

C’est ainsi que quand un enfant a la bouche à l’entour du bout de la mamelle sa nourrice, quand il succe, il attire le lait ; parce que la mamelle est pressée de tous costez par le poids de l’Air qui l’environne, excepté en la partie qui est dans la bouche de l’enfant ; et c’est pourquoy, aussi tost que les muscles de la respiration font une place plus grande dans le corps de l’enfant, comme on vient de dire, et que rien ne touche le bout de la mamelle que l’Air du dehors, l’Air du dehors qui a plus de force et qui la comprime, pousse le lait par cette ouverture, où il y a moins de resistance : ce qui est aussi necessaire et aussi naturel que quand le lait sort, lorsqu’on presse le tetton entre les deux mains.


IX
Que la pesanteur de la masse de l’Air est cause de l’attraction de l’Air qui se fait en respirant.

Et par la mesme raison, lorsqu’on respire, l’Air entre dans le poulmon parce que quand le poulmon s’ouvre, et que le nez et tous les conduits sont libres et ouverts, l’Air qui est à ces conduits, poussé par le poids de toute sa masse, y entre et y tombe par l’action naturelle et necessaire de son poids ; ce qui est si intelligible, si facile, et si naïf[193], qu’il est étrange qu’on ait esté chercher l’horreur du vuide, des qualitez occultes, et des causes si éloignées et si chimeriques, pour en rendre la raison, puisqu’il est aussi naturel que l’air entre et tombe ainsi dans le poulmon à mesure qu’il s’ouvre, que du vin tombe dans une bouteille quand on l’y verse.

Voilà de quelle sorte le poids de l’Air produit tous les effets qu’on avoit jusques icy attribuez à l’horreur du vuide. J’en viens d’expliquer les principaux ; s’il en reste quelqu’un, il est si aisé de l’entendre ensuite de ceux cy, que je croirois faire une chose fort inutile et fort ennuyeuse, d’en rechercher d’autres pour les traitter en détail : et on peut mesme dire qu’on les avoit déjà tous veus, comme en leur source, dans le Traitté precedent, puisque tous ces effets ne sont que des cas particuliers de la regle generale de l’Equilibre des Liqueurs.


Chapitre III.Que comme la pesanteur de la masse de l’air est limitée, aussi les effets qu’elle produit sont limitez[194].


Puisque la pesanteur de l’Air produit tous les effets qu’on avoit jusques icy attribuez à l’horreur du vuide, il doit arriver que, comme cette pesanteur n’est pas infinie, et qu’elle a des bornes, aussi ses effets doivent estre limitez ; et c’est ce que l’expérience confirme, comme il paroistra par celles qui suivent.

Aussi tost qu’on tire le Piston d’une Pompe aspirante ou d’une Seringue, l’eau suit, et si on continue à l’élever, l’eau suivra toujours, mais non pas jusques à quelque hauteur qu’on l’éleve ; car il y a un certain degré qu’elle ne passe point, qui est à peu près à la hauteur de 31 pieds ; de sorte que tant qu’on n’éleve le Piston que jusques à cette hauteur, l’eau s’y éleve et demeure toujours contiguë au Piston ; mais aussi tost qu’on le porte plus haut, il arrive que le Piston ne tire plus l’eau, et qu’elle demeure immobile et suspenduë à cette hauteur, sans se hausser davantage ; et à quelque hauteur qu’on éleve le Piston au delà, elle le laisse monter sans le suivre.

Parce que le poids de la masse de l’Air pese à peu pres autant que l’eau à la hauteur de 31. pieds ; de sorte que comme il fait monter cette eau dans la Seringue, parce qu’il pese au dehors et non pas au dedans pour la contrepeser, il la fait monter jusqu’à la hauteur à laquelle elle pese autant que luy, et lors l’eau dans la Seringue et l’Air dehors pesans également, tout demeure en Equilibre, de la mesme sorte que de l’eau et du vif argent se tiennent en Equilibre, quand leurs hauteurs sont entr’elles[195] comme leurs poids, comme nous l’avons tant fait voir dans l’Equilibre des Liqueurs : et comme l’eau ne montoit que par cette seule raison, que le poids de l’Air l’y forçoit ; quand elle est arrivée à cette hauteur, où le poids de l’Air ne peut plus la faire hausser, nulle autre cause ne la mouvant, elle demeure à ce point.

Et quelque grosseur qu’ait la Pompe, l’eau s’y éleve toûjours à la mesme hauteur, parce que les liqueurs ne pesent pas suivant leur grosseur, mais suivant leur hauteur, comme nous l’avons montré dans l’Equilibre des liqueurs.

Que si on éleve du vif argent dans une Seringue, il montera jusques à la hauteur de deux pieds trois poulces et cinq lignes, qui est precisément celle à laquelle il pese autant que l’eau à 31. pieds, parce qu’elle pesera lors autant que la masse de l’Air.

Et si on éleve de l’huile dans une Pompe, elle s’élevera environ pres de 34. pieds, et puis plus ; parce qu’elle pese autant à cette hauteur, que l’eau à 31. pieds, et par consequent autant que l’Air ; et ainsi des autres liqueurs.

Un tuyau bouché par en haut et ouvert par en bas, estant plein d’eau, s’il a une hauteur telle qu’on voudra au dessous de 31. pieds, toute l’eau y demeurera suspenduë ; parce que le poids de la masse de l’Air est capable de l’y soutenir.

Mais s’il a plus de 31. pieds de hauteur, il arrivera que l’eau tombera en partie, sçavoir : jusques à ce qu’elle soit baissée en sorte qu’elle n’ait plus que 31. pieds de haut ; et lors elle demeurera suspenduë à cette hauteur, sans baisser davantage, de la mesme sorte que dans l’Equilibre des liqueurs on a veu que le vif argent d’un tuyau mis dans une cuve pleine d’eau tomboit en partie, jusques à ce que le vif argent restast à la hauteur à laquelle il pese autant que l’eau.

Mais si on mettoit dans ce tuyau du vif argent au lieu d’eau, il arriveroit que le vif argent tomberoit jusques à ce qu’il fût resté à la hauteur de deux pieds trois pouces cinq lignes, qui correspond precisément à 31. pieds d’eau.

Et si on panche un peu ces tuyaux où l’eau et le vif argent sont restez suspendus, il arrivera que ces liqueurs remonteront jusques à ce qu’elles soient revenuës à la mesme hauteur qu’elles avoient, et qui estoit diminuée par cette inclination ; parce que le poids de l’air prévaut tant qu’elles sont au dessous de cette hauteur, et est en Equilibre quand elles y sont arrivées ; ce qui est tout semblable à ce qui est rapporté au Traitté de l’Equilibre des liqueurs, d’un tuyau de vif argent mis dans une cuve pleine d’eau ; et en redressant ce tuyau, les liqueurs ressortent, pour revenir toujours à leur mesme hauteur.

C’est ainsi que dans un Siphon, toute l’eau du vaisseau le plus élevé monte et se rend dans le plus bas, tant que la branche du Siphon qui y trempe est d’une hauteur telle qu’on voudra au dessous de 31. pieds ; parce que, comme nous avons dit ailleurs, le poids de l’Air peut bien hausser et tenir suspenduë l’eau à cette hauteur ; mais dés que la branche qui trempe dans le vaisseau élevé excéde cette hauteur, il arrive que le Siphon ne fait plus son effet ; c’est à dire que l’eau du vaisseau élevé ne monte plus au haut du Siphon pour se rendre dans l’autre, parce que le poids de l’Air ne peut pas l’élever à plus de 31. pieds : de sorte que l’eau se divise en haut du Siphon, et tombe de chaque jambe dans chaque vaisseau, jusques à ce qu’elle soit restée à la hauteur de 31. pieds au dessus de chaque vaisseau, et demeure en repos suspenduë à cette hauteur par le poids de l’Air qui la contre-pèse.

Si on panche un peu le Siphon, l’eau remontera dans l’une et l’autre jambe, jusques à ce qu’elle y soit à la mesme hauteur qui avoit esté diminuée en l’inclinant ; et si on le panche en sorte que le haut du Siphon n’ait plus que la hauteur de 31. pieds au dessus du vaisseau le plus élevé, il arrivera que l’eau de la jambe qui y trempe sera au haut du Siphon, de sorte qu’elle tombera dans l’autre jambe ; et ainsi l’eau du vaisseau élevé luy succedant toûjours, elle coulera toûjours par un petit filet seulement ; et si on incline davantage, l’eau coulera à plein tuyau.

Il faut entendre la mesme chose de toutes les autres liqueurs, en observant toûjours la proportion de leur poids.

C’est ainsi que si on essaye d’ouvrir un soufflet, tant qu’on n’y employra qu’un certain degré de force, on ne le pourra pas ; mais si on passe ce point, on l’ouvrira. Or, la force necessaire est telle. Si ses aîles ont un pied de diametre, il faudra, pour l’ouvrir, une force capable d’élever un vaisseau plein d’eau, d’un pied de diametre, comme ses aîles, et long de 31. pieds, qui est la hauteur où l’eau s’éleve dans une Pompe. Si ses aîles n’ont que six poulces de diametre, il faudra, pour l’ouvrir, une force égale au poids de l’eau d’un vaisseau de six poulces de diametre et haut de 31. pieds, et ainsi du reste : de sorte qu’en pendant à une de ces aîles un poids égal à celuy de cette eau, on l’ouvre, et un moindre poids ne sçauroit le faire, parce que le poids de l’Air qui le presse est precisément égal à celuy de 31. pieds d’eau.

Un mesme poids tirera le Piston d’une Seringue bouchée, et un mesme poids separe deux corps polis appliquez l’un contre l’autre ; de sorte que s’ils ont un poulce de diametre, en y appliquant une force égale au poids de l’eau, d’un poulce de grosseur et de 31. pieds de hauteur, on les separera.


Chapitre iv.Que comme la pesanteur de la masse de l’Air augmente[196] quand il est plus chargé de vapeurs, et diminuë quand il l’est moins, aussi les effets qu’elle produit augmentent et diminuënt à proportion[197].


Puisque la pesanteur de l’Air cause tous les effets, dont nous traittons, il doit arriver que comme cette pesanteur n’est pas toujours la mesme sur une mesme contrée, et qu’elle varie à toute heure, suivant les vapeurs qui arrivent, ses effets n’y doivent pas estre toûjours uniformes, mais, au contraire, variables à toute heure : aussi l’experience le confirme, et fait voir que la mesure de 31. pieds d’eau que nous avons donnée pour servir d’exemple n’est pas une mesure précise qui soit toujours exacte ; car l’eau ne s’éleve pas dans les Pompes, et ne demeure pas toujours suspenduë à cette hauteur precisément ; au contraire, elle s’éleve quelquefois à 31. pieds et demy, puis elle revient à 31. pieds, puis elle baisse encore de trois poulces au dessous, puis elle remonte tout à coup d’un pied, suivant les varietez qui arrivent à l’Air ; et tout cela avec la mesme bizarrerie avec laquelle l’Air se broüille et s’éclaircit.

Et l’experience fait voir qu’une mesme Pompe éleve l’eau plus haut en un temps qu’en un autre d’un pied huit poulces. En sorte que l’on peut faire une Pompe et aussi un Siphon par la mesme raison, d’une telle hauteur, qu’en un temps ils feront leur effet, et en un autre ils ne le feront point, selon que l’Air sera plus ou moins chargé de vapeurs, ou que par quelqu’autre raison il pesera plus ou moins ; ce qui seroit une experience assez curieuse, et qui seroit assez facile, en se servant du vif argent au lieu d’eau ; car par ce moyen l’on n’auroit pas besoin de si longs tuyaux pour la faire.

De là on doit entendre que l’eau demeure suspenduë dans les tuyaux à une moindre hauteur en un temps qu’en un autre, et qu’un soufflet est plus aisé à ouvrir en un temps qu’en un autre en la mesme proportion precisément : et ainsi des autres effets ; car ce qui se dit de l’un convient exactement avec tous les autres, chacun suivant sa nature.


Chapitre v.Que comme le poids de la masse de l’Air est plus grand sur les lieux profonds que sur les lieux élevez, aussi les effets quelle y produit sont plus grands à proportion.


Puisque le poids de la masse de l’Air produit tous ces effets dont nous traittons, il doit arriver que comme elle n’est pas égale sur tous les lieux du monde, puisqu’elle est plus grande sur ceux qui sont les plus enfoncez, ces effets y doivent aussi estre differents : aussi l’experience le confirme, et fait voir que cette mesure de 31. pieds, que nous avions prise pour servir d’exemple, n’est pas celle où l’eau s’éleve dans les Pompes, dans tous les lieux du monde ; car elle s’y éleve differemment en tous ceux qui ne sont pas à mesme niveau, et d’autant plus qu’ils sont plus enfoncez, et d’autant moins qu’ils sont plus élevez : de sorte que par les experiences qui en ont esté faites en des lieux élevez l’un au dessus de l’autre de cinq ou six cent toises, on a trouvé difference de quatre pieds trois poulces ; de sorte que la mesme Pompe qui éleve l’eau en un endroit à la hauteur de 30. pieds quatre poulces ne l’éleve en l’autre, plus haut d’environ 500. toises, qu’à la hauteur de vingt-six pieds un poulce, en même temperamment d’Air ; en quoi il y a difference de la sixiéme partie.

La mesme chose se doit entendre de tous les autres effets, chacun suivant sa maniere, c’est à dire, par exemple, que deux corps polis sont plus difficilles à desunir en un vallon que sur une montagne, etc.

Or, comme 500. toises d’élevation causent quatre pieds trois poulces de difference à la hauteur de l’eau, les moindres hauteurs font de moindres differences à proportion ; sçavoir, 100. toises, environ dix poulces ; 20. toises, environ deux poulces, etc.

L’instrument le plus propre pour observer toutes ces variations est un tuyau de verre bouché par en haut, recourbé par en bas, de trois ou quatre pieds de haut, auquel on cole une bande de papier, divisée par poulce et lignes ; car, si on le remplit de vif argent, on verra qu’il tombera en partie, et qu’il demeurera suspendu en partie ; et on pourra remarquer exactement le degré auquel il sera suspendu ; et il sera facile d’observer les variations qui y arriveront de la part des charges de l’Air, par les changements du temps, et celles qui y arriveront en le portant en un lieu plus élevé ; car en le laissant en un mesme lieu, on verra que, à mesure que le temps changera, il haussera et baissera ; et on remarquera qu’il sera plus haut en un temps qu’en un autre, d’un poulce six lignes, qui répondent precisément à un pied huit poulces d’eau, que nous avons donné dans l’autre Chapitre, pour la difference qui arrive de la part du temps.

Et, en le portant du pied d’une montagne jusques sur son sommet, on verra que, quand on sera monté de dix toises, il sera baissé de prés d’une ligne ; quand on sera monté de vingt toises, il sera baissé de deux lignes ; quand on sera monté de 100. toises, il sera baissé de neuf lignes ; quand on sera monté de 500. toises, il sera baissé de trois poulces dix lignes. Et, redescendant, il remontera par les mesmes degrez.

Tout cela a esté éprouvé sur la montagne du Puy de Domme en Auvergne, comme on verra par la Relation de cette Experience qui est après ce Traitté[198], et ces mesures en vif argent répondent precisément à celles que nous venons de donner en l’eau.

La mesme chose se doit entendre de la difficulté d’ouvrir un soufflet, et du reste.

Où l’on voit que la mesme chose arrive precisément dans les effets que la pesanteur de l’Air produit, que dans ceux que la pesanteur de l’eau produit ; car nous avons veu qu’un soufflet immergé dans l’eau, et qui est difficile à ouvrir, à cause du poids de l’eau, l’est d’autant moins qu’on l’élève plus pres de la fleur[199] de l’eau ; et que le vif argent dans un tuyau immergé dans l’eau, se tient suspendu à une hauteur plus ou moins grande, suivant qu’il est plus ou moins avant dans l’eau ; et tous ces effets, soit de la pesanteur de l’air, soit de celle de l’eau, sont des suittes si necessaires de l’Equilibre des liqueurs, qu’il n’y a rien de plus clair au monde.


Chapitre vi.Que, comme les effets de la pesanteur de la masse de l’Air augmentent ou diminuënt à mesure qu’elle augmente ou diminuë, ils cesseroient entierement si l’on estoit au dessus de l’Air, ou en un lieu où il n’y en eust point.


Apres avoir veu jusques icy que ces effets qu’on attribuoit à l’horreur du vuide, et qui viennent en effet de la pesanteur de l’Air, suivent toûjours sa proportion, et qu’à mesure qu’elle augmente, ils augmentent ; qu’à mesure qu’elle diminuë, ils diminuënt ; et que par cette raison l’on voit que dans le tuyau plein de vif argent il demeure suspendu à une hauteur d’autant moindre, qu’on le porte à un lieu plus élevé, parce qu’il reste moins d’air au dessus de luy ; de mesme que celuy d’un tuyau immergé dans l’eau baisse à mesure qu’on l’éleve vers la fleur de l’eau, parce qu’il reste moins d’eau pour le contrepeser : on peut conclure avec assurance que, si on l’élevoit jusques au haut de l’extremité de l’Air, et qu’on le portast entierement hors de sa Sphere, le vif argent du tuyau tomberoit entierement, puis qu’il n’y auroit plus aucun air pour le contrepeser, comme celuy du tuyau immergé dans l’eau tombe entierement, quand on le tire entierement hors de l’eau.

La mesme chose arriveroit, si on pouvoit oster tout l’air de la chambre où l’on feroit cette épreuve ; car n’y ayant plus d’air qui pesast sur le bout du tuyau qui est recourbé, on doit croire que le vif argent tomberoit, n’ayant plus son contrepoids.

Mais parce que l’une et l’autre de ces épreuves est impossible, puisque nous ne pouvons pas aller au dessus de l’Air, et que nous ne pourrions pas vivre dans une chambre dont tout l’Air auroit esté osté, il suffit d’oster l’Air, non de toute la chambre, mais seulement d’alentour du bout recourbé, pour empescher qu’il n’y puisse arriver, pour voir si tout le vif argent tombera, quand il n’aura plus d’Air qui le contrepese, et on pourra facilement le faire en cette façon.

Il faut avoir un tuyau recourbé par en bas, bouché par le bout A, et ouvert par le bout B, et un autre tuyau tout droit, ouvert par les deux bouts, M et N, mais inseré et soudé par le bout M, dans le bout recourbé de l’autre, comme il paroist en cette figure[200].

Fac-similé de la page 105.
Fac-similé de la page 105.
Fac-similé de la page 105 de l’édition princeps.

Il faut boucher B, qui est l’ouverture du bout recourbé du premier tuyau, avec le doit ou autrement, comme avec une vessie de pourceau, et renverser ce tuyau entier ; c’est à dire les deux tuyaux qui n’en font proprement qu’un, puisqu’ils ont communication l’un dans l’autre ; le remplir de vif argent, et puis remettre le bout A en haut, et le bout N dans une écuelle pleine de vif argent : il arrivera que le vif argent du tuyau d’en haut tombera entierement, et sera tout receu dans sa recourbure, si ce n’est qu’il y en aura une partie qui s’écoulera dans le tuyau d’en bas par le trou M ; mais le vif argent du tuyau d’en bas tombera en partie seulement, et demeurera suspendu aussi en partie, à une hauteur de 26. à 27. poulces, suivant le lieu et le temps où l’on en fait l’épreuve. Or la raison de cette difference est que l’Air pese sur le vif argent qui est dans l’écuelle au bout du tuyau d’en bas ; et ainsi il tient son vif argent du dedans suspendu, et en Equilibre : mais il ne pese pas sur le vif argent qui est au bout recourbé du tuyau d’en haut ; car le doigt ou la vessie qui le bouche, empeschent qu’il n’y ait d’accés : de sorte que, comme il n’y a aucun Air qui pese en cet endroit, le vif argent du tuyau tombe librement, parce que rien ne le soûtient et ne s’oppose à sa chute.

Mais comme rien ne se perd dans la nature, si le vif argent qui est dans la recourbure ne sent pas le poids de l’Air, parce que le doigt qui bouche son ouverture l’en garde, il arrive, en recompense, que le doigt souffre beaucoup de douleur ; car il porte tout le poids de l’Air qui le presse par dessus, et rien ne le soutient par dessous : aussi il se sent pressé contre le verre, et comme attiré et sucé au dedans du tuyau, et une empoulle s’y forme, comme s’il y avoit une ventouze, parce que le poids de l’Air pressant le doigt, la main et le corps entier de cet homme de toutes parts, excepté en la seule partie qui est dans cette ouverture où il n’a point d’accés, cette partie s’enfle, et souffre par la raison que nous avons tantost dite.

Et si on oste le doigt de cette ouverture, il arrivera que le vif argent qui est dans la recourbure montera tout d’un coup dans le tuyau jusques à la hauteur de 26. ou 27. poulces, parce que l’Air, tombant tout d’un coup sur le vif argent, le fera incontinent monter à la hauteur capable de le contrepeser, et mesme, à cause de la violence de sa chûte, il le fait monter un peu au delà de ce terme ; mais il tombera ensuite un peu plus bas, et puis il remontera encore ; et aprés quelques allées et venuës, comme d’un poids suspendu au bout d’un fil, il demeurera ferme à une certaine hauteur, à laquelle il contrepese l’Air precisément.

D’où l’on voit que quand l’Air ne pese point sur le vif argent qui est au bout recourbé, celuy du tuyau tombe entierement, et que par consequent, si on avoit porté ce tuyau en un lieu où il n’y eût point d’Air, ou, si on le pouvoit, jusques au dessus de la Sphere de l’Air, il tomberoit entierement.


Conclusion des trois derniers Chapitres.


D’où il se conclut qu’à mesure que la charge de l’Air est grande, petite ou nulle, aussi la hauteur où l’eau s’éleve dans la Pompe est grande, petite ou nulle, et qu’elle luy est toûjours precisément proportionnée comme l’effet à sa cause.

Il faut entendre la mesme chose de la difficulté d’ouvrir un soufflet bouché, etc.


Chapitre VII.Combien l’eau s’éleve dans les Pompes en chaque lieu du monde.


De toutes les connoissances que nous avons, il s’ensuit qu’il y a autant de differentes mesures de la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes, qu’il y a de differents lieux et de differents temps où on l’éprouve ; et qu’ainsi si on demande à quelle hauteur les Pompes aspirantes élevent l’eau en general, on ne sçauroit répondre precisément à cette question, ny mesme à celle cy : à quelle hauteur les Pompes élevent l’eau à Paris, si l’on ne détermine aussi le temperamment de l’Air, puisqu’elles l’élevent plus haut, quand il est plus chargé : mais on peut bien dire à quelle hauteur les Pompes élevent l’eau à Paris quand l’air est le plus chargé ; car tout est specifié. Mais sans nous arrester aux differentes hauteurs où l’eau s’éleve en chaque lieu, suivant que l’Air est plus ou moins chargé, nous prendrons la hauteur où elle se trouve, quand il l’est mediocrement, pour la hauteur naturelle de ce lieu là ; parce qu’elle tient le milieu entre les deux extremitez, et qu’en connoissant cette mesure, on aura la connoissance des deux autres, parce qu’il ne faudra qu’ajoûter ou diminuer dix poulces. Ainsi nous donnerons la hauteur où l’eau s’éleve en tous les lieux du monde[201], quelques hauts et quelques profonds qu’ils soient, quand l’Air y est mediocrement chargé.

Mais auparavant, il faut entendre qu’en toutes les Pompes qui sont à mesme niveau, l’eau s’éleve precisément à la mesme hauteur (j’entends toujours en un mesme temperamment d’Air) ; car l’Air y ayant une mesme hauteur, et partant un mesme poids, le poids y produit de semblables effets.

Et c’est pourquoy nous donnerons d’abord la hauteur où l’eau s’éleve aux lieux qui sont[202] à niveau de la mer, parce que toute la mer est precisément du mesme niveau, c’est à dire également distante du centre de la terre en tous ses points : car les liquides ne peuvent reposer autrement, puisque les points qui seroient plus hauts couleroient en bas ; et ainsi la hauteur où nous trouverons que l’eau s’éleve dans les Pompes en quelque lieu que ce soit, qui soit au bord de la mer, sera commune à tous les lieux du monde qui sont au bord de la mer : et il sera aisé d’inférer de là à quelle hauteur l’eau s’élevera dans les lieux plus ou moins élevez de 10. ou 20. 100. 200. ou 500. toises, puisque nous avons donné la difference qu’elles apportent.

Au niveau de la mer, les Pompes aspirantes élevent l’eau à la hauteur de 31. pieds deux poulces à peu pres ; il faut entendre quand l’Air y est chargé mediocrement.

Voilà la mesure commune à tous les points de la mer du monde : d’où il s’ensuit qu’un Siphon éleve l’eau en ces lieux là, tant que sa jambe la plus courte a une hauteur au dessous de celle là ; et qu’un soufflet bouché s’ouvre avec le poids de l’eau de cette hauteur là, et de la largeur de ses aîles ; ce qui est toûjours conforme. Il est aisé de passer de là à la connoissance de la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes aux lieux plus élevez de dix toises : car, puisque nous avons dit que dix toises d’élevation causent un poulce de diminution à la hauteur où l’eau s’éleve ; il s’ensuit qu’en ces lieux là l’eau s’éleve seulement à 31. pieds un poulce.

Et par[203] mesme moyen, on trouve qu’aux lieux plus élevez que le niveau de la mer, de vingt toises, l’eau s’éleve à 31. pieds seulement.

Dans ceux qui sont élevez au dessus de la mer de 100. toises, l’eau monte seulement à 30. pieds quatre poulces.

Dans ceux qui sont élevez de 200. toises, l’eau monte à 29. pieds six poulces.

Dans ceux qui sont élevez d’environ 500. toises, l’eau monte à peu prés à 27. pieds.

Ainsi on pourroit éprouver le reste. Et pour les lieux plus enfoncez que le niveau de la mer, on trouvera de mesme les hauteurs où l’eau s’éleve, en ajoutant, au lieu de soustraire, les differences que ces differentes hauteurs donnent.


CONSEQUENCES.


I. De toutes ces choses, il est aisé de voir qu’une Pompe n’éleve jamais l’eau à Paris à 32. pieds, et qu’elle ne l’éleve jamais moins de 29. pieds et demy.

II. On voit aussi qu’un Siphon, dont la courte jambe a 32. pieds, ne fait jamais son effet à Paris.

III. Qu’un Siphon, dont la jambe la plus courte a 29. pieds et au dessous, fait toûjours son effet à Paris.

IV. Qu’un Siphon dont la courte jambe a 31. pieds precisément à Paris, fait son effet quelquefois, et quelquefois ne le fait pas, selon que l’air est chargé.

V. Qu’un Siphon qui a 29. pieds pour sa courte jambe, fait toûjours son effet à Paris, et jamais à un lieu plus élevé, comme à Clermont en Auvergne.

VI. Qu’un Siphon qui a dix pieds de haut, fait son effet en tous les lieux du monde ; car il n’y a point de montagne assez haute pour l’en empescher ; et qu’un Siphon qui a 50. pieds de haut ne fait son effet en aucun lieu du monde ; car il n’y a point de caverne assez creuse pour faire que l’Air pese assez pour soulever l’eau à cette hauteur.

VII. Que l’eau s’éleve dans les pompes à Dieppe, quand l’Air est mediocrement chargé, à 31. pieds deux poulces, comme nous avons dit, et quand l’air est le plus chargé à 32. pieds ; qu’elle s’éleve dans les Pompes sur les montagnes hautes de 500. toises au dessus de la mer, quand l’Air est mediocrement chargé, à 26. pieds onze poulces ; et quand il est le moins chargé, à 26. pieds un poulce : de sorte qu’il y a difference entre cette hauteur et celle qui se trouve à Dieppe, quand l’Air y est le plus chargé, de cinq pieds onze poulces, qui est presque le quart de la hauteur qui se trouve sur les montagnes.

VIII. Comme nous voyons qu’en tous les lieux qui sont à mesme niveau, l’eau s’éleve à pareille hauteur, et qu’elle s’éleve moins en ceux qui sont plus élevez ; aussi, par le contraire, si nous voyons que l’eau s’éleve à pareille hauteur en deux lieux differents, on peut conclure qu’ils sont à mesme niveau ; et si elle ne s’y éleve pas à mesme hauteur, on peut juger, par cette difference, combien l’un est plus élevé que l’autre : ce qui est un moyen de niveler les lieux,[204]quelques esloignez qu’ils soient, assez exactement et bien facilement ; puis qu’au lieu de se servir d’une Pompe aspirante qui seroit difficile à faire de cette hauteur, il ne faut que prendre un tuyau de trois ou quatre pieds plein de vif argent, et bouché par en haut, dont nous avons souvent parlé, et voir à quelle hauteur il demeure suspendu ; car sa hauteur correspond parfaitement à la hauteur où l’eau s’éleve dans les Pompes.

IX. On voit aussi de là que les degrez de chaleur ne sont pas marquez exactement dans les meilleurs thermometres ; puisqu’on attribuoit toutes les differentes hauteurs où l’eau demeure suspenduë à la rarefaction ou condensation de l’air interieur du tuyau, et que nous apprenons de ces experiences, que les changemens qui arrivent à l’Air exterieur, c’est à dire à la masse de l’Air, y contribuënt beaucoup.

Je laisse un grand nombre d’autres consequences qui s’ensuivent de ces nouvelles connoissances, comme, par exemple, la voye qu’elles ouvrent pour connoistre l’étenduë precise de la Sphere de l’Air, et des vapeurs qu’on appelle l’Athmosphere ; puis qu’en observant exactement de cent en cent toises, combien les premieres, combien les secondes et combien toutes les autres donnent de differences, on arriveroit à conclure exactement la hauteur entiere de l’Air. Mais je laisse tout cela pour m’attacher à ce qui est propre au sujet.


Chapitre VIII.Combien chaque lieu du monde est chargé par le poids de la masse de l’Air.


Nous apprenons de ces experiences que, puisque le poids de l’Air et le poids de l’eau qui est dans les Pompes se tiennent mutuellement en Equilibre, ils pesent precisément autant l’un que l’autre, et qu’ainsi en connoissant la hauteur où l’eau s’éleve en tous les lieux du monde, nous connoissons en mesme temps combien chacun de ces lieux est pressé par le poids de l’Air qui est au dessus d’eux ; et partant :

Que les lieux qui sont au bord de la mer sont pressez par le poids de l’Air qui est au dessus d’eux, jusques au haut de sa sphere, autant precisément que si au lieu de cet Air on substituoit une colonne d’eau de la hauteur de 31. pieds deux poulces.

Ceux qui sont plus élevez de dix toises, autant que s’ils portoient de l’eau de la hauteur de 31. pieds un poulce,

Ceux qui sont élevez au-dessus de la mer de 500. toises, autant que s’ils portoient de l’eau à la hauteur de 26. pieds onze poulces, et ainsi du reste.


Chapitre IX.Combien pese la masse entiere de tout l’Air qui est au monde.


Nous apprenons, par ces experiences, que l’Air qui est sur le niveau de la mer, pese autant que l’eau, à la hauteur de 31. pieds deux poulces ; mais parce que l’Air pese moins sur les lieux plus élevez que le niveau de la mer, et qu’ainsi il ne pese pas sur tous les points de la terre également, et mesme qu’il pese differemment par tout : On ne peut pas prendre un pied fixe qui marque combien tous les lieux du monde sont chargez par l’Air, le fort portant le foible ; mais on peut en prendre un par conjecture bien approchant du juste ; comme, par exemple, on peut faire estat que tous les lieux de la terre en general, considerez comme s’ils estoient également chargez d’Air, le fort portant le foible, en sont autant pressez que s’ils portoient de l’eau à la hauteur de 31. pieds ; et il est certain qu’il n’y a pas un demy pied d’eau d’erreur en cette supposition.

Or, nous avons veu que l’Air qui est au dessus des montagnes hautes de 500. toises sur le niveau de la mer, pese autant que l’eau à la hauteur de 26. pieds 11 poulces.

Et, par consequent, tout l’Air qui s’étend depuis le niveau de la mer jusqu’au haut des montagnes hautes de 500. toises, pese autant que l’eau à la hauteur de 4. pieds un poulce, qui estant à peu prés la septiéme partie de la hauteur entiere, il est visible que l’Air compris depuis la mer jusques à ces montagnes, est à peu prés la septiéme partie de la masse entiere de l’Air.

Nous apprenons de ces mesmes experiences, que les vapeurs qui sont épaisses dans l’Air, lorsqu’il en est le plus chargé, pesent autant que l’eau à la hauteur d’un pied huit poulces ; puisque pour les contrepeser, elles font hausser l’eau dans les Pompes à cette hauteur, par dessus celle où l’eau contrepesoit déja la pesanteur de l’Air : de sorte que, si toutes les vapeurs qui sont sur une contrée estoient reduites en eau, comme il arrive quand elles se changent en pluye, elles ne pourroient produire que cette hauteur d’un pied huit poulces d’eau sur cette contrée. Et s’il arrive par fois des orages où l’eau de la pluye qui tombe vienne à une plus grande hauteur, c’est parce que le vent y porte les vapeurs des contrées voisines.

Nous voyons aussi de là que, si toute la Sphere de l’air estoit pressée et comprimée contre la terre par une force qui, la poussant par le haut, la réduisist en bas à la moindre place qu’elle puisse occuper, et qu’elle la réduisist[205] comme en l’eau, elle auroit alors la hauteur de 31. pieds seulement,

Et, par consequent, qu’il faut considerer toute la masse de l’Air, en l’estat libre où elle est, de la mesme sorte que si elle eust esté autrefois comme une masse d’eau de 31. pieds de haut à l’entour de toute la terre, qui eust esté rarefiée et dilatée extrémement, et convertie en cet estat où nous l’appelons Air, auquel elle occupe, à la verité, plus de place, mais auquel elle conserve precisément le mesme poids que l’eau à 31. pieds de haut.

Et comme il n’y auroit rien de plus aisé que de supputer combien l’eau qui environneroit toute la terre à 31. pieds de haut peseroit de livres, et qu’un enfant qui sçait l’Addition et la Soustraction le pourroit faire, on trouveroit, par le mesme moyen, combien tout l’Air de la nature pese de livres, puisque c’est la mesme chose ; et si on en fait l’épreuve, on trouvera qu’il pese à peu prés huit millions de millions de millions de livres.

J’ay voulu avoir ce plaisir, et j’en ai fait le compte en cette sorte.

J’ay supposé que le Diametre d’un cercle est à sa circonference, comme 7. à 22.

J’ay supposé que le Diametre d’une Sphere estant multiplié par la circonference de son grand cercle, le produit est le contenu de la superficie Spherique.

Nous sçavons qu’on a divisé le tour de la terre en 360. degrez. Cette division a esté volontaire ; car on l’eust divisée en plus ou moins si on eust voulu, aussi bien que les cercles celestes.

On a trouvé que chacun de ces degrez contient 50 000. toises.

Les lieuës autour de Paris sont de 2 500. toises ; et, par conséquent, il y a 20. lieuës au degré : d’autres en comptent 26. mais aussi ils ne mettent que 2 000. toises à la lieuë ; ce qui revient à la mesme chose.

Chaque toise a 6. pieds.

Un pied cube d’eau pesé 72. livres.

Cela posé, il est bien aisé de faire la supputation qu’on cherche.

Car puisque la terre a pour son grand cercle, ou pour sa circonference… 360. degrez.

Elle a par consequent, de tour… 7 200. lieuës.

Et par la proportion de la circonférence au Diametre, son Diametre aura… 2 291. lieuës.

Donc, en multipliant le Diametre de la terre par la circonference de son grand cercle, on trouvera qu’elle a en toute sa superficie Spherique… 16 495 200. lieuës quarrées.

C’est-à-dire… 103 095 000 000 000. toises quarrées.

C’est-à-dire… 3 711 420 000 000 000. pieds quarrez.

Et parce qu’un pied cube d’eau pese 72. livres.

Il s’ensuit qu’un prisme d’eau d’un pied carré de base et de 31. pieds de haut, pese 2 232. livres.

Donc si la terre estoit couverte d’eau jusques à la hauteur de 31. pieds, il y auroit autant de prismes d’eau de 31. pieds de haut, qu’elle a de pieds quarrez en toute sa surface. (Je sçay bien que ce ne seroient pas des prismes, mais des secteurs de Sphere ; et je neglige exprés cette precision.)

Et partant elle porteroit autant de 2 232. livres d’eau, qu’elle a de pieds quarrez en toute sa surface.

Donc cette masse d’eau entiere peseroit : 8 283 889 440 000 000 000. livres.

Donc toute la masse entiere de la Sphere de l’Air qui est au monde, pese ce mesme poids de 8 283 889 440 000 000 000. livres.

C’est à dire, Huit millions de millions de millions, deux cent quatre-vingt-trois mille huit cent quatre-vingt-neuf millions de millions, quatre cent quarente mille millions de livres.

CONCLUSION
DES DEUX PRECEDENS TRAITEZ


J’ay rapporté dans le Traité precedent tous les effets generalement qu’on a pensé jusques icy que la nature produit pour éviter le vuide ; où j’ay fait voir qu’il est absolument faux qu’ils arrivent par cette raison imaginaire. Et j’ay démontré, au contraire, que la pesanteur de la masse de l’Air en est la veritable et unique cause, par des raisons et des experiences absolument convainquantes : De sorte qu’il est maintenant assuré qu’il n’arrive aucun effet dans toute la nature qu’elle produise pour éviter le vuide.

Il ne sera pas difficile de passer de là à montrer qu’elle n’en a point d’horreur ; car cette façon de parler n’est pas propre, puisque la nature creée, qui est celle dont il s’agit, n’étant pas animée, n’est pas capable de passion[206] ; aussi elle est metaphorique, et on n’entend par là autre chose sinon que la nature fait les mesmes efforts pour éviter le vuide, que si elle en avoit de l’horreur ; De sorte qu’au sens de ceux qui parlent de cette sorte, c’est une mesme chose de dire que la nature abhorre le vuide, et dire que la nature fait de grands efforts pour empescher le vuide. Donc, puisque j’ay monstré qu’elle ne fait aucune chose pour fuir le vuide, il s’ensuit qu’elle ne l’abhorre pas ; car, pour suivre la mesme figure, comme on dit d’un homme qu’une chose luy est indifferente, quand on ne remarque jamais en aucune de ses actions aucun mouvement de desir ou d’aversion pour cette chose, on doit aussi dire de la nature qu’elle a une extréme indifference pour le vuide, puisqu’on ne voit jamais qu’elle fasse aucune chose, ny pour le chercher, ny pour l’éviter. (J’entends toujours par le mot de vuide un espace vuide de tous les corps qui tombent sous les sens.)[207].

Il est bien vray (et c’est ce qui a trompé les Anciens) que l’eau monte dans une Pompe quand il n’y a point de jour par où l’Air puisse entrer, et qu’ainsi il y auroit du vuide, si l’eau ne suivoit pas le Piston, et mesme qu’elle n’y monte plus aussitost qu’il y a des fentes par où l’Air peut entrer pour la remplir ; d’où il semble qu’elle n’y monte que pour empescher le vide, puisqu’elle n’y monte que quand il y auroit du vide.

Il est certain de mesme qu’un soufflet est difficile à ouvrir, quand ses ouvertures sont si bien bouchées que l’Air ne peut y entrer, et qu’ainsi s’il s’ouvroit, il y auroit du vuide ; au lieu que cette resistance cesse quand l’Air y peut entrer pour le remplir : de sorte qu’elle ne se trouve que quand il y auroit du vuide ; d’où il semble qu’elle n’arrive que par la crainte du vuide.

Enfin, il est constant que tous les corps generalement font de grands efforts pour se suivre et se tenir unis toutes les fois qu’il y auroit du vuide entre-eux en se separant, et jamais autrement ; et c’est d’où l’on a conclu que cette union vient de la crainte du vuide.

Mais pour faire voir la foiblesse de cette consequence, je me serviray de cet exemple : Quand un soufflet est dans l’eau, en la maniere que nous l’avons souvent representé, en sorte que le bout du tuyau, que je suppose long de vingt pieds, sorte hors de l’eau et aille jusqu’à l’Air, et que les ouvertures qui sont à l’une des aîles soient bien bouchées, afin que l’eau n’y puisse pas entrer ; on sçait qu’il est difficile à ouvrir, et d’autant plus qu’il y a plus d’eau au dessus, et que, si on débouche ces ouvertures qui sont à une des aîles, et qu’ainsi l’eau y entre en liberté, cette resistance cesse.

Si on vouloit raisonner sur cet effet comme sur les autres, on diroit ainsi : Quand les ouvertures sont bouchées, et qu’ainsi, s’il s’ouvroit, il y entreroit de l’air par le tuyau, il est difficile de le faire ; et quand l’eau y peut entrer pour le remplir au lieu de l’Air, cette resistance cesse. Donc, puisqu’il resiste quand il y entreroit de l’Air, et non pas autrement cette resistance vient de l’horreur qu’il a de l’Air.

Il n’y a personne qui ne rist de cette consequence, parce qu’il peut se faire qu’il y ait une autre cause de sa resistance. Et en effet, il est visible qu’on ne pourroit l’ouvrir sans faire hausser l’eau, puisque celle qu’on écarteroit en l’ouvrant, ne pourroit pas entrer dans le corps du soufflet ; et ainsi il faudroit qu’elle trouvast sa place ailleurs, et qu’elle fit hausser toute la masse, et c’est ce qui cause la resistance : Ce qui n’arrive pas quand le soufflet a des ouvertures par où l’eau peut entrer ; car alors, soit qu’on l’ouvre ou qu’on le ferme, l’eau n’en hausse ny ne baisse, parce que celle qu’on écarte entre dans le soufflet à mesure ; aussi on l’ouvre sans resistance.

Tout cela est clair, et par consequent il faut considerer qu’on ne peut l’ouvrir sans qu’il arrive deux choses : l’une, qu’à la verité il y entre de l’Air ; l’autre, qu’on fasse hausser la masse de l’eau ; et c’est la derniere de ces choses qui est cause de la resistance, et la premiere y est fort indifferente, quoy qu’elle arrive en mesme temps.

Disons-en de mesme[208] de la peine qu’on sent à ouvrir dans l’Air un soufflet bouché de tous les costez ; si on l’ouvroit par force, il arriveroit deux choses : l’une, qu’à la verité il y auroit du vuide ; l’autre, qu’il faudroit hausser et soûtenir toute la masse de l’Air, et c’est la derniere de ces choses qui cause la resistance qu’on y sent, et la premiere y est fort indifferente ; aussi cette resistance augmente et diminuë à proportion de la charge de l’Air, comme je l’ay fait voir.

Il faut entendre la mesme chose de la resistance qu’on sent à separer tous les corps entre lesquels il y auroit du vuide ; car l’Air ne peut pas s’y insinuer, autrement il n’y auroit pas de vuide. Et ainsi on ne pourroit les separer, sans faire hausser et soûtenir toute la masse de l’Air, et c’est ce qui cause cette resistance.

Voilà la veritable cause de l’union des corps entre lesquels il y auroit du vuide, qu’on a demeuré si long-temps à connoître, parce qu’on a demeuré si long-temps dans de fausses opinions, dont on n’est sorti que par degrez ; de sorte qu’il y a eu trois divers temps où l’on a eu de differents sentiments.

Il y avoit trois erreurs dans le monde, qui empeschoient absolument la connoissance de cette cause de l’union des corps.

La premiere est, qu’on a crû presque de tout temps que l’Air est leger[209], parce que les anciens Auteurs l’ont dit ; et que ceux qui font profession de les croire les suivoient aveuglement, et seroient demeurez eternellement dans cette pensée, si des personnes plus habiles ne les en avoient retirez par la force des experiences : De sorte qu’il n’estoit pas possible de penser que la pesanteur de l’Air fut la cause de cette union, quand on pensoit que l’Air n’a point de pesanteur.

La seconde est, qu’on s’est imaginé que les Elemens ne pesent point dans eux-mesmes[210] sans autre raison sinon qu’on ne sent point le poids de l’eau quand on est dedans, et qu’un seau plein d’eau qui y est enfoncé n’est point difficile à lever tant qu’il y est, et qu’on ne commence à sentir son poids que quand il en sort : comme si ces effets ne pouvoient pas venir d’une autre cause, ou plûtost comme si celle-là n’estoit pas hors d’apparence, n’y ayant point de raison de croire que l’eau qu’on puise dans un seau pese quand elle en est tirée, et ne pese plus quand elle y est renversée ; qu’elle perde son poids en se confondant avec l’autre, et qu’elle le retrouve quand elle en quitte le niveau. Estranges moyens que les hommes cherchent pour couvrir leur ignorance : parce qu’ils n’ont pû comprendre pourquoy on ne sent point le poids de l’eau, et qu’ils n’ont pas voulu l’avoüer, ils ont dit qu’elle n’y pese pas, pour satisfaire leur vanité, par la ruïne de la verité ; et on l’a receu de la sorte : et c’est pourquoy il estoit impossible de croire que la pesanteur de l’Air fut la cause de ces effets, tant qu’on a esté dans cette imagination ; puis que quand mesme on auroit sçeu qu’il est pesant, on auroit toûjours dit qu’il ne pese pas dans luy mesme ; et ainsi on n’auroit pas crû qu’il y produisit aucun effet par son poids.

C’est pourquoy j’ay montré, dans l’Equilibre des Liqueurs, que l’eau pese dans elle mesme autant qu’au dehors, et j’y ay expliqué pourquoy nonobstant ce poids, un seau n’y est pas difficile à hausser, et pourquoi on n’en sent pas le poids : et dans le Traité de la pesanteur de la masse de l’Air, j’ay montré la mesme chose de l’Air, afin d’éclaircir tous les doutes.

La troisiéme erreur est d’une autre nature ; elle n’est plus sur le sujet de l’Air, mais sur celuy des effets mesmes qu’ils attribuoient à l’horreur du vuide, dont ils avoient des pensées bien fausses.

Car ils s’estoient imaginez qu’une Pompe éleve l’eau non seulement à dix ou vingt pieds, ce qui est bien veritable, mais encore à cinquante, cent, mille, et autant qu’on voudroit, sans aucunes bornes.

Ils ont creu de mesme, qu’il n’est pas seulement difficile de separer deux corps polis appliquez l’un contre l’autre, mais que cela est absolument impossible ; qu’un Ange, ny aucune force creée, ne le sçauroit faire, avec cent exaggerations que je ne daigne pas rapporter ; et ainsi des autres.

C’est une erreur de fait si ancienne, qu’on n’en voit point l’origine ; et Heron mesme, l’un des plus anciens et des plus excellens Auteurs qui ont écrit de l’élevation des eaux, dit expressément, comme une chose qui ne doit pas estre mise en doute, que l’on peut faire passer l’eau d’une rivière par dessus une montagne pour la faire rendre dans le vallon opposé, pourveu qu’il soit un peu plus profond, par le moyen d’un Siphon placé sur le sommet, et dont les jambes s’étendent le long des coteaux, l’une dans la riviere, l’autre de l’autre costé ; et il assure que l’eau s’élèvera de la rivière jusques sur la montagne, pour redescendre dans l’autre vallon, quelque hauteur qu’elle ait.

Tous ceux qui ont écrit de ces matieres ont dit la mesme chose ; et mesme tous nos Fonteniers asseurent encore aujourd’huy qu’ils feront des Pompes aspirantes qui attireront l’eau à soixante pieds, si l’on veut[211].

Ce n’est pas que ny Heron[212], ny ces Auteurs, ny ces Artisans, et encore moins les Philosophes, ayent poussé ces épreuves bien loing ; car s’ils avoient essayé d’attirer l’eau seulement à 40. pieds, ils l’auroient trouvé impossible ; mais c’est seulement qu’ils ont veu des Pompes aspirantes et des Siphons de six pieds, de dix, de douze, qui ne manquoient point de faire leur effet, et ils n’ont jamais veu que l’eau manquast d’y monter dans toutes les épreuves qu’il leur est arrivé de faire. De sorte qu’ils ne se sont pas imaginez qu’il y eût un certain degré après lequel il en arrivast autrement. Ils ont pensé que c’estoit une necessité naturelle, dont l’ordre ne pouvoit estre changé ; et comme ils croyoient que l’eau montoit par une horreur invincible du vuide, ils se sont assurez qu’elle continuëroit à s’élever, comme elle avoit commencé sans cesser jamais ; et ainsi tirans une consequence de ce qu’ils voyoient à ce qu’ils ne voyoient pas, ils ont donné l’un et l’autre pour également veritable.

Et on l’a crû avec[213] tant de certitude, que les Philosophes en ont fait un des plus grands principes de leur science, et le fondement de leurs Traittez du vuide : On le dicte tous les jours dans les Classes et dans tous les lieux du monde, et depuis tous les temps dont on a des écrits, tous les hommes ensemble ont esté fermes dans cette pensée, sans que jamais personne y ait contredit jusqu’à ce temps.

Peut estre que cet exemple ouvrira les yeux à ceux qui n’osent penser qu’une opinion soit douteuse, quand elle a esté de tout temps universellement receüe de tous les hommes[214] ; puisque de simples Artisans ont esté capables de convaincre d’erreur tous les grand hommes qu’on appelle Philosophes : Car Galilée declare dans ses Dialogues, qu’il a appris des Fonteniers d’Italie, que les Pompes n’élevent l’eau que jusqu’à une certaine hauteur : Ensuite de quoy il l’éprouva luy mesme ; et d’autres ensuite en firent l’épreuve en Italie, et depuis en France avec du vif argent, avec plus de commodité, mais qui ne monstroit que la mesme chose en plusieurs manieres differentes[215].

Avant qu’on en fût instruit, il n’y avoit pas lieu de demonstrer que la pesanteur de l’Air fût ce qui élevoit l’eau dans les Pompes ; puisque cette pesanteur estant limitée, elle ne pouvoit pas produire un effet infini.

Mais toutes ces experiences ne suffirent pas pour monstrer que l’Air produit ces effets ; parce qu’encore qu’elles nous eussent[216] tiré d’une erreur, elles nous laissoient dans une autre. Car on apprist bien par toutes ces experiences, que l’eau ne s’éleve que jusqu’à une certaine hauteur ; mais on n’apprit pas qu’elle s’élevast plus haut dans les lieux plus profonds. On pensoit, au contraire, qu’elle s’élevoit toûjours à la mesme hauteur, qu’elle estoit invariable en tous les lieux du monde ; et comme on ne pensoit point à la pesanteur de l’Air, on s’imagina que la nature de la Pompe est telle, qu’elle éleve l’eau à une certaine hauteur limitée, et puis plus. Aussi Galilée la considéra comme la hauteur naturelle de la Pompe, et il l’appela la Altessa limitatissima[217].

Aussi comment se fut-on imaginé que cette hauteur eust esté variable, suivant la varieté des lieux ? Certainement cela n’estoit pas vraysemblable ; et cependant cette dernière erreur mettoit encore hors d’estat de prouver que la pesanteur de l’Air est la cause de ces effets ; car comme elle est plus grande sur le pied des montagnes que sur le sommet, il est manifeste que les effets y seront plus grands à proportion.

C’est pourquoy je conclus qu’on ne pouvoit arriver à cette preuve, qu’en en faisant l’experience en deux lieux élevez, l’un au dessus de l’autre, de 400. ou 500. toises. Et je choisis pour cela la montagne du Puy de Domme en Auvergne, par la raison que j’ai declarée dans un petit Escrit que je fis imprimer dés l’année 1648. aussi tost qu’elle eust reüssi.

Cette experience ayant découvert que l’eau s’éleve dans les Pompes à des hauteurs toutes differentes, suivant la varieté des lieux et des temps, et qu’elle est toûjours proportionnée à la pesanteur de l’Air, elle acheva de donner la connoissance parfaite de ces effets ; elle termina tous les doutes ; elle monstra quelle en est la veritable cause ; elle fit voir que l’horreur du vuide ne l’est pas ; et enfin elle fournit toutes les lumieres qu’on peut desirer sur ce sujet.

Qu’on rende raison maintenant, s’il est possible, autrement que par la pesanteur de l’Air, pourquoy les Pompes aspirantes élevent l’eau plus bas d’un quart sur le Puy de Domme en Auvergne, qu’à Dieppe.

Pourquoy un mesme Siphon éleve l’eau et l’attire à Dieppe, et non pas à Paris.

Pourquoy deux corps polis, appliquez l’un contre l’autre, sont plus faciles à separer sur un Clocher que dans la Ruë.

Pourquoy un soufflet bouché de tous costez est plus facile à ouvrir sur le haut d’une maison que dans la court.

Pourquoy, quand l’Air est plus chargé de vapeurs, le Piston d’une Seringue bouchée est plus difficile à tirer.

Enfin, pourquoy tous ces effets sont toûjours proportionnez au poids de l’Air, comme l’effet à la cause.

Est-ce que la nature abhorre plus le vuide sur les montagnes que dans les vallons, quand il fait humide que quand il fait beau ? Ne le hait-elle pas également sur un Clocher, dans un grenier et dans les Courts.

Que tous les Disciples d’Aristote[218] assemblent tout ce qu’il y a de fort dans les écrits de leur Maistre, et de ses Commentateurs, pour rendre raison de ces choses par l’horreur du vuide, s’ils le peuvent ; sinon qu’ils reconnoissent que les experiences sont les veritables Maistres qu’il faut suivre dans la Physique : que celle qui a esté faite sur les montagnes, a renversé cette creance universelle du monde, que la nature abhorre le vuide, et ouvert cette connoissance qui ne sçauroit plus jamais perir, que la nature n’a aucune horreur pour le vuide, qu’elle ne fait aucune chose pour l’éviter, et que la pesanteur de la masse de l’Air est la veritable cause de tous les effets qu’on avoit jusques icy attribuez à cette cause imaginaire.

APPENDICE


PRÉFACE[219]


Contenant les raisons qui ont porté à publier ces deux Traitez apres la mort de Monsieur Pascal, et l’histoire des diverses experiences qui y sont expliquées.


Encore que plusieurs personnes intelligentes qui ont leu ces deux Traitez en ayent fait un jugement tres avantageux et que l’on y voye un grand nombre des plus merveilleux effets de la nature expliquez, non par des Conjectures incertaines, mais par des raisons claires, sensibles et demonstratives ; on peut dire neanmoins avec verité, que le nom de Monsieur Pascal fait beaucoup plus d’honneur à ces ouvrages, que ces ouvrages n’en font au nom de Monsieur Pascal.

Ce n’est pas que ces Traitez ne soient achevez en leur genre, ny qu’il soit gueres possible d’y mieux reüssir ; mais c’est que ce genre mesme est tellement au dessous de luy, que ceux qui n’en jugeront que par ces ecrits ne se pourront former qu’une idée tres foible et tres imparfaite de la grandeur de son genie & de la qualité de son esprit.

Car encore qu’il fut autant capable qu’on le peut estre de penetrer dans les secrets de la nature et qu’il y eût des ouvertures admirables, il avoit neanmoins tellement connu depuis plus de dix ans avant sa mort la vanité et le neant de toutes ces sortes de connoissances, et il en avoit conçeu un tel dégoust qu’il avoit peine à souffrir que des personnes d’esprit s’y occupassent et en parlassent serieusement.

Il a toûjours crû depuis ce temps là qu’il n’y avoit que la seule religion qui fut un digne objet de l’esprit de l’homme ; que c’estoit une des preuves de la bassesse où il a esté reduit par le peché, de ce qu’il pouvoit s’attacher avec ardeur à la recherche de ces choses qui ne peuvent de rien contribuer à le rendre heureux ; Et il avoit accoûtumé de dire sur ce sujet Que toutes ces sciences ne le consoleraient point dans le temps de l’affliction ; mais que la science des veritez chrestiennes le consoleroit en tout temps, et de l’affliction, et de l’ignorance de ces sciences[220].

Il croyoit donc que s’il y avoit quelque avantage et quelque engagement par la coutume de s’instruire de ces choses et d’apprendre ce que l’on en peut dire de plus raisonnable et de plus solide, il estoit absolument necessaire d’apprendre à ne les priser que leur juste prix ; et que s’il estoit meilleur de les sçavoir en les estimant peu, que de les ignorer, il valoit beaucoup mieux les ignorer que de les sçavoir en les estimant trop, et en s’y appliquant comme à des choses fort grandes et fort relevées.

C’est pourquoy, encore que ces deux traitez fussent tout prests à imprimer il y a plus de douze ans, comme le sçavent plusieurs personnes qui les ont veus dés ce temps là[221], il n’a jamais neanmoins voulu souffrir qu’on les publiât, tant par l’éloignement qu’il a toûjours eu de se produire, qu’à cause du peu d’estat qu’il faisoit de ces sciences.

Mais il n’est pas étrange que ses amis qui se voyent privez par la mort de l’esperance de plusieurs ouvrages tres considerables ausquels il avoit dessein de s’employer tout entier pour le service de l’Eglise, regardent d’une autre maniere le peu d’écrits qu’il leur a laissez et qu’ainsi ils se soient plus facilement portez à les donner au public.

Car dans le regret de la perte qu’ils ont faite, tout ce qui leur reste de luy leur est precieux ; parce qu’il leur renouvelle le souvenir d’une personne qui leur a esté si chere par tant de raisons, et qu’ils y entre-voyent toûjours quelques traits de cette éloquence inimitable avec laquelle il parloit et écrivoit sur les sujets qui en sont capables. Il est vray que la connoissance particuliere qu’ils ont eu de l’esprit de Monsieur Pascal leur y fait découvrir plusieurs choses qui ne seront pas apperceuës par ceux qui ne l’ont pas connu comme eux : on croit neanmoins que toutes les personnes habiles y remarqueront une adresse à mettre les choses dans leur jour qui n’est pas commune, et qu’ils reconnoistront facilement que cette clarté extraordinaire qui paroist dans ces écrits vient de ce qu’il concevoit les choses avec une netteté qui luy estoit propre.

Que s’ils portent cette veüe plus loin, et qu’ils se representent ce que pouvoit produire une lumiere et une penetration d’esprit admirable, jointes à une abondance prodigieuse de pensées rares et solides, et d’expressions vives et suprenantes lors qu’il avoit pour objet, non des speculations peu utiles, comme celles de ces deux Traitez, mais les plus grandes et les plus hautes veritez de nostre religion, ils se pourront former quelque idée de ce qu’eût pu faire M. Pascal, s’il eût vécu plus long temps, dans les ouvrages qu’il s’estoit proposé de faire[222], et dont il n’a laissé que de legers commencemens qui ne laisseront pas d’estre admirez si on les donne jamais au public.

C’est l’usage que l’on doit faire de ceux que l’on donne maintenant ; on ne les doit pas considerer en eux mesmes, ny borner l’idée que l’on doit avoir de celuy qui en est auteur à ce que l’on voit de luy dans ses écrits ; mais en les regardant comme des jeux et des divertissemens de sa jeunesse, et comme des choses qu’il a méprisées luy mesme autant que personne, on doit s’en servir seulement pour concevoir ce qu’on avoit sujet d’attendre de luy dans les matieres serieuses et importantes auxquelles il avoit resolu de travailler pendant le reste de sa vie.

C’est aussi dans ce mesme dessein que je crois devoir dire quelque chose de l’ouverture qu’il avoit pour les Mathematiques, et de la maniere dont il les apprit, parce que c’est une chose aussi rare et aussi étrange qu’on en ait peut estre jamais oüy dire de personne et qu’elle peut beaucoup contribuer à faire connoistre la qualité de son esprit.

Monsieur Pascal n’eut jamais d’autre maistre que Monsieur son pere, qui crut ne pouvoir mieux employer le loisir qu’il s’étoit procuré en quittant sa charge de President en la Cour des Aydes de Clermont, qu’en instruisant luy mesme son fils dont la vivacité luy faisoit concevoir des esperances tres avantageuses. Ce fut la principale raison qui l’obligea de quitter la Province pour s’establir à Paris, dont le sejour luy paraissoit plus favorable pour son dessein. On remarquoit sur tout dans cet enfant une intelligence admirable pour penetrer le fond des choses, et pour discerner les raisons solides de celles qui ne consistent qu’en mots ; de sorte que lors qu’on luy en alleguoit de cette derniere sorte son esprit estoit incapable de se satisfaire, et demeuroit dans une continuelle agitation jusqu’à ce qu’il en eût découvert les veritables raisons. Une fois entr’autres, lorsqu’il n’avoit encore qu’onze ans, quelqu’un, ayant à table sans y penser frappé un plat de fayence avec un cousteau, il prit garde que cela rendoit un grand son, mais qu’aussi tost qu’on mettoit la main dessus ce son s’arrestoit ; Il voulut en mesme temps en sçavoir la cause, et cette experience l’ayant porté à en faire beaucoup d’autres sur les sons, il y remarqua tant de choses qu’il en fit un petit traité qui fut jugé tres ingenieux et très solide[223].

Cette étrange inclination qu’il avoit pour les choses de raisonnement causa une juste défiance à Monsieur son pere qui estoit un des habiles hommes de France dans les Mathematiques, que s’il luy donnoit quelque entrée dans la Geometrie, il ne s’y portât plus qu’il ne voudroit et que cela ne l’empeschast d’apprendre les langues. Il se resolut donc de luy en oster autant qu’il pourroit toutes sortes de connaissances : il serra tous les livres qui en traittoient, et il s’abstenoit mesme d’en parler en sa presence avec ses amis ; mais ces precautions ne firent qu’exciter la curiosité de son fils, de sorte qu’il conjuroit souvent son pere de luy apprendre les Mathematiques, et ne le pouvant obtenir, il le pria au moins de luy dire ce que c’estoit cette science. Monsieur le President Pascal luy répondit en que c’estoit une science qui enseignoit le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu’elles ont entre elles ; et en mesme temps luy deffendit d’en parler et d’y penser davantage ; mais c’estoit commander une chose impossible à un esprit tel que celuy de son fils. Aussi sur cette simple ouverture il se mit incontinent à réver à ses heures de recreation et estant seul dans une salle ou il avoit accoûtumé de se divertir, il prenoit du charbon et faisoit des figures sur les carreaux cherchant les moyens, par exemple, de faire un cercle parfaitement rond, un triangle dont les costez et les angles fussent égaux, et autres choses semblables. Il trouvoit tout cela facilement, ensuite il cherchoit les proportions des figures entr’elles. Mais comme le soin que Monsieur son pere avoit eu de luy cacher toutes ces choses avoit esté si grand qu’il n’en sçavoit pas mesme les noms, il fut contraint de se faire luy mesme des definitions. Il appeloit un cercle, un rond ; une ligne, une barre ; et ainsi des autres. Après ces definitions, il se fit des axiomes ; et enfin il fit des demonstrations parfaites ; et comme l’on va de l’un à l’autre dans cette science, il poussa ses recherches si avant, qu’il en vint jusqu’à la 32. proposition du premier livre d’Euclide.

Comme il en estoit là dessus, Monsieur son pere entra par hazard dans le lieu ou il estoit, et le trouva si fort appliqué qu’il fut long temps sans s’appercevoir de sa venüe. On ne peut dire lequel fut le plus surpris, ou du fils de voir son pere, à cause de la deffense expresse qu’il luy avoit faite, ou du pere de voir son fils au milieu de toutes ces figures. Mais la surprise du pere fut bien plus grande lors que luy ayant demandé ce qu’il faisoit, il luy dit qu’il cherchoit telle chose qui estoit justement la 32. proposition du premier livre d’Euclide. Il luy demanda ensuite ce qui l’avoit fait penser a cela, et il respondit que c’estoit qu’il avoit trouvé telle autre chose ; et ainsi en retrogradant, et s’expliquant toûjours par les noms de barre et de rond, il en vint jusqu’aux definitions et aux axiomes qu’il s’estoit formez.

Monsieur Pascal le pere fut tellement épouvanté de la grandeur et de la force du genie de son fils qu’il le quitta sans luy pouvoir dire un mot, et il alla sur l’heure chez Monsieur le Pailleur son amy intime, qui estoit aussi tres habile dans les Mathematiques. Lors qu’il y fut arrivé, il y demeura immobile, comme un homme transporté. Monsieur le Pailleur voyant cela, et s’appercevant mesme qu’il versoit quelques larmes, en fut tout effrayé, et le pria de ne luy pas celer plus longtemps la cause de son déplaisir. Je ne pleure pas, luy dit Monsieur Pascal, d’affliction, mais de joye : Vous sçavez les soins que j’ay pris pour oster a mon fils la connoissance de la Geometrie, de peur de le détourner de ses autres estudes ; cependant voyez ce qu’il a fait. Sur cela il luy conta tout ce que je viens de dire, et luy dit tout ce que son fils avoit trouvé de luy mesme. Monsieur le Pailleur n’en fut pas moins surpris que le pere mesme, et luy dit qu’il ne trouvoit pas juste de captiver plus long temps cet esprit et de luy cacher ces sciences ; qu’il falloit luy laisser voir les livres qui en traittoient sans le contraindre davantage. Monsieur Pascal se laissa vaincre à ces raisons, et donna les élemens d’Euclide à son fils qui n’avoit encore que douze ans. Jamais enfant ne leut un Roman avec plus d’avidité et plus de facilité qu’il leût ce livre, lors qu’on le luy eût mis entre les mains, Il le vit et l’entendit tout seul, sans avoir jamais eu besoin d’aucune explication, et il y entra d’abord si avant qu’il se trouvoit délors regulierement aux conferences qui se faisoient toutes les semaines, ou tous les plus habiles gens de Paris s’assembloient pour y porter leurs ouvrages, ou pour examiner ceux des autres. Le jeune Monsieur Pascal y tint délors sa place aussi bien qu’aucun autre, soit pour l’examen, soit pour la production. Il y portoit aussi souvent que personne des choses nouvelles, et il est arrivé quelquefois qu’il a découvert des fautes dans des propositions qu’on examinoit dont les autres ne s’estoient point apperceus. Cependant il n’employoit à l’estude de la Geometrie que ses heures de recreation, aprenant alors les langues que son pere luy monstroit. Mais comme il trouvoit dans ces sciences la verité qu’il aymoit en tout avec une extréme passion, il y avançoit tellement pour peu qu’il s’y occupât qu’à l’âge de seize ans il fit un Traité des Coniques qui passa au jugement des plus habiles pour un des plus grands efforts d’esprit qu’on se puisse imaginer. Aussi Monsieur Descartes qui estoit en Hollande depuis long temps, l’ayant leu, et ayant oüy dire qu’il avoit esté fait par un enfant agé de seize ans, ayma mieux croire que Monsieur Pascal le pere en estoit le veritable auteur, et qu’il vouloit se dépoüiller de la gloire qui luy appartenoit legitimement pour la faire passer à son fils, que de se persuader, qu’un enfant de cet âge fut capable d’un ouvrage de cette force, faisant voir par cet éloignement qu’il témoigna de croire une chose qui estoit tres veritable, qu’elle estoit en effet incroyable et prodigieuse[224].

A l’âge de dix-neuf ans il inventa cette machine d’Arithmetique qui a esté estimée une des plus extraordinaires choses qu’on ait jamais veuë. Et ensuite a l’âge de vingt-trois ans ayant veu l’experience de Toricelli, il en inventa et en fit un tres grand nombre d’autres nouvelles. Et comme ce sont celles dont il a composé les deux Traitez de L’Equilibre des liqueurs, et de la Pesanteur de L’air, et qui en sont le sujet, il est necessaire d’en faire icy l’histoire plus exactement, et de reprendre la chose de plus haut.


HISTOIRE DES EXPERIENCES DU VUIDE


Galilée est celuy qui a remarqué le premier que les Pompes aspirantes ne pouvoient élever l’eau plus haut que 32. ou 33. pieds, et que le reste du tuyau s’il estoit plus haut demeuroit apparemment vuide[225]. Il en avoit seulement tiré cette conséquence que la nature n’a horreur du vuide que jusqu’à un certain point, et que l’effort qu’elle fait pour l’éviter est finy, et peut estre surmonté, sans se détromper encore de la fausseté du principe mesme. Ensuite en l’an 1643. Toricelli Mathematicien du duc de Florence et successeur de Galilée trouva qu’un tuyau de verre de quatre pieds ouvert seulement par un bout et fermé par l’autre, estant remply de vif argent, l’ouverture en estant bouchée avec le doigt ou autrement, et le tuyau disposé perpendiculairement a l’horison, l’ouverture bouchée estant vers le bas, et plongée deux ou trois doigt dans d’autre vif argent contenu en un vaisseau moitié plein de vif argent, et l’autre moitié d’eau ; si on le débouche (l’ouverture demeurant enfoncée dans le vif argent du vaisseau) le vif argent du tuyau descend en partie, laissant au haut du tuyau un espace vuide en apparence, le bas du mesme tuyau demeurant plein du mesme vif argent jusqu’à une certaine hauteur : et si on hausse un peu le tuyau, jusqu’à ce que son ouverture qui trempoit auparavant dans le vif argent du vaisseau, sortant de ce vif argent, arrive à la region de l’eau, le vif argent du tuyau monte jusqu’en haut avec l’eau, et ces deux liqueurs se broüillent dans le tuyau, mais enfin tout le vif argent tombe, et le tuyau se trouve tout plein d’eau.

C’est là la premiere experience qui a esté faite sur cette matiere, qui est devenue depuis si celebre par les suites qu’elle a euë, et que l’on a toujours appellée l’experience du Vuide.

[226] Ce fut le R. P. Mersenne, Minime de Paris, qui en eût le premier la connoissance en France ; on la luy manda d’Italie en l’année 1644. et ayant esté par son moyen divulguée et renduë fameuse dans toute la France avec l’admiration de tous les sçavans, Monsieur Pascal l’apprit de Monsieur Petit, Intendant des Fortifications et tres habile dans ces sortes de sciences, qui l’avoit apprise du P. Mersenne mesme ; et l’ayant faite ensemble a Roüen en l’année 1646. de la mesme sorte qu’elle avoit esté faite en Italie, ils trouverent de point en point ce qui avoit esté mandé de ce païs là.

Depuis Monsieur Pascal ayant reïteré plusieurs fois cette mesme experience, et s’en estant entierement asseuré, il en tira plusieurs consequences pour la preuve desquelles il fit plusieurs nouvelles experiences en presence des personnes les plus considerables de la ville de Rouën où il estoit alors, Monsieur son pere y faisant la fonction d’Intendant de Justice et des Finances. Et entr’autres il en fit une avec un tuyau de verre de quarante six pieds de haut, ouvert par un bout, et scellé hermetiquement par l’autre, qu’il remplit d’eau ou plûtost de vin rouge pour estre plus visible et l’ayant fait élever en cet estat en bouchant l’ouverture, et poser perpendiculairement à l’horison, l’ouverture en bas estant dans un vaisseau plein d’eau et enfoncée dedans environ d’un pied ; en la débouchant le vin du tuyau descendoit jusqu’à la hauteur d’environ trente-deux pieds depuis la surface de l’eau du vaisseau, à laquelle il demeuroit suspendu, laissant au haut du tuyau un espace de treize pieds vuide en apparence : et en inclinant le tuyau, comme alors la hauteur du vin du tuyau devenoit moindre par cette inclination, le vin remontoit jusqu’à ce qu’il vinst jusqu’à la hauteur de 32. pieds : et enfin en l’inclinant jusqu’à la hauteur de trente-deux pieds, il le remplissoit entièrement en resuçant ainsi autant d’eau qu’il avoit rejetté de vin ; en sorte qu’on le voyoit plein de vin depuis le haut jusqu’à treize pieds prés du bas, et remply d’eau dans les treize pieds inférieurs parce que l’eau est plus pesante que le vin.

Il y fit encore un grand nombre de toutes sortes d’experiences avec des Siphons, Seringues, Soufflets et toutes sortes de tuyaux, de toutes longueurs, grosseurs et figures, chargez de differentes liqueurs comme vif argent, eau, vin, huile, air, etc.

Il les fit imprimer en l’année 1647 ; et en fit un petit livret qu’il envoya par toute la France, et ensuite dans les pays étrangers, comme en Suede, en Holande, en Pologne, en Allemagne, en Italie et de tous les costez, ce qui rendit ces experiences celebres parmy tous les sçavants de l’Europe.

Cette mesme année 1647. Monsieur Pascal fut averty d’une pensée qu’avoit euë Toricelli que l’air estoit pesant, et que la pesanteur pouvoit estre la cause de tous les effets qu’on avoit jusqu’à lors attribuez à l’horreur du vuide. Il trouva cette pensée tout à fait belle ; mais comme ce n’estoit qu’une simple conjecture, et dont on n’avoit aucune preuve, pour en connoistre ou la verité ou la fausseté, il fit plusieurs experiences ; l’une des plus considerables fut celle du vuide dans le vuide, qu’il fit avec deux tuyaux l’un dans l’autre vers la fin de l’année 1647. comme on le peut juger par ce qui en est dit dans le récit de l’Expérience du Puy de Domme (pag. 170[227]), qui fut imprimé en 1648. Il n’en est pas neanmoins parlé dans les deux Traitez que l’on publie maintenant, parce que l’effet en est tout pareil à celuy de l’Experience qui est rapportée dans le Traité de la Pesanteur de l’Air chap. 6, pag. 105[228], qui ne differe de l’autre qu’en ce que l’une se fait avec un simple tuyau, et l’autre avec deux tuyaux l’un dans l’autre.

Mais cette experience ne le satisfaisant pas encore entierement, il medita dés la fin de cette mesme année 1647. l’experience celebre qui fut faite en 1648. au haut et au bas d’une montagne d’Auvergne appellée le Puy de Domme dont il fit imprimer la Relation qu’il envoya aussi de toute parts.

Le succés de cette Experience qu’il reïtera depuis plusieurs fois, au haut et au bas de plusieurs tours comme celles de Nostre-Dame de Paris, de S. Jacques de la Boucherie, etc., au grenier et à la cave d’une maison, y remarquant toûjours la mesme proportion, le confirma tout à fait dans la pensée de Toricelli de la Pesanteur de l’Air, et luy donna lieu ensuite d’en tirer plusieurs consequences tres belles et très utiles, et de faire encore plusieurs autres experiences qu’il mit dans un grand Traité qu’il composa en ce temps là, où il expliquoit à fond toute cette matiere, et où il resolvoit toutes les objections que l’on faisoit contre luy. Mais ce Traité a esté perdu ; ou plûtost comme il aimoit fort la brieveté, il l’a reduit luy mesme en ces deux petits Traitez, que l’on donne maintenant, dont l’un est intitulé, De l’Equilibre des Liqueurs, et l’autre, De la pesanteur de la masse de l’Air.

Il est seulement resté de cet autre plus long écrit quelques Fragments qui se verront à la fin de ce livre[229] ; et on y a joint aussi la Relation de l’Experience du Puy de Domme dont nous venons de parler.

Ce fut incontinent apres ce temps là que des estudes plus serieuses ausquelles Monsieur Pascal se donna tout entier le dégousterent tellement des Mathematiques et de la Physique qu’il les abandonna absolument. Car quoy qu’il ait fait depuis un Traité de la Roulette sous le nom d’Ettonville, cela n’est pas contraire à ce que je dis, parce qu’il trouva tout ce qu’il contient comme par hazard, et sans s’y appliquer et qu’il ne l’écrivit que pour le faire servir à un dessein entierement éloigné des Mathematiques et de toutes les sciences curieuses comme on le pourra dire quelque jour[230].

Mais quoy que depuis l’année 1647. jusqu’à sa mort, il se soit passé prés de quinze ans, on peut dire neanmoins qu’il n’a vécu que fort peu de temps depuis, ses maladies et ses incommoditez continuelles luy ayant à peine laissé deux ou trois ans d’intervale, non d’une santé parfaite, car il n’en a jamais eu, mais d’une langueur plus supportable, et dans laquelle il n’estoit pas entierement incapable de travailler.

C’est dans ce petit espace de temps qu’il a écrit tout ce qu’on a de luy, tant ce qui a paru sous d’autres noms[231] que ce que l’on a trouvé dans ses papiers, qui ne consiste presque qu’en un amas de pensées détachées pour un grand ouvrage qu’il meditoit, lesquelles il produisoit dans les petits intervales de loisir que luy laissoient ses autres occupations, ou dans les entretiens qu’il en avoit avec ses amis. Mais quoy que ces pensées ne soient rien en comparaison de ce qu’il eût fait s’il eust travaillé tout de bon à ces ouvrages, on s’asseure neanmoins que si le public les voit jamais, il ne se tiendra pas peu obligé a ceux qui ont pris le soin du les recüeillir, et de les conserver[232], et qu’il demeurera persuadé que ces Fragments, tout informes qu’ils sont, ne se peuvent trop estimer, et qu’ils donnent des ouvertures aux plus grandes choses et ausquelles peut estre on n’auroit jamais pensé.


AVERTISSEMENT


Apres avoir averty que la premiere des Tables des Figures qui sont à la fin de ce Livre est pour le Traité de l’Equilibre des Liqueurs, et que la seconde est pour celuy de la Pesanteur de la Masse de l’Air, il est necessaire de faire deux remarques importantes : l’une pour le premier Traité, et l’autre pour le second.

I. Remarque. Ce qui est dit dans le Traité de l’Equilibre des Liqueurs, pag. 4, que quand le tuyau que l’on remplit d’eau seroit cent fois plus large, ou cent fois plus estroit, pourveu que l’eau y fust toûjours à la mesme hauteur, il faudrait toûjours un mesme poids pour contrepeser l’eau, ne doit estre entendu qu’avec cette exception, pourveu que ces tuyaux demeurent toujours un peu gros, comme de deux ou trois lignes de diametre. Car si de deux tuyaux ayant communication l’un dans l’autre, l’un estoit fort menu comme de la grosseur d’une épingle, ou mesme un peu plus, l’eau se tiendroit plus haute dans le plus menu que dans le plus gros. Et quand mesme ces tuyaux fort menus sont separez l’un de l’autre, en les mettant dans l’eau, on voit que l’eau y monte et y demeure suspenduë aux uns plus haut, et aux autres plus bas, selon qu’ils sont plus ou moins menus, quoy qu’ils soient ouverts par en haut aussi bien que par en bas. Mais Monsieur Pascal n’avait garde d’excepter ce cas, parce que lors qu’il a fait ces deux Traitez on n’avoit pas encore trouvé ces nouvelles Experiences des petits tuyaux dont l’invention est deuë à Monsieur[233] [Rohault], qui a une adresse merveilleuse pour trouver des Experiences et pour les expliquer.

II. Remarque. Par tout où on verra le mot de Vuide, il ne faut pas s’imaginer que Monsieur Pascal ait eu le dessein de prouver qu’il peut y avoir un espace absolument vuide, mais seulement qu’il entend toujours par ce mot de Vuide un espace vuide de toutes les matieres qui tombent sous les sens, comme il le marque en plusieurs endroits.

Il faut aussi remarquer qu’il y a une faute dans la Figure qui est en la page 105, qui est que l’endroit B n’est pas assez recourbé, de sorte que le vif argent qui y est demeuré ne le remplit pas entierement, mais laisse un espace vuide ; d’où il arriveroit qu’ostant le doigt, l’air qui y entreroit ne feroit point soûlever le vif argent qui seroit demeuré en cét endroit là, parce qu’il auroit un passage pour aller remplir le tuyau sans avoir besoin de pousser le vif argent[234].

APPENDICE II


NOUVELLES EXPERIENCES FAITES EN ANGLETERRE[235]


Expliquée par les principes establis dans les deux Traitez precedens De l’Equilibre des Liqueurs, et de la Pesanteur de la masse de l’Air.


Outre les experiences qui ont esté rapportées dans les Traitez precedens, il s’en peut faire une infinité d’autres pareilles, dont on rendra toûjours raison par le principe de la Pesanteur de la masse de l’Air.

Plusieurs personnes ont pris plaisir depuis 15. ou 20. ans, d’en inventer de nouvelles. Et entre les autres, un Gentilhomme Anglois, nommé Monsieur Boyle, en a fait de fort curieuses, que l’on peut voir dans un livre qu’il en a composé en Anglois, et qui a esté depuis traduit en Latin sous ce titre : Nova experimenta Physico-Mechanica de Aëre[236].

L’on a jugé à propos d’en mettre icy en abregé les principales, pour faire voir le rapport qu’elles ont avec celles qui sont contenuës dans les Traitez precedens, et pour confirmer encore davantage le principe qu’on y a estably de la pesanteur de la masse de l’Air.

Une des choses les plus remarquables qui soit dans ce livre des Experiences de Monsieur Boyle, est la machine dont il s’est servy pour les faire ; Car comme il est impossible d’oster tout l’air d’une chambre, et qu’on ne s’estoit avisé que de vuider le bout d’un tuyau bouché par en haut par le moyen du vif argent ; cet espace vuide estant si petit, l’on n’y pouvoit faire aucune experience considerable.

Au lieu que se servant d’une machine dont la premiere invention est deüe à ceux de Magdebourg[237] mais qu’il a depuis beaucoup perfectionnée, il a trouvé moyen de vuider un fort grand vase de verre qui a une grande ouverture par en haut, par le moyen de laquelle on y peut mettre tout ce que l’on veut, et voir au travers du verre ce qui arrive quand on l’a vuidé.

Cette machine est composée de deux principales parties ; sçavoir, d’un grand vase de verre, qu’il appelle Recipient à cause de la ressemblance qu’il a avec les vases dont se servent les Chimistes, et qu’ils appellent de ce nom ; et d’un autre vase qu’il appelle Pompe, à cause qu’il sert à attirer et à suçer l’Air contenu dans le Recipient.

Le premier vase, nommé Recipient est d’une figure ronde comme une boulle, pour estre plus fort, et pouvoir mieux resister à la pression de l’Air quand on le vuide. Il est d’une telle grandeur, qu’il peut contenir 60. livres d’eau à 16. onces la livre ; c’est à dire environ 30. pintes mesure de Paris. Et c’est, dit-il, le plus grand que les ouvriers ayent pû faire.

Il a par en haut une ouverture fort large, et un couvert propre pour la boucher, qui est encore persé par le milieu, et que l’on bouche avec une clef de robinet que l’on leve plus ou moins ou tout à fait, pour faire rentrer autant d’Air que l’on veut dans le Recipient que l’on a vuidé.

Outre cette ouverture d’en-haut, le Recipient en a encore une par en bas, qui va un peu en pointe, et dans laquelle entre une des ouvertures d’un robinet.

L’autre partie de la machine, appelée Pompe, est faite d’airin en forme d’un Cilindre creux, long environ de 13. ou 14. poulces, et dont la cavité en a prés de trois de diametre.

Elle a deux ouvertures par en haut, l’une dans laquelle entre l’autre ouverture du robinet, qui entre aussi par son autre costé dans l’ouverture d’en bas du Recipient, comme nous avons dit ; en sorte qu’il y a par ce moyen communication du Recipient dans la Pompe, quand le robinet est ouvert : l’autre à costé par laquelle on peut faire sortir l’Air qui est dans cette Pompe ou Cilindre creux, et à laquelle il y a une soupape qui laisse sortir l’Air de dedans, et empesche de rentrer celuy de dehors.

Cette Pompe est toute ouverte par en bas, et l’on bouche cette ouverture avec un gros Piston, qui est juste, en sorte que l’Air ne puisse passer entre deux.

Ce Piston a pour manche une lame de fer estroite, mais assez épaisse, un peu plus longue que le Cilindre, ayant un costé tout dentelé et plein de crans, dans lesquels entrent les crans d’une roüe attachée à des pieces de bois qui servent de soutien à ce Cilindre et à toute la machine : Et ainsi en faisant tourner cette roue, l’on fait monter ou descendre le Piston comme l’on veut, et l’on chasse de cette sorte l’Air qui est contenu dans le Cilindre, qui sort par le trou qui est au haut, et que l’on rebouche aussitost avec un morceau de cuivre fait exprés, qui est juste à l’ouverture.

Cette description suffit pour pouvoir entendre les Experiences que nous devons rapporter cy apres : ceux qui en desireront voir une plus ample et plus particularisée, la pourront trouver dans le livre de Monsieur Boyle, où l’on voit aussi la figure de cette machine gravée dans une planche.

Pour vuider maintenant le Recipient par le moyen de cette machine, il faut, premierement, que le Piston soit au bas du Cilindre, que le robinet qui fait la communication du Recipient dans la Pompe soit fermé, et que le trou du haut du Cilindre soit débouché.

Les choses estant ainsi disposées, il faut faire monter le Piston par le moyen de la roüe, jusques au haut du Cilindre, et en faire ainsi sortir tout l’Air qui y est par le trou d’en-haut qui est ouvert, et que l’on bouche aussitost avec le bouchon de cuivre ; puis il faut faire redescendre le Piston jusques au bas de la Pompe, en sorte qu’elle est par ce moyen toute vuide d’Air : après cela, il faut ouvrir le robinet qui fait la communication du Recipient dans la Pompe ; et ainsi l’Air du Recipient sortant par ce robinet, remplit la Pompe, qu’il faut encore vuider de la mesme maniere qu’auparavant en fermant le robinet, et puis à remplir et la revuider toûjours, jusqu’à ce qu’on n’entende plus l’Air sortir par le trou d’en haut de la Pompe, et qu’en y approchant une bougie allumée, elle ne s’éteigne plus ; par où l’on connoist que l’on ne tire plus rien du Recipient, et qu’ainsi il est autant vuidé qu’on le peut vuider par cette machine.

Mais il est facile de comprendre qu’il est impossible de le vuider entierement par ce moyen là, comme Monsieur Boyle l’avoüe luy mesme ; parce que lors qu’apres avoir vuidé la Pompe, on ouvre le robinet, tout l’air du Recipient n’entre pas dans la Pompe ; mais il se partage dans ces deux vases suivant la proportion de leurs capacitez ; et ainsi le Recipient estant beaucoup plus grand que la Pompe, il demeure une plus grande partie d’air dans le Recipient que dans la Pompe ; en sorte que l’on ne sçauroit empescher qu’il n’y en reste toûjours une quantité un peu considerable, à moins que la capacité de la Pompe ne fust incomparablement plus grande que celle du Recipient ; ce qui n’a point esté fait.

Et ainsi il ne faut pas s’estonner si quelques effets ne s’y font pas comme ils devroient se faire, s’il estoit entierement vuide ; comme, par exemple, que le vif argent n’y tombe pas entierement dans l’experience ordinaire, et que mesme quand on la fait avec de l’eau, elle y demeure suspendüe en une hauteur assez considerable.

Mais il y a cela à remarquer, que si ces effets ne s’y font pas entierement, du moins ils s’y font dans la plus grande partie, et suivant la proportion de l’Air que l’on a tiré du Recipient ; car, par exemple, comme le rapporte Monsieur Boyle dans l’experience qu’il en a faite, le vif argent n’y demeure pas suspendu à la hauteur de 27. poulces comme il feroit dans l’Air, mais seulement à celle d’un doigt, c’est-à-dire à 9. ou 10. lignes ; et l’eau n’y demeure pas suspenduë à la hauteur de 32. pieds, mais seulement à celle d’un pied, suivant la mesme proportion que le vif argent ; ce qui est une grande diminution, et qui montre aussi bien que ces effets viennent de la pesanteur de l’Air, dont il ne reste qu’une petite partie dans le Recipient, que si cette eau et ce vif argent tomboient entierement dans un lieu qui fut entierement vuide.

Car il est certain que rien ne fait mieux voir que c’est la pesanteur de la masse de l’Air qui produit tous ces effets que l’on remarque dans les Liqueurs qui demeurent suspenduës les unes plus haut, et les autres plus bas, dans l’experience ordinaire du Vuide, que de voir que, comme ces effets cessent entierement lorsque l’on oste entierement la pression et le ressort de l’Air, ce que l’on fait par l’experience du vuide dans le vuide, ils diminuent aussi tres sensiblement, et sont presque reduits à rien, lorsque l’Air qui presse le vase où la liqueur se répand, est extrémement diminué, comme en cette machine de Monsieur Boyle.

Et c’est pourquoy, encore que l’on puisse faire quelques experiences dans ce Recipient, qui paroissent toutes semblables à celles qui se feroient en plein Air ; comme, par exemple, que deux corps polis y demeurent attachez l’un contre l’autre sans se des-unir, quand on en a attiré l’Air avec la Pompe, il ne s’ensuit pas pour cela que cet effet puisse se faire aussi bien dans le Vuide que dans l’Air, et qu’ainsi il n’est point causé par la pesanteur de l’Air, ce qui seroit contraire à ce qui a esté dit dans le Traitté de la pesanteur de la masse de l’Air ; mais il s’ensuit seulement que cet effet vient de l’Air qui est resté dans ce Recipient, lequel se dilatant et se rarefiant, à cause qu’il n’est plus comprimé par l’Air exterieur, presse, par son ressort, ces deux corps l’un contre l’autre, et a encore assez de force pour les empescher de se des-unir : mais comme ils ne sont pas si pressez que dans l’Air, si l’on pouvoit mettre les mains dans ce Recipient, l’on ne sentiroit pas sans doute une si grande resistance à les separer ; ou bien si l’on en vouloit faire l’experience d’une maniere plus facile, il n’y auroit qu’à pendre au corps de dessous un poids un peu considerable, qui fit le mesme effet qu’une main qui le tireroit, et l’on verroit qu’en vuidant le Recipient, ces deux corps se separeroient beaucoup plus facilement que dans l’Air. Ainsi cette experience est toute semblable à celles que nous avons rapportées de l’eau et du vif argent que l’on fait dans cette machine ; car comme si, au lieu d’un tuyau de trois ou quatre pieds dont on se sert pour faire l’experience avec de l’eau, dans lequel l’eau se vuide jusques à la hauteur d’un pied, on se servoit d’un tuyau qui ne fut long que d’un demy pied, il arriveroit qu’en vuidant l’Air du Recipient l’eau ne tomberoit point, mais demeureroit toûjours suspenduë jusques au haut du tuyau, parce que l’Air qui y reste suffiroit encore pour la soutenir dans cette hauteur. Et, comme l’on ne pourroit pas conclurre de là que l’eau demeuroit de mesme suspenduë dans des tuyaux plus hauts, comme de 3. ou 4. pieds, ou de quelque hauteur qu’ils fussent, et qu’ainsi cet effet de la suspension de l’eau ne vient point de la pression de l’Air : l’on ne peut pas conclure aussi, de ce que deux corps pesans peut estre chacun 4. ou 5. onces, ou mesme un peu plus, demeurent attachez l’un contre l’autre dans ce Recipient, que deux corps beaucoup plus pesans y demeureront de mesme unis l’un à l’autre, et qu’ainsi cet effet de l’adhesion de deux corps polis, appliquez l’un contre l’autre, n’est point causé par la pesanteur de l’Air.

Ainsi l’on voit dans toutes les experiences qui se peuvent faire dans cette machine, que celles où il arrive des effets pareils à ceux que nous venons de rapporter, ne font rien contre ce principe de la pesanteur de l’Air, puisque l’on peut dire, avec raison, qu’ils sont causez par l’Air qui reste dans le Recipient ; et que les autres au contraire servent autant à le prouver et à l’establir, que si le Recipient estoit tout à fait vuidé.

Nous allons donc en rapporter quelques-unes, tirées, comme nous avons dit, du livre de Monsieur Boyle, en faisant voir qu’elles dependent manifestement du principe de la pesanteur de l’Air.

I. Il remarque premièrement, qu’ayant vuidé le Recipient en la maniere qui a esté dite, l’on a beaucoup de peine à lever la clef de robinet qui est au haut du Recipient, comme nous avons marqué, et que l’on la sent pesante, comme si un grand poids pendoit au bout d’en bas.

Ce qui est bien naturel et bien aisé à expliquer par le principe de la pesanteur de l’Air ; car dans cette experience, l’Air ne touchant point cette clef par dessous, mais seulement par dessus, il faut, pour la lever, lever la colomne d’Air qui pese dessus, laquelle estant pesante, il ne faut pas s’estonner si on trouve la clef pesante, et si on a de la peine à la lever.

II. Il remarque aussi qu’après avoir fait monter le Piston jusqu’au haut du Cilindre, et qu’on en a ainsi chassé tout l’Air, l’on a beaucoup de peine à le faire redescendre, et qu’il semble qu’il soit collé et attaché au haut du Cilindre ; en sorte qu’il faut employer une grande force pour l’en separer.

Cet effet n’est pas plus mal-aisé à expliquer que le precedent. Car puisque l’Air qui environne le Piston le presse par dessous, et non par dessus, il faut, pour le baisser, repousser et soulever la colomne d’Air qui fait effort contre le bas ; ce qui ne se peut faire qu’avec peine, et en y employant une force considerable.

III. Il rapporte après cela plusieurs experiences qu’il a faites dans le Recipient ; et premierement celle d’une vessie d’Agneau assez ample, seche, fort molle et seulement à demy pleine d’Air, dont ayant bien bouché l’orifice, en sorte qu’il n’y pouvoit point du tout entrer d’Air, il la mit en cet estat dans le Recipient, et en ayant ensuite bien bouché l’ouverture, il le fit vuider par le moyen de la Pompe ; et à mesure qu’il se vuidoit, l’on voyoit la vessie s’enfler, en sorte qu’avant mesme que le Recipient fut autant des-empli d’Air que l’on pouvoit le des-emplir, elle paroissoit entierement tenduë, et aussi bandée que si l’on y eut soufflé de l’Air. Pour estre encore plus assuré que l’enfleure de cette vessie venoit de ce qu’on ostoit l’Air qui l’environnoit et qui la pressoit, il fit lever un peu la clef de robinet qui estoit au haut du Recipient, pour y faire rentrer de l’Air petit à petit ; et à mesure qu’il y entroit, l’on voyoit la vessie se ramollir peu à peu, et enfin, quand on y laissoit entrer tout à fait l’Air, elle devenoit aussi flasque qu’auparavant.

Il rapporte sur ce sujet une experience toute pareille que l’on faisoit avec une vessie de Carpe, dont il attribue l’invention à Monsieur de Roberval[238].

Il a refait plusieurs fois cette mesme experience avec la vessit d’Agneau, et il remarque que, lorsqu’il y laissoit trop d’Air, elle se crevoit, et en crevant faisoit un bruit semblable à celui d’un petart.

Pour rendre raison de cet effet par nostre principe, il n’y a qu’à dire en un mot qu’il est tout pareil à celuy qui a esté rapporté dans le Traitté de la Pesanteur de l’Air, page 53. d’un balon qui s’enfle ou se des-enfle, à mesure qu’on le monte au haut d’une montagne, ou qu’on l’en fait descendre, puisqu’on voit de mesme cette vessie d’Agneau s’enfler à mesure qu’on diminuë l’Air qui la comprimoit et qui la faisoit paroistre molle et flasque.

IV. Il remarque encore, par plusieurs experiences qu’il a faites, qu’en vuidant un vase de verre qui ne soit pas rond, mais seulement d’une figure ovalique, il se casse toûjours, quoy qu’on le fasse fort épais ; au lieu que quand il est tout à fait rond comme une boulle, quoy qu’il soit beaucoup plus mince, il ne se casse point, parce que cette figure fait que ses parties s’entre-soutiennent et se fortifient les unes les autres.

Cet effet ne vient pas de l’horreur que la nature a pour le Vuide, puisque si cela estoit, le vase rond devroit aussi bien se casser que l’autre : mais il vient de la pesanteur de l’Air, lequel pressant beaucoup ces deux vases par dehors, et tres-peu par dedans, quisqu’ils sont presque vuides d’Air, casse celuy qui est en forme ovalique, parce qu’il a moins de resistance ; mais ne casse point celuy qui est rond, parce que cette figure le rend plus fort et plus capable de resister à l’effort que l’Air fait pour le casser.

V. C’est aussi par ce mesme principe de la pesanteur de l’Air, qu’il faut expliquer une autre experience qu’il rapporte d’un Siphon plein d’eau, long d’un pied et demy, qu’il mit dans son Recipient, et qui cessa de couler dés lors qu’on eut vuidé ce Recipient par le moyen de la Pompe ; car il est clair que l’Air qui reste dans le Recipient ne pouvant élever l’eau par sa pression que jusqu’à un pied, comme on a remarqué cy dessus, un Siphon long d’un pied et demy devoit cesser de couler.

VI. Il a encore éprouvé que des poids d’inégale grosseur, pesans également dans l’Air, perdoient leur Equilibre dans le vuide. Et il en a fait l’experience en cette maniere.

Il prit une vessie seche, à demy pleine d’Air, dont il boucha bien l’ouverture, et l’attacha en cette sorte, à l’un des bras d’une balance si juste et si delicate, que la trente-deuxiéme partie d’un grain estoit capable de la faire incliner d’un costé ou d’autre ; et à l’autre bras de la balance il mit un poids de plomb de la mesme pesanteur que la vessie ; en sorte que ces deux poids estoient ainsi en Equilibre dans l’Air ; et mesme il remarque que le poids de plomb pesoit un peu plus que la vessie.

Ayant mis le tout dans le Recipient, et ayant tiré l’Air avec la Pompe, l’on voyoit au contraire le costé où estoit penduë la vessie, l’emporter par dessus l’autre, et baisser de plus en plus à mesure que l’on tiroit plus d’Air du Recipient et en laissant rentrer l’Air petit à petit, l’on voyoit aussi la vessie remonter peu à peu, et enfin redevenir à son Equilibre quand on y laissoit entrer tout à fait l’Air.

Cet effet est tout pareil à ce qui a esté dit dans le Traitté de l’Equilibre des Liqueurs, pag. 27. et 28.[239] qu’il se peut faire que des poids soient en Equilibre dans l’Air, qui ne le seroient pas dans l’eau, ny mesme dans un Air plus humide ; et la raison qui en est donnée en cet endroit doit aussi servir à expliquer l’experience que nous venons de rapporter.

Car il est clair que lorsque la vessie est dans l’Air en Equilibre avec le plomb, elle est contrepesée en cet estat non seulement par le plomb, mais par un volume d’Air égal à soy, beaucoup plus grand que n’est celuy qui contrepese le plomb : or, estant mise dans ce Recipient presque vuide, encore que sa pesanteur naturelle n’augmente pas, neanmoins elle est moins contrepesée et moins soûtenuë, parce que le volume d’Air qui la contrepesoit a perdu beaucoup de sa force par la diminution d’Air, et bien plus à proportion que celuy qui contrepesoit le plomb, parce qu’il est bien plus grand ; et par consequent la vessie qui estoit en Equilibre dans l’Air, doit s’abaisser dans ce vuide, et cesser d’estre en Equilibre.

Outre ces Experiences, Monsieur Boyle en a fait quelques autres, lesquelles ne dependent point, à la verité, du principe de la pesanteur de l’Air, et qui arriveroient tout de mesme quand il ne peseroit pas, mais qui n’y sont point aussi contraires.

Il a éprouvé, par exemple, qu’un pendule ne va pas si vite dans l’Air que dans le Vuide ; et pour le connoître, il en a pris deux parfaitement égaux dans l’Air, dont il en a mis l’un dans le Recipient, et laissé l’autre dans l’Air ; et ayant ensuite fait vuider le Recipient, le pendule qui y estoit enfermé alloit plus vite que celui qui estoit en plein Air, en sorte que l’on comptoit 22. battemens de l’un contre 20. seulement de l’autre.

Il a encore remarqué que les sons diminuoient beaucoup de leur force dans ce Recipient lorsqu’on le vuidoit ; ce qu’il a éprouvé par le moyen d’une Montre sonante qu’il a mise dans ce Recipient, et que l’on n’entendoit presque point sonner apres l’avoir vuidé, quoy qu’on l’entendit fort bien auparavant.

Ce qui n’est point contraire, comme il semble, à ce qui a esté dit dans l’experience que nous avons rapportée de la vessie, laquelle en se crevant faisoit autant de bruit qu’un petart[240] ; car tout ce qu’on peut justement conclurre est qu’il faudroit que le bruit eut esté beaucoup plus grand.

Il a voulu éprouver, outre cela, si le feu se pourroit conserver dans ce Recipient vuidé, et combien de temps il y dureroit ; & pour cela il y mit premierement une chandelle de suif allumée, qu’il dit s’estre esteinte en moins d’une minute, après avoir vuidé le Recipient ; et ayant fait la mesme experience avec un petit cierge de cire blanche, il n’y demeura pas non plus allumé plus d’une minute.

Il mit ensuite des charbons ardens, et l’ayant fait aussi tost vuider, il remarqua que, depuis que l’on avoit commencé à le vuider jusqu’à ce que les charbons fussent entierement éteints, il s’estoit seulement passé trois minutes. Et y ayant mis de la mesme maniere un fer rouge au lieu de charbons, cette rougeur dura visible pendant l’espace de 4. minutes.

Il a fait encore la mesme épreuve avec un bout de la meche dont se servent les Soldats pour leurs Mousquets, qu’il suspendit toute allumée dans son Recipient, et qui s’éteignoit tout de mesme à mesure qu’on le vuidoit.

Il a voulu encore après cela éprouver ce que deviendroient les animaux que l’on mettroit dans ce Recipient ; si ceux qui ont des aîles y voleroient ; si les autres y marcheroient ; et enfin si les uns et les autres y pourroient vivre long-temps.

Il y mit premierement de ceux qui ont des aîles, comme de grosses mouches, des Abeilles et des Papillons ; mais apres qu’on eut vuidé le Recipient, ils tomberent du haut en bas sans se pouvoir du tout servir de leurs aîles.

Il y mit encore une Aloüette, qui non seulement y perdit l’usage de ses aîles, mais devint tout d’un coup languissante ; et ayant ensuite souffert plusieurs convulsions tres violentes, on la vit enfin expirer, et tout cela se passa pendant l’espace de 9. ou 10. minutes.

On y mit ensuite un Moineau, qui y mourut de mesme, après 5. ou 6. minutes ; et apres, une Souris qui y vécut un peu plus longtemps, et qui n’y souffrit pas tant de convulsions que les animaux à aîles[241].

Voulant aussi éprouver si les poissons y pourroient vivre, et n’en pouvant avoir d’autres vivans, il y mit une Anguille, laquelle, après que l’on eut vuidé le Recipient, y demeura couchée et immobile durant long-temps, comme si elle eut esté morte. Neanmoins, quand on ouvrit après cela le Recipient et qu’on l’en retira, on trouva qu’elle ne l’estoit pas, et qu’elle estoit aussi vive qu’avant qu’on l’y mit.

Voilà ce que l’on a jugé à propos d’extraire du livre de Monsieur Boyle, et les experiences que l’on a trouvées les plus considerables, et qui ont le plus de rapport au sujet des Traitez precedens, dont les unes ont cela de particulier, qu’elles prouvent clairement que l’Air a de la pesanteur, & toutes ont cela de commun, qu’elles ne prouvent rien qui soit contraire à ce Principe. LIV

ADRESSE A L'ACADÉMIE PARISIENNE

1654

D'après l'édition de Bossut, t. IV, p. 408, et une copie conservée à la Bibliothèque royale de Hanovre. INTRODUCTION

Cette notice en forme d'Adresse — ou suivant l'expression de Leibniz peut-être plus commode que parfaitement justifiée, cette Dédicace — a été publiée par Bossut d'après un original que nous n'avons pas retrouvé. Une copie de la même pièce, rapportée de Paris par Leibniz, est conservée à la bibliothèque de Hanovre ; elle diffère, par le titre, du texte de Bossut et porte pour en-tête :

Pascalii fragmentum Celeberrimis matheseos professoribus.

On pourrait supposer, d'après ce dernier titre, que la Dédicace de Pascal servait à plusieurs fins, s'adressant à la fois à l'Académie parisienne et au monde savant en général. Néanmoins il est probable que l'original vu par Leibniz était, comme le texte de Bossut, dédié à l'Académie ; car Leibniz écrivait de Paris à Oldenburg le 12 juin 1676 (Briefw. v. G. W. Leibniz mit Mathemaiikern, éd. Gerhardt, I, p. 126) : « Repertum est inter scripta ejus quoddam dedicationis genus, quo opere sua Geometrica et Numerica Academiæ nescio cui Parisinæ (id est conventui geometrarum privato, illo temporecelebri), inscribit. »

Nous reproduisons l'Adresse d'après la copie de Leibniz. Notons que dans cette copie plusieurs mots, à la fin d'une phrase, sont sautés et remplacés par des blancs. La même fin de phrase manque tout entière dans l'édition de Bossut. Peut-être le texte original était-il illisible en cet endroit, d'où il faudrait conclure que ce texte était manuscrit.

L'Adresse est datée de 1654, sans indication de mois. Il est probable qu'elle fut écrite dans la première moitié de l’année, car Pascal n’y fait pas mention du Triangle arithmétique, dont l’étude fut, à partir du mois de juin, l’une de ses principales préoccupations et qui devint la base de ses travaux sur le calcul des probabilités.

  • *

Quelle est l'Academia Parisiensis à laquelle Pascal adresse sa Dédicace? Le nom d’Académie parisienne était parfois donné à l’assemblée des écoles publiques (vide supra, t. II, p. 298); mais, dans le cas présent, il paraît s’appliquer à une Académie privée, peut-être à celle qui est mentionnée par plusieurs contemporains sous le nom d’Académie de M. de Montmor. On sait que les amis de Mersenne avaient constitué une sorte d’Académie libre qui tenait des séances hebdomadaires. Après la mort de Mersenne, on continua à se réunir chez Le Pailleur (vide supra, 1. 1, p. 169). Mais Le Pailleur, à son tour, mourut en i65i. On peut présumer que les amis de Mersenne ne cessèrent pas de se rencontrer les années suivantes : toutefois c’est bien une académie nouvelle que fonda M. de Montmor en 1653 ou 1654. En 1653 Gassendi vint habiter Paris et il demeura jusqu’à sa mort (1655) chez M. de Montmor, maître des requêtes ; la présence de Gassendi chez lui fut sans doute une des raisons qui déterminèrent Montmor à créer une académie ; mais, si l’on en croit Huet, il aurait eu aussi un autre motif. Montmor, dit Huet (Mémoires, Trad. Nisard, p. 106) « réunissait chez lui, un jour par semaine, un grand nombre de savants qui se communiquaient les uns les autres leurs doctes et utiles remarques sur la philosophie naturelle. L’honneur de cette assemblée était P. Gassendi. Quoiqu’il demeurât avec Montmor qui paraissait être un de ses partisans et qui louait la doctrine d’Epicure, Montmor ne laissait pas d’être en secret favorable à Descartes dont Gassendi était l’adversaire déclaré, et on croyait qu’il n’avait fondé chez lui cette réunion de philosophes que pour familiariser leur esprit avec la doctrine de Descartes et les amener peu à peu à la partager. » Il semble effectivement, d'après un passage de Glerselier, que « l'assemblée de M. de Montmor » était disposée à soutenir Descartes contre les attaques de Roberval (Préface au tome III des Lettres de Descartes (1667). Voir l'édition Adam-Tannery, t. V, p. 648). Dans le Journal des Voyages de M. de Monconys (Lyon, 1665, t. I, p. 4) nous voyons que parmi les habitués de l'académie Montmor se trouvaient Gassendi, Bourdelot, Thévenot, Justel, Petit, Roberval, Pascal, de la Chambre, Sorbiere, Miramont, Lantin, Henri, Rool, Auzoult[1]. Chapelain fut l'un des principaux patrons de cette Académie. Ce fut lui qui y introduisit Huet. Ce fut lui également qui, en 1656, présenta à l'Académie divers ouvrages de Huygens et mit le savant hollandais en rapport avec Montmor (Voir les lettres échangées par Chapelain et Huygens en 1656 et 1657. OEuv. de Huygens, t. I et II). L'académie fondée par Montmor tint ultérieurement ses séances chez Thévenot et fut l'origine de l'Académie des Sciences. Il était tout naturel que Pascal fréquentât cette académie, puisque elle continuait celles de Mersenne et de Le Pailleur, dont Etienne Pascal avait été l'un des premiers membres et où il avait souvent mené son fils (vide supra, t. l, p. 56). Cf. également infra, t. VIII, p. 194.

  • *

Durant les années qui précédèrent 1654, Pascal était vraisemblablement resté assez éloigné des mathématiques. Il y revient avec ardeur, et il se trace un vaste plan de recherches : il se propose de terminer les travaux géométriques qu'il avait laissés inachevés, et d'en entreprendre de nouveaux.

Ce programme ne fut point exécuté. Comme il arrive à tous les esprits inventifs, Pascal fit autre chose que ce qu'il avait annoncé; la plupart des traités qu'il promettait à

[1] L'Académie de l'Abbé Bourdelot, dont il a été question plus haut (t. 1, p. 283), réunissait à peu près les mêmes personnes. 298 ŒUVRES

l'Académie ne virent jamais le jour. C'est à peine si nous en pouvons retrouver quelques traces.

Deux des traités cités dans cette Adresse sont donnés comme déjà terminés.

Le second, qui enseignait à calculer les diviseurs d'un nom- bre d'après la somme des chiffres de ce nombre, nous a été conservé. Il faisait partie des opuscules que l'on trouva tout imprimés en i665 parmi les papiers laissés par Pascal. C'est le De numeris miiltiplicibus ex sola characierwn numericoruni additione agnoscendis, publié ci-dessous pp. 3ii et sqq.

Le premier traité (De namericarum potestatum ambitibus') ne nous est pas parvenu. D'ailleurs le titre qu'il porte n'en indique pas clairement le contenu. Il est probable que l'expression am~ bitus (^seu peripherià) désigne le contour du nombre que l'on suppose figuré géométriquement : le mot est fréquemment employé par les arithméticiens, et par exemple par Stifel, [voir VArithmetica Integra, Nuremberg i5/i3, page 26 et suivantes]; Pascal lui-même s'en sert quelques lignes plus bas, à propos du problème du carré magique, pour désigner l'ensemble des nombres situés sur le pourtour du carré (dans cette acception,^ le mot français employé par Fermât et Frénicleest : enceinte). Quant à l'expression « enceinte des puissances numériques », on s'en expliquera * la portée si l'on se réfère aux figurations pythagoriciennes fort répandues au xviî** siècle. Pour les Pythagoriciens un nombre carré est constitué par une suite d'enceintes (^gnomons) s'emboîtant les unes dans les autres, et contenant respectivement le même nombre d'unités que les nombres impairs de même rang. Ce mode de génération ^ est indiqué en particulier dans le cours de mathématiques d'Herigone^, que Pascal connaissait certainement (Voir le

1. Nous devons cette explication à M, G. Milhaud.

2. Il est exposé en détail par Théon de Smyrne, dont l'œuvre fut publiée (en latin) par Bouillaud, l'un des memb-es de l'Académie ilersenne : Theonis Smyrnœ Platonici eoram qux in M dhematicis ao Platonis lectionem utilia sunt expositio . . . , Paris, lô^^i.

3. Pierre Herigone, Cours mathématique, i63/i, t. II, p. SS-Sg.

�� � Traité du Triangle arithmétique, infra, p. 503). Si nous l’étendons aux puissances supérieures, nous pourrons appeler « contour d’une puissance keme » la différence (n + 1)^k — n^k ou, plus généralement, la différence (n + l)^k — n^k.

Dès lors, on peut supposer que l’écrit intitulé De numericarum potestatum ambitibus n’était qu’une première rédaction du Traité imprimé en 1665 à la suite du Triangle Arithmétique sous le titre : Potestatum numericarum summa (Vide infra, LVI). Dans ce dernier traité, Pascal cherche le développement de la différence (A + 3)4 — A4 et, en général, de (A + B)n — An. On peut admettre alors que l’attention de Pascal, fixée primitivement sur le calcul même de la différence, se serait ensuite portée plus particulièrement sur l’application de ce calcul à la sommation des puissances numériques. Que telle fut la marche de l’esprit de Pascal, nous le savons d’ailleurs par la lettre qu’il écrivit à Fermât le 29 juillet i654, lettre où est énoncée la proposition suivante : « Duorum quorumlibet cuborum proximorum differentia, unitate dempta, sextupla est omnium numerorum in minori radice contentorum. » Peut-être cette proposition, soumise par Pascal au jugement de ses amis, est-elle une de celles qu’il présenta à l’Académie Parisienne.

Des recherches de Pascal sur les nombres magiquement magiques ou les carrés magiques rien n’a subsisté, — à moins qu’on ne veuille voir un fruit de ces recherches dans un appendice des Nouveaux Elemens de Géométrie publiés par Arnauld chez Guillaume Desprez en 1667. Cet appendice (p. 387-400 de la 2e édition, 1683) a pour titre : Solution d’un des plus célèbres et des plus difficiles problèmes d’ Arithmétique, appelé communément les Quarrez magiques.

« De toute progression arithmétique qui commence à l’unité toutes les sommes des nombres depuis l’unité sont polygones…, et les gnomons, en tous polygones, de mesme qu’aux quarrez, sont les plus grands nombres de ceux de la progression qui auront esté adjoustez ensemble. » Le problème des carrés magiques avait été proposé par Bachet en 1624 dans les Problèmes plaisans et délectables qui se font par les nombres (Problème XXI, p. 60), Il s’agissait de disposer en carré les n² premiers nombres entiers « en sorte que tous les rangs tant de haut, de bas que des cotez et par les diamètres fassent une mesme somme. » — En 164o, Frenicle attira l’attention des géomètres sur ce problème. Fermat le résolut promptement et le généralisa, comme Pascal déclare le faire à son tour : « Je vous envoie, dit Fermât à Mersenne (Œuv. de Fermât, Ed. Tanner y-Henry, II, p. i89), le quarré 4i aux conditions requises, duquel si vous ôtez deux enceintes, le restant sera aussi quarré aux conditions requises, et, si vous ôtez encore deux enceintes de ce restant, ce qui restera sera encore quarré aux mêmes conditions. Or ne doutez point que je ne possède la méthode générale pour faire toute sorte de quarrez en cette sorte et aux conditions qu’ôtant tel nombre d’enceintes qu’on voudra, le restant soit encore quarré, etc. » La question posée par Pascal n’était, on le voit, pas nouvelle en i654 : il est vrai que la démonstration de Fermât ne fut sans doute pas publiée^.

Les nombres magiques sont mentionnés à la fin d’une lettre de Fermât à Pascal (26 septembre i654. Vide infra, p. 426). D’autre part, une lettede Sluzeà Brunetti^ (CEuv. de Fermat, II, p. 379) nous apprend que Pascal se préoccupait encore des carrés magiques en 1667.

En annonçant un Promotus Apollonius Gallus, Pascal entend continuer Viète, lequel avait publié en 1660 un traité intitulé : Apollonius Gallus. Dans cet ouvrage, Viète s’était proposé de restituer le Peri epafos d’Apollonius et avait résolu,

1. Les recherches de Frenicle sur les carrés magiques ne furent publiées que beaucoup plus tard : Des quarrez ou Tables magiques (Divers ouvrages de Mathématiques et de Physique par Messieurs de l’Académie Royale des Sciences, lOgS).

2. Dans les Œuvres de Fermat, cette lettre est donnée à tort comme une lettre de Fermât à Garcavy. ADRESSE A L'ACADÉMIE PARISIENNE 30f

en particulier, le problème du cercle tangent à trois cercles donnés. Il s'était attaché à donner une construction plane du problème, en n'employant que des droites et des cercles, tandis que dans la solution proposée par le Belge Van Roomen figuraient des hyperboles. On peut conjecturer que le pro- blème étudié par Pascal était celui dont il donne l'énoncé à Fermât dans sa lettre du 29 juillet i654 : « De trois cercles trois points, trois lignes, trois quelconques étant donnez, trouver un cercle qui, touchant les cercles et les points, laisse sur la ligne un arc capable d'angle donné*. » Gomme Viète, Pascal s'est avant tout préoccupé de résoudre ce problème par le cercle. « Ma solution est plane, dit-il, et doit passer pour telle. ».

Le problème relatif aux contacts de sphères est également énoncé, dans la lettre adressée par Pascal à Fermât le 29 juil- let 1654. C'est le problème précédent, étendu à l'espace à trois dimensions : « De quatre plans, quatre points et quatre sphères, quatre quelconques, étant donnés, trouver une sphère qui, touchant les sphères données, passe par les points don- nés, et laisse sur les plans des portions de sphères capables d'angles donnés. » — Fermât avait lui-même composé un traité sur les contacts de sphères (De contaciibus Sphœricis, OEuv. de Fermât, t. I, p. 52-69). L'énoncé de la question lui venait peut-être de Descartes qui écrivait à Mersenne le 1 3 juil- let i638 (OEuv. de Descaries, II, 246) : « Le dernier exemple (contenu dans l'Introduction à la Géométrie^ est, ayant quatre globes donnés, en trouver un cinquième qui les touche, duquel je ne crois pas que vos analystes de Paris puissent venir à bout, et vous leur pourrez proposer, si bon vous semble. »

Les Tactiones conicœ sont signalées dans la lettre de Leibniz

��I . Ce même problème fut proposé au chanoine Sluze, de la part de Pascal, en 1667 (Voir Œuu. de Haygens, t. II, p. 72).

�� � Mi

��ŒUVRES

��à Etienne Perler parmi les traités dont on retrouva des frag- ments après la mort de Pascal (Fif/es«/)ra, t. II, pp. 222 et 225.)

Le traité De locis solidis est probablement celui dont Leib- niz nous a conservé un extrait sous le titre : De loco soUdo CVide supra, t. Il, pp. 226 et 23i). Il traitait donc, sans doute, du problème de Pappus ad 3 et à lineas. Notons d'ailleurs que, dans la correspondance de Fermât et Roberval, ce sont toujours les lieux de Pappus qui sont désignés par le terme général « lieux solides ».

Il est fait allusion aux lieux plans de Pascal dans la lettre déjà citée du chanoine Sluze à Brunetti, où sont énoncées les questions proposées par Pascal à Sluze en 1657. « Pour le lieu du problème, dit Sluze, duquel il dit que dépendent tous les lieux plans proposés par lui, je n'ai pas voulu man- quer de le chercher, et aussitôt j'ai trouvé que c'estoitun cer- cle en la manière ci-dessous : Soit donnée la ligne droite AB coupée utcumque ei G et qu'il faille trouver le lieu sur lequel étant pris le point D et estant tirées les lignes DA, DB et les parallèles CE, GF, les rectangles ADE, BDF, pris en- semble soient égaux au quarré de la ligne donnée Z. . . » (Œuv. de Fermât, II, p. 3 18. Voir la note 2 de la page 3oo).

Il ne nous est rien resté des recherches entreprises par Pascal sur la perspective et sur la gnomonique (science du cadran solaire) ; mais nous pouvons présumer qu'en ces ma- tières, comme en géométrie, il s'inspirait des travaux de Desargues ^ On sait que ce géomètre se préoccupait principa- lement d'appliquer la science, et qu'il avait entrepris ses études sur les coniques à seule fin de les faire servir aux pro- grès de la perspective, de la coupe des pierres et de la gnomo-

��I. Mersenne a également écrit sur ces matières (Universx Geome iriae mixtœque mathematlcse Synopsis. Préface et p. 38a).

�� � nique. Dans son Traité de Perspective*, Desargues définit la position d’un point quelconque par rapport à deux axes rectangulaires : tout point est donné par l’intersection de deux droites respectivement parallèles aux axes (Cf. Poudra, OEuv. de Desargues, I, p. 90).

On le voit, de tous les travaux que Pascal déclare, dans son Adresse, avoir en préparation, aucun ne fut poussé jusqu’au bout. Seules ont abouti les recherches qu’il a entreprises sur le vide et sur les jeux de hasard. Encore ces dernières recherches ne portent-elles pas le titre (nAleae geometria » , annoncé par l’Adresse. Elles se sont transformées et ont donné naissance au Traité du Triangle Arithmétique.

  • «

Comme complément à V Adresse, nous publions un extrait ^’une lettre de Huygens à Schoolen datée du 27 décembre 1654. Cette lettre nous apprend qu’en i654 Schooten avait reçu de Paris une liste des traités arithmétiques et géométriques entrepris par Pascal à cette époque. Cette liste était beaucoup plus longue que celle de l’Adresse ; elle contenait les titres de neuf traités arithmétiques au moins, tandis que l’Adresse n’en annonce que trois.

Huygens ne nous donne pas les noms des traités arithmétiques de Pascal. Peut-être pouvons-nous présumer que le sixième traité, où Pascal enseignait à calculer les sommes des puissances semblables des nombres entiers pour des valeurs de l’exposant supérieures à 3, est celui qui nous est parvenu sous le titre : Potestatum numericarum sunima.

��I , Méthode universelle de mettre en perspective les objets donnés réellement ou en devis, avec leurs proportions, mesures, eloignemens, sans employer aucun point qui soit hors du champ de l’ouvrage, par G. D. L., Paris, i636 (OEuv. de Desargues, ï, pp. 55-84). 304 OEUVRES

Le troisième traité géométrique, qui. au dire de Huvgens, concerne spécialement Schooten. est sans doute celui que Pascal consacra aux lieux plans. Schooten publia, en effet, en i6d~ , ses Exercitationes matheniatic^, dont le troisième livre était consacré aux lieux plans d'Apollonius.

On remarquera que Huygens ne fait pas allusion au trian- gle arithmétique et à la règle des partis :d ailleurs, nous savons qu'en i656 il déclare n'avoir aucune connaissance des recher- ches de Pascal sur les jeux de hasard. Si donc la liste envoyée à Schooten mentionnait ces recherches, elle devait être, en tout cas. pauvre d'indications à leur endroit. C est là une raison de croire que cette liste était, comme \ Adresse, de la première moitié de i654.

�� � CELEBERRBL^ MATHESEOS ACADEMLE PARISIENSI

Haecvobis. doctissimiacceleberrimi viri. aut dono, aut reddo : vestra enim esse fateor quœ non, nisi inter vos educatus, mea fecissem : propria autem agnosco quse adeo prsecellentibus Geometris indigna video. Vobis enim nonnisi masma & e^regiè de- monstrata placent. Paucis verô genium audax inven- tionis, paucioribus (uti reor) genium elegans de- monstrationis, paucissimis utrumque. Silerem ita- que, nihil vobis congruum habens. nisieabenignitas quae me a junioribus annis in erudito Lyceo susti- nuit, & haec oblata, qualiacumque sint, exciperet.

Horum opusculorum primum. magna ex parte agit de ambitibus seu peripheriis numerorum qua- dratorum, cuborum. quadrato quadratorum et in quocumque gradu constitutorum : et ideô de nume- ricarum potestatum ambitibus inscribitur.

Secundum circa numéros aliorum multipliées versatur. et ut ex solà additionecbaracterum nume- ricorum agnoscantur methodum tradit.

Deinceps autem, si juvat Deus. prodibunt & alii tractatus. quos omnimo paratos habemus, et quo- rum sequuntur tituli :

De numeris magico magicis : seu methodus ordi- nandi numéros omnes in quadrato numéro conten- tos, ita ut non solum quadratus totus sit magicus,

III — 20

�� � 306 ŒUVRES

sed, & quod difficilius sane est, ut ablatis singulis ambilibus reliquum semper magicum remaneat^ idque omnibus modis possibilibus, nullo omisso.

Promotus Apollonius Gallus, id est tactiones cir- culares, nonsolum quales veteribus notae, & à Yieta restitutse, sed et adeô ulterius promotae ut vix eun- dem patiantur titulum.

Tactiones sphœricœ, pari amplitudine dilatée, eadem quippe methodo tractatse. Utrarumque autem me- thodus, singula earum problemata per plana resol- vens, ex singulari Conicarum sectionum proprietate oritur, quae aliis multis difficillimis problematibus succurrit ; et vix unicam adimplet paginam.

Tactiones etiam conicœ : ubi ex quinque punctis et quinque rectis datis quinque quibuslibet, conisec- tion...

Loci solidi, cum omnibus casibus et omni ex parte absolutissimi.

Lociplani, non solum illi quos a veteribus tempu& abripuit, nec solum illi quos his restitutis perillus- tris hujus aevi geometra subjunxit *, sed & alii hue usque non noti, utrosque complectentes, & multô latins exubérantes, methodo, ut conjicere est, om- nino nova, quippe nova praestante, via tamen longe breviori.

��I . Le géomètre que Pascal dit continuer sur ce point est évidem- ment Fermât, qui avait restitué et développé les Lieux plans d'Apollo- nius. Les recherches de Fermât sur les lieux plans avaient été com- muniquées à l'Académie Mersenne et avaient spécialement attiré l'attention d'Etienne Pascal (Voir les (Euv. de Fermât, II, p. io3, et supra, t. 1, p. 172).

�� � ADRESSE A L'ACADÉMIE PARISIENNE 307

Conicorum opus completam, & conica Apollonii & alia innumera unicâ ferè propositione amplectens; quod quidem nondum sexdecimum aetatis annum assecutus excogitavi, & deinde in ordinem con- gessi.

Perspectives methodus, quâ nec inter inventas, nec inter inventu possibiles ulla compendiosior essevide- tur ^ , quippe quse puncta ichnographica per duarum solummodô rectarum intersectionem praestet, quo sane nihil brevius esse potest.

Novissima autem ac penitus intentatae materiaî tractatio, scilicet de compositione aleae in ludis ipsi subjectis, quod gallico nostro idiomate dicitur faire les partis des jeux, ubi anceps fortuna eequitate rationis ita reprimitur ut utrique lusorum quod jure competit exacte semper assignetur. Quod quidem eô fortius ratiocinando quserendum, quô minus ten- tando investigari possit. Ambiguës enim sortis even- tus fortuitse contingentiae potius quam naturali nécessita ti meritô tribuuntur. Ideô res hactenus er- ravit incerta ; nunc autem quae experimento rebellis fuit rationis dominium eflugere non potuit. Eam quippè tantâ securitate in artem per Geometriam re- duximus, ut certitudinis ejus particeps facta, jam audacter prodeat ; & sic matheseos demonstrationes

��I. Il y avait une grande rivalité entre les théoriciens de la perspec- tive, chacun prétendant que sa méthode était la plus simple et la plus courte. C'est ainsi que Desargues en 1667 proposa un prix de mille francs à celui qui trouverait une méthode de perspective plus univer- selle, plus démonstrative et plus prompte que la sienne. (OEuv. de Desarcjues, I, pp. SoS-Zi).

�� � 308 ŒUVRES

cum aleae incertitudine jungendo, et quae contraria videntur conciliando, ab utraque nominationem suam accipiens, stupendurn hune titulum jure sibi arrogat : alex Geometria.

Non de Gnomoniâ loquor, nec de innumeris miscellaneis quae satis in promptu habeo ; veriim necparata, nec parari digna.

De vacuo quoque subliceo, quippe brevi typis mandandum, et non tantum vobis ut ista sed et cunctis proditurum : non tamen sine nutu vestro, quem si mereatur nihil metuendum : quod equi- dem aliquando alias expertus sum, maximo in ins- trumento illo Arithmetico quod timidus inveneram, et, vobis hortantibus exponens, agnovi approbatio- nis vestrae pondus.

Illi sunt Geometriae nostrae maturi fructus : feli- ces et immane lucrum facturi, si hos impertiendo quosdam ex vestris reportemus.

Datum Parisiis, i654.

B. Pascal.

�� � APPENDICE

EXTRAIT d'une LETTRE DE HUTGENS A FR. SCHOOTEN '.

[La Haye, 27 décembre i654.]

Clarissimo Viro Domino Francisco Scliotenio Ghristianus Hugenius S. P.

Recte hoc et peramice abs te factum, Schoteni clarissime, quod ad legendas quœ tibi scribantur epistolas me quoque veterem discipulum tuum admittis. Igitur plurimum tibi eo nomine debeo. Jam primum didici Dominum Paschalium geometriae studio addictum esse, quo etiam excellere videtur. Sexta ejus arithmeticarum tractationum egregia fuerit, si ultra cubum aliarum quarum libet potestatum summas colli- gere compendio monstret. Nona captum meum superat si bene titulo suo respondet. Prima inter geometricas cliam temeraria videri possit. Tertia ad te pertinet, sed facile puto editione praevenies ; quod si contra eveniat, ego tamen ita existimo, neminem suspicaturum aliunde te edoctum demon- strationes tuas planorum locorum composuisse, ne quidem si Apollonii ipsius deperdita scripta referantur. Porro opéra Paschalii, ubi acceperis examinaverisque, etiam me inspicere sinito : item quod ex Italia novum repertum prodibit, talium enim mirum in modum sum cupidus...

1. Œuv. complhtes de Haygens, t. I, p. 3i6..

��


LV

DE NUMERIS MULTIPLICIBUS

1654

Publié à la suite du Traité du triangle Arithmétique (1665).
INTRODUCTION

Ce traité est un de ceux qui furent trouvés tout imprimés parmi les papiers laissés par Pascal et qui furent publiés en 1665 sous le titre : Traité du Triangle Arithmetique avec quelques autres petits traitez sur la mesme matiere. (Vide infra, p. 433)[242].

Il n'est pas douteux que le traité De numeris multiplicibus ne soit celui dont Pascal fit hommage à l'Académie Parisienne en 1654 et qu'il lui présenta en ces termes (Vide supra, p. 305) : « Secundum [opusculum] circa numeros aliorum multiplices versatur, et ut ex sola additione characterum numericorum agnoscantur methodum tradit ». Ainsi, quoique placé, dans l'édition de 1665, à la suite des écrits relatifs au triangle arithmétique, le traité De numeris multiplicibus en est indépendant et fut rédigé antérieurement.

La méthode proposée par Pascal pour reconnaître si un nombre est divisible par un autre ne diffère pas au fond de la division ; mais elle est d'une application laborieuse. Ce qui en revanche est fort remarquable, c'est que nous trouvons dans l'écrit de Pascal la conception très nette qu'il existe différents systèmes de numération également légitimes, et que le nôtre est « de pure convention ». Pascal montre que sa méthode s'applique à un système de numération quelconque, par exemple au système duodécimal. Cette conception n'était nullement courante en 1654. C'est en 1670 qu'elle fut pour la première fois exposée systématiquement, par Caramuel y Lobkowitz.

DE NUMERIS MULTIPLICIBUS
EX SOLA CHARACTERUM NUMERICORUM
ADDITIONE AGNOSCENDIS


Monitum.


Nihil tritius est apud arithmeticos quàm numeros numeri 9 multiplices constare characteribus quorum aggregatum est quoque ipsius 9 multiplex. Si enim ipsius v. g. dupli, 18, characteres numericos, 1 + 8, jungas, aggregatum erit 9. Ita ut ex solâ additione characterum numericorum numeri cujuslibet liceat agnoscere utrum sit ipsius 9 multiplex ; v. g. si numeri 1719 characteres numericos jungas 1 + 7 + 1 + 9, aggregatum 18 est ipsius 9 multiplex ; unde certo colligitur & ipsum 1719 ejusdem 9 esse multiplicem. Vulgata sanè illa observatio est ; verùm ejus demonstratio à nemine quod sciam data est, nec ipsa notio ulteriùs provecta. In hoc autem Tractatulo non solùm istius, sed et variarum aliarum observationum generalissimam demonstrationem dedi, ac methodum universalem agnoscendi, ex solâ additione characterum numericorum propositi cujusvis numeri, utrum ille sit alterius propositi numeri multiplex. Et non solum in progressione denariâ, quâ numeratio nostra procedit, (denaria enim ex instituto hominum, non
DES CARACTÈRES DE DIVISIBILITÉ DES NOMBRES

DÉDUITS DE LA SOMME DE LEURS CHIFFRES

Remarque préliminaire.

Rien de plus connu en arithmétique que la proposition d'après laquelle un multiple quelconque de 9 se compose de chiffres dont la somme est elle-même un multiple de 9. Si, par exemple, on additionne les chiffres dont se compose 18, double de 9, on trouve 1+8=9. De même, en additionnant les chiffres d'un nombre quelconque, on reconnaîtra si ce nombre est divisible par 9. Ainsi 1719 est un multiple de 9, parce que la somme 1+7+1+9 ou 18 de tous ses chiffres est elle-même divisible par 9. Bien que cette règle soit communément employée, je ne crois pas que personne jusqu'à présent en ait donné une démonstration ni ait cherché à en généraliser le principe. Dans ce petit traité, je justifierai le caractère de divisibilité par 9 et plusieurs autres analogues ; j'exposerai aussi une méthode générale qui permet de reconnaître, à la simple inspection de la somme de ses chiffres, si un nombre donné est divisible par un autre nombre quelconque ; cette méthode s'applique non seulement à notre système décimal de numération (système qui repose non sur une nécessité naturelle, comme le pense le ex necessitate naturæ ut vulgus arbitratur, & sanè satis inepte, posita est) ; sed in quâcumque progressione instituatur numeratio, non fallet hîc tradita methodus, ut in paucis mox videbitur paginis.

Propositio unica.

Agnoscere, ex solâ additione characterum dati cujuslibet numeri, an ipse sit alterius dati numeri multiplex.

Ut hæc solutio fiat generalis, litteris utemur vice numerorum. Sit ergo divisor numerus quilibet expressus per litteram A ; dividendus autem numerus expressus per litteras TVNM, quarum ultima M exprimit numerum quemlibet in unitatum columnâ collocatum ; N, verò, numerum quemlibet in denariorum columnâ ; V, numerum quemlibet in columnâ centenariorum ; T, autem, numerum quemlibet in columnâ millenariorum, et sic deinceps in infinitum : ita ut, si litteras in numeros convertere velis, assumere possis loco ipsius M quemlibet ex novem primis characteribus, verbi gratiâ, 4, loco N quemlibet numerum ut 3, loco V quemlibet numerum ut 5 ; et loco T quemlibet numerum ut 6 ; et collocando singulos illos characteres numericos in propriâ columnâ, prout collocatæ sunt litteræ quæ illos exprimunt, proveniet bic numerus, 6534 ; divisor autem A erit numerus quilibet ut 7. Missis autem peculiaribus his exemplis, generali istâ enuntiatione omnia amplectimur. vulgaire, mais sur une convention, d'ailleurs assez malheureuse) mais encore à tout système de numération ayant pour base tel nombre qu'on voudra.

Proposition unique.

Reconnaître, à la seule inspection de la somme de ses chiffres, si un nombre donné est divisible par un autre nombre donné.

Pour plus de généralité nous remplacerons les nombres par des lettres. Soit donc un diviseur quelconque que nous représenterons par la lettre A, et soit un dividende TVNM dans lequel les lettres M, N, T, V représentent respectivement les chiffres des unités simples, des dizaines, des centaines, des unités de mille, et ainsi de suite : de telle sorte que, pour passer des quantités littérales aux quantités numériques, il suffirait de remplacer chacune des lettres par l'un des 9 premiers nombres, par exemple M par 4, N par 3, V par 5, T par 6, ce qui donnerait pour dividende 6534, le diviseur A étant un nombre quelconque tel que 7. Mais nous laisserons de côté les exemples particuliers afin de comprendre tous les cas possibles dans une même solution générale. Étant donc donné le dividende TVNM et un diviseur quelconque A, il s'agit de reconnaître, à la seule inspection de la somme de ses chiffres, si ce dividende est exactement divisible par A.

Écrivons sur une même ligne, et dans l'ordre décroissant, les nombres de la suite naturelle, puis au

Dato quocumque dividendo TVNM, et quocumque divisore A, agnoscere ex solâ additione characterum numericorum T,V,N,M, utrum ipse numerus TVNM exactè dividatur per ipsum numerum A.

Ponantur seorsim nunieri série naturali continui 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, etc. à dextrâ ad sinistram sic :

& cæt. 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
& cæt. K I H G F E D C B 1.

Jam ipsi primo numéro, 1, subscribatur unitas.

Ex ipsâ unitate decies sumptâ, seu ex 10 auferatur A quoties sieri poterit, et supersit B qui sub 2 subscribatur.

Ex B decies sumpto, seu ex 10 B, auferatur A quoties poterit, et supersit C qui ipsi 3 subscribatur.

Ex 10 C, auferatur A quoties poterit, et supersit D qui ipsi 4 subscribatur.

Ex 10 D, auferatur A, etc. in continuum.

MN in BV in CT in DNunc sumatur ultimus character dividendi M, qui quidem et primus est à dextrâ ad sinistram, scribaturque seorsim semel ; primo enim numero 1, subjacet unitas.

Jam sumatur secundus character N, et toties repetatur quot sunt unitates in B, qui secundo numero subjacet, hoc est multiplicetur N per B, et sub M ponatur productus.

Jam sumatur tertius character V, et toties repetatur quot sunt unitates in C, sub tertio numero sub-
dessous, une autre suite de nombres, de manière à former le tableau ;
. . . . 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
. . . . K I H G F E D C B 1

Dans ce tableau, les nombres de la seconde ligne sont formés comme il suit :

Au-dessous de l'unité on place l'unité.

De celle-ci prise dix fois, c'est-à-dire du nombre 10, on retranche le diviseur A autant de fois que possible, et l'on écrit le reste B sous le nombre 2.

De B pris dix fois on retranche de même le diviseur A autant de fois que possible, et l'on écrit le reste C sous le nombre 3.

De 10 C on retranche encore le diviseur A autant de fois que possible, et l'on écrit le nouveau reste D sous le nombre 4.

Et ainsi de suite.

Prenons maintenant le dernier chiffre du dividende, M, qui est le premier à partir de la droite, et multiplions-le par l'unité (qui dans notre tableau se trouve placée sous le chifre 1).

MN × BV × CT × D Prenons ensuite le second chiffre, N, et multiplions-le par le nombre B, qui dans notre tableau se trouve placé sous le chiffre 2 ; puis écrivons le produit au-dessous de M.

Prenons encore le troisième chiffre V, multiplions-le par C (nombre placé sous le chiffre 3), et écrivons le produit sous les produits précédents.

Opérons de même pour T, et ainsi de suite. jecto, seu mulliplicetur V per G, et productus sub primis ponatur.

Sic denique multiplicelur quartus T per D, et sub aliis scribatur. Et sic in infinitum.

Dico prout summa horum numerorum, M, +N in B, +V in C, +T in D, est ipsius A multiplex aut non, et quoque ipsum numerum TVNM esse ejusdem multiplicem, vel non.

Etenim si propositus dividendus unicum haberet characterem M, sanè prout ipse esset multiplex ipsius A, numerus quoque M esset ejusdem A multiplex, cum sit ipse numerus totus.

Si verò constet duobus characteribus NM :

Dico quoque, prout M,+N in B est multiplex A, et ipsum numerum NM ejusdem multiplicem esse.

Etenim character N in columnâ denarii æquatur 10 N,

Verum ex constructione, est 10—B multiplex A.

Quare ducendo 10—B in N est 10N—B in N multiplex A,

Si ergo contingit et esse M+B in N multiplicem A,

Ergo ambo ultimi multiplices juncti 10N—M erunt mult. A.

Id est N in columnà denarii et M in columnâ unitatis, seu numerius NM est multiplex A.   Q. E. D.

Si numerus dividendus constet tribus characteribus, VNM :

Dico quoque ipsum esse aut non esse multiplicem A, prout M, +N in B, +V in C, erit ipsius A multiplex, vel non.

Je dis que, pour le nombre proposé TVNM soit divisible par A, il faut et il suffit que la somme M+N×B+V×C+T×D, etc., soit elle-même divisible par A.

Il est évident que si le nombre proposé n’a qu’un seul chiffre, M, M est divisible par A, car le nombre tout entier se réduit à M. 

Soit maintenant un nombre de deux chiffres, représenté par NM ; je dis que pour qu’il soit divisible par A il faut et il suffit que la somme M+N×B le soit.

En effet, le chiffre N, placé dans la colonne des dizaines, équivaut à 10N ; or :

D’après le calcul 10—B est un multiple de A ;

Multipliant par N, 10N—B×N sera aussi un multiple de A ;

Si donc il arrive que M+B×N soit un multiple de A ;

La somme de ces deux dernières quantités, savoir : 10N+M sera elle-même un multiple de A.

Donc 10N+M, c’est-à-dire le nombre proposé NM est un multiple de A.

C. Q. F. D.

Soit encore un nombre de trois chiffres VNM ; pour qu’il soit divisible par A, je dis qu’il faut et suffit que la somme M+N×B+V×C soit elle-même divisible par A.

En effet, le chiffre V, placé dans la colonne des centaines, équivaut à 100 V ; or :

D’après le calcul. . . . 10—B est un multiple de A ;

III — 21&nbsp
 

Etenim character V, in columnâ centenarii, æquatur 100 V.

At ex constructione, est 10 — B, multiplex A ;

Quare multiplicande 10 — B per 10. 100 — 10 B, mult. A ;

Et ducendo ipsos in V, 100 V — 10 B in V, mult. A ;

Sed est etiam ex constructione, 10 B — C, mult. A ;

Quare ducendo in V, 10 B in V — C in V, mult. A ;

Sed ex ostensis, 100 V — 10 B in V, mult. A ;

Ergo juncti duo ultimi, 100 V — C in V, mult. A ;

Jam verò ostendemus ut in secundo casu, 10 N — B in N, mult. A ;

Ergo juncti duo ultimi, 100 V + 10 N — C in V — B in N, mult. A ;

Ergo si contingat hos numeros, C in V + B in B + M, esse mult. A ;

Ambo ultimi juncti, nempe, 100 V + 10 N + M. et mult. A ;

Seu V, in columnâ centenarii, N denarii et M unitatis, hoc est numerus VNM, est multiplex A.
Q. E. D.

Non secus demonstrabitur de numeris ex pluribus characteribus compositis. Quare prout, etc.
Q. E. D.

Exemplis gaudeamus.

Quæro, qui sint numeri multiplices numerî 7.  

Multipliant par 10. ., 100—10B sera aussi un multiple de A ;

Multipliant encore par V, 100V—10B×V sera multiple de A ;

Mais d'après le calcul. . 10B—C est un multiple de A ;

Multipliant par V, 10B×V—C×V sera multiple de A ;

Et comme on vient d'établir que 100V—10B×V est un multiple de A,

la somme de ces deux dernières quantités, savoir : 100V—C×V sera elle-même un multiple de A ;

Mais nous montrerons comme dans le second cas que 10N—B×N est un multiple de A ;

Donc la somme des deux dernières quantités, savoir :
100V+10N—C×V—B×N sera un multiple de A ;

Si donc il arrive que C×V+N×B+M soit un multiple de A ;

la somme des deux dernières quantités écrites, savoir :
100V+10N+M sera encore un multiple de A ;

Mais 100V+10N+M, c'est le nombre proposé VNM ; donc ce nombre est un multiple de A.

C. Q. F. D.

La démonstration serait la même si le nombre donné se composait de plus de trois chiffres.

Exemples :

Soit à chercher quels sont les multiples du Scriptis continuis 1, 2, 3, 4, 5, etc. subscribo 1 sub 1 :

10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
6 2 3 1 5 4 6 2 3 1

Ex unitate decies sumptâ, seu :

Ex 10 aufero 7 quoties potest, superest 3 quem pono sub 2,

Ex 3 decies sumpto, seu :

Ex 30 aufero 7 quoties potest, superest 2 quem pono sub 3,

Ex 20 aufero 7 quoties potest, superest 6 et pono sub 4 ;

Ex 60 aufero 7 quioties potest, superest 4 et pono sub 5 ;

Ex 40 aufero 7 quoties potest, superest 5 et pono sub 6 ;

Ex 50 aufero 7 quoties potest, superest 1 et pono sub 7 ;

Ex 10 aufero 7 quoties potest, et redit 3 et pono sub 8 ;

Ex 30 aufero 7 quoties potest, et redit 2 et pono sub 9 ;

Et sic redit series numerorum i, 3, 2, 6, 4, 5, in infinitum.

Jam proponatur numerus quilibet, 287642178, de quo quæritur utrum exactè dividatur per 7 ; hoc sic agnoscetur.

Sumatur semel ejus character qui primus est à nombre 7. J'écris la suite des dix premiers nombres, et je forme le tableau
. . 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
. . 6 2 3 1 5 4 6 2 3 1
en procédant comme il suit :

J'écris l'unité sous l'unité.

De l'unité, prise 10 fois, je retranche 7 autant de fois que possible, et je place le reste 3 sous le chiffre 2.

Je multiplie le reste 3 par 10 et du produit 30 je retranche 7 autant de fois que possible ; je place le nouveau reste 2 sous le chiffre 3.

De 20 je retranche 7 autant de fois que possible et j'écris le reste 6 sous 4.

De 60 je retranche 7 autant de fois que possible ; il reste 4 que j'écris sous 5.

De 40 je retranche 7 autant de fois que possible ; il reste 5 ; je l'écris sous 6.

De 50 je retranche 7 autant de fois que possible, et je place le reste 1 sous 7.

De 10 je retranche 7 autant de fois que possible, ce qui me fait retomber sur le premier reste obtenu, savoir 3 ; je l'écris sous 8.

De 30 je retranche 7 autant de fois que possible ; je retrouve le second reste obtenu, savoir 2, que j'écris sous 9.

Les restes déjà obtenus, savoir : 1, 3, 2, 6, 4, 5, se retrouvent donc dans le même ordre, et ainsi indéfiniment.

dextrâ ad sinistram, nempe 8, primo enim numero seriei continuæ subjacet unitas. Quare ponatur ille 8, primus character semel...........................................................................................8.

Secundus, qui est 7, ter sumatur, seu per 3 multiplicetur, secundo enim numero seriei subjacet 3, sitque productus...........21.

Tertius bis sumatur, subjacet enim 2 ipsi 3, quare tertius character qui est 1, per 2 multiplicatus, sit...................................2.

Quartus eâdem ratione per 6 multiplicatus............................12.

Quintus per 4 multiplicatus....................................................16.

Sextus per 5 multiplicatus......................................................25.

Septimus semel, septimo enim subjacet 1.............................7.

Octavus ter sumptus.............................................................24.

Nonus bis sumptus................................................................4.

 ____

Et sic deinceps si superessent. Jungantur hi numeri............119.

Si ipse aggregatus 119 est multiplex ipsius 7, numerus quoque propositus, 287642178, ejusdem 7 multiplex erit.

Potest autem dignosci eâdem methodo, utrum ipse 119 sit multiplex 7, scilicet sumendo semel primum characterem............9.

secundum characterem ter....................................................3.

et præcedentem bis...............................................................2.____

 14.

Si enim summa 14 est multiplex 7, erit et 119 ejusdem multiplex.

Soit alors à reconnaître si un nombre quelconque 287 542 178 est un multiple de 7 :

Je prends le premier chiffre du nombre à partir de la droite, et je le multiplie par l'unité (qui dans notre tableau est placée sous le nombre 1). J'écris donc :

le produit de 8 par l'unité, c'est-à-dire..................................8

J'écris ensuite le produit de 7 par le chiffre 3 placé sous 2 dans notre tableau, soit...............................................................21

puis le produit de 1 par 2......................................................2

le produit de 2 par 6..............................................................12

le produit de 4 par 4..............................................................16

le produit de 5 par 5..............................................................25

le produit de 7 par 1..............................................................7

le produit de 8 par 3..............................................................24

le produit de 2 par 2..............................................................2

 ____

et je fais la somme..............................................................119

Si 119 est divisible par 7, le nombre proposé 287 542 178 le sera aussi.

La même méthode peut encore servir à reconnaître si 119 est un multiple de 7.

On multipliera 9 par l'unité, ce qui donne..............................9

Puis 1 par 3..........................................................................3

Et enfin 1 par 2......................................................................2____


Et l'on fera la somme..................................................................14

Si cette somme est divisible par 7, 119 le sera également.

Enfin, et par curiosité plutôt que par nécessité,

Sed et si, curiositate potius quam necessitate moti, velimus agnoscere utrum 14 sit multiplex 7, sumatur character ultimus semel............................................................................................4. et præcedens ter..........................................................................3.____

 7.
Si summa est multiplex ipsius 7, erit et 14 multiplex 7, quare et 14, et 119, et 287542178.

Vis agnoscere quinam numeri dividantur per 6.

Scriptis, ut saepius dictum est, numeris naturalibus 1, 2, 3, 4, 5, etc., et 1 sub 1 posito,

etc. 4 3 2 1
etc. 4 4 4 1,
Ex 10 aufer 6, reliquum 4 sub 2 ponito,
Ex 40 aufer 6, reliquum 4 sub 3 ponito,
Ex 40 aufer 6, reliquum 4 sub 4 ponito.
Et sic semper redibit 4, quod agnosci potuit ubi semel rediit.

Ergo, si proponatur numerus quilibet, de quo quærebatur utrum sit dividendus per 6, nempe 248742, sume ultimam ejus figuram semel...............................................................................2,
præcedentem quater....................................................................16,
præcedentem quater, etc. ...........................................................28,
et, uno verbo, primam semel, reliquarum verò.............................32,
summam quater...........................................................................16,

.............................................................................................8,____102.
on pourra traiter encore le nombre 14 comme on a traité 119, c'est-à-dire :

Multiplier 4 par l'unité, ce qui donne......................................4

Puis 1 par 3..........................................................................3

 ____

Et faire la somme..................................................................7

Celle-ci étant évidemment divisible par 7, le nombre i4 le sera aussi ; partant 119 le sera, et par suite, enfin, le nombre proposé 287 542 178 sera lui-même un multiple de 7.

Soit à chercher quels sont les nombres divisibles par 6.

Les nombres naturels étant encore écrits les uns à côté des autres, je forme le tableau

. . . 4 3 2 1
. . . 4 4 4 1
en procédant comme il suit :

Je pose l'unité sous l'unité ; je retranche 6 de 10, et je place le reste 4 sous 2 ; je retranche ensuite 6 de 40 autant de fois que possible, et je place le reste 4 sous 3 ; et ainsi de suite : le reste 4 se reproduira indéfiniment.

Soit alors à chercher si un nombre donné quelconque, 248 742, est divisible par 6.

J'écris le dernier chiffre du nombre......................................2
puis le chiffre précédent multiplié par 4......................................16
puis le chiffre précédent multiplié par 4......................................28
puis.............................................................................................32

.............................................................................................16

.............................................................................................8____102 Si summa 102 dividatur per 6, dividetur et ipse numerus propositus 248742 per eumdem 6.

Vis agnoscere utrum numerus dividatur par 3.

Scriptis, ut prius, nameris naturalibus, et 1 sub 1 posito,
5 4 3 2 1
1 1 1 1 1,
Ex 10 aufer 3 quoties potest, reliquum 1 sub 2 ponito,
Ex 10 aufer 3 quantum potest, reliquum 1 sub 3 ponito,
et sic in infinitum.

Ergo si proponatur numerus quilibet, 2451, ut scias utrum dividatur per 3.
sume semel ultimam figuram.............................................................................1.
praecedentem semel........................................................................................5.
et semel singulas..............................................................................................4.2.____12.

 
 
 
Si summa dividatur per 3, dividetur et numerus propositus per 3.

Vis agnoscere utrum numerus dividatur per 9.

Scriptis numeris 1, 2, 3, etc., et 1 sub 1 posito,

Ex 10 aufer 9, et quoniam superest 1, patet unitatem contingere singulis numeris. Ergo, si numeri propositi singuli characteres simul sumpti dividantur per 9, dividetur et ipse.  

Si la somme 102 est divisible par 6, le nombre 248 742 sera lui-même divisible par 6.

Un nombre quelconque étant donné, reconnaître s'il est divisible par 3.

On construira comme dans les exemples précédents le tableau :
5 4 3 2 1
1 1 1 1 1

Pour cela, on pose l'unité sous l'unité ; on retranche 3 de 10 autant de fois que possible et on place le reste 1 sous 2 ; puis on retranche 3 de 10 autant de fois que possible et on place le reste 1 sous 3 ; et ainsi de suite indéfiniment.

Soit alors à reconnaître si un nombre donné quelconque 2451, est divisible par 3. J'écris
le dernier chiffre....................................................................................................1
le précédent..........................................................................................................5
puis........................................................................................................................4
..............................................................................................................................2____12

 

Si la somme 12 est divisible par 3, il en sera de même du nombre proposé.

Un nombre étant donné, reconnaître s'il est divisible par 9.

Ici encore, si on forme le tableau obtenu en plaçant l'unité sous l'unité, retranchant 9 de 10, etc., on voit que le reste 1 se répète indéfiniment. Donc, pour qu'un nombre quelconque soit divisible par 9, il suffit que la somme de ses chiffres le soit.

Vis agnoscere utrum numerus dividatur per 4.

Scriptis numeris naturalibus, ut mos est, et posito 1 sub 1,
4 3 2 1
0 0 2 1,
Ex 10 aufer 4 quantum potest, reliquum 2 pone sub 2,
Ex 20 aufer 4 quantum potest, reliquum o pone sub 3,
Ex 00 aufer 4, superest semper[243] 0.
Quare si proponatur numerus dividendus, 2486,
pono ultimum characterem semel.........................................................................6.
praecedentem bis, subjacet enim 2 sub 2............................................................16.____22.

 

Præcedens per 0 multiplicatus facit zero et sic de reliquis ; quare ad ipsos non attendito ; et si summa priorum, nempe 22, per 4 dividatur, dividetur et ipse, secus autem, non.

Sic numeri quorum ultimus character semel, præcedens bis, præcedens quater {reliquis neglectis, zero enim sortiuntur), simul juncti numerum efficiunt multiplicem 8, sunt ipsi et ejusdem 8 multiplices, secus autem, non.

In exemplum autem dabimus et illud.

Agnoscere qui numeri dividantur per 16.

Un nombre étant donné, reconnaître s'il est divisible par 4.

Comme dans les exemples précédents, on forme le tableau :
4 3 2 1
0 0 2 1

Pour cela, on pose l'unité sous l'unité ; on retranche 4 de 10 autant de fois que possible et on place le reste 2 sous 2 ; de 20 on retranche 4 autant de fois que possible, et on place le reste 0 sous 3 ; de 0 on retranche 4 : il reste toujours 0.

Soit alors donné le nombre 2 486. J'écris
le dernier chiffre....................................................................................................6
le précédent multiplié par 2...................................................................................16
____22

 

Le chiffre précédent multiplié par 0 donne 0 ; et ainsi de suite. La condition nécessaire et suffisante pour que le nombre donné soit divisible par 4 est donc que la somme 22 le soit.

On trouvera de même que, pour qu'un nombre soit divisible par 8, il faut et il suffît que la somme formée du chiffre des unités, du double de celui des dizaines et du quadruple de celui des centaines (les autres chiffres étant négligés comme donnant 0), soit un multiple de 8.

Prenons un dernier exemple :

Soit à chercher quels sont les nombres divisibles par 16.

Scriptis, ut dictum est, numeris naturalibus 1,2, 3, 4, 5, 6, 7, etc., et 1 sub 1 posito
7 6 5 4 3 2 1
0 0 0 8 4 10 1
Ex 10 aufer 16 quantum potest, superest ipse 10 ; ex minore enim numero major numerus subtrahi non potest ; quare ipsemet numerus 10 ponatur sub 2.

Ex ipso 10 decies sumpto, ut mos est, seu ex 100, aufero 16 quantum potest ; superest 4 quem pono sub 3.

Ex 40 aufero 16 quantum potest, reliquum 8 pono sub 4.

Ex 80 aufero 16 quantum potest, superest 0.

Ideò omnis numerus cujus ultimus character semel sumptus, penultimus decies, præcedens quater, et præcedens octies, efficiunt numerum multiplicem 16, erit et ipse ipsius 16 multiplex.

Sic reperies[244] omnes numeros, quorum penultimus character decies, reliqui autem omnes, scilicet ultimus, ante penultimus, præante penultimus, et reliqui semel sumpti, efficiunt numerum divisibilem per 45, vel 18, vel 15, vel 30, vel 90, et uno verbo omnes divisores numeri 90 duobus constantes characteribus, dividi quoque et ipsos per hos divisores.

Non difficilis inde ad alia progressus ; sed intentatam huc usque materiam aperuisse, et satis obscuram lucidissimâ demonstratione illustravisse, Les nombres naturels 1, 2, 3, 4, ... étant écrits, je forme le tableau
7 6 5 4 3 2 1
0 0 0 8 4 10 1
en procédant comme il suit :

J’écris l’unité sous l’unité. De 10 je retranche 16 autant de fois que possible : il reste 10 (en effet d’un nombre donné on ne peut pas retrancher un nombre plus grand) ; j’écrirai donc sous 2 le nombre 10 lui-même. De 10 pris 10 fois suivant la règle habituelle, c’est-à-dire de 100, je retranche 16 autant de fois que possible : il reste 4 que je pose sous 3. De 40 je retranche 16 autant de fois que possible : je pose le reste 8 sous 4. De 80 je retranche 16 autant de fois que possible : il reste 0.

Donc, pour qu’un nombre soit divisible par 16, il faut et il suffit qu’en ajoutant ensemble le chiffre des unités, 10 fois celui des dizaines, 4 fois celui des centaines et 8 fois celui des unités de mille, la somme obtenue soit elle-même divisible par 16.

On reconnaîtra de même que tous les nombres pour lesquels le décuple de l’avant-dernier chiffre, ajouté à tous les autres chiffres (chiffre des unités, chiffre des centaines, etc.), pris une fois chacun, donne une somme divisible par 45, 18, i5, 30, ou 90 (c’est-à-dire par l’un des diviseurs à deux chiffres de 90) seront eux-mêmes des multiples de ce diviseur.

Il serait facile d’étendre encore ces exemples : mais je me contenterai d’avoir ouvert la route et sufficit. Ars etenim illa, quâ ex additione characterum numeri noscitur per quos sit divisibilis, ex imâ numerorum naturâ, et ex eorum denariâ progressione vim suam sortitur : si enim aliâ progressione procederent, verbi gratiâ duodenariâ (quod sanè gratum foret) et sic ultra primas novem figuras, aliæ duæ institutæae essent, quarum altera denarium, altera undenarium exhiberet : tunc non amplius contingeret numeros quorum omnes characteres simul sumpti efficiunt numerum multiplicem 9, esse et ipsos ejusdem 9 multiplices.

Sed methodus nostra, necnon et demonstratio, et huic progressioni et omnibus possibilibus convenit.

Si enim in bac duodenariâ progressione proponitur agnoscere an numerus dividatur per 9,

Instituemus, ut antea, numeros naturali serie continuos, 1, 2, 3, 4, 5, etc., et 1 sub 1 posito
4 3 2 1
0 0 3 1

Ex unitate jam duodecies sumptâ seu ex 10 (qui jam potest duodecim, non autem decem) auferendo 9 quantum potest, superest 3, quem pono sub 2.

Ex 30 (qui jam potest triginta sex, scilicet ter duodecim) aufer 9 quantum potest, et superest nihil, continetur enim 9 quater exactè in triginta sex ; pono igitur 0 sub 3.

Et ideò, zero sub reliquis characteribus continget.

Unde colligo, omnes numéros, quorum ultimus éclairé par une démonstration précise ce sujet nouveau et assez obscur. Les caractères de divisibilité des nombres déduits de la somme de leurs chiffres reposent à la fois sur la nature intime des nombres et sur leur représentation dans le système de numération décimale. Dans tout autre système, par exemple dans le système duodécimal (système fort commode sans doute) qui, outre les neuf premiers chiffres, emploie deux figures nouvelles pour désigner, l'une le nombre 10, l'autre le nombre 11, dans ce mode de numération, il ne serait plus vrai que tout nombre dont la somme des chiffres est un multiple de 9 est lui-même divisible par 9.

Mais la méthode que j'ai fait connaître et la démonstration que j'en ai donnée, conviennent encore ce système ainsi qu'à tout autre.

Veut-on, dans le système duodécimal, reconnaître si un nombre est divisible par 9, on écrit, comme on l'a fait plus haut, la suite des nombres naturels, puis on forme le tableau
. . . 4 3 2 1
0 0 3 1
en procédant comme il suit : sous l'unité on place l'unité ; de l'unité prise 12 fois, c'est-à-dire de 10 (qui maintenant veut dire : douze, et non plus dix) on retranche 9 et l'on écrit le reste 3 sous le nombre 2 ; du produit 30 (lisez trente-six ou trois fois douze) on retranche encore 9 autant de fois que possible, ce qui donne pour reste zéro, car trente-six contient
III — 22           
character semel sumptus, penultimus verò ter (de cæteris non euro quales sint, zero enim sortiuntur) efficiunt numerum divisibilem per 9, dividi quoque per 9, induodenariâ progressione.

Sic in hac progressione duodenariâ omnes numeri quorum singuli characteres simul sumpti efficiunt numerum divisibilem per 11, sunt et divisibiles per eumdem.

In nostrâ vero progressione denariâ, contingit omnes numeros divisibiles per 11, ita se habere, ut ultimus semel sumptus, penultimus decies, præcedens semel, præcedens decies, præcedens semel, præcedens decies, et sic in infinitum, conflare numerum multiplicem 11.

Hæc et alla facili studio, ex istâ methodo, quisque colliget ; tetigimus quidem quoniam intentata placent, relinquimus vero ne nimia perscrutatio tædium pariat.


______________
quatre fois exactement le nombre 9. Les restes suivants seront nuls. Il viendra donc 0 sous tous les chiffres restants.

D'où l'on conclut que tous les nombres, écrits dans le système duodécimal, pour lesquels la somme du premier chiffre de droite et du triple du second (il n'est pas besoin de s'occuper des autres puisqu'ils donnent 0) sera divisible par 9, seront eux-mêmes des multiples de 9.

On reconnaîtra aussi que, dans le même système de numération, tous les nombres dont la somme des chiffres est divisible par 11, sont eux-mêmes des multiples de 11.

Dans notre système décimal au contraire, pour qu'un nombre fût divisible par 11, il faudrait que la somme formée par le dernier chiffre, puis le décuple de l'avant-dernier, puis le chiffre précédent, puis le décuple du précédent, etc., donnât un multiple de 11.

Il serait facile de justifier ces deux règles et d'en obtenir d'autres. Mais si j'ai touché ce sujet c'est parce que je cédais volontiers à l'attrait de la nouveauté ; maintenant je m'arrête de peur de fatiguer le lecteur en entrant dans trop de détails.

___________
LVI

POTESTATUM NUMERICARUM

SUMMA

Date probable : i654 Publié à la suite du Traité du Triangle Arithmétique (i665)

�� � INTRODUCTION

��Cet important traité, où Pascal enseigne à calculer la somme des puissances semblables des termes d'une progres- sion arithmétique, fut publié, comme le De numeris muUipli- cibus, à la suite du Traité du Triangle arithmétique. Cependant il est probable qu'il fut rédigé avant ce dernier traité. En effet, nous avons vu qu'il était déjà question de la somma- tion des puissances numériques dans la liste des travaux de Pascal qui fut communiquée à Schooten et qui est, sans doute, de la première moitié de i654 (voir supra, p. 3o3). D'autre part, nous avons été conduits à supposer que le traité pré- senté à l'Académie parisienne sous le titre De mimericarum potestatum ambitibus était une première rédaction des recher- ches de Pascal sur la sommation des puissances.

D'ailleurs, les résultats exposés dans le Potestatum num^- ricarum Summa n'ont pas encore la forme définitive que Pascal devait leur donner ultérieurement. Nous les retrou- vons, en effet, énoncés d'une manière plus complète, dans le Traité des Ordres Numériques (Proposition XI), et la question est si étroitement liée au triangle arithmétique que celui-ci eut été certainement nommé si Pascal en eût déjà approfondi la théorie lorsqu'il écrivit le Potestatum numericarum Summa. De plus, la démonstration donnée dans ce traité est un peu lourde et dépourvue de généralité : on n'y trouve pas encore le raisonnement par récurrence qui, selon Moritz

�� � Cantor, est le trait le plus remarquable du Traité du Triangle arithmétique.

Lu troisième motif nous porte à croire que le Potestatum numericarum Summa est antérieur au Traité des Ordres numériques et aux lettres échangées par Fermat et Pascal à la fin de 1654. La proposition énoncée par Pascal dans son traité n’était en réalité pas nouvelle. Dès i636 cette proposi- tion était connue, de Fermat en particulier, et appliquée à l’évaluation des aires paraboliques. Or, lorsque Pascal écrivit le Potestatum numericarum Summa, il ignorait complètement les recherches de Fermat. Au contraire il en avait connaissance lorsqu’il rédigea le Traité des Ordres Numériques. C’est que dans l’intervalle Pascal était entré en correspondance avec Fermat, qui l’avait mis au courant de ses découvertes {Vide infra p. 417).

La question de la sommation des puissances numériques semble avoir été posée par Sainte-Croix dans les termes sui- vants {Œuv. de Fermai, II, p. 66) : « Datis quotlibet nu- meris in proportione quavis arithmetica, cujus differentia progressionis et numerus terminorum datur, invenire sum- mam cuborum abs omnibus. » Mersenne proposa cet énoncé à Fermat, qui généralisa le problème et déclara en septembre i636 (Lettre à Mersenne. OEuv. de Fermat, II, p. 69) : « Problema totius fortasse Arithmetices pulcherrimum con- struximus, quo non solum in quavis progressione summam quadratorum et cuborum venamur, sed omnium omnina potestatum in infinitum, methodo generalissima , quadra- toquadratorum , quadratocuborum , cubocuborum, etc. » Fermat offrait d’envoyer le détail de sa démonstration à Mersenne ou à Sainte-Croix ; mais il ne semble pas qu’il l’ait fait. Roberval s’occupa également du problème de Sainte-Croix ; il en obtint une solution qu’il exposa à Sainte-Croix ; mais cette solution n’était pas générale, et Fermat ne s’en montra pas satisfait (QEuv. de Fermat, II, p. 92).

Si l’on considère l’importance capitale du problème posé

�� � POTESTATUM NUMERICARUM SUMMA 345

par Sainte-Croix, on s'étonnera que quelques années aient suffi à la faire oublier. L'ignorance de Pascal sur ce point nous induirait à penser que, bien qu'admis dès l'enfance parmi les membres de l'académie Mersenne, il ne suivit pas leurs tra- vaux avec beaucoup de régularité.

�� � POTESTATUM NVMERICARUM SVMMA

Monitum.

Datis,ab nnitate, qnotcumque numeris continuis, V. g. 1, 2, 3, 4, invenire summam quadratorum eo- rnm, nempe 1 + 4 + 9 + 16, id est 30, tradide- runt veteres^, imo etiam et summam cuborum eorumdem ; ad reliquas vero potestates non pro- traxerunt suas methodos,his solummodo gradihus proprias. Hic autem exhibetur, non solum summa quadratorum, et cuborum, sed et quadrato- quadra- torum, et reliquarum in infînitum potestatum. Et non solum à radicibus ab unitate continuis, sed à quolibet numéro initium sumentibus, verbi gratià, numerorum 8, 9, 10, etc. Et non solum numerorum qui progressione naturali procedunt, sed et eorum omnium, qui progressione, verbi gratiâ cujus diffe- rentia est 2, aut 3, aut 4, aut alius quilibet nu- merns, formantur, ut istorum 1, 3, 5, 7, etc., vel horum 2, 4, 6, 8, qui par incrementum binarii au- gentur, aut horum 1, 4, 7, etc. qui per incremen- tum ternarii, et sic de cœteris ; sed, et quod am-

��I . Dans l’appendice qu’il composa pour le traité des nombres polygonaux de Diophante (Claudii Gaspari Bacheti Appendicis ad librum de Numeris polygonis lib, II. Prop. 20 : page 38 de l’édition de Fermât, Toulouse, 1670), Bachet avait calculé la somme des cubes d’une suite de nombres entiers consécutifs. Ce calcul se trouve reproduit dans le Cours Mathématique de Pierre Hérigone (Tome II, p. 4i» Prop. XII), qui était, nous le savons, connu de Pascal. On peut donc penser que l’expression « veteres tradiderunt » désigne Bachet et ses commentateurs, et non les savants de l’antiquité, auxquels personne, au xviie siècle, ne semble avoir attribué le calcul de Bachet (Voir dans la Bibliotheca Mathematica de 1902, p. 289, la question posée à ce sujet par M. Enestrôm; cf. la réponse de Paul Tannery, ièid., p. 257). SOMMATION DES PUISSANCES NUMÉRIQUES

��Remarque.

Étant donnés, à partir de Funité, plusieurs nom- bres consécutifs, par exemple 1, 2, 3, 4, on sait trouver, par les méthodes que les anciens nous ont tait connaître, la somme de leurs carrés, et même la somme de leurs cubes; mais ces méthodes, ap- plicables au second et au troisième degré seule- ment, ne s'étendent pas aux degrés supérieurs. Dans ce traité, j'enseignerai a calculer non seule- ment la somme des carrés et des cubes, mais aussi la somme des quatrièmes puissances et celles des puissances supérieures jusqu'à l'infini : et cela, non seulement pour une suite de nombres consécutifs partant de l'unité, mais pour une suite commen- çant par un nombre quelconque, telle que la suite 8, 9, 10, ... Et je ne me bornerai pas à la suite naturelle des nombres : ma méthode s'appliquera encore à une progression ayant pour raison 8,3,4, ou un autre nombre quelconque, — c'est-à-dire à une suite de nombres différant de deux uni- tés, comme 1, 3, 5, 7, ..., 2, 4, 6, 8, ..., ou diffé- rant de trois unités comme 1, 4, 7, 10, 13, ... Et cela, qui plus est, quel que soit le premier terme de la suite: que ce premier terme soit 1, comme dans la suite de raison trois, 1, 4, 7, 10,.,,: ou qu'il soit un autre terme de la progression, comme dans la suite 7, 10, 13, 16, 19; ou même

�� � ai8 OEUVRES

plius est, à quolibet numéro exordium sumat illa progressio, sive incipiat ab unitate, ut isti 1, 4, 7, 10 y 13, etc. y qui sunt ejus progressionis quse per incrementum ternarii procedit et ab unit aie sumit exordium; sive ab aliquo hujus progres- sionis numéro incipiat ut isti 7 , 10, 13, 16, 19; sive, quod ultimum est, à numéro qui non sit ejus progressionis, ut isti 5, 8, 11, 14, quorum pro- gressio per ternarii differentiam procedit, et à numéro 5, ipsi progressioni extraneo, exordium sumit. Et, quod sanè fœliciter inventum est, tam multos différentes casus, unicâ ac generalissimâ resolvit methodus ; adeo simplex, ut absque litte- rarum auxilio, quibus difficiliores egent enuntia- tiones, paucis lineis contineatur: ut ad ïînem pro- blematis sequentis patebit.

Definitio.

Si binomium, cujus alterum nomen sit A, alte- rum vero numerus quilibet ut 3, nempe A-f- 3, ad quamlibet constituatur potestatem ut ad quartum gradum, cujus haec sit expositio.

A*-4-i2,A'H-54,A-^H-io8,A-h8i;

ipsi numeri 12, 54, 108, per quos ipse A multipli- catur insingulis gradibus,quique partim ex numeris figuratis, partim ex numéro 3 qui binomii est sè-

��2. Pascal faisait peu de cas de la notation algébrique. On lit dans la lettre, déjà citée, de Sluze à Brunetti (CEuv. de Fermât, II, p. 3i5 Voir sapra, p. 3oo, note 2) : « Il est bien vrai qu'il me déplaît que d'abord je ne suis pas du sentiment de M. Pascal touchant l'Analyse spécieuse, de laquelle je fais plus de cas que lui. »

�� � POTESTATUM NUMERICARUM SUMMA 349

qu'il soit étranger à la progression, comme dans la suite de raison trois, 5, S, 11, i4, ... commençant par 5. Chose remarquable, une méthode unique et générale suffirapour traiter tous ces cas différents. Cette méthode est si simple qu'elle sera exposée en quelques lignes, et sans cet appareil de notations algébriques auquel doivent recourir les démonstra- tions difficiles. On en jugera après avoir lu le pro- blème qui va suivre.

��Définition.

��Soit un binôme A + 3, dont le premier terme soit la lettre A, et le second un nombre : élevons ce binôme aune puissance quelconque, à la quatrième par exemple, ce qui donne

A'-f- 12 . A'-h 54 . A' -f- io8 . A -f- 8i ;

les nombres 12, 5/i, 108 qui multiplient les diverses puissances de A et sont formés par la combinaison des nombres figurés avec le second terme, 3, du binôme, seront appelés coefficients de A.

Ainsi, dans V exemple cité, 12 sera le coefficient du cube de A\ 54, celui du carré, et 108, celui de la pre- mière puissance.

�� � 330 ŒUVRES

cundum nomen,formantur, y ocohuninr Coeffîcientes- ipsius A.

Erit ergo in hoc exemplo 12 coeffîciens A cubi, et 54 coeffîciens A quadrati, et 108 coeffîciens A radicis.

Numerus vero 81 numerus absolatas dicetur.

Lemma.

Sit radix quselibet 1 4 ; altéra verô sit binomium i4-l-3 cujus primum nomen sit i4,alterum vero alius quibet numerus 3, ita ut harum radicum l^, et i4-+-3, differentia sit 3. Gonstituantur ipsae in quolibet gradu ut in quarto : ergô quartus gradus ra- dicis 1 4 est 1 4* ; quartus vero gradus binomii 1 4-h 3^ est

i4'-hi2, i4'-i-54, i4'-+-io8, i4 + 8i.

Cujus quidem binomii primum nomen, i4, eosdem coefficientes sortitur in singulis gradibus quos A sor- titus est in similibus gradibus in expositione ejusdem gradus binomii A -4-3, quod rationi consentaneum est; harum verô potestatum, nempe bujus i4* et hujus i4*-^i2, i4'-i-54, i4'h-io8, 14-I-81, dif- ferentia est 12, i4'-h54, i4^-f-io8, i4-i-8i ; quae quidem constat : Primo, ex radice i4 consti- tutâ in singulis gradibus proposito gradui quarto inferioribus, nempe in tertio, in secundo ei in primo, et in unoquoque multiplicatâ per coefficientes quos A sortitur in similibus gradibus in expositione ejus- dem gradus binomii A -t- 3 ; Deinde ex ipso numera

�� � Quant au nombre 81, on l’appellera nombre absolu .

Lemme.

Soit un nombre quelconque 14, et un binôme 14 + 3, dont le premier terme soit 14 et le second un nombre quelconque 3, de telle sorte que la différence des nombres 14 et 14 + 3 soit égale à 3. Elevons ces nombres à une même puissance, la quatrième par exemple : la quatrième puissance de 14 est 14*4 celle du binôme, 14 + 3, est

14⁴ + 12. 14³ + 54.14² + 108.14 + 81.

Dans cette expression, les puissances du premier terme, 14, du binôme sont évidemment affectées des mêmes coefficients que les puissances de A dans le développement de (A + 3)⁴. Cela posé, la différence des deux quatrièmes puissances, 14⁴ et

14⁴ + 12. 14³ + 54.14² + 108.14 + 81.

est 12. 14³ + 54.14² + 108.14 + 81 ; cette différence comprend: d’une part, les puissances de 14 dont le degré est inférieur au degré proposé 4, ces puissances étant affectées des coefficients qu’ont les mêmes puissances de A dans le développement de (A + 3)⁴; d’autre part, le nombre 3 (différence des nombres proposés) élevé à la quatrième puissance [car le nombre absolu 81 est la quatrième puissance du nombre 3] . De là nous déduisons la Règle suivante :

La différence des puissances semblables de deux 352 ŒUVRES

3, qui est dijjerentia radicum, constituto in propo- sito quarto gradu ; numerus enim absolutus 8i est quartus gradus radicis 3. Hinc igitur elicietur Canon iste :

Duarum similium potestatum differentia œquatuT differentiae radicum constitutœ in eodem gradu in quo sunt potestates propositae ; Plus minori radice constitutâ in singulis gradibus proposito gradui inferioribus ac in unoquoque multiplicatâ per coef- ficientes quos A sortiretur in similibus gradibus, si binomium cujus primum nomen esset A, alterum verô esset differentia radicum, constitueretur in eâdem potestate propositâ.

Sic ergo differentia inter i4^ et ii\ erit

12, ii^-h5/l, ii--^io8, iiH-8i.

Differentia enim radicum est 3. Et sic de cœteris.

��Ad summam potestatum cujuslibet progressionis inveniendam unica ac generalis meibodus.

Datis quotcumque numeris, in qualibet progres- sione, à quovis numéro inchoante, invenire qua- rumvis potestatum eorum summam.

Quilibet numerus, 5, sit initium progressionis quœ per incrementum cujusvis numeri, verbi gratiâ ternarii, procédât, et in eâ progressione dati sint quotlibet numeri, verbi gratiâ isti 5, 8, 1 1, 14, qui omnes in quâcumque potestate constituantur, ut in tertio gradu seu cubo. Oportet invenire summam horum cuborum, nempe 5^ -\- 8^ -\- i 1^ -\- 14:^-

�� � POTESTATUM NUMERIGARUM SUMMA 3.^3

nombres comprend : la différence de ces nombres élevée à la puissance proposée ; plus la somme de toutes les puissances de degré inférieur du plus pe- tit des deux nombres, ces puissances étant respec- tivement multipliées par les coefficients qu'ont les mêmes puissances de A dans le développement d'un binôme élevé à la puissance proposée et ayant pour premier terme A et pour second terme la différence des nombres donnés.

Ainsi, la différence de i4* et ii* sera

12 . ii'-h5/i. ii^-f- io8. ii-f-8i,

puisque la différence des puissances premières est 3. Et ainsi de suite.

��Méthode unique et générale pour trouver la somme des puissances semblables des termes d'une pro- gression quelconque.

��Étant donnée, à partir d'un terme quelconque, une suite quelconque de termes d'une progression arbitraire, trouver la somme des puissances sem- blables de ces termes élevés à un degré quelconque.

Soit pris un nombre quelconque 5 comme pre- mier terme d'une progression dont la raison, choi- sie arbitrairement, sera par exemple trois ; soient considérés, dans cette progression, autant de ter- mes que l'on voudra, par exemple les termes 5, 8, 11, 14, et soient ces termes élevés a une puissance arbitraire, mettons au cube. Il s'agit de trouver la somme des cubes 5'- -\- 8'^ -h 1 1^ -h 14'^.

m — 23

�� � 334 ŒUVRES

Cubi illi sunt 125 -f- 512 -1-1331 -h 2744, quorum summa est 4712 quœ quseritur et sic invenitur.

Exponatur binomium A -h 3 cujus primum nomen sît A, alterum vero sit numerus 3 qui est differentia progressionis.

Constituatur binomium hoc A -+-3 in gradu quarto qui proximè superior est proposito tertio, sitque hœc ejus expositio

A^ 4- 12, A3 H- 54, A^ -+- 108, A + 81 .

Jam assumatur numerus 17, qui in progressione propositâ proximè sequitur ultimum progressionis terminum datum 14. Et constituto ipso 17 in eodem gradu quarto, nempe 83521, auferantur ab eo hœc :

Primo, summa numerorum propositorum

5 + 8-M1 + 14,

nempe 38 multiplicata per numerum 108, qui est coeïficiens ipsius A radicis ;

Secundo, summa quadratorum eorumdem nume- rorum 5,8, 11, 14 multiplicata per numerum 54^ qui est coefîîciens A quadrati.

Et sic deinceps procedendum esset si superes- sent gradus alii inferiores ipsi gradui tertio qui propositus est.

Deinde auferatur primas terminus propositus 5 in quarto gradu constitutus.

Denique auferatur numerus 3 qui est differentia progressionis in eodem gradu quarto constitutus, ac toties sumptus, quoi sunt numeri propositi, nempe quatér in hoc exemple.

Residuum erit multiplex summœ qusesitse, eam- que toties continebit quoties numerus 12 qui est coeïîîciens ipsius A cubi, seu A in gradu tertio pro- posito, continet unitatem.

Si ergo ad praxim methodus reducatur, numerus

�� � POTESTATUM NUMERIGARUM SUMMA 335

Ces cubes sont 125, 512, 1331, 2744; et leur somme est 4712. Voici comment on trouvera cette somme.

Considérons le binôme A -f- 3 qui a pour premier terme A et pour second terme la différence de la pro- gression.

Élevons ce binôme à la quatrième puissance, puissance immédiatement supérieure au degré pro- posé trois ; nous obtenons l'expression

A*-f-i2.A^-h5/l.A^-l-io8.A-f-8i.

Cela posé, considérons le nombre 17, qui, dans la progression proposée, suit immédiatement le dernier terme considéré i4. Prenons la quatrième puissance de 17, savoir 83521, et retran- chons-en :

Premièrement : la somme 38 des termes considérés 5--8-- 11 -\- 1^, multipliée par le nombre 108 qui est le coefficient de A;

Deuxièmement : la somme des Carrés des mêmes ter- mes 5, 8, 11, 14, multipliée par le nombre 54, qui est le coefficient de A^,

Et ainsi de suite, au cas où il y aurait encore des puissances de A de degré inférieur au degré proposé trois.

Ces soustractions faites, on retranche encore la quatrième puissance du premier terme proposé, 5,

Enfin l'on retranche le nombre 3 (i ai son de la progression) élevé lui-même à la quatrième puissance et pris autant de fois que l'on considère de termes dans la progression, ici quatre fois.

Le reste de la soustraction sera un multiple de la somme cherchée; ce sera le produit de cette somme par le nombre 12, qui est le coefficient de A^, c'est-à-dire le coefficient du terme A élevé à la puissance proposée trois

�� � 356 ŒUVRES

17 constituendus est in l\ gradu, nempe 8352 1, et ab eo haec auferenda sunt :

Primo, summa numerorum propositorum 5_l-8-i-ii-l-i4, nempe 38, multiplicata per 108, unde oritur productus /Jio/i ,

Deinde, summa quadratorum numerorum propo- sitorum, id est, 5^-+-8^-i- I i^-f- 1/^^ nempe 25_l_54_4- 121 -f- ig6, quorum summa est 4o6, quse multiplicata per 54 efficit 2192/i,

Deinceps auferendus est numerus 5 in quarto gradu, nempe 625.

Denique auferendus est numerus 3 in quarto gradu, nempe 81 , gaa^er sumptus, nempe 32^. Nu- meri ergo auferendi illi sunt, 4io/i, 21924, 625, 324; quorum summa est 26977, ^^^ ablatâ à nu- méro 8352 1, superest 56544.

Hoc ergô residuum continebit summam qusesitam, nempe 4712, multiplicatam per 12 ; et profectô 4712 per 12 multiplicata efficit 56544.

Paradigma facile est construere ; hoc autem sic demonstrabitur.

Etenim numerus 17 in quarto gradu constitutus, qui quidem sic exprimitur 117*, aequatur

I^*_I4*_^-I4*_II^^-II^_8^-f-8* — 5*^5\

Solu^ enim 17^ signum affînnationis solum sortitur, reliqui autem affirmantur ac negantur.

Sed differentia radicum 17, i4, est 3, eademque est differentia radicum i4, n, eademque radicum II, 8, ac etiam radicum 8, 5. Igitur ex prsemisso lemmate :

�� � POTESTATUM NUMERIGARUM SUMMA 357

Ainsi, dans la pratique, on devra former la qua- trième puissance de 17, soit 83 621, puis en retran- cher successivement :

Premièrement, la somme des termes proposés 5-1-8-1- II -4- i4, soit 38, multipliée par 108, — c'est-à-dire le produit 4 1 0/4 ;

Puis la somme des carrés des mêmes termes, .72_|_g2_^ ii2_|_ j/j2 Q^ 25_^g^_^ J2I -}- 196, ou encore 4o6, qui, multipliée par 54, donne 21 924 ;

Puis le nombre 5 à la quatrième puissance , soit 6 2 5 ;

Enfin le nombre 3 à la quatrième puissance, soit 81, multiplié par quatre, ce qui donne 32 4. En ré- sumé on doit retrancher les nombres 4 io4, 21 924, 625, 3224, dont la somme est 26977. Otant cette somme de 8352i, il reste 56544-

Le reste ainsi obtenu est égal à la somme cher- chée, 4712, multipliée par 12; et, de fait, 4712 multiplié par 12 égale 56 544.

La règle est, on le voit, d'une application facile. Voici maintenant comment on la démontre.

Le nombre 17 élevé à la quatrième puissance, que l'on écrit 17"^, est égal à i7^_i4^_i_i4^_ii'^_i_ii^_8^-f-8*_5^-t-5\

Dans cette expression, le seul terme 17"^ fiy^'^^ avec le seul signe H- ; les autres termes sont tour à tour ajoutés et retranchés.

Mais la différence des termes 1 7 et 1 4 est 3 ; de même la différence des termes 1 4 et 11 , et des ter- mes II et 8, et des termes 8 et 5. Dès lors, d'après notre lemme préliminaire :

�� � 358 ŒUVRES

17* — i4* aequatur 12, i4' -4- 54, i4^ -f- 108,

14 -h 81. Sic i4^ — 11^ aequatur 12, 11^ H- 54, n^ -t- 108,

II -f-81. Sien*— 8' aequatur 12, 8' -f- 54, 8' -i- 108,

8-f-8i. Sic 8* — 5* aequatur 12, 5^ -f- 54, 5" -h 108

5-4-81.

Non interpretor 5\

Igitur 17* aequatur his omnibus :

12, i4'-+- 54, 11^ -h 108, -h 1 4 -h 81 -4-12, ii^-f- 54, ii^-l- 108, -f- II -f- 81 -+-12, 8^ H- 54, 8^ -+-108,^ 8-^81 -+-12, 5^ -h 54, 5' -H 108, -4- 5 -4- 81 -+-5\

Hoc est, mutato ordine, 17* aequatur his

5 -1-8 -h 1 1 -f- i4 multiplicatis per 108, -h 5^ -+- 8^ H- 1 1^ -f- 1 4^ multiplicatis per 54, -)- 5* -4- 8^ -f- 1 1 ^ -h 1 4^ multiplicatis per 1 2 , _l_8i -4-81 -4-81 -h8i, ^5^

Ablatis undique his '

5 -4-8 -f-ii -4-1 multiplicatis per 108, -h 5^ -f- 8^ -h 1 1^ -h i4^ multiplicatis per 54, H-81 -I- 81 H- 81 -i- 81, -1-5*;

�� � POTESTATUM NUMERICARÙM SÙMMA 359

17^ — i4^ égale 12 . i4^--54. i4^-f- 108. i/i-f-8i.

De même i4* — 11^ égale 12. ii^-t-54. ii^-f-io8. ii-h8i.

De même

II'— 8'égalei2. 8^ + 54. 8'-f-io8. 8-f-8i.

De même

S'— 5* égale 12. 5^-i-54. 5'-j-io8. 5h-8i.

Le terme 5' n'a pas besoin d'être transformé. On trouve alors comme valeur de 17':

l2.I/i^-f-5/^.I/i^^-Io8.a-h8I

-f- 12 . Il' H- 54. 11^-1-108. II -h 81

-M2. 8'-h5/i. 8^-+-io8. 8-+-81 -f-i2. 5^-^54. 5'-i-io8. 5-f-8i

-+-5\

ou, en intervertissant l'ordre des termes :

5 -h 8 -h 1 1 -h i4 multipliés par 108, -h 5^ -h 8" -f- i i^-f- 1 4" multipliés par 54,

-f- 5^ -h 8 ^ -H- II ^ -f- 1 4^ multipliés par 1 2 , -h8i -f-8i -1-81 -4-8i H- 5\

Si donc on retranche de part et d'autre, la somme :

5 -h 8 -hii -4-i4 multipliés par 108, -h 5^ -H 8^-1- II' H- 1 4^ multipliés par 54

H-81 -f-8i -f-8i -f-8i -f- 5^

�� � 360 ŒUVRES

Remanet 17* minus his, nempe

— 5 — 8 — II — i/i multiplicatis per 108,

— 5" — 8- — 11^ — ili' multiplicatis per 54,

_8i — 81 — 81 — 81;

— 5^

sequalis 5^ -f- 8^ -+- 1 1 ^ -+- 1 4^ multiplicatis per 1 2 .

Q. E. D.

Sic ergo potest institui enuntiatio et geneiali& constructio.

Summa potestatum.

Datis quotcumque numeris, in quâlibet progres- sione, a quovis numéro initium sumente, invenire summam quarumvis potestatum eorum.

Exponatur hinomium, cujus primum nomen sit A, alterum vero sit numerus qui differentia pro- gressionis est, et constituatur hoc hinomium in gradu qui proximè superior est gradui proposito, et in expositione potestatis ejus notentur coefficientes quos A sortitur in singulis gradibus.

Constituatur et in eodem gradu superiori nume- rus qui in eâdem progressione propositâ proximè sequitur ultimum progressionis terminum propo- situm. Et ah eo auferantur hœc :

Primo, primus terminus progressionis datus, seu minimus numerus datorum in eodem superiori gradu constitutus ;

Secundo, numerus qui differentia est progres- sionis in eodem superiori gradu constitutus^ ac toties sumptus quot sunt termini dati;

�� � POTESTATUM NUMERIGARUM SUMMA 36i

Il reste 17* diminué des quantités précédentes savoir :

— 5 — 8 — II — i4 multipliés par 108,

— 5^ — 8" — II" — 1 4^ multipliés par 54

__8i —81 —81 —81

— 5\

qui se trouve égal à la somme 5^ -t- 8^ -(- 1 1' -h 1 4 multipliée par 1 2 . C . Q . F . D .

On peut donc présenter comme il suit l'énoncé et la solution générale du problème proposé.

Somme des puissances.

Étant donnée, à partir d'un terme quelconque une suite quelconque de termes d'une progression arbitraire, trouver la somme des puissances sem- blables de ces termes supposés élevés à un degré arbitraire.

Formons un binôme ayant pour premier terme A et pour second terme la différence de la progres- sion donnée ; élevons ce binôme au degré immédia- tement supérieur au degré proposé, et considérons dans le développement obtenu les coefficients des diverses puissances de A.

Élevons maintenant au même degré le terme qui, dans la progression donnée, suit immédiate- ment le dernier terme considéré. Puis retranchons du nombre obtenu les quantités suivantes :

Premièrement : Le premier terme donné dans la pro- gression, — c'est-à-dire le plus petit des termes donnés, — élevé lui-même à la même puissance (immédiatement supérieure au degré proposé).

Deuxièmement : La différence de la progression, éle- vée à la même puissance, et prise autant de fois que l'on considère de termes dans la progression.

�� � 362 ŒUVRES

Tertio, auferantur singuli numeri dati, in sin- gulis gradibus proposito gradui inferioribus consti- tutiy ac in unoquoque gradu multiplicati per jam notâtes coefficientes quos A sortitur in iisdem gra- dibus in expositione hujus superioris gradus hino- mii primo assumpti.

Reliquuum est multiplex summœ quœsitœ, eam- que toties continet quoties coefficiens quem A in gradu proposito sortitur continet unitatem.

��Moniium.

Praxes jam particulares sibi quisque pro genio siippeditabit. Verbi gratiâ, si quaeris summam quot- libet numerorum progressionis naturalis a quolibet inchoantis, hic, ex methodo generali, elicietur Ca- non :

In progressione naturali a quovis numéro in- choante, differentia inter quadratum mînimi ter- mini et quadratum numeri qui proximè major est ultimo termino, minuta numéro qui exponit multi- tudinem, dupla est aggregati ex omnibus.

Sint quotlibet numeri naturali progressione con- tinui, quorum primus sit ad libitum, v. g., quatuor isti 5, 6, 7, 8. Dico 9^ — 5^ — 4 aequari duplo 5H-6-f-7-h8.

Similes canones et reliquarum potestatum sum- mis inveniendis et reliquis progressionibus facile aptabuntur, quos quisque sibi comparet.

�� � POTESTATUM NUMERICARUM SUMMA 363

Troisièmement : Les sommes des termes donnés, éle- vés aux divers degrés moindres que le degré pro- posé, ces sommes étant respectivement multipliées par les coeïïicients des mêmes puissances de A dans le développement du binôme formé plus haut.

Le reste de la soustraction ainsi effectuée est un multiple de la somme cherchée : il la contient au- tant de fois qu'il y a d'unités dans le coefficient de la puissance de A dont le degré est égal au degré proposé.

��AVIS

��Le lecteur déduira lui-même les règles pratiques qui sont applicables dans chaque cas particulier. Supposons, par exemple, que l'on veuille trouver la somme d'un certain nombre de termes de la suite naturelle à partir d'un nombre arbitraire : voici la règle que l'on déduira de notre méthode générale :

Dans une progression naturelle partant d'un nombre quelconque, le carré du nombre immédiate- ment supérieur au dernier terme, diminué du carré du premier terme et du nombre des termes donnés, est égal au double de la somme desdits termes.

Soit donnée une suite quelconque de nombres consécutifs dont le premier est arbitraire, par exem- ple les quatre nombres 5, 6, 7, 8 : je dis que

9^ — 5^ — 4 est égal au double de 5-i-6-f-7-i-8.

On obtiendra facilement des règles analogues donnant les sommes des puissances de degrés plus élevés et s'appliquant à toutes les progressions.

�� � 36i ŒUVRES

��Conclusio.

��Quantum haec notitia ad spatorium curvilineorum dimensiones conférât, satis norunt qui in indivisibi- lium doctrinâ tantisper versati sunt. Omnes enim omnium generum Parabolae illico quadrantur, et alia innumera facillimè mensurantur ^ .

Si ergo illa, quae hac methodo in numeris repe- rimus, ad quantitatem continuam applicare libet, hi possunt institui canones.

��Canones ad naturalem progressionem quœ ab nnitate sumit exordium.

��Summa linearum est ad quadratum maximae, ut. . . i ad 2. Summa quadratorum est ad cubum maxirnse, ut. . . i ad 3, Sunimacuborum'estad[quartum]gradummaxiraae,ut. i ad 4.

��I. Cf. la lettre de Fermât à Mersenne en date du 22 septembre i636 (OEuv. de Fermât, II, p, 78) : « J'ai quarré infinies figures comprises de lignes courbes ; comme, par exemple, si vous imaginez une figure comme la parabole, en telle sorte que les cubes des appli- quées soient en proportion des lignes qu'elles coupent du diamètre. Cette figure approchera de la parabole et ne dififere qu'en ce qu'au lieu qu'en la parabole on prend la proportion des quarrés, je prends en celle-ci celle des cubes; et c'est pour cela que M. de Beaugrand, à qui j'en fis la proposition, l'appelle parabole solide. » — Le 11 oc- tobre de la même année i636, Roberval écrivait à Fermât (OEuv. de Fermât, II, 81) : « J'ai aussi trouvé la démonstration... de votre pa- rabole solide, et, en conséquence, celles d'une infinité d'autres pa- reilles, quarréquarrées, quarrésolides, etc. »

�� � POTESTATUM NUMERIGARUM SUMMA 365

Conclusion.

Ceux qui sont tant soit peu au courant de la doc- trine des indivisibles ne manqueront pas de voir quel parti on peut tirer des résultats qui précèdent pour la détermination des aires curvilignes. Ces résultats permettront de quarrer immédiatement tous les genres de paraboles et une infinité d'autres courbes.

Si donc nous étendons aux quantités continues les résultats trouvés pour les nombres, par la mé- thode ci-dessus exposée, nous pourrons énoncer les règles suivantes :

��Règles relatives à la progression naturelle qui commence par Funité,

La somme d'un certain nombre de lignes est au carré de la plus grande, comme i est à 2.

La somme des carrés des mêmes lignes est au cube de la plus grande, comme i est à 3.

La somme de leurs cubes est à la quatrième puis- sance de la plus grande, comme 1 est à 4-

Règle générale relative à la progression naturelle qui commence par l'unité.

La somme des mêmes puissances d'un certain nombre de lignes est à la puissance de degré immé- diatement supérieur de la plus grande d'entre elles, comme l'unité est à l'exposant de cette même puis- sance.

�� � Canon generalis ad progressionem naturalem quæ ab unitate sumit exordium.

Summa omnium in quolibet gradu est ad maximam in proximè superiori gradu,ut unitas ad exponentem superioris gradus [245].

Non de Reliquis disseram, quia hîc locus non est: haec obiter notavi ; reliqua facili negotio penetrantur, eo posito principio, in continua quantitate, quot- libet quantitates cujasvis generis quantilati superioris generis additas nihil ei superaddere. Sic puncta li- neis, lineae superficiebus, superficies solidis nihil adjiciunt: seu, ut numericis, in numerico tractatu, verbis utar, radiées quadratis, quadrata cubis, cubi quadrato-quadratis, etc., nihil apponunt. Quare, inferiores gradus, nullius valons existentes, non considerandi sunt. Hsec, quae indivisibilium studiosis familiaria sunt, subjungere placuit, ut nunquam satis mirata connexio, quâ ea etiam quae remotis- sima videntur in unum addicat unitatis amatrix natura, ex hoc exemplo prodeat, in quo, quantitatis continuœ dimensionem, cum numericarum potestatum summâ conjunctam contemplari licet. POTESTATUM NUMERICARUM SUMMA 367

Je ne m'arrêterai pas aux autres cas, parce que ce n'est pas ici le lieu de les étudier. 11 me suffira d'avoir énoncé en passant les règles qui précèdent. On découvrira les autres sans difficulté en s'appuyant sur ce principe qu'oui n augmente pas une grandeur continue lorsqu'on lui ajoute, en tel nombre que Von voudra, des grandeurs d'un ordre dinfinitude infé- rieur. Ainsi les points n'ajoutent rien aux lignes, les lignes aux surfaces, les surfaces aux solides ; ou — pour parler en nombres comme il convient dans un traité arithmétique, — les racines ne comptent pas par rapport aux carrés, les carrés par rapport aux cubes et les cubes par rapport aux quarro-carrés. En sorte qu'on doit négliger, comme nulles, les quan- tités d'ordre inférieur.

J'ai tenu à ajouter ces quelques remarques, fami- lières à ceux qui pratiquent les indivisibles, afin de faire ressortir la liaison, toujours admirable, que la nature, éprise d'unité, établit entre les choses les plus éloignées en apparence. Elle apparaît dans cet exemple, oii nous voyons le calcul des dimensions des grandeu s continues se rattacher à la sommation des puissances numériques.

�� � LVII FERMAT A PASCAL

i654. Copie de la Bibliothèqne Nationale, F. fr. 12988, pp. 379-880

��III — 24

�� � La correspondance qu’il engage avec Fermat (1) dans la se- conde moitié de 1654 ouvre pour Pascal une période de très grande activité mathématique. Depuis ses premiers travaux sur les sections coniques, Pascal avait étudié des sujets mathématiques très divers, probablement sans grande suite; il va dorénavant concentrer toute son attention sur les questions de probabilité qu’il discute avec Fermat et dont il devait probablement l’énoncé au chevalier de Méré (Vide infra, p. 377).

Au cours de sa correspondance avec Fermat, Pascal généra- lise de plus en plus son point de vue. Il conçoit la théorie du triangle arithmétique qu’il applique, non seulement au problème des partis, mais à l’étude des combinaisons, à la sommation des nombres des divers ordres, au calcul des coefficients du binôme. Il s’engage de plus en plus dans ces nouvelles recherches, abandonnant les questions qui l’avaient auparavant occupé.

La première lettre de Fermat, qui répond à une lettre perdue de Pascal, se rapporte au problème suivant : Supposons que, tentant huit fois la chance avec un dé, un joueur entreprenne d’amener le 1 , puis qu’au milieu de la partie on lui retire un des coups auquel il a droit : supposons, par exemple, que le joueur ait joué trois coups sans réussir, et qu’on lui retire son quatrième coup : comment devra-t-on l’indemniser ?

Le désaccord entre Fermat et Pascal provient de leurs manières différentes de comprendre l’énoncé. Si l’indemnité est calculée après trois coups joués. Fermat est dans le vrai en

I, Sur les rapports antérieurs de Fermat avec les Pascal, voir supra, t. I, p. 172. 372 ŒUVRES

l'évaluant aux 1/6 et non aux 125/1 296 de l'enjeu, ainsi que Pascal le proposait. 125/1 296 représente la différence entre la probabilité que le joueur gagne en 4 coups (soit 771 / 1 296) et la probabilité qu'il gagne en 3 coups (soit 91/216). Cette différence est ce que Pascal appelle : valeur du quatrième coup (l'enjeu étant pris pour unité), expression qui reviendra fréquemment dans les lettres suivantes. Mais lorsqu'on définit ainsi la valeur du quatrième coup, on suppose essentiellement que les trois pre- miers coups n'ont pas encore été joués. LETTRE DE FERMAT A PASCAL *

Monsieur, Si j'entreprends de faire un point avec un seul dé en huit coups, si nous convenons, après que l'argent est dans le jeu, que je ne joiieray pas le premier coup, il faut,

par mon principe, que je tire du jeu — du total pour

estre desintéressé, à raison dudit premier coup.

Que si encore nous convenons après cela que je ne

jOiieray pas le second coup, je dois, pour mon indemnité,

5 tirer le 6® du restant, qui est — du total. '^ 36

Et si après cela nous convenons que je ne joûeray pas

le troisiesme coup, je dois, pour mon indemnité, tirer le

Or-»

6* du restant, qui est du total.

2l6

Et si après cela nous convenons encore que je ne joûe- ray pas le quatriesme coup, je dois tirer le 6® du restant,

qui est ^ du total, et je conviens avec vous que c'est

la valeur du quatriesme coup, supposé qu'on ait déjà traité des precedens. Mais vous me proposez dans l'exemple der- nier de votre lettre (je mets vos propres termes) : si j'entreprends de trouver le six en huit coups et que j'en aye joiié trois sans le rencontrer, si mon joueur me pro-

��I, Bossut place cette lettre entre les lettres LX et LXI, mai remarque qu'elle n'est pas datée dans la copie qu'il en a vue. L'ordre éritable a été rétabli par MM. P. Tannery et Gh. Honry dans leu ^édition de Œuvres de Fermai.

�� � 374 ŒUVRES

pose de ne point jouer mon quatriesme coup et qu'il veuille me désintéresser à cause que je pourrois le rencontrer, il

y o ^

m'appartiendra de la somme entière de nos mises.

  • ^ 1296

Ce qui pourtant n'est pas vrai, suivant mon principe. Car, en ce cas, les trois premiers coups n'ayant rien ac- quis à celui qui tient le dé, la somme totale restant dans le jeu, celui qui tient le dé et qui convient de ne pas joiier son quatriesme coup, doit prendre pour son indemnité un 6* du total.

Et s'il avoit joué quatre coups sans trouver le point cherché et qu'on convînt qu'il ne joueroit pas le cinquiesme, il auroit de mesme pour son indemnité un 6* du total. Car la somme entière restant dans le jeu, il ne suit pas seu- lement du principe, mais il est de mesme du sens naturel que chaque coup doit donner un égal avantage.

Je vous prie donc que je sache si nous sommes confor- mes au principe, ainsi que je crois, ou si nous différons seulement en l'application.

Je suis, etc.

Fermât.

�� � LVIII PASCAL A FERMAT

39 juillet 1654

��Varia Opéra Mathematica Pétri de Fermât (Toulouse, 1679), pp. 179-183.

�� � Pascal répond à une lettre de Fermat qui ne nous est pas parvenue et qui lui avait été transmise par Garcavi. Pierre de Carcavi se plaisait à servir de trait d’union entre les savants de son temps ; il avait déjà joué le rôle d’intermédiaire entre Etienne Pascal et Fermat * ; ce fut lui, aussi, qui mit Huygens en rapport avec Fermat et Pascal en i656 (voir la lettre de Garcavi à Huygens du 20 mai i656. Œav. de Huygens, I, p. 4i8). Garcavi était d’ailleurs grand ami de Pascal : on lit dans la Vie de Monsieur Descartes par Baillet (T. II, p. 378), à la date de 16^9 : « M. Pascal n’avoit point encore alors d’ami plus intime que luy [Garcavi], sans en excepter même M. de Roberval ni Messieurs de Port-Royal qu’il ne connut parfaitement que depuis. Il luy en avoit donné des marques depuis peu par le beau présent de la merveilleuse machine d’Arithmétique qu’il avait inventée. »

C’est au chevalier de Méré que Pascal déclare devoir les énoncés des questions qu’il discute avec Fermat. Quel rôle joua au juste le chevalier, et quelles étaient ses aptitudes mathématiques ? Lui-même avait coutume de les estimer très haut, à en juger par les lignes suivantes qui sont adressées à Pascal ^ (Les Œuvres de Monsieur le Chevalier de Méré, Amsterdam, 1692, t. II, p. 63) : « Vous sçavez, dit Méré, que j’ay découvert dans les Mathématiques des choses si rares que les plus sçavants des anciens n’en ont jamais rien dit, & desquelles les meilleurs Mathématiciens de l’Europe ont été surpris. Vous avez escrit sur mes inventions aussi bien que Monsieur Huy-

1. Vide supra, t. I. p. 171, note 2.

2. La lettre de Méré à Pascal est postérieure à i656, puisqu’elle fait allusion aux recherches de Huygens. gens, Monsieur de Fermat & tant d’autres qui les ont admirées. » Voici, d’autre part, deux jugements de Leibniz sur le rôle de Méré : « Factum est ut Merœus [le chevalier de Méré] , vir ingeniosus sed semidoctuset, ut ita dicam, semiscius, cum sola vi ingenii praevidisset quae postea tanti viri [Pascal, Fermat et Huygens] mathematicae certitudinis habitu induerunt, suc- cessu laudibusque tumens, Doctoris personam sibi sumeret in Pascalium nescio qua jam tantum remissione animi inter Mathematica devotionemque praeposteram fluctuantem. » (Leibnitii Annoiatio de quihusdam Ludis. Opéra omnia, Ed. Dutens, V, p. 2o3). Et ailleurs : « J’ai appris de Mr. Des Billettes ami de Mr. Pascal, excellent dans les Méchaniques^ ce que c’est que cette découverte dont ce chevalier se vante. C’est qu’étant grand joueur, il donna les premières ouvertures sur l’estime des partis, ce qui fit naître les belles pensées De Alea de MM. Fermat, Pascal et Huygens. » (Opera omnia. Ed. Dutens, II, p. 93).



Le problème des partis, que Pascal se propose de résoudre, s’énonce comme il suit dans le cas de deux joueurs : Soient deux joueurs jouant un certain enjeu en n parties. On suppose qu’à un moment donné le premier joueur ait gagné p parties et le second q (q < p < n)- On demande quelle est, pour chaque joueur, la probabilité qu’il gagne ; d’où résulte la répartition de l’enjeu que les joueurs devraient adopter s’ils voulaient se séparer sans achever le jeu.

Fermat a traité ce problème par la « méthode des combi- naisons » (Voir les lettres LXl et LXII), Pascal dit qu’il a d’abord songé à cette méthode et qu’il a ensuite imaginé une méthode plus simple. Le mode de démonstration dont il s’est avisé est, en effet, fort élégant, mais n’est pas d’une portée très générale. D’ailleurs, Pascal a lui-même recours à la méthode des combinaisons pour trouver la a valeur de la première partie » ; mais il ne voit pas encore clairement le parti qu’on peut tirer de cette méthode, et il écrit à Fermat, dans la lettre du 39 juillet i654, que la méthode des combinaisons « n’est pas générale, et n’est généralement bonne qu’en cas seulement qu’on soit astreint à jouer un certain nombre de parties exactement ». C’est seulement dans la lettre du 27 octobre 1654 que Pascal entre entièrement dans la pensée de Fermât.

La valeur d’une partie (valeur pour le gagnant sur l’argent du perdant) est le produit par l’enjeu de la différence entre les probabilités que le joueur gagne, calculées, d’une part avant, d’autre part après la partie. Par exemple, si les joueurs jouent en trois parties, l’enjeu étant un, les probabilités pour que l’un des joueurs gagne lorsqu’il a zéro partie à zéro, une partie à zéro, deux parties à zéro, trois parties à zéro, sont respectivement 1/2, 11/16, 7/8, 1. La valeur de la première partie sera pour ce joueur 11/6 — 1/2 = 3/16, la valeur de la seconde partie sera 7/8 - 11/16 = 3/16 ; la valeur de la troisième partie sera 1 - 7/8 = 1/8 . Dans le tableau donné par Pascal à la fin de sa lettre, l’enjeu est égal à 512.

On trouvera de précieux éclaircissements sur ces questions dans un ouvrage de Todhunter : A history of the mathematical theory of probability, from the time of Pascal to that of La Place, Macmillan and Go, 1865.

La question relative aux dés se rattache à celle qui fait l’objet de la lettre précédente. Pascal remarque que la probabilité pour que l’on amène un point donné en quatre coups est égale à 671/1296 autrement dit, sur 1296 cas possibles, il y a 671 cas favorables contre 626 défavorables. Au contraire, si l’on jouait en trois coups, il y aurait 185 cas défavorables contre 91 favorables.

Nous voyons, à la fin de la lettre, que Pascal s’occupe de 380 ŒUVRES

questions mathématiques très diverses. Ces questions sont celles-là même auxquelles il est fait allusion dans l'Adresse à l'Académie Parisienne.

La proposition relative à la différence de deux cubes n'est qu'un cas particulier du lemme énoncé dans le Potestatum numericarum Summa. ÇVide supra p. 35o).

Les deux problèmes de géométrie se rapportent aux travaux de Pascal sur les contacts de cercles (^Promotas Apollonius Gallas) et sur les contacts de sphères.

�� � LETTRE DE M. PASCAL A M. DE FERMAT

Le 29 juillet 1654.

Monsieur,

L'impatience me prend aussi bien qu'à vous et, quoy que je sois encore au lit, je ne puis m'empescher de vous dire que je receus hier au soir, de la part de M. de Carcavi, votre lettre sur les partys, que j'admire si fort que je ne puis vous le dire. Je n'ay pas le loisir de m 'étendre, mais, en un mot, vous avez trouvé les deux partys des dez et des parties dans la parfaite justesse : j'en suis tout satisfait, car je ne doute plus maintenant que je ne sois dans la vérité, après la rencontre admirable où je me trouve avec vous.

J'admire bien davantage la méthode des partys que celle des dez: j'avois vu plusieurs personnes trouver celle des dez, comme M. le Chevalier de Meré, qui est celuy qui m'a proposé ces questions, et aussi M. de Roberval : mais M. de Meré n'avoit jamais pu trouver la juste valeur des parties ny de biais pour y arriver, de sorte que je me trouvois seul qui eusse connu cette proportion.

Votre méthode est tres-seure et est celle qui m'est la première venue à la pensée dans cette recherche ; mais parce que la peine des combinaisons est excessive,

j'en ay trouvé un abrégé et proprement une 382
ŒUVRES

autre méthode bien plus courte et plus nette, que je voudrois pouvoir vous dire icy en peu de mots : car je voudrois désormais vous ouvrir mon cœur, s'il se pouvoit, tant j'ay de joie de voir notre rencontre. Je voy bien que la vérité est la mesme à Tolose et à Paris[246].

Voicy à peu prés comme je fais pour sçavoir la valeur de chacune des parties, quand deux joüeurs joüent, par exemple, en trois parties, et chacun a mis 32 pistoles au jeu :

Posons que le premier en ait deux et l'autre une ; ils joüent maintenant une partie, dont le sort est tel que, si le premier la gagne, il gagne tout l'argent qui est au jeu, savoir, 64 pistoles ; si l'autre la gagne, ils sont deux parties à deux parties, et par conséquent, s'ils veulent se séparer, il faut qu'ils retirent chacun leur mise, sçavoir, chacun 32 pistoles.

Considérez donc. Monsieur, que si le premier gagne, il luy appartient 64 ; s'il perd il luy appartient 32. Donc s'ils veulent ne point hazarder cette partie et se séparer sans la joüer, le premier doit dire : « Je suis seur d'avoir 32 pistoles, car la perte mesme me les donne; mais pour les 32 autres, peut-estre je les aurai, peut-estre vous les aurez; le hazard est egal; partageons donc ces 32 pistoles par la moitié et me donnez, outre cela, mes 32 qui me sont seures. » Il aura donc 48 pistoles et l'autre 16.

Posons maintenant que le premier ait deux parties et l'autre point, et ils commencent à jouer une partie. Le sort de cette partie est tel que, si le premier la gagne, il tire tout l'argent, 64 pistoles; si l'autre la gagne, les voilà revenus au cas précèdent, auquel le premier aura deux parties et l'autre une.

Or, nous avons déjà monstre qu'en ce cas il appartient à celuy qui a deux parties, 48 pistoles : donc, s'ils veulent ne point joüer cette partie, il doit dire ainsi : « Si je la gagne, je gagneray tout, qui est 64; si je la perds, il m'appartiendra legitimement 48 : donc donnez-moi les 48 qui me sont certaines au cas mesme que je perde, et partageons les 16 autres par la moitié, puisqu'il y a autant de hazard que vous les gagniez comme moi. » Ainsi il aura 48 et 8, qui sont 56 pistoles.

Posons enfin que le premier n'ait qu'une partie et l'autre point. Vous voyez, Monsieur, que, s'ils commencent une partie nouvelle, le sort en est tel que, si le premier la gagne, il aura deux parties à point, et partant, par le cas precedent, il luy appartient 56 ; s'il la perd, ils sont partie à partie : donc il luy appartient 32 pistoles. Donc il doit dire : « Si vous voulez ne la pas joüer, donnez-moi 32 pistoles qui me sont seures, et partageons le reste de 56 par la moitié. De 56 ostez 32, reste 24 ; partagez donc 24 par la moitié prenez-en 12, et moi 12, qui, avec 32, font 44. »

Or, par ce moyen, vous voyez, par les simples 384 ŒUVRES

soustractions, que, pour la première partie, il appar- tient sur l'argent de l'autre 12 pistoles; pour la seconde, autres 12 ; et pour la dernière, 8.

Or, pour ne plus faire de mystère, puisque vous voyez aussi bien tout à découvert et que je n'en fai- sois que pour voir si je ne me trompois pas, la valeur (j'entends la valeur sur l'argent de l'autre seulement) de la dernière partie de deux est double de la der- nière partie de trois et quadruple de la dernière par- tie de quatre et octuple de la dernière partie de cinq, etc.

Mais la proportion des premières parties n'est pas si aisée à trouver : elle est donc ainsy, car je ne veux rien déguiser, et voicy le problème dont je faisois tant de cas, comme en effet il me plaît fort :

Estant donné tel nombre de parties qu'on voudra, trouver la valeur de la première ^ .

Soit le nombre des parties donné, par exemple, 8. Prenez les huit premiers nombres pairs et les huit premiers nombres impairs, sçavoir : 2, 4, 6, 8, 10, 12, i4, 16, et I, 3, 5, 7, 9, II, i3, i5.

��I, Voici comment s'énonce, en langage moderne, le résultat obtenu par Pascal, Soit l'enjeu total égal à 2A. et le nombre des parties n-f- I. Supposons que le premier joueur ait gagné une partie et le second zéro. Si les joueurs décident de se séparer, il reviendra au premier joueur

^_^^ i.3.5....(2n-i) ^ 2 . 4 . 6 ... an

La première proposition auxiliaire dont se sert Pascal, proposition « purement arithmétique » est une conséquence directe de la loi de formation des coefficients du binôme. (Cf. Todhunter. Op. cité).

�� � PASCAL A FERMAT 383

Multipliez les nombres pairs en cette sorte ; le premier par le second, le produit parle troisiesme, le produit par le quatriesme, le produit par le cin- quiesme, etc. ; multipliez les nombres impairs de la mesme sorte : le premier par le second, le produit par le troisiesme, etc.

Le dernier produit des pairs est le dénominateur et le dernier produit des impairs est le numérateur de la fraction qui exprime la valeur de la première partie de huit : c'est-à-dire que, si on joue chacun le nombre des pistoles exprimé par le produit des pairs, il en appartiendra sur l'argent de l'autre le nombre exprimé par le produit des impairs.

Ce qui se demonstre, mais avec beaucoup de peine, par les combinaisons telles que vous les avez imagi- nées, et je n'ay pu le demonstrer par cette autre voie que je viens de vous dire, mais seulement par celle des combinaisons. Et voicy les propositions qui y mènent, qui sont proprement des propositions arithmétiques touchant les combinaisons, dont j'ai d'assez belles proprietez.

Si d'un nombre quelconque de lettres, par exemple, de 8 : A, B, G, D, E, F, G, H, vous en prenez toutes les combinaisons possibles de 4 lettres et en suitte toutes les combinaisons possibles de 5 lettres, et puis de 6, de 7, et de 8, etc., et qu'ainsi vous preniez toutes les combinaisons possibles depuis la multitude qui est la moitié de la toute jusqu'au tout, je dis que, si vous joignez ensemble la moitié de

m — 2S

�� � 386 ŒUVRES

la combinaison de 4 avec chacune des combinaisons supérieures, la somme sera le nombre tantième de la progression quaternaire à commencer parle binaire, qui est la moitié de la multitude.

Par exemple, et je vous le diray en Latin, car le Français n'y vaut rien :

Siquotlibletlitterarum, verbi gratiaocto ;

A, B, C, D, E, F, G, H,

sumantur omnes combinationes quaternarii, quin- quenarii, senarii, etc., usque ad octonarium, dico, sijungas dimidium combinationis quaternarii, nempe 35 (dimidium 70) cum omnibus combinationibus quinquenarii, nempe 56, plus omnibus combinatio- nibus senarii, nempe 28, plus omnibus combinatio- nibus septenarii, nempe 8, plus omnibus combinatio- nibus octonarii, nempe ï , factum esse quartum nume- rumprogressionis quaternarii cujus origo est 2 : dico quartum numerum, quia 4 octonarii dimidium est. Sunt enimnumeri progressionis quaternarii cujus origo est 2, isti :

2, 8, 32, 128, 5i2, etc.,

Quorum 2 primus est, 8 secundus, 32 tertius, et 128 quartus, cui 128 aequantur :

H- 35 dimidium combinationis 4 litterarum

-1- 56 combinationis 5 litterarum

-+-28 combinationis 6 litterarum

-h 8 combinationis 7 litterarum

H- I combinationis 8 litterarum.

�� � PASCAL A FERMAT 387

Voilà la première proposition, qui est purement arithmétique; l'autre regarde la doctrine des partis et est telle :

Il faut dire auparavant : si on a une partie de 5, par exemple, et qu'ainsi il en manque 4, le jeu sera infailliblement décidé en 8, qui est double de ^.

La valeur de la première partie de 5 sur l'argent de l'autre est la fraction qui a pour numérateur la moitié de la combinaison de 4 sur 8 (je prends 4 parce qu'il est egalaunombre desparties qui manque, et 8 parce qu'il est double de ^) et pour dénomina- teur ce mesme numérateur plus toutes les combinai- sons supérieures.

Ainsi, si j'ay une partie de 5, il m'appartient, sur l'argent de mon joueur, ^ : c'est-à-dire que, s'il a mis 128 pistoles, j'en prends 35 et lui laisse le reste, 98.

Or, cette fraction ^ est la mesme que celle-là : ^, laquelle est faite par la multiplication des pairs pour le dénominateur et la multiplication des impairs pour le numérateur.

Vous verrez bien sans doute tout cela, si vous vous en donnez tant soit peu la peine: c'est pourquoyje trouA^e inutile de vous en entretenir davantage. Je vous envoyé neantmoins une de mes vieilles Tables ; je n'ay pas le loisir de la copier. Je la referay. Vous y verrez comme tousjours que la valeur de la pre- mière partie est égale à celle de la seconde, ce qui se trouve aisément par les combinaisons.

Vous verrez de mesme que les nombres de la première ligne augmentent tousjours ; ceux de la

�� � seconde de mesme ; ceux de la troisiesme de mesme.

Mais ensuite ceux de la quatriesme diminuent ; ceux de la cinquiesme, etc. Ce qui est étrange.

Je n’ay pas le temps de vous envoyer la démonstration d’une difficulté qui étonnoit fort M...[247] car il a très bon esprit, mais il n’est pas géomètre (c’est, comme vous sçavez, un grand défaut) et mesme il ne comprend pas qu’une ligne mathématique soit divisible à l'infini et croit fort bien entendre qu’elle est composée de points en nombre fini, et jamais je n’ay pu l’en tirer. Si vous pouviez le faire, on le rendroit parfait.

Il me disoit donc qu’il avoit trouvé fausseté dans les nombres par cette raison :

Si on entreprend de faire un six avec un dé, il y a advantage de l’entreprendre en 4, comme de 671 à 625.

Si on entreprend de faire Sonnez avec deux dez, il y a desadvantage de l’entreprendre en 24.

Et neantmoins 24 est à 36 (qui est le nombre des PASCAL A FERMAT 389

faces des deux dez) comme 4 à 6 (qui est le nombre des faces d'un dé).

Voilà quel etoit son grand scandale qui luy faisoit dire hautement que les propositions n'estoient pas constantes et que l'Arithmétique se dementoit : Mais vous en verrez bien aisément la raison par les prin- cipes où vous estes.

Je mettray par ordre tout ce que j 'en ay fait, quand j'auray achevé des Traitez géométriques oii je tra- vaille il y a déjà quelque temps.

J'en ay fait aussi d'arithmétiques, sur le sujet des- quels je vous supplie de me mander votre avis sur cette démonstration.

Je pose le lemme que tout le monde sait : que la somme de tant de nombres qu'on voudra de la progression continue depuis l'unité comme

I, 2, 3, 4,

étant prise deux fois, est égale au dernier, 4, mené dans le prochainement plus grand, 5 : c'est-à-dire que la somme des nombres contenus dans A, estant prise deux fois, est égale au produit de A in (A H- 1).

Maintenant je viens à ma proposition : Duorum quorumlibet cuborum proximorum dif- ferentia, unitate demptâ, sextupla est omnium numerorum in minoris radiée contentorum,

Sint duae radiées R, S unitate différentes : dico

�� � 390 OEUVRES

sequari summse numerorum in S cûiilentorua> sexics sumptiie.

Etenim S vocetur A : orgo R est

A-+-I.

Igitur ciibiis radicis R. sou A -^ i . est

A^ — 3A^^3A-n-r.

Cubiis vero S, son A. est

A';

et honim diflerentia est

3A^ — 3A^i' id est

R — S^-

igitur si auieratur unit as.

3A^ — 3A aH]. R'_S^— I.

Sed duplum sumniie numerorum in AseuS con- tentorum a?quatur. ex lemmate.

A in A — I . hoc est A"' — A :

iîritur sextuplum sumniiï* numerorum in A conten- torum £equalur

3A^ — 3A. Sed

3 A' — 3 A i^q. R' — S' — I : igitur

R' — S' — I aeq. sextuplo summœ numerorum in A seu S contentorum.

Qaod erat demonstrandum.

�� � PASCAL A f EP.MAÏ 3M

On ne m'a pas fait de difTiculté là-dessus, rnai^ on m'a dit qu'on ne m'en faisoit pas par cette rai- son que tout le monde est accoutumé aujourd'hui à celte méthode; et moi je prétends que, sans me faire grâce, on doit admettre cette démonstration comme d'un genre excellent : j'en attends neantrnoins votre avis avec toute soumission.

Tout ce que j'aydemonstré en Arithmétique est de cette nature: voicy encore deux difficultez :

J'ay demonstré une proposition plane en rne ser- vant du cube d'une ligne, comparé au cube d une autre : je prétends que cela est purement géomé- trique, et dans la sévérité la plus grande.

De mesrne j'ay résolu le problème :

De quatre plans, quatre points et quatre sph^eres. quatre quelconques étant donnez, trouver une Sphaere qui, touchant les Spheeres données, passe par les points donnez, et laisse sur les plans des portions de spha^res capables d'angles donnez, et celuy-cy :

De trois cercles, trois points, trois lignes, \trois\ quelconques estant donnez, trouver un cercle qui, touchant les cercles et les points, laisse sur les lignes un arc capable d'angle donné.

J'ay résolu ces problèmes pleinement, n'em- ployant dans la construction que des cercles et des lignes droites ; mais, dans la démonstration, je me sers de lieux sohdes. de paraboles ou hv-perboles : je prétends neantmoins qu'attendu que la construc- tion est plane, ma solution est plane et doit passer pour telle.

�� � 302 ŒUVRES

C'est bien mal reconnoître l'honneur que vous me faites de soufTrir mes entretiens, que de vous importuner si longtemps ; je ne pense jamais vous dire que deux mots, et si je ne vous dis pas ce que j'ay le plus sur le cœur, qui est que plus je vous connois, plus je aous admire et vous honore et que, si vous voyiez à quel point cela est, vous donneriez une place dans vôtre amitié à celuy qui est, etc.

Pascal.

�� � PASCAL A FERMAT

��393

��TABLE

DONT IL EST FAIT MENTION DANS LA LETTRE PRECEDENTE.

Si on joue chacun 266, en

��Partie.

��Il I 2e

m'appar- | Partie, tient sur les I ^e 256 pistoles { Partie, de mon

��joueur, I /ie pour la I Partie.

��5» Partie.

��Partie.

��Parties.

��63

��63

��56

��ll2

��5 Parties.

�4 Parties.

�3 Parties.

�2

Parties.

�I Partie.

�70

�80

�96

�128

�256

�70

�80

�96

�128

� �60

�64

�64

� � �/io

�32

� � �16

� � ��La Ji^e Partie.

��Il m'appar- tient sur les i56 pistoles de mon joueur, pour

��iLesal^s

  • arties.

��.es 3 pes Parties.

��Les 4 1"-»* Parties,

��Les 5 I«s Parties.

��Les6I'^««  Parties.

��Si on joue 256, chacun, en

6 Parties

��63

��224

��248

��256

��5 Parties.

�4 Parties.

�3 Parties.

�3 Parties.

�Partie.

�70

�80

�96

�128

�256

�i4o

�160

�192

�256

� �200

�224

�256

� � �240

�256

� � �256

� � �� � LIX FERMAT A CARCAVI

9 août 1654. Copie de la Bibliothèque Nationale, F. fr. 12988, pp. 3So-38i.

�� � LETTRE DE FERMAT A CARCAVn

Monsieur,

J'ay été ravi d'avoir eu des sentimens conformes à ceux de M. Pascal, car j'estime infiniment son génie et je le crois très capable de venir à bout de tout ce qu'il entre- prendra. L'amitié qu'il m'offre m'est si chère et si consi- dérable, que je crois ne devoir point faire difficulté d'en faire quelque usage en l'impression de mes Traitez.

Si cela ne vous choquoit point, vous pourriez tous deux procurer cette impression, de laquelle je consens que vous soyez les maîtres ; vous pourriez eclaircir ou aug- menter ce qui semble trop concis et me décharger d'un soin que mes occupations m'empeschent de prendre. Je désire mesme que cet Ouvrage paroisse sans mon nom, vous remettant, à cela près, le choix de toutes les désignations qui pourront marquer le nom de l'auteur que vous qualifierez votre amy.

Voicy le biais que j'ay imaginé pour la seconde Partie qui contiendra mes inventions pour les nombres. C'est un travail qui n'est encore qu'une idée, et que je n'aurois pas le loisir de coucher au long sur le papier; mais j'en- voyeray succinctement à M. Pascal tous mes principes et mes premières démonstrations, de quoy je vous reponds à

I. On sait que Fermai avait beaucoup de peine à mettre à jour ses recherches mathématiques. Une grande partie de ses travaux, sur la théorie des nombres en particulier, n'ont jamais été rédigés. C'est pourquoi il lui vient à l'idée de se servir de Pascal, en prenant Gar- cavi comme négociateur. Les espérances de Fermât devaient d'ail- leurs être promptement déçues, (Voir les lettres suivantes).

�� � 5S6 ŒUVRES

Tavance qu'il tirwna des choses non seulement nouvelles et jusqu'ici inc<«inûes, mais enœre surpT>enantes.

Si vous joignei votre travail avec le sien, tout pourra succéder et s'achever dans peu de temps, et cependant on pourra mettre au jour la premiejne Partie que vous avei en votr>f pouvoir.

Si M. Pascal ^Mite mon ouverture, qui e^t principale- niMît fondée sur la grande estime que je fais de son g^enie, de SH» savoir et de son esprit, je commenceray d'abord à vous faire part de mes inventions numériques.

Ai:c-:, ^e suis. v:tre...

Febmat.

�� � LX

PASCAL A FERMAT

Varia Opéra Pétri de Fermât, pp. i84-i88.

�� � LETTRE DE PASCAL A FERMAT *

Du 24 Août 1654.

Monsieur,

Je ne pus vous ouvrir ma pensée entière touchant les partys de plusieurs joueurs par l'ordinaire passé, et mesme j'ay quelque répugnance à le faire, de peur qu'en cecy cette admirable convenance, qui estoit entre nous et qui m 'estoit si chère, ne commence à se démentir, car je crains que nous ne soyons de dif- ferens avis sur ce sujet. Je vous veus ouvrir toutes mes raisons, et vous me ferez la grâce de me redres- ser, si j'erre, ou de m'affermir, si j'ay bien rencon- tré. Je vous le demande tout de bon et sincèrement, car je ne me tiendray pour certain que quand vous serez de mon côté.

Quand il n'y a que deux joûeurS; vôtre méthode, qui procède parles combinaisons, est très seure ; mais quand il y en a trois, je croy avoir démonstration qu'elle est mal juste, si ce n'est que vous y procé- diez de quelque autre manière que je n'entends pas. Mais la méthode que je vous ay ouverte et dont je me sers partout est commune à toutes les conditions

��I. Cette lettre répond à une lettre perdue de Fermât. Le désaccord apparent entre Fermât et Pascal vient de ce que le second n'a pas exac- tement interprété la pensée du premier. Voir la réponse de Fermât (lettre LXI).

III — 26

�� � 402 OEUVRES

imaginables de toutes sortes de partys, au lieu que celle des combinaisons (dont je ne me sers qu'aux ren- contres particulières où elle est plus courte que la générale) n'est bonne qu'en ces seules occasions et non pas aux autres.

Je suis seur que je me do nneray à entendre, mais il me faudra un peu de discours, et à vous un peu de patience.

Voicy comment vous procédez quand il y a deux joueurs :

Si deux joueurs, joûans en plusieurs parties, se trouvent en cet estât qu'il manque deux parties au premier et trois au second, pour trouver le parti, il faut (dites-vous), voir en combien de parties le jeu sera décidé absolument.

Il est aisé de supputer que ce sera en quatre par- ties, d'où vous conciliez qu'il faut voir combien quatre parties se combinent entre deux joueurs et voir combien il y a de combinaisons pour faire ga- gner le premier et combien pour le second et parta- ger l'argent suivant cette proportion. J'eusse eu peine à entendre ce discours-là, si je ne l'eusse su demoi- mesme auparavant; aussi vous l'aviez escrit dans cette pensée. Donc, pour voir combien quatre parties se combinent entre deux joueurs, il faut imaginer qu'ils jouent avec un dé à deux faces (puisqu'ils ne sont que deux joueurs), comme à croix et pile, et qu'ils / jettent quatre de ces dez (parce qu'ils jouent en quatre parties) ; et maintenant il faut voir combien ces dez peuvent avoir d'assiettes différentes. Gela est

�� � PASCAL A FERMAT

��403

��aisé à supputer : ils peuvent en avoir seize, qui est le second degré de quatre, c'est-à-dire le quarré. Car figurons-nous qu'une des faces est marquée a, favo- rable au premier joueur, et l'autre b, favorable au second; donc ces quatre dez peuvent s'asseoir sur une de ces seize assiettes : aaaa bbbb.

Et parce qu'il manque deux parties au premier joueur, toutes les faces qui ont deux a le font gagner : donc il en a 1 1 pour lui ; et parce qu'il y manque trois parties au second, toutes les faces oii il y a trois b le peuvent faire gagner : donc il y en a 5. Donc il faut qu'ils partagent la somme comme II à 5.

Voilà votre méthode quand il y a deux joueurs ; sur quoy vous dites que, s'il y en a davantage, il ne sera pas difficile de faire les partys par la mesme mé- thode.

Sur cela, Monsieur, j'ay à vous dire que ce party pour deux joueurs, fondé sur les combinaisons, est très juste et très bon ; mais que, s'il y a plus de deux joueurs, il ne sera pas toujours juste et je vous diray la raison de cette différence.

Je commun! quay vôtre méthode à nos Messieurs, sur quoy M. de Roberval me fit cette objection* :

��aaaa a a a b a a b a a a b b

�2

�a b a a a b a b a b b a abb b

�b a a a b a ab baba 1) a b 1d

�b 1d a a li b a b bb b a bbbb

��I. Leibniz fait peut-être allusion à ces objections lorsqu'il écri (Opéra Omnia, ed, Dutens, vol. II, part, i, p. 92) : «... les bellet pensées de Aléa de Messieurs Fermât, Pascal et Huygens, où M. Ro-s

�� � 404 ŒUVRES

Que c'est à tort que l'on prend l'art de faire le party sur la supposition qu'on joue en quatre parties, vu que, quand il manque deux parties à l'un et trois à l'autre, il n'est pas de nécessité que l'on joiie qua- tre parties, pouvant arriver qu'on n'en jouera que deux ou trois, ou, à la vérité peut-estre quatre:

Et ainsi qu'il ne voyoit pas pourquoi on preten- doit de faire le party juste sur une condition feinte qu'on jouera quatre parties, vu que la condition na- turelle du jeu, est qu'on ne jouera plus des que l'un des joueurs aura gagné, et qu'au moins, si cela n'estoitfaux, celan'estoitpasdemonstré,de sorte qu'il avoit quelque soupçon que nous avions fait un para- logisme.

Je luy repondis que je ne me fondois pas tant sur cette méthode des combinaisons, laquelle véritable- ment n'est pas en son lieu en cette occasion, comme sur mon autre méthode universelle, à qui rien n'échappe et qui porte sa démonstration avec soy, qui trouve le mesme party précisément que celle des combinaisons ; et déplus je lui demonstray la vérité du party entre deux joueurs par les combinaisons en cette sorte :

N'est-il pas vray que, si deux joiieurs, se trouvant en cet estât de l'hypothèse qu'il manque deux parties à l'un et 3 à l'autre, conviennent maintenant de

��bcnal ne pouvoit ou ne vouloit rien comprendre. » (Cité par Tod- hunler, A history of the mathemaiical theory of probability, p. i^.) Le passage de Pascal ne saurait toutefois justifier suffisamment l'allé- gation de Leibniz.

�� � PASCAL A FERMAT 403

gré à gré qu'on joue quatre parties complètes, c'est- à-dire qu'on jette les quatre dez à deux faces tous à la fois, n'est-il pas vray, dis-je, que s'ils ont délibéré de jouer les quatre parties, le party doit estre tel que nous avons dit, suivant la multitude des assiettes fa- vorables à chacun ?

Il en demeura d'accord et cela en effet est démon- stratif; mais il nioit que la mesme chose subsistât, en ne s'astreignant pas à jouer les quatre parties. Je luy dis donc ainsi :

N'est-il pas clair que les mesmes joueurs, n'étant pas astreints à jouer [les] quatre parties, mais vou- lant quitter le jeu des que l'un auroit atteint son nombre, peuvent, sans dommage ni advantage, s'as- treindre à joiier les quatre parties entières et que cette convention ne change en aucune manière leur con- dition? Car, si le premier gagne les deux premières parties de quatre et qu'ainsi il ait gagné, refusera- t-il de jouer encore deux parties, veu que, s'il les gagne, il n'a pas mieux gagné, et s'il les perd, il n'a pas moins gagné, car ces deux que l'autre a gagné ne luy suffisent pas, puisqu'il lui en faut trois, et ainsi il n'y a pas assez de quatre parties pour faire qu'ils puissent tous deux atteindre le nombre qui leur manque.

Certainement il est aisé de considérer qu'il est ab- solument égal et indiffèrent à l'un et à l'autre de jouer en la condition naturelle à leur jeu, qui est de finir des qu'un aura son compte, ou de jouer les quatre parties entières : donc, puisque ces deux

�� � 406 ŒUVRES

conditions sont égales et indifférentes, le party doit estre tout pareil en l'une et en l'autre. Or, il est juste quand ils sont obligez de joiier quatre parties, comme je l'ay montré : donc il est juste aussi en l'autre cas.

Voilà comment je le demonstray et, si vous y pre- nez garde, cette démonstration est fondée sur l'éga- lité des deux conditions, vraye et feinte, à l'égard de deux joueurs, et qu'en l'une et en l'autre un mesme gagnera toujours et, si l'un gagne ou perd en l'une, il gagnera ou perdra en l'autre et jamais deux n'au- ront leur compte.

Suivons la mesme pointe pour trois joueurs et po- sons qu'il manque une partie au premier, qu'il en manque deux au second et deux au troisiesme. Pour faire le party, suivant la mesme méthode des combi- naisons, il faut chercher d'abord en combien de par- ties le jeu sera décidé, comme nous avons fait quand il y avoit deux joueurs : ce sera en trois, car ils ne sauroient joiier trois parties sans que la décision soit arrivée nécessairement.

Il faut voir maintenant combien 3 parties se combinent entre trois joueurs et combien il y en a de favorables à l'un, combien à l'autre et combien au dernier et, suivant cette proportion, distribuer l'argent de mesme qu'on a fait en l'hypothèse de deux joueurs.

Pour voir combien il y a de combinaisons en tout, cela est aisé : c'est la troisiesme puissance de 3, c'est-à-dire son cube 27. Car si on jette trois dez à

�� � PASCAL A FERMAT

��407

��la fois (puisqu'il faut jouer trois parties) qui ayent chacun trois faces (puisqu'il y a trois joueurs) l'une marquée a favorable au premier, l'autre b pour le second, l'autre c pour la troisiesme, il est manifeste que ces trois dez jetez ensemble peuvent s'asseoir sur 27 assiettes différentes, sçavoir :

Or, il ne manque qu'une partie au premier : donc toutes les as- siettes où il y a un a sont pour luy : donc il y en a 1 9 .

Il manque deux parties au se- cond : donc toutes les assiettes oii il y a deux b sont pour luy : donc il y en a 7.

Il manque deux parties au troi- siesme : donc toutes les assiettes 011 il y a deux c sont pour lui : donc ilyena7.

Si de là on concluoit qu'il fau- droit donner à chacun suivant la proportion de 19, 7, 7, on se tromperoit trop grossièrement et je n'ay garde de croire que vous le fassiez ainsi ; car il y a quelques faces favorables au premier et au second tout ensemble, comme abb, car le premier y trouve un a qu'il luy faut, et le second deux b qui luy manquent ; ainsi ace est pour le premier et le troisiesme.

��a a a a a b a a c

�I I

�2

2

2 2 2

2 2

�3

3 3

3

3 3 3

�a b a a b h a b c

�I I

I

1 I

I I

�a c a a c b ace

b a a b ab bac

�b h a bbb b bc

�b c a b c b b c c

�c a a c a b c a c

�c b a c b b

c b c

�c c a c c b c c c

�'

�� � 408 ŒUVRES

Donc il ne faut pas compter ces faces qui sont communes à deux comme valant la somme entière à chacun, mais seulement la moitié. Car, s'il arri- A^oit l'assiette ace, le premier et le troisiesme auroient mesme droit à la somme, ayant chacun leur compte ; donc ils partageroient l'argent par la moitié ; mais s'il arrive l'assiette aab, le premier gagne seul. Il aut donc faire la supputation ainsi :

Il y a i3 assiettes qui donnent l'entier au premier et 6 qui luy donnent la moitié et 8 qui ne luy valent rien : donc, si la somme entière est une pistole, il y a i3 faces qui luy valent chacune une pistole, il y a

6 faces qui luy valent chacune — pistole, et 8 qui ne valent rien.

Donc, en cas de party, il faut multiplier

i3 par une pistole, qui font. . i3 6 par une demi, qui font. . 3 8 par zéro, qui font. . . . o

��Somme 27 Somme 16

et diviser la somme des valeurs, 16, par la somme

des assiettes, 27, qui fait la fraction — » qui est ce ^ 27

qui appartient au premier en cas de party, savoir 16

pistoles de 27.

Le party du second et du troisième joueur se trou- vera de mesme :

Il y a 4 assiettes qui luy valent i pistole :

multipliez 4

�� � PASCAL A FERMAT 409

Il y a 3 assiettes qui luy valent — pistole :

�� � �multipliez.

�• •

�• •

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�I 2

�Et

�20

�assiettes qui ne

�îluy

�valent

�rien. .

�Somme

�27

� � � �Somme

�5

�I 2

��Donc il appartient au second joueur 5 pistoles et -

2

sur 27, et autant au troisiesme,et ces trois sommes, 5 — ' 5 — et 16, estant jointes, font les 27.

Voilà, ce me semble, de quelle manière il faudroit faire les partys par les combinaisons suivant votre méthode, si ce n'est que vous ayez quelque autre chose sur ce sujet que ne puis sçavoir. Mais si je ne me trompe, ce party est mal juste.

La raison en est qu'on suppose une chose fausse, qui est qu'on joiie en trois parties infailhblement, au lieu que la condition naturelle de ce jeu-là est qu'on ne joiie que jusques à ce qu'un des joueurs ait atteint le nombre de parties qui luy manque, au- quel cas le jeu cesse.

Ce n'est pas qu'il ne puisse arriver qu'on joue 3 parties; mais il peut arriver aussi qu'on n'en jouera qu'une ou deux, et rien de nécessité.

Mais d'où vient, dira-t-on, qu'il n'est pas permis de faire en cette rencontre la mesme supposition feinte que quand il y a voit deux joueurs ? En voicy la raison :

�� � ^10 ŒUVRES

Dans la condition véritable de ces trois joueurs, il n'y en a qu'un qui peut gagner, car la condition est que, des qu'un a gagné, le jeu cesse. Mais, en la condition feinte, deux peuvent atteindre le nombre de leurs parties : sçavoir, si le premier en gagne une qui luy manque, et un des autres deux qui luy manquent ; car ils n'auront joiié que trois parties, au lieu que, quand il n'y avoit que deux joueurs, la condition feinte et la véritable convenoient pour les avantages des joueurs en tout ; et c'est ce qui met l'extrême différence entre la condition feinte et la véritable.

Que si les joueurs, se trouvans en l'e'tat de l'hypo- thèse, c'est-à-dire s'il manque une partie au premier et deux au second et deux au troisiesme, veulent maintenant de gré à gré et conviennent de cette con- dition qu'on jouera trois parties complètes, et que ceux qui auront atteint le nombre qui leur manque prendront la somme entière, s'ils se trouvent seuls qui l'ayent atteint, ou, s'il se trouve que deux l'ayent atteint, qu'ils la partageront également, en ce cas, leparty se doit faire comme je viens de le donner, que

le premier ait i6, le second 5 — • le troisiesme 5 —de

^ 2 2

27 pistoles, et cela porte sa démonstration de soy- mesme en supposant cette condition ainsi.

Mais s'ils jouent simplement à condition, non pas qu'on joiie nécessairement trois parties, mais seule- ment jusques à ce que l'un d'entre eux ait atteint ses parties, et qu'alors le jeu cesse sans donner moyen

�� � PASCAL A FERMAT 411

à un autre d'y arriver, alors il appartient au premier 17 pistoles, au second 5, au troisième 5, de 27.

Et cela se trouve par ma méthode générale qui détermine aussi qu'en la condition précédente il en

faut 16 au premier, 5 — au second, et 5 — au troi- ^2 2

sieme, sans se servir des combinaisons, car elle va

partout et sans obstacle.

Voilà, Monsieur, mes pensées sur ce sujet, sur lequel je n'ay d'autre avantage sur vous que celuy d'y avoir beaucoup plus médité ; mais c'est peu de chose à votre égard, puisque vos premières vues sont plus pénétrantes que la longueur de mes efforts.

Je ne laisse pas de vous ouvrir mes raisons pour en attendre le jugement de vous. Je croy vous avoir fait connoistre par là que la méthode des combinai- sons est bonne entre deux joueurs par accident, comme elle l'est aussi quelquefois entre trois joueurs, comme quand il manque une partie à l'un, une à l'autre et deux à l'autre, parce qu'en ce cas le nom- bre des parties dans lesquelles le jeu sera achevé ne suffit pas pour en faire gagner deux ; mais elle n'est pas générale et n'est bonne généralement qu'au cas seulement qu'on soit astreint àjoiier un certain nom- bre de parties exactement.

De sorte que, comme vous n'aviez pas ma mé- thode quand vous m'avez proposé le party de plu- sieurs joueurs, mais seulement celle des combinai- sons, je crains que nous ne soyons de sentimens differens sur ce sujet.

�� � H2 ŒUVRES

Je VOUS supplie de me mander de quelle sorte vous procédez en la recherche de ce party. Je rece- vray votre réponse avec respect et avec joie, quand mesme votre sentiment me seroit contraire. Je suis. etc.

Pascal.

�� � LXI FERMAT A PASCAL

29 août i654. Copie de la Bibliothèque Nationale , F. fr. 20q'i5, ff- 3o5-3o6.

�� � Cette lettre ne répond pas a la précédente, mais à l’envoi fait par Pascal de « ses derniers traités du triangle arithmétique et de son application. »

En quoi consistait au juste l’envoi de Pascal, et quelle est cette douzième (ou onzième)^ conséquence qui courait la poste de Paris à Toulouse tandis que la proposition de Fermat allait de Toulouse à Paris ? Il n’est pas certain que ce soit, sous sa forme définitive la onzième conséquence du Traité du Triangle Arithméliqiie ^ édité en i665. La proposition établie par Fermat(Fjc?e m/ra, p. 5io)équivaut plutôt à une combinaison des conséquences onzième et douzième de ce traité, ou plutôt à la onzième proposition du Traité des Ordres Numériques, proposition que Pascal, dans sa rédaction finale, commenta en ces termes : « Cette mesme proposition, que je viens de rouler en plusieurs sortes, est tombée dans la pensée de nostre célèbre conseiller de Toulouze, M. de Fermat ; et, ce qui est admirable, sans qu’il m’en eût donné la moindre lumière, ni moy à luy, il ecrivoit dans sa province ce que j’inventois à Paris, heure pour heure, comme nos lettres écrites et reçeues en même temps le témoignent.» En réalité ÇVide supra, p.3/i/i), les découvertes de Fermat et de Pascal ne furent pas simultanées. Fermat avait dix- huit ans de priorité.

1. Voir p. 417, note i.

2. On notera une légère différence entre les titres. Dans l’édition de i665 les deux premiers traités ont pour titres : Traité du Trianleg Arithmétique et Divers usages du Triangle Arithmétique dont le générateur est l'unité.

LETTRE DE FERMAT A PASCAL


De Toloze, le 29 Août 1654.

        Monsieur,

Nos coups fourrez continuent toujours et je suis aussi bien que vous dans l’admiration de quoy nos pensées s’ajustent si exactement qu’il semble qu’elles ayent pris une mesme route et fait un mesme chemin. Vos derniers Traitez du Triangle arithmétique et de son application en sont une preuve authentique : et si mon calcul ne me trompe, votre douze[248] conséquence couroit la poste de Paris à Toloze, pendant que ma proposition des nombres figurez, qui en effet est la mesme, alloit de Toloze à Paris.

Je n’ay garde de faillir tandis que je rencontreray de cette sorte, et je suis persuadé que le vray moyen pour s’empescher de faillir est celuy de concourir avec vous. Mais si j’en disois davantage, la chose tiendroit du compliment, et nous avons banni cet ennemi des conversations douces et aisées.

Ce seroit maintenant à mon tour à vous débiter quelqu’une de mes inventions numériques ; mais la fin du Parlement augmente mes occupations, et j’ose espérer de 418 ŒUVRES

votre bonté que vous m'accorderez un répit juste et quasi nécessaire.

Cependant je repondray à votre question des trois joueurs qui jouent en deux parties. Lorsque le premier en a une, et que les autres n'en ont pas une, votre pre- mière solution est la vraye, et la division de l'argent se doit faire en 17, 5 et 5 ; de quoy la raison est manifeste et se prend toujours du mesme principe, les combinaisons faisant voir d'abord que le premier a pour lui 17 hazards égaux lorsque chacun des deux autres n'en a que 5.

Au reste, il n'est rien à l'avenir que je ne vous commu- nique avec toute franchise. Songez cependant, si vous le trouvez à propos, à cette proposition.

Les puissances quarrées de 2, augmentées de l'unité, sont toujours des nombres premiers.

Le quarré de 2, augmenté de l'unité, fait 5 qui est nombre premier.

Le quarré du quarré fait 16 qui, augmenté de l'unité, fait 17, nombre premier.

Le quarré de 16 fait 256 qui, augmenté de l'unité, fait 267, nombre premier.

Le quarré de 266 fait 65 536 qui, augmenté de l'unité, fait 65 537, nombre premier. Et ainsi à l'infiny.

C'est une propriété de la vérité de laquelle je vous res- ponds. La démonstration en est très malaisée et je vous avoue que je n'ay pu encore la trouver pleinement; je ne vous la proposerois pas pour la chercher, si j'en estois venu à bout^

��I. Ce n'est pas, on le voit, par défi, suivant la coutume du temps, que Fermât propose ces problèmes à Pascal ; c'est parce qu'il cherche à se faire de Pascal un collaborateur. (Voir la lettre précédente.) — L'énoncé proposé par Fermât n'est d'ailleurs pas exact.

�� � FERMAT A PASCAL 419

Cette proposition sert à Finvention des nombres qui

sont à leurs parties aliquotes en raison donnée, sur quoy

j'ay fait des découvertes considérables. Nous en parlerons

une autre fois.

Je suis, etc.,

Fermât.

�� � LXII FERMAT A PASCAL

a 5 septembre i654. Copie de la Bibliothèque Nationale, f. fr. 12988, pp. 376-879.

�� �


LETTRE DE FERMAT A PASCAL,

Monsieur,

N’appréhendez pas que notre convenance se démente : vous l’avez confirmée vous-mesme en pensant la détruire, et il me semble qu’en repondant à M. de Roberval pour vous, vous avez aussy repondu pour moi.

Je prends l’exemple des trois joueurs, au premier desquels il manque une partie, et à chacun des deux autres deux, qui est le cas que vous m’opposez. Je n’y trouve que 17 combinaisons pour le premier et 5 pour chacun des deux autres : car, quand vous dites que la combinaison acc est bonne pour le premier et pour le troisiesme, il semble que vous ne vous souveniez plus que tout ce qui se fait après que l’un des joueurs a gagné ne sert plus de rien. Or, cette combinaison ayant fait gagner le premier des la première partie, qu’importe que le troisiesme en gagne deux ensuite, puisque, quand il en gagneroit trente, tout cela seroit superflu ?

Ce qui vient de ce que, comme vous avez très bien remarqué, cette fiction d’étendre le jeu à un certain nombre de parties ne sert qu’à faciliter la règle, et (suivant mon sentiment) à rendre tous les hazards égaux, ou bien, plus intelligiblement, à réduire toutes les fractions à une mesme dénomination.

Et afin que vous n’en doutiez plus, si au lieu de trois parties, vous étendez, au cas proposé, la feinte jusqu’à quatre, il y aura non-seulement 27 combinaisons, mais 81, et il faudra voir combien de combinaisons feront gagner au premier une partie plus tôt que deux à chacun. 424 ŒUVRES

des autres, et combien feront gagner à chacun des deux autres deux parties plus tôt qu^une au premier. Vous trouverez que les combinaisons pour le gain du premier, seront 5i et celles de chacun des autres deux 12, ce qui revient à la mesme raison.

Que si vous prenez cinq parties ou tel autre nombre qu'il vous plaira, vous trouvez toujours 3 nombres en proportion de 17, 5, 5.

Et ainsi j'ai droit de dire que la combinaison ace n'est que pour le premier et non pour le troisiesme, et que cca n'est que pour le troisiesme et non pour le premier, et que partant ma règle des combinaisons est la mesme en trois joueurs qu'en 2, et généralement en tout nombre.

Vous aviez déjà pu voir par ma précédente que je n'he- sitois point à la solution véritable de la question des trois joueurs dont je vous avois envoyé les trois nombres déci- sifs, 17, 5, 5. Mais parce que M. de Roberval sera peut estre bien aise de voir une solution sans rien feindre, et qu'elle peut quelquefois produire des abrégés en beau- coup de cas, la voicy en l'exemple proposé :

Le premier peut gagner, ou en une seule partie, ou en deux, ou en trois.

S'il gagne en une seule partie, il faut qu'avec un dé qui a trois faces, il rencontre la favorable du premier coup. Un seul dé produit 3 hazards : ce joueur a donc pour

luy — des hazards lorsqu'on ne jolie qu une partie.

o

Si on en jolie deux, il peut gagner de deux façons, ou lorsque le second joueur gagne la première et luy la se- conde, ou lorsque le troisiesme gagne la première et luy la seconde. Or, deux dez produisent 9 hazards: ce joueur a

donc pour lui — des hazards, lorsqu'on jolie deux parties.

�� � FERMAT A PASCAL 423

Si on en joiie trois, il ne peut gagner que de deux iaçons, ou lorsque le second gagne la première, le troisiesme la seconde et lui la troisiesme ou lorsque le troisiesme gagne la première, le second la seconde, et lui la troisiesme ; car, si le second ou le troisiesme joueur gagnoit les deux premières, il gagneroit le jeu, et non pas le premier joueur. Or, trois dez ont 27 ha-

2ards : donc le premier joueur a — des hazards lors-

• • 2 "7

qu'on joiie trois parties. '

La somme des hazards qui font gagner ce premier

12 2

joueur est par conséquent —, — et — ; ce qui fait en

17 J 1

tout —L .

27

Et la règle est bonne et générale en tous les cas, de

sorte que, sans recourir à la feinte, les combinaisons véri- tables en chaque nombre des parties portent leur solution et font voir ce que j'ay dit au commencement, que l'ex- tension à un certain nombre de parties n'est autre chose que la réduction de diverses fractions à une mesme dénomination. Voilà en peu de mots tout le mystère, qui nous remettra sans doute en bonne intelligence, puisque nous ne cherchons l'un et l'autre que la raison et la vérité.

J'espère vous envoyer à la Saint-Martin un abrégé de tout ce que j'ay inventé de considérable aux nombres. Vous me permettrez d'estre concis et de me faire en- tendre seulement à un homme qui comprend tout à demy mot.

Ce que vous y trouverez de plus important regarde la proposition que tout nombre est composé d'un, de deux ou de trois triangles ; d'un, de deux, de trois ou de qua- tre quarrés ; d'un, de deux, de trois, de quatre ou de cinq

�� � 426 OEUVRES

pentagones ; d'un, de deux, de trois, de quatre, de cinq ou de six hexagones, et à Tinfiny.

Pour y parvenir, il faut demonstrer que tout nom- bre premier, qui surpasse de Funité un multiple de 4, est composé de deux quarrés, comme 5, i3, 17, 29, 37, etc.

Estant donné un nombre premier de cette nature, comme 53, trouver, par règle générale, les deux quarrés qui le composent.

Tout nombre premier qui surpasse de l'unité un mul- tiple de 3, est composé d'un qaarré et du triple d'un autre quarré, comme 7, i3, 19, 3i, 37, etc.

Tout nombre premier, qui surpasse de i ou de 3 un multiple de 8, est composé d'un quarré et du double d'un autre quarré, comme 11, 17, 19, Ai, 43, etc.

Il n'y a aucun triangle en nombre duquel l'aire soit égale à un nombre quarré.

Cela sera suivi de l'invention de beaucoup de proposi- tions que Bachet avoiie avoir ignorées, et qui manquent dans le Diophante.

Je suis persuadé que, des que vous aurez connu ma fa- çon de demonstrer en cette nature de propositions, elle vous paroîtra belle et vous donnera lieu de faire beaucoup de nouvelles découvertes ; car il faut comme vous savez, malti pertranseant ut aucjeaiar scientia^ .

S'il me reste du temps, nous parlerons ensuite des nombres magiques, et je rappellerai mes vieilles es- pèces sur ce sujet.

Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre, etc.

Fermât.

��I. Voir la lettre précédente p. 4i8, note i

�� � FERMAT A PASCAL 427

Je souhaite la santé de M. deCarcavi comme la mienne, et je suis tout à luy.

Ce 25 septembre.

Je vous écris de la campagne, et c'est ce qui retardera par aventure mes réponses pendant ces vacations.

�� � LXIII PASCAL A FERMAT

37 octobre i654. Varia Opéra Pétri de Fermât, p, 188.

�� �



LETTRE DE PASCAL A FERMAT


Du 27 octobre 1654.
Monsieur,

Votre dernière lettre m’a parfaitement satisfait. J’admire votre méthode pour les partys, d’autant mieux que je l’entens fort bien ; elle est entièrement vostre, et n’a rien de commun avec la mienne, et arrive au mesme but facilement. Voilà notre intelligence rétablie.

Mais, Monsieur, si j’ay concouru avec vous en cela, cherchez ailleurs qui vous suive dans vos inventions numériques, dont vous m’avez fait la grâce de m’envoyer les enonciations. Pour moy, je vous confesse que cela me passe de bien loin ; je ne suis capable que de les admirer, et vous supplie très humblement d’occuper votre premier loisir à les achever. Tous nos Messieurs les virent samedy dernier et les estimèrent de tout leur cœur : on ne peut pas aisément supporter l’attente de choses si belles et si souhaitables. Pensez-y donc, s’il vous plaist, et assurez-vous que je suis, etc.

PASCAL.



_____________





LXIV

TRAITÉ
DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE
AVEC
QUELQUES AUTRES PETITS TRAITEZ
SUR LA MESME MATIERE
PAR MONSIEUR PASCAL
A Paris, chez Guillaume Desprez, rue Saint-Jacques,
à Saint-Prosper, MDCLXV.


Date présumée : derniers mois de 1654.


|Texte latin, infra, à l’Appendice.|



INTRODUCTION


Les traités relatifs au Triangle Arithmétique furent trouvés tout imprimés (avec le De numeris multiplicibus[249] et le Potestatam Numericarum S«mma[250] parmi les papiers que Pascal laissa en mourant. Ils furent publiés en 1665 par le libraire Desprez, qui venait d'éditer les Traités de l'Équilibre des liqueurs et de la Pesanteur de la Masse de l’Air, et qui était peut-être dépositaire des papiers mathématiques de Pascal (comparer les lettres de Leibniz à Oldenburg citées plus haut, t. II, p. 218). La publication du Traité du Triangle Arithmétique semble avoir été faite à l'insu de M. Perier. On lit en effet dans le Privilège[251] accordé par le Roi à Florin Perier pour l’impression des Fragments et Pensées de Pascal (1666) : « Notre amé et féal conseillier en notre Cour des aydes de Clermont Ferrand, le sieur Perier, nous a faict remontrer qu'il auroit cy devant obtenu nos lettres de permission pour faire imprimer des Traittez de l'équilibre des liqueurs et de la pezanteur de l'air qui auroient esté trouvez entre les papiers du deffun Me Blaise Pascal, son beau frere, et que depuis l'édition desdicts traittez on auroit imprimé à son inseu plusieurs Fragments de mathématiques et autres du mesme autheur et entr'autres une Prière du bon usage qu’on doibt faire des maladies... »

Les traités édités en 1665 sont précédés d'un Avertissement qui rappelle la préface écrite par Perier pour les Traités de physique (vide supra, p. 267, sqq.). Il est à remarquer que ces traités de 1665, quoique réunis en un même volume, ne se font pas suite exactement les uns aux autres. Les premiers sont en français, les derniers en latin. Le début du chapitre sur les combinaisons se trouve répété deux fois.

*
*   *

Le Traité du Triangle Arithmétique, le Traité des Ordres Numériques et les traités suivants contiennent l’exposé des recherches arithmétiques qui occupèrent Pascal pendant le second semestre de 1654. Nous ignorons, toutefois, à quel moment ces traités furent rédigés et imprimés. Nous savons, par la lettre LXI qu’en Août 1654 Pascal envoya à Fermat « ses derniers traités du Triangle Arithmétique et de son application ». Mais nous ne sommes pas certains (voir p. 415) que Fermat ait vu ces traités sous leur forme définitive, et, en tout cas, la lettre du 29 Août 1654 ne fait pas allusion au Traité des Ordres Numériques et au Traité des Combinaisons.

Il importe d’ailleurs de remarquer qu’en 1656 les travaux de Pascal sur les combinaisons et le calcul des probabilités étaient restés inconnus de la plupart des savants. Ainsi Huygens, préparant un ouvrage sur le même sujet[252] écrivait à Schooten le 20 Avril 1656 (Œuv. complètes de Huygens, I, p. 405) : « Difficultas materiæ vel ex eo intelligi queat, quod Paschalius, acerrimi ingenii juvenis, nihil sibi æque obscurum occurrisse aut majori labore constitisse asseveret ; nam et ipse omnia hæc aut pleraque certè investigavit, uti et Fermatius ; sed quibus principiis usi fuerint nemini puto adhuc compertum. » (Cf. la lettre du 6 Mai 1656. Œuv. de Huygens, I, p. 413). Vers la même époque, Huygens avait envoyé à Garcavi, qui sollicitait l’honneur d’être son correspondant, l’énoncé d’un problème touchant les partis (Œuv. de Fermat, II, p 320). Carcavi répondit le 22 juin 1656 (Œuv. de Huygens, I, p. 432) : « M. de Fermat m’a envoyé, il y a déjà quelques jours, la solution de ce que vous aviez proposé touchant le parti des jeux, et vous verrez par l’extrait que je vous fais de sa lettre qu’il a la demonstration generale de toutes ces sortes de questions. Quant à MM. Pascal et Desargues... le premier avait déjà trouvé la solution de votre proposition et me doit donner au premier jour celle de toutes les autres qui sont dans l’extrait de cette lettre de M. de Fermat. » Cependant Pascal ne remit rien à Carcavi, malgré l’insistance de celui-ci : il lui fournit seulement, après plusieurs mois, quelques indications orales que Carcavi transmit à Huygens assez inexactement (Lettre de Carcavi à Huygens du 28 septembre 1656. Œuv. de Huygens, II, p. 494).

La difficulté qu’éprouva Carcavi à se renseigner sur les recherches de Pascal laisse subsister un léger doute quant à la date de l’impression du Triangle Arithmétique. Il est vrai qu’en entrant à Port-Royal, Pascal avait rompu avec les mathématiques. Mais, d’autre part, durant l’hiver de 1657, il correspondait encore avec le chanoine Sluze à propos de ses recherches sur les lieux plans. Et Mylon écrivait à Huygens, le 2 Mars 1657 (Œuv. de Huygens, I, p. 8) : « Quoy qu’il soit tres difficile d’aborder M. Paschal et qu’il soit tout à fait retiré pour se donner entierement à la devotion, il n’a pas perdu de vue les mathematiques. Lorsque M. de Carcavi le peut rencontrer et qu’il lui propose quelque question, il ne lui en refuse pas la solution, et principalement dans le sujet des jeux de Hazards qu’il a le premier mis sur le tapis… » Notons aussi que dans sa lettre du 28 septembre 1656, Carcavi signale une question proposée par Pascal à Fermat (question que Pascal juge « sans comparaison plus difficile que toutes les autres » ), dont il n’est fait aucune mention dans la correspondance de 1654. On ne saurait donc affirmer que les recherches de Pascal sur le calcul des probabilités aïent été irrévocablement closes en Novembre 1654.

La lettre de Carcavi appelle une autre remarque. On y lit : « Il (Pascal) ne voit pas comment cette règle (règle dont il se sert pour résoudre les problèmes de Huygens) peut s’appliquer à l'exemple suivant : « Si on joue en six parties, par exemple du piquet, une certaine somme et qu'un des joueurs ait deux, trois ou quatre parties et que l'on veuille quitter le jeu, quel party il faut faire quand on a une partie à point, ou deux ou trois, etc., à point, ou bien quand on a deux parties et l'autre une, etc. Et le dit Sr Pascal n'a trouvé la règle que lorsqu'un des joueurs a une partie à point ou quand il en a deux à point (lorsqu'on joue en plusieurs parties), mais il n'a pas la règle générale. » — Or, dans l'Usage du triangle arithmétique pour les partis, Pascal enseigne à déterminer le parti entre deux joueurs « en quelque nombre de parties qu'ils jouent, et en quelque gain de parties qu'ils soient et l'un et l'autre. » Faut-il conclure de là que Carcavi n'a pas connu les dernières recherches de Pascal sur les partis ? Il est plus vraisemblable qu'il l'a imparfaitement compris, et qu'il a confondu les Problèmes III et IV (voir infra pp. 494-97) avec le Problème I (infra p. 488).


*
*   *


Dans quelle mesure le traité du Triangle Arithmétique et les traités qui l'accompagnent apportent-ils quelque chose de nouveau ?

Depuis l'antiquité, les arithméticiens étaient accoutumés à distinguer divers ordres de nombres entiers. Ils considéraient les nombres plans, solides, sursolides, les nombres polygonaux, les nombres triangulaires, pyramidaux (pyramides a triangulis), etc.

Pascal introduit à son tour une série d'ordres numériques qu'il désigne par des numéros. Les nombres du premier ordre sont tous égaux à l'unité ; les nombres du second ordre sont les nombres naturels ; les nombres du troisième ordre sont les nombres triangulaires ; les nombres de quatrième ordre sont les nombres pyramidaux ; les nombres des ordres suivants forment des catégories nouvelles que les anciens n'avaient pas baptisées. Tous ces nombres sont disposés suivant un tableau qui affecte la forme d'un triangle (triangle arithmétique).

Si les ordres numériques de Pascal étaient inconnus de Diophante et Boèce, ils n'étaient cependant pas entièrement inédits ; car on les trouve dans l'Arithmétique de Stifel, publiée en 1543. Il est fort douteux que Pascal ait connu Stifel. Néanmoins, il n'est pas sans intérêt de rapprocher du triangle arithmétique le tableau qui figure à la page 46 du livre de Stifel (Arithmetica Integra, Authore Michaele Stiselio, Nürenberg, 1543). Voici ce tableau, avec la définition qui l'accompagne :
| 1
| 2
| 3 |  3
| 4 |  6
| 5 |  10 |   10
| 6 |  15 |   20
| 7 |  21 |   35 |      35
| 8 |  28 |   56 |      70
| 9 |  36 |   84 |    126 |    126
|10|  45 | 120 |    210 |    252
|11|  55 | 165 |    330 |    462 |   462
|12|  60 | 220 |    495 |    792 |   924    
|13|  78 | 286 |    715 | 1 287 |  1 716 |   1 716
|14|  91 | 364 | 1 001 | 2 002 |  3 003 |   3 432
|15|105 | 455 | 1 365 | 3 003 |  5 005 |   6 435 |   6 435
|16|130 | 560 | 1 820 |  4 368|  8 008 | 11 440 | 12 870
|17|136 | 680 | 2 380 | 6 188 |12 376 | 19 448 | 24 310


Primo, à latere sinistro descendit naturalis numerorum progressio, quam extendere poteris quantum volueris. Et illa radix est sequentium laterum omnium. Nam secundum latus, quod continet numéros trigonales, sic oritur ex primo latere. Duobus cellulis, de primo latere, obmissis, repetitur numerus cellulæ tertiæ in primo latere, atque ab eodem numéro incipit latus secundum, videlicet circa terliam cellulam primi lateris. Deinde ex additione amborum illorum (id est, ex tertio primi lateris et primo termino secundi lateris) fit numerus secundus secundi lateris. Sic ex secundo numéro secundi lateris et suo collaterali, fit tertius numerus secundi lateris... Quemadmodum autem nascitur secundum latus exlatere primo, ita nascitur latus tertium ex latere secundo... etc. »

Le tableau de Stifel, on le voit, n'est autre que le triangle arithmétique de Pascal, à cela près que les rangées verticales du premier sont devenues chez le second des lignes horizontales. Toutefois, le savant Allemand n'avait pas su tirer de son invention le même parti que Pascal; il n'en donnait d'autre application qu'une méthode pratique servant à l'extraction des racines des divers ordres à un degré d'approximation donné.

Les nombres de Stifel se retrouvent dans le General Trattato de Tartaglia (1556) et dans l’Arithmétique de Stevin (l’Arithmétique de Simon Stevin de Bruges, revue par Albert Girard, Leide, 1625). C'est encore à l'extraction des racines que ces auteurs les font servir.

Postérieurement, Herigone, dans son Cours mathématique (Cursus mathematicus ou Cours Mathématique par Pierre Herigone, Paris, 1634) construisit un tableau de nombres qui n'est pas sans analogie avec le triangle arithmétique et qui sert à calculer les coefficients des puissances entières des binômes[253]. Les recherches d’Herigone n'étaient pas inconnues de Pascal, car elles sont citées à la fin de l’Usage du Triangle Arithmétique pour trouver les puissances des binômes et Apotômes. Voici la règle qui les résume (Cours Mathématique, t. II, p. 16) :

« Trouver promptement quelconque puissance on voudra d'un binôme ou résidu :
« Soient conjoints par un ordre contraire les degrés périodiques (inférieurs) à la puissance des deux parties du binôme ou résidu. Puis soient mis devant les parties extramoyennes des nombres en mesme ordre qu’ils se trouvent en la table suivante. Et soient préposez les signes d’affection en mesme ordre qu’ils sont désignez aux parties du binôme proposé.

A
2
3 3 a3
4 6 4 a4
Construction de la table.

« AB et AC sont nombres qui s’entresuivent par l’excez de l’unité : Les nombres entre-moyens sont composez de l’addition des deux prochains supérieurs. »

Notons enfin une rencontre curieuse qui est sans doute un effet du hasard. Le triangle arithmétique de Pascal se trouve dans l’œuvre d’un Jésuite Espagnol publiée à Lyon en 1659 : le Pharus Scientiarum du R. P. Sébastien Izquierdo, Disputatio XXIX, de Combinatione. Izquierdo se sert du triangle arithmétique pour établir les formules fondamentales du calcul combinatoire ; mais il ne nomme pas les auteurs dont il s’est inspiré[254]. Nous ne saurions d’ailleurs assigner une date exacte à la dissertation d’Izquierdo : l’édition lyonnaise de son livre reproduit une approbation du Cardinal de Tolède qui est datée de 1658, et une licentia provincialis qui remonte à 1657.

Les applications du triangle arithmétique développées par Pascal sont : l’application à l’étude des ordres numériques, l’application au calcul des puissances des binômes, l’application aux combinaisons et aux jeux de hasard.

La formule qui donne le nombre des combinaisons de m objet p à p était trouvée de longue date. Elle est clairement exposée en vers latins dans l'Arithmetica Memorativa de William Buckley, qui vivait à Cambridge vers 1550. Nous la trouvons également chez les arithméticiens italiens de la Renaissance, Paciuolo, Tartaglia, Cardan, chez le Français Borrel (Buteonis Logistica, Lyon, 1569), et, sous une forme plus scolastique, chez Clavius (Comment in I Cap. Sphæræ Joannis de Sacrobosco, Opéra Mathem., t. 3) et chez les Lullistes Espagnols. Herigone, dans son Cours Mathématique, consacre un chapitre au calcul combinatoire (Arithmétique Pratique, chap. XV. Des diverses conjonctions et transpositions, t. II, p. 119). Peut-être Pascal a-t-il lu ce chapitre ; il connaissait aussi, sans doute, les recherches de Mersenne, et, en tout cas, celles de Gagnières, qu’il cite à la fin de son traité des Combinaisons.

Mersenne expose la théorie des combinaisons en trois endroits principaux : La Vérité des Sciences, 1626, liv. III, chap. 10; Harmonicorum Libri XII (lib. 7, pp. 118 et sqq, de l’édit. de 1648); Harmonie Universelle, liv. II, Des Chants (pp. 107 et sqq, de l’édit. de 1656). Dans ces trois passages, Mersenne ne donne d’autre référence[255] que le traité d’un auteur inconnu[256] qu’il désigne par des initiales et dont il parle en termes assez mystérieux (Harmonicorum Libri XII, p. 112) : « Quod quidem prœstabo tractatu sequente quem audio prodiisse absque alio quam ab his litteris I. M. D. M. I. designato nomine ; quem cum manuscriptum ex impresso Trichetus, vir in optimis litteris et libris versatissimus, transmiserit, hic insero ne pereat iterum... »

Quant à Aimé de Gagnières, c’est probablement par Mersenne qu’il fut initié au calcul combinatoire, ainsi qu’en font foi quelques fragments de ses lettres conservées à la Bibliothèque Nationale parmi les papiers de Mersenne (Nouvelles acquisitions françaises, 5162, 6204, 6205). Nous donnerons en appendice quelques extraits de cette correspondance.

Frenicle, lui aussi, s’occupa des combinaisons vers la même époque, et en fit une étude approfondie ; mais ses recherches ne parurent que beaucoup plus tard (Abrégé des Combinaisons par Frenicle, apud Divers Ouvrages de Mathématique et de Physique par Messieurs de l’Académie Royale des Sciences, 1693).

Ainsi, dans le domaine de l’analyse combinatoire, Pascal eut des précurseurs. Par contre, on ne saurait contester l’originalité de ses recherches sur le calcul des probabilités. Quelques tentatives, sans doute, avaient déjà été faites par les Italiens pour évaluer mathématiquement les chances de deux joueurs qui se séparent sans avoir achevé leur partie : Paciuolo, Summa de Arithmetica, 1494. fol. 197; Tartaglia, General trattato, 1556, Parte I, fol. 266 ; Cardan (Opéra Mathematica, Lyon, 1663, t. I, p. 262, t. IV, p. 110 et sqq). Mais les règles proposées étaient le plus souvent inexactes et elles se trouvaient perdues au milieu d’une foule de questions banales ou fantaisistes. Les premiers travaux un peu étendus qui aient été consacrés au calcul des probabilités, ceux de Huygens, de Garamuel y Lobkovitz, de Frenicle, sont peut-être indépendants des recherches de Pascal, mais ils ont tous été publiés postérieurement [le De ratiociniis in ludo aleæ de Huygens, en 1667, la Mathesis biceps vetus et nova de Garamuel, en 1670 ; l’Abrégé des Combinaisons de Frenicle en 1698.]

La Bibliothèque Nationale possède deux fragments manuscrits qui se rapportent au calcul des probabilités et que sans raisons d'ailleurs, a attribués à Pascal. L'un de ces fragments est évidemment de Frenicle ou copié sur Frenicle ; il est reproduit presque textuellement dans l’Abrégé des Combinaisons. Le second fragment rappelle davantage les travaux de Pascal, mais il s'en distingue par la terminologie (l'écriture n'est pas non plus celle de Pascal). Nous reproduisons, en appendice, quelques extraits de ce second fragment.

* * 

Au traité des ordres numériques se rattachent les deux petits traités qui portent pour titre : De numerorum continuorum productis et Producta continua resolvere.

Pascal appelle produit des nombres continus d'espèce k un produit de la forme

a(a + 1)(a + 2) . . . (a + k — 1)

où a et k sont des entiers positifs. L'étude d'un tel produit se relie directement à l'étude des ordres numériques si l'on considère que la aème nombre d'ordre k + 1 est égal à

a(a + 1) . . . (a + k — 1) 1 .2 . . . k

d'après la définition donnée par Pascal.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE*

Beûnitions.

J* appelle Triangle arithmetique, une figure dont la construction est telle.

Je mene d’un point quelconque, G, deux lignes perpendiculaires l'une à l’autre, GV, G’i, dans chacune desquelles je prens tant que je veux de parties égales ^ continues, à commencer par G, que je nomme 1, 2, 3, U, etc. ; et ces nombres sont les exposans des divisions des lignes.

En suitte je joins les points de la première division

I. Nous reproduisons ci-dessous l’Avertissement de l’édition pos- thume : « Ces traitez n’ont point encore paru, quoy qu’il y ait desjà long- temps qu’ils soient composez. On les a trouvez tous imprimez parmi les papiers de Monsieur Pascal, ce qui fait voir qu’il avoit eu des- sein de les publier. Mais ayant, peu de temps apres, entierement quitté ces sortes d’estudes, il négligea de faire paroistre ces ouvrages, que l’on a jugé à propos de donner au public apres sa mort, pour ne le pas priver de l’avantage qu’il en pourra retirer. C’est l’unique but que l’on a eu dans cette publication ; car quoy que ces traitez aient esté admirez par toutes les personnes qui les ont lues, on ne les juge pas neantmoins capables de pouvoir beaucoup adjouster à la réputa- tion que Monsieur Pascal s’est acquise parmi toutes les personnes savantes par les ouvrages plus considerables qu’on a veus de lui. Et l’on supplie le lecteur de les regarder aussi comme une chose qu’il a négligée lui-mesme, et à laquelle il ne s’est appliqué que lege- rement, et plutost pour delasser son esprit que pour l’employer, la jugeant indigne de cette application forte et serieuse qu’il avait accoutumé d’apporter dans les choses plus importantes, et qui meri- tent seules, comme il le disoit souvent, d’occuper l’esprit des per- sonnes raisonnables et chretiennes. » 446

��OEUVRES

��qui sont dans chacune des deux lignes par une autre ligne qui forme un triangle dont elle est la base.

Je joins ainsi les deux points de la seconde division par une autre ligne, qui forme an second triangle dont elle est la base.

���S<.a nji 4>a,raJldei

��^\Z/ri anale ^rithmclùjiLt

��•"à

s

��r

��Et joignant ainsi tous les points de division qui ont vn mesme exposant, j'en forme autant de triangles et de bases.

Je mené, par chacun des points de division, des lignes parallèles aux costez, qui par leurs intersec-

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 447'

lions forment de petits quarrez, qae j'appelle cellules

Et les cellules qui sont entre deux parallèles qui vont de gauche à droit s'appellent cellules d'un mesme rang parallèle, comme les cellules G, a, tu, etc., ou 9, t|>, ô etc.

Et celles qui sont entre deux lignes qui vont de haut en bas s'appellent cellules d'un mesme rang per- pendiculaire, comme les cellules G, (^, A, D, etc., et celles-cy, a, ^, B, ^c.

Et celles quune mesme hase traverse diagonalement sont dites cellules d'une mesme base, comme celles qui suivent, D, B, 6, X, et celles-cy, A, ^|/, r..

Les cellules d'une mesme base également distantes de ses extremitez sont dites réciproques, comme celles- cy, E, B et B, G, parce que l'exposant du rang paral- lèle de l'une est le mesme que l'exposant du rang perpendiculaire de l'autre, comme il paroist en cet exemple, ou E est dans le second rang perpendiculaire et dans le quatriesme parallèle, et sa réciproque B est dans le second rang parallèle, et dans le quatriesme perpendiculaire réciproquement ; et il est bien facile de demonstrer que celles qui ont leurs exposans réci- proquement pareils sont dans une mesme base et égale- ment distantes de ses extremitez.

Il est aussi bien facile de demonstrer que l'exposant du rang perpendiculaire de quelque cellule que ce soit, joint à l'exposant de son rang parallèle, surpasse de l'unité l'exposant de sa base.

Par exemple, la cellule F est dans le troisiesme rang perpendiculaire, et dans le quatriesme parallèle, et

�� � 448 ŒUVRES

dans la sixiesme base, et ces deux exposans des rangs S -\- à surpassent de ï unité V exposant de la hase 6, ce qui vient de ce que les deux costez du triangle sont divisez en un pareil nombre de parties ; mais cela est plustost compris que demonstré.

Cette remarque est de mesme nature, que chaque base contient une cellule plus que la précédente, et cha- cune autant que son exposant d'vnitez ; ainsi la seconde çG a deux cellules, la troisiesme A'^t: en a trois, etc.

Or les nombres qui se mettent dans chaque cellule se trouvent par cette méthode :

Le nombre de la première cellule qui est à l'angle droit est arbitraire ; mais celuy-là estant placé, tous les autres sont forcez ; et pour cette raison il s'appelle le générateur du triangle. Et chacun des autres est spécifié par cette seule règle :

Le nombre de chaque cellule est égal à celuy de la cellule qui la précède dans son rang perpendiculaire, plus à celuy de la cellule qui la précède dans son rang parallèle. Ainsi la cellule F, c'est-à-dire le nombre de la cellule F, égale la cellule C, plus la cellule E, et ainsi des autres.

D'où se tirent plusieurs conséquences. En voicy les principales, ou je considère les triangles dont le géné- rateur est ï unité ; mais ce qui s'en dira conviendra à tous les autres.

Conséquence première. En tout triangle Arithmétique, toutes les cellules

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 449

du premier rang parallèle et du premier rang per- pendiculaire sont pareilles à la génératrice.

Car par la construction du Triangle, chaque cel- lule est égale à celle qui la précède dans son rang perpendiculaire, plus à celle qui la précède dans son rang parallèle. Or les cellules du premier rang pa- rallèle n'ont aucunes cellules qui les précèdent dans leurs rangs perpendiculaires, ny celles du premier rang perpendiculaire dans leurs rangs parallèles : donc elles sont toutes égales entr 'elles, et partant au premier nombre générateur.

Ainsi cp égale G -h zéro, c'est-à-dire, cp égaie G. Ainsi A égale 9 H- zéro, c'est-à-dire, 9. Ainsi a égale G -1- zéro, et tt égale (7 H- zéro. Et ainsi des autres.

��Conséquence seconde.

��En tout Triangle Arithmétique, chaque cellule est égale à la somme de toutes celles du rang parallèle précèdent, comprises depuis son rang perpendicu- laire jusques au premier inclusivement.

Soit une cellule quelconque w : je dis qu'elle est égale à R-|-6-|-4>-Hcf, qui sont celles du rang pa- rallèle supérieur depuis le rang perpendiculaire de w iusques au premier rang perpendiculaire.

Cela est évident parla seule interprétation des cel- lules par celles d'oii elles sont formées.

III - 29

�� � 450 ŒUVRES

Car 10 égale R -h C.

9' car A et 9 sont égaux entre

eux par la précédente.

Donc w égale R-hG-hç.

Conséquence troisiesme.

En tout Triangle Arithmétique, chaque cellule égale la somme de toutes celles du rang perpendicu- laire précèdent, comprises depuis son rang parallèle jusques au premier inclusivement.

Soit une cellule quelconque G : je dis qu'elle est égale à B-h-^-l-<7, qui sont celles du rang perpen- diculaire précèdent, depuis le rang parallèle de la cellule C jusques au premier rang parallèle.

Gela paroist de mesme par la seule interprétation des cellules.

Gar G égale B -f- ô •

��G par la première.

��Gar t: égale

Donc G égale B -h t{> -i- <7

Conséquence quatriesme.

En tout Triangle Arithmétique, chaque cellule diminuée de l'unité est égale à la somme de toutes

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 451

celles qui sont comprises entre son rang parallèle et son rang perpendiculaire exclusivement.

Soit une cellule quelconque Ç : je dis que Ç — G égale R-j-O-h^^-f-cp-h l^-n-hG^-G, qui sont tous les nombres compris entre le rang JwBBA et le rang JS/uL exclusivement.

Cela paroist de mesme par l'interprétation.

Car ç égale X -h R -h co •

7S-I-04-G

a-|-tj;-)-B

G -f- 'f H- A

Donc E égale

X-i-R-f- t: H-O -t- (7-f- <|^-f- G-f- cp -f- G.

Advertissement.

J'ay dit dans renonciation : chaque cellule diminuée de Vunité, parce que l'unité est le générateur ; mais si c'estoit un autre nombre, il faudroit dire : chaque cellule diminuée du nombre générateur.

Conséquence cinquiesme.

En tout Triangle Arithmétique, chaque cellule est égale à sa réciproque.

Car dans la seconde base (pa, il est évident que les deux cellules réciproques cp, o, sont égales entre elles et à G.

Dans la troisiesme A,^, tt, il est visible de mesme

�� � 432 ŒUVRES

que les réciproques tt, A, sont égales entre elles et à G.

Dans la quatriesme, il est visible que les extrêmes D, A, sont encore égales entr'elles et à G.

Et celles d'entre-deux, B, 0, sont visiblement égales, puisque B égale A-f-^, et égale y -Ht: ; or 1:-+-^ sont égales à A-f-t}^ par ce qui est monstre ; donc, etc.

Ainsi l'on monstrera dans toutes les autres bases que les réciproques sont égales, parce que les extrêmes sont tousjours pareilles à G, et que les autres s'interpréteront tousjours par d'autres égales dans la base précédente qui sont réciproques entr'elles.

Conséquence sixiesme.

En tout Triangle Arithmétique, un rang parallèle et un perpendiculaire qui ont un mesme exposant sont composez de cellules toutes pareilles les unes aux autres.

Car ils sont composez de cellules réciproques.

Ainsi le second rang perpendiculaire (j^l^BEMQ est entièrement pareil au second rang parallèle cftJ^GRSN.

Conséquence septiesme.

En tout Triangle Arithmétique, la somme des cellules de chaque base est double de celles de la base précédente.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 453

Soit une base quelconque DB9).. Je dis que la somme de ses cellules est double de la somme des cellules de la précédente A'|7:.

Car les extrêmes D , X ,

égalent les extrêmes A , 71 ,

et chacune des autres B, G,

en égalent deux de l'autre base.. . . A-f--]/, iji-j-tz,

Donc D-h X H-B-+-G égalent 2A-i-2ïJ; -f-27r. La mesme chose se demonstre de mesme de tou- tes les autres.

Conséquence huictiesme.

En tout Triangle Arithmétique, la somme des cellules de chaque base est un nombre de la pro- gression double qui commence par l'unité dont l'exposant est le mesme que celui de la base.

Car la première base est l'unité.

La seconde est double de la première, donc elle est 2.

La troisiesme est double de la seconde, donc elle est 4.

Et ainsi à l'infiny.

Advertissement.

Si le générateur n'estoit pas l'unité, mais un autre nombre, comme 3, la mesm.e chose seroit vraye ; mais il ne faudroit pas prendre les nombres de la progression double à commencer par l'unité, sçavoir I, 2, 4, 8, 16, etc., mais ceux d'une autre progrès-

�� � 454 OEUVRES

sion double à commencer par le générateur 3, sçavoir, 3, 6, 12, 2/i, ^S, etc.

Conséquence neufvîesme.

En tout Triangle Arithmétique, chaque base di- minuée de l'unité est égale à la somme de toutes les précédentes.

Car c'est une propriété de la progression double.

Advertîssement.

Si le générateur estoit autre que l'unité, il faudroit dire : chaque base diminuée du générateur.

Conséquence dixiesme.

En tout Triangle Arithmétique, la somme de tant de cellules continues^ qu'on voudra de sa base, à commencer par une extrémité, est égale à autant de cellules de la base précédente, plus encore à autant hormis une.

Soit prise la somme de tant de cellules qu'on voudra de la base D)., par exemple, les trois pre- mières, D-h-B-hÔ.

Je dis qu'elle est égale à la somme des trois pre- mières de la base précédente A -f-^-h^r, plus aux deux premières de la mesme base A-i-^.

��I. Peut-être faudrait-il lire « continues » au lieu de « continues » dans cet énoncé et dans les suivants.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 435

Car

D. B. 0.

ô:>-ale A. A 4-^. <L

��TZ.

��Donc D -h B -I- 6 égale 2 A -h 2 'j^ -h ^.

Deïînition,

J'appelle cellules de la Dividente celles que la ligne qui divise l'angle droit par la moitié traverse diagonalement, comme les cellules G, ^, G, p, etc.

Conséquence onziesme.

Chaque cellule de la Dividente est double de celle qui la précède dans son rang parallèle ou perpendi- culaire.

Soit une cellule de la dividente G. Je dis qu'elle est double de 6, et aussi de B.

Gar G égale 9 H-B, et Ô égale B, par la cinquiesme conséquence.

Advertissement,

Toutes ces conséquences sont sur le sujet des egali- tez qui se rencontrent dans le Triangle Arithmétique. On en va voir maintenant les proportions, dont la proposition suivante est le fondement.

Conséquence douziesme.

En tout Triangle Arithmétique, deux cellules con-

�� � 456 ŒUVRES

ligues estant dans une mesme base, la supérieure est à l'inférieure comme la multitude des cellules depuis la supérieure jusques au haut de la base à la mul- titude de celles depuis l'inférieure jusques en bas inclusivement.

Soient deux cellules contigues quelconques d'une mesme base, E, C : je dis que :

E est à C comme 2 à 3

inférieure, supérieure, parce quH y a deux parce qu'il y a trois

cellules depuis E cellules depuis G

jusques en bas ; jusques en haut ;

sçavoir, E, H; sçavoir, C, R, [x.

Quoy que cette proposition ait une infinité de cas, j'en donneray une démonstration bien courte, en supposant 2 lemmes\

Le I., qui est évident de soy-mesme, que cette proportion se rencontre dans la seconde base ; car il est bien visible que 9 est à g comme i à i .

Le 2 . , que si cette proportion se trouve dans une base quelconque, elle se trouvera nécessairement dans la base suivante \

D'oii il se voit qu'elle est nécessairement dans toutes les bases : car elle est dans la seconde base par le premier lemme ; donc par le second elle est dans la troisiesme base, donc dans la quatriesme, et à l'infmy.

��I. Pascal emploie ici le raisonnement par récurrence. C'est là une application systématique de ce mode de raisonnement que les anciens ne connaissaient pas, et qui est devenu le fondement de la méthode mathématique moderne. Vide infra, t. VIII, p. 363, a. a.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 457

li faut donc seulement demonstrer le second lemme, en cette sorte. Si cette proportion se ren- contre en une base quelconque, comme en la qua- triesme DX, c'est-à-dire si D est à B comme i à 3, et B à 6 comme 2 à 2 , et a X comme 3 à i , etc ; je dis que la mesme proportion se trouvera dans la base suivante, Hf/, et que, par exemple, E est à G comme 2 à 3.

Car D est à B comme i à 3, par l'hypothèse

Donc D -i- B est à B comme 1 H- 3 à 3. E à B comme 4 à 3.

De mesme B est à 6 comme 2 à 2, par l'hypo- thèse.

Donc B H- à B, comme 2 -f- 2 à 2.

G à B, comme 4 à 2.

Mais B à E, comme 3 ai.

Donc, par la proportion troublée, G est à E comme 3 à 2.

Ge qu'il falloit demonstrer.

On le monstrera de mesme dans tout le reste, puisque cette preuve n'est fondée que sur ce que cette proportion se trouve dans la base précédente, et que chaque cellule est égale à sa précédente, plus à sa supérieure, ce qui est vray par tout.

Conséquence treiziesme.

En tout Triangle Arithmétique, deux cellules con-

�� � 458 ŒUVRES

tinues estant dans un mesme rang perpendiculaire, l'inférieure est à la supérieure comme l'exposant de la base de cette supérieure à l'exposant de son rang parallèle.

Soient deux cellules quelconques dans un mesme rang perpendiculaire, F, G. Je dis que

F est à C comme 5 à 3

l'inférieure, la supérieure, exposant de la base exposant du rang de G , parallèle de G .

Car E est à G comme 2 à 3.

Donc E -h G est à G comme 2 -f- 3 à 3. F est à G comme 6 à 3.

Conséquence quatorziesme.

En tout Triangle Arithmétique, deux cellules con- tinues estant dans un mesme rang parallèle, la plus grande est à sa précédente comme l'exposant de la base de cette précédente à l'exposant de son rang perpendiculaire.

Soient deux cellules dans un mesme rang parallèle F, E : je dis que

F est à E comme 5 à 2

la plus grande, précédente, exposant de la exposant du rang per- base de E , pendiculaire de E .

Car E est à G comme 2 à 3.

Donc Eh- G est à E comme 2 -1-3 à 2. F est à E comme 5 à 2.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 45»

��Conséquence quinziesme»

En tout Triangle Arithmétique, la somme des cellules d'un quelconque rang parallèle est à la der- nière de ce rang comme l'exposant du triangle est à l'exposant du rang.

Soit un triangle quelconque, par exemple le qua- triesme GDI : je dis que quelque rang qu'on y prenne, comme le second parallèle, la somme de ses cellules, sçavoir (^-\-^-\-Q, est à G comme 4 à 2. Car cf -h ^ H- 6 égale C , et G est à comme li k 2^ par la treizième Conséquence.

Conséquence seiziesme.

En tout Triangle Arithmétique, un quelconque rang parallèle est au rang inférieur comme l'expo- sant du rang inférieur à la multitude de ses cellules.

Soit un triangle quelconque, par exemple le cin- quiesme, /jlGH : je dis que, quelque rang qu'on y prenne, par exemple le troisiesme, la somme de ses cellules est à la somme de celles du quatriesme, c'est-à-dire A-hB-j-CestàD^E comme 4, ex- posant du rang quatriesme, à 2, qui est l'exposant de la multitude de ses cellules, car il en contient 2.

Car A-+-B-f-Cegale F, etD-^E égale M.

Or F est à M comme 4 à 2, par la douziesme Conséquence.

�� � 460 ŒUVRES

��Advertissement.

��On pourroit l'énoncer aussi de cette sorte : Chaque rang parallèle est aa rang inférieur, comme

r exposant du rang inférieur à l'exposant du triangle

moins l'exposant du rang supérieur.

Car l'exposant d'un triangle, moins l'exposant

d'un de ses rangs, est tousjours égal à la multitude

des cellules du ranor inférieur.

��Conséquence dix-septiesme.

En tout Triangle Arithmétique, quelque cellule que ce soit jointe à toutes celles de son rang per- pendiculaire, est à la mesme cellule jointe à toutes celles de son rang parallèle, comme les multitudes des cellules prises dans chaque rang.

Soit une cellule quelconque B : je disque B-f-'j/ H- G est à B -h A, comme 3 à 2 .

Je dis 3, parce qu'il y a trois cellules adjoustées dans l'antécédent, et 2, parce qu'il y en a deux dans le conséquent.

Car B-i-vj^ -h C7 égale C, par la troisiesme consé- quence; et B-f-A égale E, par la seconde consé- quence.

Or G est à E comme 3 à 2 , par la douziesme con séquence.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 461

Conséquence dix-huictiesme.

En tout Triangle Arithmétique, deux rangs pa- rallèles également distans des extremitez, sont entr'eux comme la multitude de leurs cellules.

Soit un triangle quelconque GVJ^, et deux de ses rangs également distans des extremitez, comme le sixiesme P -h Q, et le second 9 -- tj> -f- -i- R -h S H-N : je dis que la somme des cellules de l'un est à la somme des cellules de l'autre, comme la multitude des cellules de l'un est à la multitude des cellules de l'autre.

Car, par la sixiesme Conséquence, le second rang parallèle cf(|;9RSN est le mesme que le second rang perpendiculaire c^l^BEMQ, duquel nous venons de demonstrer cette proportion.

A avertissement.

On peut l'énoncer ainsi :

En tout Triangle Arithmétique, deux rangs paral- lèles, dont les exposans joints ensemble excédent de Vunité l'exposant du triangle, sont entr'eux comme leurs exposans réciproquement.

Car ce n'est qu'une mesme chose que ce qui vient d'estre énoncé.

Conséquence dernière.

En tout Triangle Arithmétique, deux cellules

�� � 462 ŒUVRES

continues estant dans la dividente, l'inférieure est à la supérieure prise quatre fois, comme l'exposant de la base de cette supérieure à un nombre plus grand de l'unité.

Soient deux cellules de la di Ardente p, G : je dis que p est à 4G comme 5, exposant de la base de C, à 6.

Car p est double de o), et C de 9; donc 40 éga- lent 2C.

Donc 4 ô sont à C comme 2 à 1 .

Or p est à 4 C comme w à 4 0, ou en raison composée de. . . a)àC-f-Cà4ô par les conseq. preced

���Donc p est à 4G comme 5 à 6. Ce qu'il falloit de- monstrer.

Advertis sèment.

On peut tirer de là beaucoup d'autres proportions que je supprime, parce que chacun les peut facile- ment conclure, et que ceux qui voudront s'y atta- cher en trouveront peut-estre de plus belles que celles que je pourrois donner. Je finis donc par le problème suivant, qui fait V accomplissement de ce traité.

Problème. Estant donnez les exposans des rangs perpendi-

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 463

culaire et parallèle d'une cellule, trouver le nombre de la cellule, sans se servir du Triangle Arithméti- que.

Soit, par exemple, proposé de trouver le nombre de la cellule J du cinquiesme rang perpendiculaire et du troisiesme rang parallèle.

Ayant pris tous les nombres qui précèdent l'expo- sant du perpendiculaire 5, sçavoir 1, 2, 3, 4, soient pris autant de nombres naturels, à commencer par l'exposant du parallèle 3, sçavoir 3, 4, 5, 6.

Soient multipliez les premiers l'un par l'autre, et soit le produit 24. Soient multipliez les autres l'un par l'autre, et soit le produit 360, qui, divisé par l'autre produit 24, donne pour quotient 15. Ce quotient est le nombre cherché \

Car J est à la première de sa base V en raison composée de toutes les raisons des cellules d'entre- deux, c'est-à-dire, Ç est à V,

en raison composée de . . ^^"+~ pàK-t-KàQ-i-QàV ouparladouziesmeconseq. 3 à4 4 à 3 5 à a 6 à i

Donc ? est à V comme 3 en 4 en 5 en 6 à 4 en 3 en 2 en I .

Mais V est l'unité ; donc l est lé quotient de la di-

��2. Cet énoncé signifie en langage moderne que la cellule du ji^ rang parallèle et du r" rang perpendiculaire a pour nombre

��n(n+ i) ... (n-\-r — 2) (r-i)l

�� � 464 ŒUVRES

vision du produit de 3 en 4 en 5 en 6 par le produit de 4 en 3 en 2 en I .

Advertissement,

Si le générateur n'estoit pas l'unité, il eust fallu multiplier le quotient par le générateur.

��

DIVERS USAGES DU TRIANGLE ARITHMETIQUE
DONT LE GENERATEUR EST L'UNITÉ

Apres avoir donné les proportions qui se rencontrent entre les cellules et les rangs des Triangles Arithmétiques, je passe à divers usages de ceux dont le générateur est l’unité; c’est ce qu'on verra dans les traitiez suivans. Mais j’en laisse bien plus que je n’en donne ; c’est une chose estrange combien il est fertile en proprietez. Chacun peut s’y exercer ; j’avertis seulement icy que, dans toute la suite, je n’entends parler que des Triangles Arithmétiques dont le générateur est l’unité. USAGE DU TRIANGLE ARITHMETIQUE POUR LES ORDRES NUMERIQUES

On a considéré dans l'Arithmétique les nombres des différentes progressions ; on a aussi considéré ceux des différentes puissances et des differens de- grez ; mais on n'a pas, ce me semble, assez examiné ceux dont je parle, quoy qu'ils soient d'un très- grand usage ; et mesme ils n'ont pas de nom ; ainsi j'ay esté obligé de leur en donner ; Et parce que ceux de progression, de degré et de puissance sont déjà employez, je me sers de celuy d'ordres.

J'appelle donc Nombres du premier ordre les sim- ples unitez

I, I, I, I, I, etc.

J'appelle Nombres du second ordre les naturels qui se forment par l'addition des unitez, I, 2, 3, 4, 5, etc.

J'appelle Nombres du troisiesme ordre ceux qui se forment par l'addition des naturels, qu'on appelle Triangulaires,

I, 3, 6, lo, etc.

C'est-à-dire, que le second des triangulaires, sçavoir, 3, égale la somme des deux premiers naturels, qui sont 1,2: ainsi le troisiesme triangu- laire 6 égale la somme des trois premiers naturels, I, 2, 3, etc.

J'appelle Nombres du quatriesme ordre ceux qui

�� � se forment par l’addition des triangulaires, qu’on appelle Pyramidaux,

1, 4, 10, 20, etc.

J’appelle Nombres du cinquiesme ordre ceux qui se forment par l’addition des precedens auxquels on n’a pas donné de nom exprès, et qu’on pourroit appeler triangulo-triangulaires :

1, 5, 15, 35, etc.

J’appelle Nombres du sixiesme ordre ceux qui se forment par l’addition des precedens

1, 6, 21, 56, 126, 252, etc.

Et ainsi à l'infiny, 1, 7, 28, 84, etc. 1, 8, 36, 120, etc.

Or, si on fait une table de tous les ordres des nombres, où l’on marque à costé les exposans des ordres, et au-dessus les racines, en cette sorte

Racines.
1 2 3 4 4 etc
Unitez Ordre 1 1 1 1 1 1 etc
Naturels Texte la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule
Triangul. Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule Texte de la cellule
Pyramid. Ordre 4 1 4 10 20 35 etc

��Unitez.. . .

�Ordre i

�Naturels. . .

�Ordre 2

�Triangul . .

�. Ordre 3

�Pyramid.. .

�. Ordre 4

� �etc.

��I 2

�3

�4

�5

�etc.

�I I

�I

�I

�I

�etc.

�I 2

�3

�4

�5

�etc.

�I 3

�C

�10

�i5

�etc.

�I k

�10

�20

�35

�etc.

on trouvera cette Table pareille au Triangle Arithmétique.

Et le premier ordre des nombres sera le mesme que le premier rang parallèle du triangle ;

Le second ordre des nombres sera le mesme que le second rang parallèle : et ainsi à l’infiny. i68 OEUVRES

Car dans le Triangle Arithmétique, le premier rang est tout d'unitez, et le premier ordre des nom- bres est de mesme tout d'unitez.

Ainsi dans le Triangle Arithmétique, chaque cel- lule, comme la cellule F, égale Gh-Bh-A, c'est-à- dire qu'elle égale sa supérieure, plus toutes celles qui précèdent cette supérieure dans son rang paral- lèle, comme il a été prouvé dans la 2. Conseq. du Traité de ce Triangle. Et la mesme chose se trouve dans chacun des ordres des nombres. Car, par exemple, le troisiesme des pyramidaux 10 égale les trois premiers des triangulaires i -1-3 H- 6, puis qu'il est formé parleur addition.

D'où il se void manifestement que les rangs pa- rallèles du triangle ne sont autre chose que les or- dres des nombres, et que les exposans des rangs pa- rallèles sont les mesmes que les exposans des ordres, et que les exposans des rangs perpendiculaires sont les mesmes que les racines. Et ainsi le nombre, par exemple, 21, qui dans le Triangle Arithmétique se trouve dans le troisième rang parallèle, et dans le sixiesme rang perpendiculaire, estant considéré entre les ordres numériques, il sera du troisiesme ordre, et le sixiesme de son ordre, ou de la sixiesme racine.

Ce qui faitconnoistre que tout ce quia esté dit des rangs et des cellules du Triangle Arithmétique con- vient exactement aux ordres des nombres, et que les mesmes egalitez et les mesmes proportions qui ont esté remarquées aux uns se trouveront aussi aux

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 469

autres ; il ne faudra seulement que changer les enonciations, en substituant les termes qui con- viennent aux ordres numériques, comme ceux de racine et d'ordre, a ceux qui convenoient au Triangle Arithmétique, comme de rang parallèle et perpendi- culaire. J'en donneray un petit traité à part, où quelques exemples qui y sont rapportez, feront ay sè- ment appercevoir tous les autres.

��USAGE DU TRIANGLE ARITHMETIQUE POUR LES COMBINAISONS

Le mot de Combinaison a esté pris en plusieurs sens differens, de sorte que, pour oster l'équi- voque, je suis obligé de dire comment je l'entends.

Lors que de plusieurs choses on donne le choix d'un certain nombre, toutes les manières d'en prendre autant qu'il est permis entre toutes qui sont présentées s'appellent icy les différentes combinai- sons.

Par exemple, si de quatre choses exprimées par ces quatre lettres, A, B, C, D, on permet d'en prendre, par exemple, deux quelconques, toutes les manières d'en prendre deux différentes dans les quatre qui sont proposées, s'appellent Com6mai5o/z5.

Ainsi on trouvera, par expérience, qu'il y a six manières différentes d'en choisir deux dans quatre ; car on peut prendre A et B, ou A et G, ou A et D, ou B et C, ou B et D, ou C et D.

Je ne compte pas A et A pour une des manières d'en

�� � 470 ŒUVRES

prendre deux ; car ce ne sont pas des choses diffé- rentes, ce n'en est qu'une répétée.

Ainsi je ne compte pas A et B et puis B et A pour deux manières différentes ; car on ne prend en l'une et en l'autre manière que les deux mesmes choses, mais d'un ordre différent seulement ; et je ne prends point garde à l'ordre : de sorte que je pouvois m 'ex- pliquer en un mot à ceux qui ont accoustumé de con- sidérer les combinaisons, en disant simplement que je parle seulement des combinaisons qui se font sans changer l'ordre.

On trouvera de mesme, par expérience, qu'il y a quatre manières de prendre trois choses dans quatre; car on peut prendre ABC, ou ABD, ou AGD, ouBGD.

Enfin on trouvera qu'on n'en peut prendre quatre dans quatre qu'en une manière, sçavoir, ABGD,

Je parleray donc en ces termes :

1 dans 4 se combine

2 dans 4 se combine

3 dans 4 se combine

4 dans 4 se combine Ou ainsi :

La multitude des combinaisons de La multitude des combinaisons de La multitude des combinaisons de La multitude des combinaisons de

Mais la somme de toutes les combinaisons en gênerai qu'on peut faire dans 4 est 1 5, parce que la multitude des combinaisons de i dans 4, de 2 dans

��4 fois.

� �6 fois.

� �4 fois.

� �I fois.

� �I dans 4 est 4-

�1 dans 4

�est 6.

�3 dans 4

�est 4.

�4 dans 4

�est I.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 47i

4, de 3 dans 4, de 4 dans 4, estans jointes ensemble, font i5.

En suitte de cette explication, je donneray ces con- seauences en formes de Lemmes.

Lemme 1.

Un nombre ne se combine point dans un plus petit ; par exemple, 4 ne se combine point dans 2.

Lemme 2, Un dans un se combine une fois.

2 dans 2 se combine 1 fois.

3 dans 3 se combine 1 fois.

Et généralement un nombre quelconque se com- bine une fois seulement dans son égal.

Lemme 3.

1 dans 1 se combine 1 fois.

1 dans 2 se combine 2 fois.

1 dans 3 se combine 3 fois. Et généralement l'unité se combine dans quelque nombre que ce soit autant de fois qu'il contient d'unitez.

Lemme 4. S'il y a quatre nombres quelconques, le premier tel qu'on voudra, le second plus grand de l'unité, le troisiesme tel qu'on voudra, pourveu qu'il ne soit pas moindre que le second, le quatriesme plus grand de l'unité que le troisiesme : la multitude des com-

�� � 472 ŒUVRES

binaisons du premier dans le troisiesme, jointe à la multitude des combinaisons du second dans le troi- siesme, égale la multitude des combinaisons du second dans le quatriesme.

Soient quatre nombres tels que j'ay dit: Le premier tel qu'on voudra, par exemple, i.

Le second plus grand de l'unité, sçavoir, 2.

Le troisiesme tel qu'on voudra, pourveu qu'il ne

soit pas moindre que le second, par exemple, 3. Le quatriesme plus grand de l'unité, sçavoir, 4.

Je dis que la multitude des combinaisons de i dans 3, plus la multitude des combinaisons de 2 dans 3, égale la multitude des combinaisons de 2 dans 4.

Soient trois lettres quelconques, B, C, D.

Soient les mesmes trois letlres, et une de plus, A, B, CD.

Prenons, suivant la proposition, toutes les com- binaisons d'une lettre dans les trois, B, G, D. Il y en aura 3, sçavoir, B, G, D.

Prenons dans les mesmes trois lettres toutes les combinaisons de deux; il y en aura 3, sçavoir^ BG, BD, GD.

Prenons enfin dans les quatre lettres A, B, G, D. toutes les combinaisons de 2 ; il y en aura 6, sçavoir AB, AG, AD, BG, BD, GD.

Il faut demonstrer que la multitude des combi- naisons de 1 dans 3 et celles de 2 dans 3, égalent celles de 2 dans 4-

Gela est aisé, -car les combinaisons de 2 dans 4

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 47»

sont formées par les combinaisons de i dans 3, et par celles de 2 dans 3.

Pour le faire voir, il faut remarquer qu'entre les combinaisons de 2 dans 4, sçavoir, AB, AG, AD, BC, BD, CD, il y en a où la lettre A est employée, et d'autres où elle ne l'est pas.

Celles où elle n'est pas employée sont BG, BD, GD, qui par conséquent sont formées de deux de ces trois lettres B, G, D ; donc ce sont des combinaisons de 2 dans ces trois, B, G, D. Doue les combinai- sons de 2 dans ces trois lettres, B, G, D, font por- tion des combinaisons de 2 dans ces quatre lettres,

A, B, G, D, puisiqu'elles forment celles où A n'est pas employée.

Maintenant si des combinaisons de 2 dans 4 où A est employée, sçavoir AB, AG, AD, on oste l'A, il restera une lettre seulement de ces trois,

B, G, D, sçavoir B, G, D, qui sont précisément les combinaisons d'une lettre dans les trois, B, G, D. Donc si aux combinaisons d'une lettre dans les trois, B, G, D, on adj ouste à chacune la lettre A, et qu'ainsi on ait AB, AG, AD, on formera les combi- naisons de 2 dans 4, où A est employée ; donc les combinaisons de i dans 3 font portion des combi- naisons de 2 dans 4.

D'où il se void que les combinaisons de 2 dans 4 sont formées par les combinaisons de 2 dans 3, et de I dans 3 ; et partant que la multitude des com- binaisons de 2 dans 4 égale celle de 2 dans 3, et de I dans 3.

�� � 474 ŒUVRES

On monstrera la mesme chose dans tous les au- tres exemples, comme:

La multitude des combinaisons de 29 dans 4o, Et la multitude des combinaisons de 3o dans 4o, Egale la multitude des combinaisons de 3o dans

Ainsi la multitude des combinaisons de i5 dans 55,

Et la multitude des combinaisons de 16 dans 55,

Egale la multitude des combinaisons de 16 dans 56.

Et ainsi à l'infmy. Ce qu'il falloit demonstrer.

Proposition 1,

En tout triangle Arithmétique, la somme des cel- lules d'un rang parallèle quelconque égale la multi- tude des combinaisons de l'exposant du rang dans l'exposant du Triangle.

Soit un triangle quelconque, par exemple le qua- triesme GD>.. Je dis que la somme des cellules d'un rang parallèle quelconque, par exemple du second, ç_l_^j;_l_9^ égale la somme des combinaisons de ce nombre 2, qui est l'exposant de ce second rang, dans ce nombre 4, qui est l'exposant de ce triangle :

Ainsi la somme des cellules du 5. rang du 8 triangle égale la somme des combinaisons de 5 dans 8, etc.

La démonstration en sera courte, quoy qu'il y ait une infinité de cas, par le moyen de ces deux Lemmes.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 475

Le I . , qui est évident de luy-mesme, que dans le premier triangle cette égalité se trouve, puisque la somme des cellules de son unique rang, sçavoir G, ou l’unité, égale la somme des combinaisons de i, exposant du rang, dans i, exposant du Triangle.

Le 2., que, s’il se trouve un Triangle Arithmétique dans lequel cette proportion se rencontre, c’est à dire dans lequel, quelque rang que l’on prenne, il arrive que la somme des cellules soit égale à la multitude des combinaisons de l’exposant du rang dans l’exposant du Triangle : je dis que le triangle suivant aura la mesme propriété.

D’où il s’ensuit que tous les Triangles Arithmétiques ont cette égalité ; car elle se trouve dans le premier Triangle par le premier Lemme, et mesme elle est encore évidente dans le second ; donc par le second Lemme, le suivant l’aura de mesme, et partant le suivant encore ; et ainsi à l’infiny.

Il faut donc seulement demonstrer le second Lemme.

Soit un triangle quelconque, par exemple le troisiesme, dans lequel on suppose que cette égalité se trouve, c’est à dire que la somme des cellules du premier rang G + σ + π égale la multitude des com- binaisons de I dans 3, et que la somme des cellules du 2. rang φ+ψ égale les combinaisons de 2 dans 3 ; et que la somme des cellules du 3. rang A égale les combinaisons de 3 dans 3 : je dis que le quatriesme triangle aura la mesme égalité, et que, par exemple, la somme des cellules du second rang 476 ŒUVRES

o_l_^j;_l_Ô égale la multitude des combinaisons de 2 dans 4-

Car 9 -(- (j* + 6 égale ? + 'j' + ^

H- G-+- a-hr.

ou la multitude des + ou la multitude des

Par l'hypothèse combinaisons de 2 combinaisons de i

dans 3 . dans 3 .

Ou la multitude des combinaisons Par le 4- lemme de 2 dans 4 .

On le monstrera de mesme de tous les autres. Ce qu'il falloit démontrer.

Proposition 2.

Le nombre de quelque cellule que ce soit égale la multitude des combinaisons d'un nombre moindre de l'unité que l'exposant de son rang parallèle, dans un nombre moindre de l'unité que l'exposant de sa base.

Soit une cellule quelconque, F, dans le qua- triesme rang parallèle et dans la sixiesme base : je dis qu'elle égale la multitude des combinaisons de 3 dans 5, moindres de l'unité que 4 et 6, car elle égale les cellules A ^ B ^ C. Donc par la précédente, etc.

Problesme 1. — Proposition 3.

Estans proposez deux nombres, trouver combien de fois l'un se combine dans l'autre par le Triangle Arithmétique.

Soyent les nombres proposez 4,6; il faut trouver combien 4 se combine dans 6.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHiMÉTIQUE 477

Premier moyen.

Soit prise la somme des cellules du 4. rang du 6. triangle: elle satisfera à la question.

Second moyen.

Soit prise la 5. cellule de la 7. base, parce que ces nombres 5, 7 excédent de l'unité les donnés /i, 6 : son nombre est celuy qu'on demande.

Conclusion.

Par le rapport qu'il y a des cellules et des rangs du Triangle Arithmétique aux combinaisons, il est aisé de voir que tout ce qui a esté prouvé des uns convient aux autres suivant leur manière. C'est ce que je monstreray en peu de discours dans un petit traité que j'ay fait des Combinaisons.

�� � USAGE DU TRIANGLE ARITHMETIQUE

Pour déterminer les partys qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties.

Pour entendre les règles des partys, la première chose qu'il faut considérer est que l'argent que les joueurs ont mis au jeu ne leur appartient plus, car ils en ont quitté la propriété ; mais ils ont receu en revanche le droit d'attendre ce que le hazard leur en peut donner, suivant les conditions dont ils sont convenus d'abord.

Mais, comme c'est une loy volontaire, ils peuvent la rompre de gré à gré ; et ainsi, en quelque terme que le jeu se trouve, ils peuvent le quitter; et, au contraire de ce qu'ils ont fait en y entrant, renoncer à l'attente du hazard, et rentrer chacun en la pro- priété de quelque chose. Et en ce cas, le règlement de ce qui doit leur appartenir doit estre tellement proportionné à ce qu'ils avoient droit d'espérer de la fortune, que chacun d'eux trouve entièrement égal de prendre ce qu'on luy assigne ou de continuer l'aventure du jeu : et cette juste distribution s'ap- pelle le Party.

Le premier principe qui fait connoistre de quelle sorte on doit faire les partys, est celuy-cy.

Si un des joueurs se trouve en telle condition que, quoy qu'il arrive, une certaine somme luy doit appartenir en cas de perte et de gain, sans que le

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 47»

hazard la luy puisse oster, il n'en doit faire aucun party, mais la prendre entière comme asseurée parce que le party devant être proportionné au ha- zard, puisqu'il n'y a nul hazard de perdre, il doit tout retirer sans party.

Le second est celuy-cy : Si deux joueurs se trou- vent en telle condition que, si l'un gagne, il luy ap- partiendra une certaine somme, et s'il pert, elle ap- partiendra à l'autre ; si le jeu est de pur hazard et qu'il y ait autant de hazards pour l'un que pour l'autre et par conséquent non plus de raison de ga- gner pour l'un que pour l'autre, s'ils veulent se sé- parer sans joiier, et prendre ce qui leur appartient légitimement, le party est qu'ils séparent la somme qui est au hazard par la moitié, et que chacun prenne la sienne.

Corollaire premier.

Si deux joueurs jouent à un jeu de pur hazard, à condition que, si le premier gagne, il luy revien- dra une certaine somme, et s'il pert, il luy en re- viendra une moindre; s'ils veulent se séparer sans jouer, et prendre chacun ce qui leur appartient, le party est que le premier prenne ce qui lui revient en cas de perte, et de plus la moitié de l'excès dont ce qui luy reviendroit en cas de gain surpasse ce qui luy revient en cas de perte.

Par exemple, si deux joueurs jouent à condition que, si le premier gagne, il emportera 8 pistolles, et s'il pert, il en emportera 2 : je dis que le party est

�� � 480 ŒUVRES

qu'il prenne ces 2, plus la moitié dont 8 surpasse 2, c'est à dire, plus 3, car 8 surpasse 2 de 6, dont la moitié est 3.

Car, par l'hypothèse, s'il gagne, il emporte 8, c'est à dire, 6 H- 2, et s'il pert, il emporte 2 ; donc ces 2 luy appartiennent en cas de perte et de gain : et par conséquent, par le premier principe, il n'en doit faire aucun party, mais les prendre entières. Mais pour les 6 autres, elles dépendent du hazard ; de sorte que s'il hiy est favorable, il les gagnera, sinon elles revien- dront à l'autre; et par l'hypothèse, il n'y a pas plus de raison qu'elles reviennent à l'un qu'à l'autre : donc le parti est qu'ils les séparent par la moitié, et que chacun prenne la sienne, qui est ce que j'avois proposé.

Donc, pour dire la mesme chose en d'autres termes, il luy appartient le cas de la perte, plus la moitié de la dij]erence des cas de perte et de gain.

Et, partant, sy en cas de perte il lui appartient A, et en cas de gain A-f~B, le party est qu'il prenne

A-h-B. 2

Corollaire second.

Si deux joueurs sont en la mesme condition que nous venons de dire, Je dis que le party se peut faire de cette façon qui revient au mesme : que l'on as- semble les deux sommes de gain et de perte et que le premier prenne la moitié de cette somme ; c'est a dire qu'on joigne 2 avec 8 et ce sera 10, dont la moi- tié 5 appartiendra au premier.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 4SI

Car la moitié de la somme de deux nombres est toujours la mesme que le moindre, plus la moitié de leur dijference.

Et cela se de monstre ainsi :

Soit A ce qui revient en cas de perte, e^ A -h B ce qui revient en cas de gain. Je dis que le party se fait en assemblant ces deux nombres, qui font A -+- A -h B, et en donnant la moitié au premier,

qui est~A-\ An B. Car cette somme eqale

2 2 2 ^

Ah B, qui a esté prouvée faire le party juste.

Ces fondemens estans posez, nous passerons aisé- ment à déterminer le party entre deux joueurs qui jouent en tant de parties qu'on voudra, en quelque estât qu'ils se trouvent, c'est à dire quel party il faut faire quand ils jouent en deux parties, et que le premier en a une à point, ou qu'ils jouent en trois, et que le premier en a une à point, ou quand il en a deux à point, ou quand il en a deux à une ; et gé- néralement en quelque nombre de parties qu'ils jouent, et en quelque gain de parties qu'ils soient, et l'un et l'autre.

Sur quoy la première chose qu'il faut remarquer est que deux joueurs qui jouent en deux parties, dont le premier en a une à point, sont en mesme con- dition que deux autres qui jouent en trois parties, dont le premier en a deux, et l'autre une : car il y a cela de commun que, pour achever, il ne manque qu'une partie au premier, et deux à l'autre : et c'est en cela que consiste la différence des avantages, et qui doit

TU —^\

�� � 482 ŒUVRES

régler les partys ; de sorte qu'il ne faut proprement avoir égard qu'au nombre des parties qui restent à gagner à l'un et à l'autre, et non pas au nombre de celles qu'ils ont gagnées, puisque, comme nous avons déjà dit, deux joueurs se trouvent en mesme estât quand, jouant en deux parties, l'un en a une à point, que deux qui joûans en douze parties, l'un en a onze à dix .

Il faut donc proposer la question en cette sorte ;

Estans proposez deux joueurs, à chacun desquels il manque un certain nombre de parties pour ache- ver, faire le party.

J'en donneray icy la méthode, que je poursuivray seulement en deux ou trois exemples qui seront si aisez à continuer, qu'il ne sera pas nécessaire d'en donner davantage.

Pour faire la chose générale sans rien obmettre, je la prendray par le premier Exemple qu'il est peut- estre mal à propos de toucher, parce qu'il est trop clair ; je le fais pourtant pour commencer par le commencement; c'est celuy-cy :

Premier cas.

Si à un des joueurs il ne manque aucune partie, et à l'autre quelques-unes, la somme entière appar- tient au premier; car il l'a gagnée, puisqu'il ne luy manque aucune des parties dans lesquelles il la de- voit gagner.

Second cas.

Si à un des joueurs il manque une partie, et à

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 483

l'autre une, le party est qu'ils séparent l'argent par la moitié, et que chacun prenne la sienne : cela est évident par le second principe. Il en est de mesme s'il manque deux parties à l'un et deux à l'autre ; et de riiesme quelque nombre de parties qui manque à l'un s'il en manque autant à l'autre.

Troisiesme cas.

Si à un des joueurs il manque une partie, et à l'autre deux, voicy l'art de trouver le party.

Considérons ce qui appartiendroit au premier joueur (à qui il ne manque qu'une partie) en cas de gain de la partie qu'ils vont jouer, et puis ce qui luy appartiendroit en cas de perte.

Il est visible que si celuy à qui il ne manque qu'une partie, gagne cette partie qui va se joiier, il ne luy en manquera plus : donc tout luy appar- tiendra par le premier cas. Mais, au contraire, si celuy à qui il manque deux parties gagne celle qu'ils vont jouer, il ne lui en manquera plus qu'une ; donc ils seront en telle condition, qu'il en man- quera une à l'un, et une à l'autre. Donc ils doivent partager l'argent par la moitié par le deuxiesme cas.

Donc si le premier gagne cette partie qui va se joiier, il luy appartient tout, et, s'il la pert, il luy appartient la moitié ; donc, en cas qu'ils veuillent se

3

séparer sans jouer cette partie, il luy appartient — par

le second Corollaire.

Et si on veut proposer un exemple de la somme <ju'ils jouent, la chose sera bien plus claire.

�� � 484 ŒUVRES

Posons que ce soit 8 pistolles ; donc le premier en cas de gain, doit avoir le tout, qui est 8 pistolles, et en cas de perte, il doit avoir la moitié qui est 4 ; donc il luy appartient en cas de party la moitié de 8 H- 4, c'est à dire, 6 pistolles de 8 ; car 8 H- 4 font 12, dont la moitié est 6.

Quatriesme cas.

Si à un des joueurs il manque une partie et à l'autre trois, le party se trouvera de mesme en exa- minant ce qui appartient au premier en cas de gain et de perte.

Si le premier gagne, il aura toutes ses parties, et partant tout l'argent, qui est, par exemple, 8.

Si le premier pert, il ne faudra plus que 2 parties à l'autre à qui il en falloit 3. Donc ils seront en estât qu'il faudra une partie au premier et deux à l'autre ; et partant, par le cas précèdent, il appar- tiendra 6 pistolles au premier.

Donc en cas de gain, il luy en faut 8, et en cas de perte 6 ; donc, en cas de party, il luy appartient la moitié de ces deux sommes, sçavoir, 7 ; car 6 -i- 8 font i4, dont la moitié est 7.

Cinquiesme cas.

Si à un des joueurs il manque une partie et à l'autre quatre, la chose est de mesme.

Le premier, en cas de gain, gagne tout qui est par exemple, 8 ; et en cas de perte, il manque une partie au premier et trois à l'autre ; donc il luy appartient

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMETIQUE 483

7 pistolles de 8 ; donc en cas de party, il lui appar- tient la moitié de 8, plus la moitié de 7, c'est-à-dire.

��I 7-'

��Sixiesme cas.

��Ainsi, s'il manque une partie à l'un et cinq à l'autre ; et à l'infîny.

Septiesme cas.

De mesme, s'il manque deux parties au premier, et trois à l'autre ; car il faut tousjours examiner les cas de gain et de perte.

Si le premier gagne, il luy manquera une partie, et à l'autre trois ; donc par le quatriesme cas il luy appartient 7 de 8.

Si le premier pert, il luy manquera deux parties, et à l'autre deux ; donc par le deuxiesme cas, il ap- partient à chacun la moitié, qui est 4 ; donc, en cas de gain, le premier en aura 7 et en cas de perte, il en aura 4 ; donc en cas de party, il aura la moitié

de ces deux ensemble, sçavoir, 5 — .

2

Par cette méthode on fera les partys sur toutes sortes de conditions, en prenant tousjours ce qui ap- partient en cas de gain et ce qui appartient en cas de perte, et assignant pour le cas de party la moitié de ces deux sommes.

Voilà une des manières de faire les partys.

Il y en a deux autres, l'une par le Triangle Ari- thmétique, et l'autre par les combinaisons.

�� � 486 OEUVRES

Méthode pour Jaire les partys entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties par le moyen du Triangle Arithmétique.

Avant que de donner cette méthode, il faut faire ce lemme.

Lemme,

Si deux joueurs jouent à un jeu de pur hazard, à condition que, si le premier gagne, il luy appar- tiendra une portion qelconque sur la somme qu'ils jouent, exprimée par une fraction, et que, s'il pert, il luy appartiendra une moindre portion sur la mesme somme, exprimée par une autre fraction : s'ils veulent se séparer sans jouer, la condition du party se trouvera en cette sorte. Soient réduites les deux fractions à mesme dénomination, si elles n'y sont pas ; soit prise une fraction dont le numéra- teur soit la somme des deux numérateurs, et le dé- nominateur double des precedens ; cette fraction exprime la portion qui appartient au premier sur la somme qui est au jeu.

Par exemple, qu'en cas de gain il appartienne

les — de la somme qui est au jeu, et qu'en cas de o

perte, il luy en appartienne — -• Je dis que ce qui luy


appartient en cas de party se trouvera en prenant la somme des numérateurs, qui est 4, et le double du

dénominateur, qui est i o, dont on fait la fraction — »

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 487

Car, par ce qui a esté demonstré au 2. corollaire, il falloit assembler les cas de gain et de perte, et en prendre la moitié ; or la somme des deux fractions

— H- — 65^ — ' qui se fait par l'addition des numéra- teurs, et sa moitié se trouve en doublant le dénomina- teur, et ainsi Von a Ce au il falloit demonstrer.

Or ces règles sont générales et sans exception, quoy qui revienne en cas de perte ou de gain ; car si, par

exemple, en cas de gain, il appartient —, et en cas de perte rien, en réduisant les deuxjractions à mesme dé- nominateur, on aura — pour le cas de gain, et —pour le cas de perte ; donc, en cas de party, il faut cette fraction — , dont le numérateur égale la somme des

autres, et le dénominateur est double du précè- dent.

Ainsi, si en cas de gain il appartient tout, et en cas

de perte — , en réduisant les fractions à mesme déno- mination, on aura — pour le cas de gain, et --^ pour ô o

celuy de la perte ; donc en cas de party, il appar- tient — •


Ainsi, si en cas de gain il appartient tout et en cas de perte rien, le party sera visiblement — ; car le cas

�� � 488 ŒUVRES

de gain est —, et le cas de perte — ; donc le party est — •

2

Et ainsi de tous les cas possibles.

Problesme J. Proposition I.

Estans proposez deux joueurs, à chacun desquels il manque un certain nombre de parties pour achever, trouver par le Triangle Arithmétique le party qu'il faut faire (s'ils veulent se séparer sans Jouer), eu égard aux parties qui manquent à chacun.

Soit prise dans le triangle la base dans laquelle il y a autant de cellules qu'il manque de parties aux deux ensemble : en suite soient prises dans cette base autant de cellules continues à commencer par la première, qu'il manque de parties au premier joueur, et qu'on prenne la somme de leurs nom- bres. Donc il reste autant de cellules qu'il manque de parties à l'autre. Qu'on prenne encore la somme de leurs nombres. Ces sommes sont l'une à l'autre comme les avantages des joueurs réciproquement ; de sorte que si la somme qu'ils jouent est égale à la somme des nombres de toutes les cellules de la base, il en appartiendra à chacun ce qui est contenu en autant de cellules qu'il manque de parties à l'autre ; et s'ils jouent une autre somme, il leur en appartiendra à proportion.

Par exemple, qu'il y ait deux joueurs, au premier desquels il manque deux parties, et à l'autre 4 : il faut trouver le party..

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 489

Soient adjoustez ces deux nombres 2 et 4, et soit leur somme 6 ; soit prise la sixiesme base du Triangle Arithmétique P^, dans laquelle il y a par conséquent six cellules P, M, F, w, S, S. Soient prises autant de cellules, à commencer par la pre- mière P, qu'il manque de parties au premier joueur, c'est à dire les deux premières P, M ; donc il en reste autant que de parties à l'autre, c'est à dire 4, F, 0), S, ^.

Je dis que l'avantage du premier est à l'avantage du second, comme F-f-w-hS-i-^ à P-h-M, c'est à dire que, si la somme qui se joiie est égale à P -h M -h F -h ot) -h- S -+- (î, il en appartient à celuy à qui il manque deux parties la somme des quatre cel- lules (5-f-S-f-w-i-F, et à celuy à qui il manque Ix parties, la somme des deux cellules P-4-M. Et s'ils jouent une autre somme, il leur en appartient à proportion.

Et, pour le dire généralement, quelque somme qu'ils jouent, il en appartient au premier une portion

exprimée par cette traction — ,

^ ^ P-f-M-f-F-hw-H-S-f-fî

dont le numérateur est la somme des 4 cellules de

l'autre et le dénominateur la somme de toutes les

cellules ; et à l'autre une portion exprimée par cette

fraction, — — -, dont le nume-

P-f-M-f-F-hco-i-S-4-^

rateur est la somme des deux cellules de l'autre, et le dénominateur la mesme somme de toutes les cellules.

�� � 490 OEUVRES

Et, s'il manque une partie à l'un, et 5 à l'autre, il appartient au premier la somme des 5 premières cel- lules PH-M-+-F-h(*)-i-S, et à l'autre la somme de la cellule ^.

Et s'il manque 6 parties à l'un, et deux à l'autre, le party s'en trouvera dans la huictiesme base, dans laquelle les six premières cellules contiennent ce qui appartient à celuy à qui il manque deux parties, et les deux autres ce qui appartient à celuy à qui il en manque six ; et ainsi à l'infiny ^ .

Qaoy que cette proposition ait une infinité de cas, je la demonstrerai neantmoins en peu de mots par le moyen de deux lemmes.

Le 1., que la seconde base contient les partis des joueurs auxquels il manque deux parties en tout.

Le 2., que si une base quelconque contient les party s de ceux auxquels il manque autant de parties quelle a de cellules, la base suivante sera de mesme, c'est à dire quelle contiendra aussi les partys des joueurs aux- quels il manque autant de parties qu'elle a de cellules.

D'oà je conclus, en un mot, que toutes les bases du Triangle Arithmétique ont cette propriété : car la

��I, Voici quel serait, en langage moderne, l'énoncé général de cette proposition. Supposons qu'il manque m parties au premier joueur et n au second. Posons m-i-n — i =r. La chance du premier joueur est proportionnelle à

i + r + ît^^H ^r(r-i).--(r-n-f-2)

1-2 (n — i) I

La chance du second joueur est proportionnelle à

I+r + ^ r(r-.)...(r-m+2) .

(m — l) I

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 49i

seconde Va par le premier lemme ; donc, par le second lemnie, la troisiesme l'a aussi, et par conséquent la quatriesme ; et ainsi à Vinfiny, Ce quil Jalloit de- monstrer.

Il Jaut donc seulement desmontrer ces 2 lemmes.

Le I. est évident de luy-mesme; car s'il manque une partie à l'un et une à l'autre, il est évident que leurs conditions sont comme (^ à g, c'est à dire comme ï à i, et qu il appartient à chacun cette Jr action,

qui est — .

La 2. se demonstrera de cette sorte.

Si une base quelconque, comme la quatriesme Dl, contient les partys de ceux à qui il manque quatre par- ties, c'est à dire que, s'il manque une partie au pre- mier, et trois au second, la portion qui appartient au premier sur la somme qui se joue, soit celle qui est

exprimée par cette fraction — =- r» qui a

pour dénominateur la sommme des cellules de cette base, et pour numérateur ses trois premières ; et que, s'il manque deux parties à Van, et deux à l'autre, la frac- tion qui appartient au premier soit — -; et

que, s'il manque trois parties au premier, et une à Vautre, la fraction du premier soit ^ ^ -— - ? etc.

Je dis que la cinquiesme base contient aussi les partys de ceux auxquels il manque cinq parties; et que

�� � 4<)2 ŒUVRES

s'il manque, par exemple, deux parties au premier, et trois à fautive, la portion qui appartient au premier sur la somme qui sejoue, est exprimée par cette frac-

H-f-E-+-G

tion, — p; ^ •

Car pour sçavoir ce qui appartient à deux joueurs à chacun desquels il manque quelques parties, il faut prendre la fraction qui appartiendroit au premier en cas de gain, et celle qui lui appartiendroit en cas de perte, les mettre à mesme dénomination, si elles n'y sont pas, et en former une fraction, dont le numéra- teur soit la somme des deux autres, et le dénomina- teur double de Vautre, par le lemme précèdent.

Examinons donc les J raclions qui appartiendroient à nostre premier joueur en cas de gain et de perte.

Si le premier, à qui il manque deux parties, gagne celle qu'ils vont jouer, il ne luy manquera plus qu'une partie, et à Vautre tousjours trois; donc il leur manque quatre parties en tout : donc, par Vhypothese, leur party se trouve en la hase quatriesme, et il ap- partiendra au premier cette fraction — — •

Si au contraire le premier perd, il luy manquera tousjours deux parties, et deux seulement à Vautre ; donc, par Vhypothese la fraction du premier sera

— Donc en cas de party il appar-

tiendra au premier cette Jr action

D + B-hO + D-l-B, c'est à dire. H + E + G

��aD -I- 2B H- 29 -J- 21 , c'est à dire, H + E + G f-R + p-

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 493

Ce quil Jalloit demonstrer.

Ainsi cela se demonstre entre toutes les autres bases sans aucune dijjerence, parce que le fondement de cette preuve est quune base est tousjours double de sa précédente par la 7. Conséquence, et que, par la dixiesme Conséquence, tant de cellules qu'on voudra d'une mesme base sont égales à autant de la base précé- dente (qui est tousjours le dénominateur de la Jraction en cas de gain) plus encore aux mesme cellules, ex- cepté une (qui est le numérateur de la fraction en cas de perte) ; ce qui estant vray généralement partout, la démonstration sera tousjours sans obstacle et univer- selle,

Problesme 2. Prop. 2,

Estans proposez deux joueurs qui jouent chacun une mesme somme en un certain nombre de parties proposé, trouver dans le Triangle Arithmétique la valeur de la dernière partie sur l'argent du perdante

Par exemple, que deux joueurs jouent chacun trois pistolles en quatre parties : on demande la valeur de la dernière partie sur les 3 pistolles du perdant.

Soit prise la fraction qui a l'unité pour numéra- teur et pour dénominateur la somme des cellules de la base quatriesme, puisqu'on joiie en quatre par- ties : je dis que cette fraction est la valeur de la der- nière partie sur la mise du perdant.

I. Cf. la lettre L\III. Voir page 879, le sens qu'il faut donner à l'expression : valeur d'une partie. Pascal suppose dans ce problème qu'il ne manque plus qu'une partie au premier joueur, le second n'en ayant aucune.

�� � 494 ŒUVRES

Car si deux joueurs jouans en quatre parties, Vun en a trois à point, et qu'ainsi il en manque une au premier, et quatre à l'autre, il a esté demonstré que ce qui appartient au premier pour le gain qu'il a fait de ses trois premières parties, est exprimé par cette frac-

tion — = -;; » qui a pour dénominateur la

Hn-E-i-G-i-R-f-jtJL ^ ^

somme des cellules de la cinquiesme hase, et pour numé- rateur ses quatre premières cellules ; donc, il ne reste sur la somme totale des deux mises que cette fraction

r- — ^1 > laquelle seroit acquise à celuy

H-hE-i-G-h-R-f-jUL ^ ^ j

qui a déjà les trois premières parties en cas qu'il ga- gnas t la dernière ; donc la valeur de cette dernière sur la somme des deux mises est

[X c'est à dire, l'unité.

��H-l-EH-G + R-hfjL, c'est à dire, aD -|- aB + 26 -|- aX .

Or, puisque la somme totale des mises est 2D-4-2B -|-20-f-2X, la somme de chaque mise est D -f- B -I- ô H- ). ; donc la valeur de la dernière partie sur la seule mise du perdant est cette fraction

— — -» double de la précédente, et laquelle

a pour numérateur l'unité, et pour dénominateur la somme des cellules de la quatriesme base. Ce qu'il falloit demonstrer.

JProblesme 3. Prop, 3,

Estans proposez deux Joueurs qui jouent chacun

  • ine mesme somme en un certain nombre de parties

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 495

donné, trouver dans le Triangle Arithmétique la valeur de la première partie sur la mise du perdant ^

Par exemple, que deux joueurs jouent chacun 3 pistolles en quatre parties, on demande la valeur de la première sur la mise du perdant.

Soit adjousté au nombre k le nombre 3, moindre de l'unité, et soit la somme 7 ; soit prise la fraction qui ait pour dénominateur toutes les cellules de la septiesme base, et pour numérateur la cellule de cette base qui se rencontre dans la dividente, sça- Yoir, cette fraction,

P

��Y-t-Q-hK-hp-+-çH-N-+-^

je dis qu'elle satisfait au Problesme.

Car si deux joueurs jouans en quatre parties, le

premier en a une à point, il en restera trois à gagner

au premier, et quatre à Vautre ; donc il appartient au

premier sur la somme des deux mises cette frac-

,. Y-f-Q -4-K-f-p

tion — — — ^— -, qui a pour aeno-

V-i-Q-hK-Hp-i-^H-N-f-î ^ ^

minuteur toutes les cellules de la septiesme hase, et pour numérateur ses quatre premières cellules.

Donc il luy appartient V -+- Q -f- K -f- p sur la somme totale des deux mises, exprimée par V-j-Q-hK-j-p-H-Ç-h-N-i-C; mais cette dernière somme estant l'assemblage de deux mises, il en avoit

��I. On suppose qu'il manque n — i parties au premier joueur et n SM second (n étant le nombre de parties requis pour gagner).

�� � 496 ŒUVRES

mis au jeu la moitié, sçavoir Vh-Q-hKh p (car

Y -I- Q -h K sont égaux à J; -f- N -h Ç).

Donc il a p, c'est à dire w, plus qu'il n'avait en

entrant au jeu ; donc il a gagné sur la somme totale des deux mises une portion exprimée par cette frac- tion — ;: — ; donc il a qaqné

sur la mise du perdant une portion qui sera double de celle-là, sçavoir celle qui est exprimée par cette

fr-action ^. ^ , ^ /^

��V-f-QH-K-f-p-f-î-^N-f-'C Donc le gain de la première partie luy a acquis cette fraction ; donc sa valeur est telle.

Corollaire.

Donc la valeur de la première partie de deux sur

la mise du perdant est exprimée par cette fraction — .

Car en prenant cette valeur suivant la règle qui vient d'en estre donnée, il faut prendre la fraction qui a pour dénominateur les cellules de la troisiesme hase [parce que le nombre des parties en quoy onjoiie est 1, elle nombre moindre de V unité est i, qui avec 2 fait 3), et pour numérateur la cellule de cette base qui est dans la dividente ; donc on aura cette frac-

,1, tion

��Or le nombre de la cellule ^est 2, et les nombres des

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 497

cellules A-h^-^T^, sont i -}- 2 -^ i . Donc on a cette

fraction > c'est à dire—^ c'est à dire — .

I -+-2-J-1 4 2

Donc le gain de la première partie lai a acquis

cette fraction ; donc sa valeur est telle. Ce qu'il falloit

demonstrer.

Problesme 4. Prop. 4.

Estans proposez deux joueurs qui jouent chacun une mesme somme en un certain nombre de parties donné, trouver par le Triangle Arithmétique la va- leur de la seconde partie sur la mise du perdant\

Soit le nombre donné des parties dans lesquelles on joiie, 4 ; il faut trouver la valeur de la deuxiesme partie sur la mise du perdant.

Soit prise la valeur de la première partie par le Problesme précèdent. Je dis qu'elle est la valeur de la seconde.

Car deux joueurs jouant en quatre parties, si l'un

en a deux à point, la fraction qui luy appartient est

P-i-M-HF-ho) cette-cy, — — v:; 7^ r^ qui a pour deno-

-^ P-f-MH-F-h(o-4-S-l-(î ^ ^

minuteur la somme des cellules de la sixiesme base, et pour numérateur la somme des quatre premières ; mais il en avoit mis au jeu cette fraction

P-I-F-+-M

PH-M-f-FH-a)-hS-4-^'

��I, On suppose qu'il manque (n — 2) parties au premier joueur et n au second.

JII — 32

�� � 498 ŒUVRES

sçavoir, la moitié du tout. Donc il luy reste de gain

cette fraction. p^M + F + a. + S q^' 5"' '" mesme chose que celle-cy.

��K-f-p-hc-^N

��donc lia gagné sur la moitié de la somme entière, c'est à dire sur la mise du perdant, cette Jraction

��20

��V-+-Q-H-K-+-p-+-$-HN-f-(:

double de la précédente .

Donc le gain des deux premières parties luy a ac- quis cette fraction sur l'argent du perdant, qui est le double de ce que la première partie lui avoit acquis par la précédente ; donc la seconde partie luy en a autant acquis que la première.

Conclusion.

On peut aisément conclure, par le rapport qu'il y a du Triangle Arithmétique aux partys qui doivent se faire entre deux joueurs, que les proportions des cellules qui ont esté données dans le Traité du Triangle, ont des conséquences qui s'estendent à la valeur des partys, qui sont bien aisées à tirer, et dont j'ay fait un petit discours en traittant des partys, qui donne l'intelligence et le moyen de les estendre plus avant.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE iî9

��USAGE DU TRIANGLE ARITHMETIQUE POUR TROUVER LES PUISSANCES DES BINOMES ET DES APOTOMES

��S'il est proposé * de trouver la puissance quel- conque, comme le quatriesme degré d'un binôme, dont le premier nom soit A, l'autre l'unité, c'est- à-dire qu'il faille trouver le quarré-quarré de A-+- 1, il faut prendre dans le Triangle Arithmétique la base cinquiesme, sçavoir, celle dont l'exposant 5 est plus grand de l'unité que 4, exposant de l'ordre proposé. Les cellules de cette cinquiesme base sont i, 4, 6, 4, I, dont il faut prendre le premier nombre i pour coefficient de A au degré proposé, c'est-à-dire de A* ; en suitte il faut prendre le second nombre de la base, qui est 4, pour coefficient de A au degré pro- chainement inférieur, c'est à dire de A^ et prendre

��I. M, Enestrômse demande dans Ia Bibliotheca Mathematica de 1904 (p. 72-78) comment Jean Bernouilli peut dire, en parlant de la for- mule du binôme de Newton (Opéra omnia, 1742, t. IV, p. 178): « Nous avons trouvé ce merveilleux Théorème, aussi bien que M. New- ton, d'une manière plus simple que la sienne. Feu Mr. Pascal a été le premier qui l'a inventée, » En effet, le même Bernouilli écrit (Opéra omnia, t. I, p. 46o): « Il ne semble pas que M. Pascal lui-même ait compris tout l'usage de sa Table (le triangle arithmétique), une des plus belles propriétés, dont on ne fait pas mention ici, étant que les bandes perpendiculaires expriment les coefficients des puissances d'un binôme. » Et, d'autre part, fait remarquer M. Enestrôm, Pascal n'a donné la formule de Newton que dans le cas où l'exposant du binôme est entier. Faut-il donc supposer, que Bernouilli aurait vu un écrit de Pascal qui serait aujourd'hui perdu ? — Nous ne croyons pas que cette hypothèse soit bien nécessaire : si Pascal n'a pas énoncé la règle du binôme dans toute sa généralité, il a du moins donné les formules qui y conduisent.

�� � .^00 ŒUVRES

le nombre suivant de la base, sçavoir 6, pour coef- ficient de A au degré inférieur, sçavoir AS et le nombre suivant de la base, sçavoir 4, pour coefficient de A au degré inférieur, sçavoir A racine, et prendre le dernier nombre de la base i pour nombre absolu : et ainsi on aura i A^ -j- ^A^ -+- 6A' -4- 4A -+- i qui sera la puissance quarré-quarrée du binôme A-l- I . De sorte que si A (qui représente tout nombre) est l'unité, et qu'ainsi le binôme A -f- i soit le binaire, cette puissance lA' -h /|A' -h 6 A' H- /iA -+- i sera maintenant i.i^-h 4.1^ -f- 6.i^ -\- li.i -h i,

��C'est à dire une fois le quarré-quarré de l'unité A, c'est à dire Quatre fois le cube de i , c'est à dire Six fois le quarré de i , c'est à dire. Quatre fois l'unité, c'est-à-dire. . Plus l'unité

��Qui adjoustez font

Et en effet le quarré-quarré de 2 est i6.

Si A est un autre nombre, comme 4, et partant que le binôme A-t-i soit 5, alors son quarré- quarré sera tousjours, suivant cette méthode,

1 A* -\- 4 A^ -t- 6 A^ -h 4 A -h I , qui signifie mainte- nant

1.4^ + 443 4- 6.42 + /i./l -M,

C'est à dire une fois le quarré quarré de 4 , sçavoir. 256

Quatre fois le cube de 4 , sçavoir. . . 256

Six fois le quarré de 4 9^

Quatre fois la racine 4 i6

Plus l'unité I

dont la somme 626

fait le quarré-quarré de 5 : et eu effet le quarré- quarré de 5 est 626.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 501

Et ainsi des autres exemples. Si on veut trouver le mesme degré du binôme A -h 2 , il faut prendre de mesme

iA^H-U34-6A2-h4A-f-i,

et en suit te écrire ces quatre nombres, 2, 4, 8, 16, qui sont les quatre premiers degrez de 2 , sous les nombres /J, 6, 4, i ; c'est à dire sous chacun des nombres delà base, en laissant le premier en cette sorte

lA* -h 4A3 -f- 6A2 + /iAi + I 2 4 8 16

et multiplier les nombres qui se repondent l'un par

l'autre

lA* + 4A.3 + 6A2 + 4A1 + I 2 4 8 16.

en cette sorte lA'^ + 8A3 -f- 24A2 + 32k^ -+- 16

Et ainsi on aura le quarré-quarré du binôme A -h 2 ; de sorte que si A est l'unité, ce quarré-quarré sera tel:

Une fois le quarré-quarré de l'unité A . . i

Huit fois le cube de l'unité 8

25, i^ 24

82 , 1 82

Plus 16

Dont la somme 81

��sera le quarré-quarré de 3. Et en elTect 8i est le carré carré de 3.

�� � 502 ŒUVRES

Et si A est 2, alors A-}- 2 sera 4, et son quarré- quarré sera

Une fois le quarré-quarré de A ou de 2, sçavoir.. 16

8,23 64

2^, 32 96

32 , 2 64

Plus le quarré-quarré de 2 16

dont la somme 256

sera le quarré-quarré de 4.

De la mesme manière on trouvera le quarré- quarré de A -h 3, en mettant de la mesme sorte

A*_^ [iA'-\- ôA^-f- iA-h I et au-dessous les nombres 3 9 27 81

iA^-H-i2A^-4-5/iA'-^io8A-f-8i qui sont les 4 premiers devrez de 3 ; et multipliant les nombres correspondans, on trouvera le quarré- quarré de A -h 3 .

Et ainsi à l'infmy. Si au lieu du quarré-quarré on veut le quarré-cube, ou le cinquiesme degré, il faut prendre la base sixiesme et en user comme j'ay dit de la cinquiesme et ainsi de tous les autres degrez.

On trouvera de mesme les puissances des apo- tomes A — i, A — 2, etc. La méthode en est toute semblable, et ne diffère qu'aux signes, car les signes de + et de — se suivent tousjours alternativement, et le signe de -h est tousjours le premier.

Ainsi le quarré-quarré de A — i se trouvera de cette sorte. Le quarré-quarré de A-hi est par la règle

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 503

précédente i A* -\- 4A^ 4- 6A^ + 4A H- t . Donc en changeant les signes comme j'ay dit, on aura I A* — /iA^ + 6A^ — iA 4- I . Ainsi le cube de A — 2 se trouvera de mesme. Car le cube de A H- 2, par la règle précédente, est A^-f-6A^H- 12A-I-8. Donc le cube de A — 2 se trouvera en changeant les signes A^ — 6A^H- 12A — 8. Et ainsi àl'infiny.

Je ne donne point la démonstration de tout cela, parce que d'autres en ont déjà traitté, comme Heri- gogne\ outre que la chose est évidente d'elle-mesme.

I. Vide supra, p. A4o.

�� � TRAITE DES ORDRES NUMERIQUES

Je présuppose qu’on a vu le Traitté du Triangle Arithmétique, et son usage pour les Ordres Numériques ; autrement j’y renvoyé ceux qui veulent voir ce discours, qui en est proprement une suitte.

J’y ay donné la définition des ordres numériques, et je ne la repeteray pas.

J’y ay montré aussi que le Triangle Arithmétique n’est autre chose que la table des ordres numériques ; en suitte de quoy il est évident que toutes les proprietez qui ont esté données dans le Triangle Arithmétique entre les cellules ou entre les rangs, conviennent aux ordres numériques : de sorte que si peu qu’on ayt l’art d’appliquer les proprietez des uns aux autres, il n’y a point de proposition dans le Traitté du Triangle qui n’ayt pas ses conséquences touchant les divers ordres. Et cela est tout ensemble et si facile et si abondant que je suis fort esloigné de vouloir tout donner expressément ; j ’aymerois mieux laisser tout à faire, puisque la chose est si aysée ; mais pour me tenir entre ces deux extre mitez, j’en donneray seulement quelques exemples, qui ouvriront le moyen de trouver tous les autres.

Par exemple : de ce qui a esté dit dans une des Conséquences du Traitté du Triangle, que chaque cellule égale celle qui la précède dans son rang paTRAITÉ DES ORDRES NUiMÉRIQUES 505

rallele, plus celle qui la précède dans son rang per- pendiculaire, j'en forme cette proposition touchant les ordres numériques.

Proposition 1,

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, égale celuy qui le précède dans son ordre, plus son cor- radical de Tordre précèdent. Et par conséquent, le quatriesme, par exemple, des pyramidaux égale le troisiesme pyramidal, plus le quatriesme triangulo- triangulaire. Ainsi le cinquiesme triangulo-triangu- laire égale le quatriesme triangulo-triangulaire, plus le cinquiesme pyramidal, etc.

Autre exemple. De ce qui a esté monstre dans le Triangle : que chaque cellule, comme F, égale E-|-B-t-']^-|-(7, c'est à dire celle qui la précède dans son rang parallèle, plus toutes celles qui précèdent celte précédente dans son rang perpendiculaire, je l'orme cette proposition.

Proposition 3.

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, égale tous ceux tant de son ordre que de tous les précé- dons, dont la racine est moindre de Punité que de la sienne, et partant le quatriesme des pyramidaux, par exemple, égale le troisiesme des pyramidaux, plus le troisiesme des triangulaires, plus le troisiesme des naturels, plus le troisiesme des unités, c'est à dire l'unité.

�� � 506 ŒUVRES

D'où on peut maintenant tirer d'autres consé- quences, comme celle-cy que je donne pour ouvrir le chemin à d'autres pareilles.

Proposition 3,

Chaque nombre, de quelque cellule que ce soit, est composé d'autant de nombres qu'il y a d'ordres depuis le sien jusqu'au premier inclusivement, cha- cun desquels nombres est de chacun de ces ordres. Ainsi un triangulo-triangulaire est composé d'un autre triangulo-triangulaire, d'un pyramidal, d'un triangulaire, d'un naturel et de l'unité.

Et si on en veut faire un problesme, il pourra s'énoncer ainsi.

Proposition 4. Problesme,

Estant donné un nombre d'un ordre quelconque, trouver un nombre dans chacun des ordres depuis le premier jusqu'au sien inclusivement, dont la somme égale le nombre donné.

La solution en est facile : il faut prendre dans tous ces ordres les nombres dont la racine est moindre de l'unité que celle du nombre donné.

Autre exemple. De ce que les cellules correspon- dantes sont égales entr' elles, il se conclud :

Proposition 5.

Que deux nombres de differens ordres sont égaux

�� � TRAITÉ DES ORDRES NUMÉRIQUES 507

entr'eux, si la racine de l'un est le mesme nombre que Texposant de l'ordre de l'autre. Et partant, le troisiesme pyramidal est égal au quatriesme trian- gulaire. Le cinquiesme du huictiesme ordre est le mesme que le huictiesme du cinquiesme ordre. On n'auroit jamais achevé. Par exemple :

Proposition 6,

Tous les quatriesmes nombres de tous les ordres sont les mesmes que tous les nombres du quatriesme ordre, etc.

Parce que les rangs parallèles et perpendiculaires qui ont un mesme exposant sont composez de cellules toutes pareilles.

Par cette méthode, on trouvera un rapport admi- rable en tout le reste, comme celuy-cy :

Proposition 7.

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, est au prochainement plus grand dans le mesme ordre, comme la racine du moindre est à cette mesme ra- cine Jointe à l'exposant de l'ordre, moins l'unité.

Ce qui s'ensuit de la quatorziesme conséquence du triangle, oii il est monstre que chaque cellule est à celle qui la précède dans son rang parallèle comme l'exposant de la base de cette précédente à l'exposant de son rang perpendiculaire.

Et afin de ne rien cacher de la manière dont se tirent ces correspondances, j'en monstreray le rap-

�� � SOS ŒUVRES

port à découvert : il est un peu plus difficile ici que tantosl, parce qu'on ne void point de rapport de la base des triangles avec les ordres des nom- bres ; mais voicy le moyen de le trouver. Au lieu de V exposant de la base dontj'ay parlé dans cette qua- torziesme conséquence, il faut substituer l'exposant du rang parallèle , plus l'exposant du rang perpendicu- laire moins Vanité. Ce qui produit le mesme nombre, et avec cet avantage qu'on connoist le rapport qu'il y a de ces exposans avec les ordres numériques : car on sçait qu'en ce nouveau langage, il faut dire: l'ex^ posant de l ordre plus la racine, moins V unité. Je dis tout cecy, afin de faire toucher la méthode pour faire et et pour faciliter ces réductions. Ainsi on trouvera que :

Proposition 8.

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, est à son corradical de l'ordre suivant, comme l'exposant de l'ordre du moindre est à ce mesme exposant joint à leur racine commune moins l'unité.

C'est la i3^ conséquence du Triangle. Ainsi on trouvera encore que :

Proposition 9.

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, est à celuy de l'ordre précèdent, dont la racine est plus grande de l'unité que la sienne, comme la racine du premier à l'exposant de l'ordre du second.

�� � TRAITÉ DES ORDRES NUMÉRIQUES 509

Ce n'est que la mesme chose que la douziesme conséquence du Triangle Arithmétique

J'en laisse beaucoup d'autres, chacune desquelles, aussi bien que de celles que je viens de donner, peut encore estre augmentée de beaucoup par de diffé- rentes enonciations : car au lieu d'exprimer ces pro- portions comme j'ay fait, en disant qaiin nombre est à an autre comme an troisiesme à an qaatriesme, ne peut-on pas dire que le rectangle des extrêmes est égal à celay des moyens? et ainsi multiplier les proposi- tions ? et non sans utilité ; car estans regardées d'un autre costé, elles donnent d'autres ouvertures.

Par exemple, si on veut tourner autrement cette dernière proposition, on peut l'énoncer ainsi :

Proposition 10.

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, estant multiplié par la racine précédente, égale l'exposant de son ordre multiplié par le nombre de Tordre sui- vant procédant de cette racine.

Et parce que, quand quatre nombres sont pro- portionnaux, le rectangle des extrêmes ou des moyens, estant divisé par un des deux autres, donne pour quotient le dernier, on peut dire ainsi :

Proposition 11,

Un nombre, de quelque ordre que ce soit, estant multiplié par la racine précédente et divisé par rexposant de son ordre, donne pour quotient le

�� � 510 ŒUVRES

nombre de Tordre suivant qui procède de cette racine.

Les manières de tourner une mesme chose sont infinies : en voicy un illustre exemple, et bien glo- rieux pour moi. Cette mesme proposition que je viens de rouler en plusieurs sortes, est tombée dans^ la pensée de nostre célèbre conseiller de Toulouze, Monsieur de Fermât ; et, ce qui est admirable, sans qu'il m'en eust donné la moindre lumière, ny moy à luy, il écrivoit dans sa Province ce que j 'inventois à Paris, heure pour heure, comme nos lettres escrites et receûes en mesme temps le témoignent. Heureux d'avoir concouru en cette occasion, comme j'ay fait encore en d'autres d'une manière tout à fait estrange, avec un homme si grand et si admi- rable, et qui, dans toutes les recherches de la plus sublime géométrie, est dans le plus haut degré d'ex- cellence, comme ses ouvrages, que nos longues prières ont enfin obtenus de luy, le feront bientost voir à tous les géomètres de l'Europe, qui les atten- dent ! La manière dont il a pris cette mesme propo- sition est telle :

En la progression naturelle qui commence par Vunitèy un nombre quelconque estant mené dans le prochainement plus grand, produit le double de son triangle.

Le mesme nombre, estant mené dans le triangle du prochainement plus grand, produit le triple de sa pyramide»

Le mesme nombre mené dans la pyramide du prochainement plus grand, produit le quadruple de son triangulo-triangulaire ; et ainsi à l'infiny, par une méthode générale et uniforme.

�� � Voilà comment on peut varier les enonciations. Ce que je monstre en cette proposition s’entendant de toutes les autres, je ne m’arresteray plus à cette manière accommodante de traitter les choses, laissant à chacun d’exercer son génie en ces recherches où doit consister toute l'estude des géomètres : car si on ne sçait pas tourner les propositions à tous sens, et qu’on ne se serve que du premier biais qu’on a envisagé, on n’ira jamais bien loing : ce sont ces diverses routes qui ouvrent les conséquences nouvelles, et qui, par des enonciations assorties au Sujet, lient des propositions qui sembloient n’avoir aucun rapport dans les termes où elles estoient conceües d’abord. Je continuerai donc ce sujet en la manière dont on a accoustumé de traitter la Géométrie, et ce que j’en diray sera comme un nouveau Traitté des ordres numériques ; et mesme je le donneray en Latin, parce qu’il se rencontre que je l’ay escrit ainsi en l’inventant. DE NUMERICIS ORDINIBUS TRAGTATUS

Trianguli Arithmetici tractatum, ipsiusque circa numericos ordines usum, supponit tractatus iste, ut & plerique è sequentibus : hue ergo mittitur lector horum cupidus ; ibi noscet quid sint ordines nume- rici, nempe unitates, numeri naturales, trianguli, pyramides, triangulo-trianguli, &c. Quae cum perle- gerit, facile haec assequetur.

Hic propriè ostenditur connexio inter numerum cujusvis ordinis cum sua radiée & exponente sui ordinis, quae talis est ut, ex bis tribus datis duobus quibuslibet, tertius inveniatur. Verbi gratiâ, data radice& exponente ordinis, numerus ipse datur; sic, dato numéro & sui ordinis exponente, radix elicitur; necnon ex dato numéro & radiée, exponens ordinis invenitur : haec constituunt Tria priora problemata : quartum de summâ ordinum agit.

��DE KUMERICORUM ORDINUM COMPOSITIONE

Problema 1.

Datis numeri cujuslibet radice & exponente or- dinis, componere numerum.

�� � TRAITÉ DES ORDRES NUMÉRIQUES

Dans ce traité et dans la plupart des suivants on suppose connus le Traité du triangle arithmétique et l'Usage du triangle arithmétique pour les ordres numériques : j'y renvoie le lecteur curieux de ce sujet : il trouvera là la définition des ordres numé- riques, savoir des unités, nombres naturels, trian- gulaires, pyramidaux, triangulo-triangulaires, etc., — définitions qu'il s'assimilera sans peine à pre- mière lecture.

Ici, on se propose en particulier de déterminer la relation qui existe entre un nombre d'ordre quel- conque, sa racine et l'exposant de son ordre. Grâce à cette relation on peut, lorsque deux de ces trois éléments sont donnés, trouver le troisième. Par exemple on peut déterminer un nombre, connais- sant sa racine et l'exposant de son ordre ; ou, con- naissant un nombre et l'exposant de son ordre, trou- ver la racine ; ou déterminer l'exposant de l'ordre d'un nombre connaissant ce nombre et sa racine. Nous allons d'abord résoudre ces trois problèmes . nous traiterons, en quatrième lieu, de la sommation des nombres des divers ordres numériques.

COMPOSITION DÉS ORDRES NUMÉRIQUES JProblème 1. Trouver un nombre, connaissant sa racine et l'exposant de son ordre.

III - 33

�� � 514 ŒUVRES

Productus numerorum qui prœcedû'àî radicem dividat productum totidem numerorum quorum primus sit exponens ordinis: Quotiens erit qusesitus numerus.

Propositum sit invenire numerum ordinis verbi gratiâ tertii, radicis verà quintse.

Productus numerorum 1, 2, 3, 4, qui prœcedunt radicem 5, nempe 24, dividat productum totidem. numerorum continuorum 3, 4, 5, 6, quorum, pri- mus sit exponens ordinis 3, nempe 360: Quotiens 15 est numerus quœsitus.

Nec difFicilis demonstratio : eâdem enim prorsus constructione, inventa est, ad finem tractatus Triang. Arith., celiulaquintae serieiperpendicularis, tertiœ vero seriei parallelse ; cujus cellulae numerus idem est ac numerus quintus ordinis tertii, qui quseritur.

Potest autem & sic resolvi idem problema. Productus numerorum qui prœcedunt exponen- tem ordinis dividat productum totidem numerorum continuorum quorum primus sit radix: Quotiens est quœsitus.

Sic, in proposito exemple, productus numerorum 1,2, qui prœcedunt exponentem ordinis 3, nempe 2, dividat productum totidem numerorum 5, 6, quo- rum primus sit radix 5, nempe 3o. Quotiens, i5, est numerus qusesitus.

Nec difFert hsec constructio à praecedente, nisi in hoc solo, quod in altéra idem fit de radice, quod fit in altéra de exponente ordinis : perindè ac si idem esset invenire, quintum numerum ordinis tertii, ac tertium numerum ordinis quinti ; quod quidam verum esse jam ostendimus.

�� � Considérons le produit des nombres naturels qui précèdent la racine donnée, et, d’autre part, le produit d’un nombre égal de facteurs consécutifs dont le premier soit l’exposant proposé : le quotient du deuxième produit par le premier sera le nombre demandé.

Soit, par exemple, proposé de trouver le nombre du troisième ordre dont la racine est 5.

Par le produit 24 des nombres 1, 2, 3, 4 inférieurs a 5, on divisera le produit 360 des quatre facteurs consécutifs 3, 4, 5, 6, dont le premier, 3, est l’exposant de l’ordre: le quotient 15 sera le nombre cherché.

La démonstration de cette règle est aisée. Le calcul ne diffère pas en effet de celui qui a été fait à la fin du Traité du triangle arithmétique pour trouver la cellule commune au cinquième rang perpendiculaire et au troisième rang parallèle : le nombre de cette cellule est précisément le nombre du troisième ordre qui a pour racine 5.

Le même problème peut encore être résolu comme il suit :

Considérons le produit des nombres qui précèdent l’exposant de l’ordre et, d’autre part, le produit d’un nombre égal de facteurs consécutifs dont le premier soit la racine proposée : le quotient du deuxième produit par le premier sera le nombre demandé.

Dans le cas de l’exemple cité plus haut, on divisera par le produit 2 des nombres i, 2 qui précèdent l’exposant de l’ordre 3, le produit 30 des deux facteurs 5,6. dont le premier est la racine donnée 5 : le quotient 15 sera le nombre cherché.

Cette seconde règle ne diffère de la première que 51G ŒUVRES

Hinc autem obiter colligere possumus arcanum numericum : cùm enim ambo illi quotientes 1 5 sint iidem, constat divisores esse inter se ut dividendes. Animadvertemus itaque :

Si sint duo quilibet numeri, prodactus omnium nu- merorum primum ex amhohus propositis prœceden- tium, est ad productum totidem numerorum quorum primus est secundus ex his ambobus, ut productus ex omnibus qui prœcedunt secundum ex illis ambobus ad productum totidem numerorum continuorum quo- rum primus est primus ex iis ambobus propositis.

Hœc qui prosequeretur, & demonstraret, & novi fortassis tractatus materiam reperiret : nunc autem quia extra rem nostram sunt, sic pergimus.

��DE NUMERICORUM ORDINUM RESOLUTIONE

JProblema 2.

Dato numéro, ac exponente sui ordinis, invenire radicem.

Potest autem et sic enuntiari.

Dato quolibet numéro, invenire radicem maximi numeri ordinis numerici cujuslibet propositi, qui in dato numéro contineatur,

Sit datus numerus quilibet, v. g., 58, ordo verà numericus quicumque propositus, v, g-.,sextus. Opor- tet igitur invenire radicem sexti ordinis numeri, 58.

Exhibeatur ex unâ Et continub Exponatur ex alte- parte exponens ordi- râ parte numerus

nis, 6, datus, 58.

�� � DE NUMERICIS ORDINIBUS TRACTATUS 517

par la substitution de la racine à l'exposant de l'or- dre : en sorte que déterminer le cinquième nom- bre du troisième ordre revient à déterminer le troi- sième nombre du cinquième ordre : effectivement, nous avons déjà constaté que ces deux nombres sont égaux.

Nous pouvons tirer de là, en passant, un théo- rème d'arithmétique. Puisque les deux quotients i5 sont égaux, les deux dividendes doivent être dans le même rapport que les deux diviseurs. D'où l'énoncé :

Deux nombres quelconques étant donnés, le produit de tous les nombres naturels qui précèdent le premier est au produit d'un nombre égal de facteurs consécu- tifs commençant par le second, comme le produit de tous les nombres naturels qui précèdent le second est au produit d'un nombre égal de facteurs consécutifs commençant par le premier.

En poursuivant et démontrant les conséquences de ce principe on trouverait peut-être la matière d'un nouveau traité : mais nous ne nous y arrêterons pas plus longtemps, afin de ne pas nous écarter de notre sujet.

RÉSOLUTION DES ORDRES NUMÉRIQUES Problème 2.

Étant donné un nombre et Texposant de son ordre, trouver sa racine.

Le problème peut encore être énoncé comme il suit :

�� � 318 ŒUVRES

Multiplicetur ipse Et contimo Multiplicetur îpse 6 per numerum 7, numerasperS, sitque

proximèmajoremsit' productus, 116.

que productus, 4â.

Multiplicetur iste Et contimo Multiplicetur ipse productus per pro- productus per pro-

ximè sequentem mul- ximè sequentem mul-

tiplicatorem 8,sitque tiplicatorem3,sitque

productus, 336. productus, 348.

Multiplicetur iste Et contimo Multiplicetur iste productus per pro- productus per pio-

ximè sequentem mul- ximè sequentem mul-

tiplicatorem 9,sitque tiplicatorem4,sitque

productus, 3024. productus, 1392.

Et sic in inïlnitum, donec ultimus productus exponentis 6, nempe 3024, major évadât quam ultimus productus numeri dati, nempe, 1392; et tune absoluta est operatio: ultimus enim multipli- cator dati numeri, nempè 4, est radix quse quœre- batur.

Igitur dico numerum sexti ordinis cujus radix est 4, nempe 56, maximum esse ejus ordinis qui in nu- méro dato contineatur ; seu dico numerum sexti or- dinis cujus radix est 4, nempe 56, non esse majo- rem dato numéro 58 ; numerum verô ejusdem ordi- nis proximè majorem, seu cujus radix est 5, nempe 126, esse majorem numéro dato, 58.

Etenim productus ille ultimus numeri dati, nempe 1892, factus est ex numéro dato, 58, multiplicato per productum numéro rum, i, 2, 3, 4, nempe 2^ ; productus verô praecedens hune ultimum, nempe 348, factus est ex numéro dato, 58, multiplicato per productum numerorum 1,2, 3, nempe 6.

Ergô productus numerorum 6, 7, 8, non est major producto numerorum i, 2, 3, multiplicato

�� � Étant donné un nombre quelconque, trouver la racine du plus grand nombre (appartenant à un ordre numérique donné quelconque) que contient le nombre proposé.

Soit proposé un nombre quelconque, par exemple 58, et soit donné, également, un ordre numérique arbitraire, par exemple le sixième. Il s’agit de trouver la racine du sixième ordre du nombre 58.

Considérons d’une part l’exposant de l'ordre, 6.

puis

Prenons d’autre part le nombre donné, 58.

Multiplions-le par le nombre immédiatement supérieur, 7 le produit est 42.

puis

Multiplions-le par 2, le produit est 116.


Multiplions ce produit par le multiplicateur suivant, 8: nous obtenons, 336.

Multiplions ce produit par le multiplicateur suivant, 3 : le produit est 348.

Multiplions ce produit par le multiplicateur suivant, 9 : nous obtenons, 3024.

Multiplions ce produit par le multiplicateur suivant, le produit est 1392.

On continue ainsi jusqu’à ce que l’on obtienne un multiple, 3024, de l’exposant 6, supérieur au multiple correspondant, 1392, du nombre donné. L’opération est alors achevée, et le dernier multiplicateur, 4, du nombre donné, 4, est la racine cherchée.

Ainsi, je dis que le nombre du sixième ordre qui a pour racine 4, savoir 56, est le plus grand nombre de cet ordre que contienne le nombre proposé ; je dis, en d’autres termes, que le nombre du sixième ordre dont la racine est 4, savoir 56, n’est pas supérieur au nombre donné, 58, tandis que le nom 520 ŒUVRES

per 58. Productus verô numerorum 6, 7, 8, 9 est major producto numerorum i, 2, 3, l\, multiplicato per 58, ex constructione.

Jàm numerus ordinis sexti cujus radix est /|, nempe 56, multiplicatus per numéros i, 2, 3, aequatur producto numerorum 6, 7, 8, ex dé- mon stratis in tractatu de ordinibus numericis. Sed productus numerorum 6, 7, 8, non est major ex ostensis producto numerorum i, 2, 3, multiplicato per datum 58. Igitur productus nume- rorum 1,2, 3, multiplicatus per 56, non est major quam idem productus numerorum 1, 2, 3, multi- plicatus per datum 58. Igitur 56 non est major quam 58.

Jam sit 126, numerus ordinis sexti cujus radix est 5. Igitur ipse 126, multiplicatus per productum numerorum 1, 2, 3, 4, aequatur producto numero- rum 6, 7, 8, 9, ex tractatu de ord. numer. Sed productus ille numerorum 6, 7, 8, 9, est major quam numerus datus 58 multiplicatus per produc- tum numerorum i, 2, 3, l\, ex ostensis. Igitur, nu- merus 126, multiplicatus per productum numero- rum I, 2, 3, 4, est major quam numerus datus 58 multiplicatus per eumdem productum numero- rum I, 2, 3, ^. Igitur numerus 126 est major quam numerus datus 58.

Ergo numerus 56 sexti oràinis cujus radix est 4, non est major quam numerus datus ; numerus verô 126, ejusdem ordinis cujus radix 5 est proximè ma- jor, major est quam datus numerus.

�� � nombre suivant du même ordre (savoir celui, 126, dont la racine est 5) surpasse 58.

En effet : le dernier multiple du nombre donné, 1392, est égal au nombre donné, 58, multiplié par le produit 24 des facteurs 1, 2, 3, 4 ; de même, le multiple précédent, 348, est égal au nombre 58, multiplié par le produit 6 des facteurs 1, 2, 3.

Nous concluons donc de nos calculs que le produit des nombres 6, 7, 8 ne surpasse pas le produit 1 X 2 X 3, multiplié par 58, tandis que le produit des nombres 6, 7, 8, 9 est supérieur au produit 1 X 2 X 3 X 4, multiplié par 58.

Or, il a été démontré dans le Traité des Ordres numériques que le nombre du sixième ordre dont la racine est 4, savoir 56, multiplié par 1 X 2 X 3, donne un produit égal au produit des facteurs 6, 7, 8. Nous venons de voir, d’autre part, que le produit des nombres 6, 7, 8 ne surpasse pas le produit 1 X 2 X 3, multiplié par le nombre donné, 58. Donc le produit 1 X 2 X 3, multiplié par 56, est inférieur au nombre 58, multiplié par le produit 1 X 2 X 3 : en d’autres termes, 56 est inférieur à 58.

Considérons maintenant le nombre 126, nombre du sixième ordre dont la racine est 5. Le produit de ce nombre par 1 X 2 X 3 X 4 est égal, d’après le traité des ordres numériques, au produit des nombres 6, 7, 8, 9. Mais ce dernier produit surpasse le produit de 58 par les facteurs successifs 1, 2, 3, 4. Donc le nombre 126, multiplié par 1 X 2 X 3 X 4 est supérieur au nombre donné, 58, multiplié, lui 522 ŒUVRES

Ergo ipse numerus 56, maximus est ejus ordinis qui in dato continealur & ejus radix 4 inventa est.

Q. E. F. E. D.

��DE NUMERICORUM ORDINUM RESOLUTIONE

Problema 3,

Dato quolibet numéro, Sz ejus radice, invenire ordinis exponentem.

Non differt hoc problema à praecedente ; radix enim et exponens ordinis reciprocè convertuntur, ita ut dato numéro, v. g., 58, et ejus radice 4» re- perietur exponens sui ordinis 6, eâdem methodo ac si dato numéro ipso, 58, et exponente ordinis ^, radix 6 esset invenienda ; quartus enim numerus sexti ordinis idem est ac sextus qaarti, ut jam de- monstratum est.

��DE NUMERICORUM ORDINUM SUMMA

Problema 4. Propositi cujuslibet ordinis numerici tôt quot

�� � DE NUMERICIS ORDINIBUS TRAGTATUS 523

aussi, par iX2X3x4. Donc, enfin, 126 est plus grand que 58.

En résumé, le nombre 56, nombre du sixième ordre dont la racine est 4, est inférieur au nombre donné; au contraire, le nombre 126 (nombre du même ordre dont la racine 5 est immédiatement su- périeure) lui est supérieur.

On en conclut que 56 est le plus grand nombre du sixième ordre que contienne le nombre donné ; et l'on en déduit la valeur, 4, de la racine cher- chée.

RÉSOLUTION DES ORDRES NUMÉRIQUES Problème 3,

Étant donné un nombre quelconque et sa racine, trouver l'exposant de son ordre.

Ce problème ne difFère pas du précédent. Il y a en effet réciprocité entre la racine et l'exposant de l'ordre : la même méthode permet, étant donné un nombre, par exemple 58, et sa racine 4, de trouver l'exposant de son ordre 6, — ou, au contraire, étant donné le nombre 58 et l'exposant 4, de trouver la racine 6. C'est là une conséquence de ce fait que le quatrième nombre du sixième ordre coïncide avec le sixième nombre du quatrième ordre, ainsi qu'il a été démontré.

SOMMATION DES NOMBRES NUMÉRIQUES

Problème 4. Étant donné un ordre numérique quelconque,

�� � 524 ŒUVRES

imperabitur priorum numerorum summam inve-

nire.

Propositum sit invenire summam quinque, v. g., priorum. numerorum ordinis, verbi gratiâ sexti.

Inveniatur ex prœcedente numerus quintus (quia qu'inqne priorum numerorum summa requiritur) ordi- nis septimi, nempe ejus qui propositum sextum proximè sequitur : ipse satisfaciet problemati.

Namericorum enim ordinum generatio talis est ut numerus cujusvis ordinis œquetur summae corum omnium ordinis praecedentis quorum radiées non sunt sua majores ; ita ut quintus septimi ordinis aequetur, ex naturâ et generatione ordinum, quinque prioribus numeris sexti ordinis, quod difficultate caret.

Conclusio.

Methodus quâ ordinum resolutionem expedio est generalissima ; verum ipsam diii quaesivi ; quae prima sese obtulit ea est.

Si dati numeri quœrebatur radix tertii ordinis, ita procedebam. Samatur duplum numeri propositi, istias dupli radix quadrata inveniatar : hœc quœsita est, aut saltem ea quœ unitate minor erit.

Si dati numeri quseritur radix quarti ordinis Multiplicetar numerus datas per 6, nempe per pro- ductum numerorum i, 2, 3; producti inveniatur radix cubica ; ipsa, aut ea quae unitate minor est, satisfaciet.

Si dati numeri quaeritur radix quinti ordinis Multiplicetur datas numerus per 2 4, nempe per pro- ductum numerorum i, 2, 3, Ix, productique inveniatur

�� � DE NUMERICIS ORDINIBUS TRACTATUS 52.^

trouver la somme des premiers nombres de cet ordre jusqu'à l'un quelconque d'entre eux.

Soit proposé, par exemple, de trouver la somme des cinq premiers nombres du sixième ordre.

Cherchons, d'après ce qui précède, le cinquième nombre (puisque c'est la somme des cinq premiers nombres qui est requise) du septième ordre (c'est-à- dire de l'ordre qui suit le sixième : ce nombre est la somme demandée.

En effet, les nombres des divers ordres sont for- més de telle façon que l'un quelconque d'entre eux est égal à la somme de tous les nombres de l'ordre précédent dont la racine ne surpasse point sa propre racine ; ainsi, le cinquième nombre du septième or- dre est égal (d'après la nature et la génération des ordres numériques) à la somme des cinq premiers nombres du sixième ordre : on le voit sans diffi- culté.

Conclusion.

La méthode que j'ai donnée pour la résolution des ordres numériques est tout à fait générale. Ce- pendant je ne l'ai trouvée qu'après bien des recher- ches. Voici celle qui m'était d'abord venue à l'es- prit :

Pour trouver la racine d'un nombre donné appar- tenant au troisième ordre numérique, je procédais ainsi : je prenais le double du nombre donné et j'en extrayais la racine carrée : cette racine carrée est la racine cherchée ou la surpasse d'une unité.

Soit à trouver, d'autre part, la racine d'un nom- bre donné du quatrième ordre : pour l'obtenir, on

�� � 52t) ŒUVRES

radix l\. gracias : ipsa, anitate minuta, satisfaciet problemati.

Et ità reliquorum ordinum radiées quserebam, construetione non generali, sed cuique propriâ or- dini ; nec tamen ideô mihi omninô displicebat ; illa enim quâ resolvuntur potestates non generalior est ; aliter enim extrahitur radix quadrata, aliter cubica, etc., quamvis ab eodem principio viae illae différentes procédant. Ut ergo nondum generalis potestatum resolutio data erat, sic et vix generalem ordinum resolutionem assequi sperabam : conatus tamen expectationem superantes eam quam tradidi prsebue- runt generalissimam, et quidem amicis meis, uni- versalium solutionum amatoribus doctissimis, gra- tisssimam ; à quibus excitatus et generalem potes- tatum purarum resolutionem tentare, ad instar gene- ralis ordinum resolutionis, obtemperans quaesivi, et sati« féliciter mihi contigit reperisse, ut infrà videbitur.

�� � DE NUMERICIS ORDINIBUS TRACTATUS 527

maltiplie le nombre donné par 6, c'est-à-dire par I X 2 X 3 : puis on extrait la racine cubique du pro- duit : cette racine est égale à la racine cherchée ou la surpasse d'une unité.

Soit encore à trouver la racine d'un nombre donné du cinquième ordre : on multiplie le nombre donné par 2 4, c'est-à-dire par iX2X3x4 ; puis on extrait la racine quatrième du produit : cette racine surpasse d'une unité la racine cherchée.

Et de même pour les ordres suivants : je cherchais ainsi les racines non pas suivant une règle générale mais suivant une règle appropriée à chaque ordre particuHer. Cependant ce défaut ne me paraissait pas rédhibitoire. La méthode qui sert à la résolution des puissances n'est-elle pas tout aussi dépourvue de généralité? Pour extraire une racine carrée, une racine cubique, etc., on suit des règles qui sont dif- férentes, quoique déduites du même principe. Puis donc qu'on ne connaît pas encore de règle générale pour la résolution des puissances, je n'osais guère espérer en trouver une pour la résolution des ordres : mais le résultat de mes efforts a dépassé mon attente, et j'ai trouvé la méthode que j'ai exposée plus haut, méthode tout à fait générale, et qui fut fort goûtée de mes savants amis, amateurs de solutions univer- selles. Ce sont eux qui m'ont conseillé de tenter une résolution générale des puissances numériques à l'instar de la résolution générale des ordres. J'ai suivi leur avis, et je n'ai pas trop mal réussi, ainsi qu'on pourra s'en rendre compte plus bas.

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUGTIS

Seu de numeris qui producuntur ex multiplicatione numerorum série naturali procedentium.

��Numeri qui producuntur ex multiplicatione numerorum continuorum à nemine, quod sciam, examinât! sunt. Ideo nomen eis impono, nem^^o prodadi continuorum.

Sunt autem qui ex duorum multiplicatione for- mantur, ut iste, 20, qui ex 4 in 5 oritur, et possent dici secundœ speciei.

Sunt qui ex trium multiplicatione formantur, ut iste 120, qui ex 4 in 5 in 6 oritur, et dici possent tertiae speciei.

Sic quartœ speciei dici possent qui ex quatuor nu- merorum continuorum multiplicatione formantur, et sic in infinitum : ita ut, ex multitudine muUiplica- lorum, species nominationem exponentis sortiretur; et sic nullus esset productus primae speciei, nullus est enim productus ex uno tantum numéro.

Primum hujus tractatuli theorema illud est quod obiter in praecedente tractatu annotavimus, quod quaerendo, reliqua invenimus, imô et generalern po- testatum resolutionem : adeô strictâ connexione sibi mutuo cohaerent veritates.

�� � DES PRODUITS DE NOMBRES CONSÉCUTIFS

Ou des nombres obtenus en faisant le produit de plusieurs termes consécutifs de la série naturelle.

Les nombres que l'on obtient en faisant le pro- duit de plusieurs nombres consécutifs n'ont été, que je sache, étudiés par personne. C'est pourquoi je leur donne un nom : je les appelle produits de nom- bres consécutifs.

Il en est qui résultent de la multiplication de deux facteurs : ainsi 20, produit de 4 par 5. On peut les appeler produits de seconde espèce.

Il en est qui résultent de la multiplication de trois facteurs : ainsi 120, produit de ^ par 5 par 6. On peut les appeler produits de troisième espèce.

De même on peut appeler produits de qua- trième espèce les produits résultant de la multipli- cation de quatre facteurs ; et ainsi de suite. L'espèce d'un produit sera donnée par le nombre des facteurs qui le composent ; et, comme il n'existe pas de pro- duits formés d'un seul facteur, il n'y a pas de pro- duits de première espèce.

Le premier théorème que nous exposerons dans ce petit traité est celui dont nous avons en passant donné l'énoncé dans le traité précédent. C'est en en cherchant la démonstration que nous avons trouvé

III — 34

�� � 530 ŒUVRES

��Frop, 1.

��Si sint duo numeri quilibet, productus omnium numerorum primum praecedentium est ad produc- tum totidem numerorum continuorum à secunda incipientium, ut productus omnium numerorum secundum prœcedentium ad productum totidem numerorum continuorum à primo incipientium.

Sint duo numeri quilibet, 5, 8. Dico productum numerorum i, 2, 3, 4, qui praecedunt 5, nempe 2 4, esse ad productum totidem continuorum numero- rum 8, g, lo, II, nempe 7920, ut productum nu- merorum I, 2, 3, 4, 5, 6, 7, qui praecedunt 8, nempe 5o4o, ad productum totidem continuorum numerorum 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, nempe i 663 200.

Etenim productus numerorum 5, 6, 7, ductus in productum istorum i, 2, 3, 4, efïicit productum horum 1,2, 3, 4, 5, 6, 7. Et idem productus nume- rorum 5, 6, 7, ductus in productum numerorum

8, 9, 10, II, efficit productum horum 5, 6, 7, 8,

9, 10, II ; ergo, ut productus numerorum i, 2, 3, 4, ad productum numerorum i, 2, 3, 4, 5, 6, 7 ita productus numerorum 8, 9, 10, 11, ad productum numerorum 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11. Q. E. D.

�� � tous les autres, et même la résolution générale des puissances : tant les vérités sont étroitement enchaînées les unes aux autres I

Prop. 1.

Deux nombres quelconques étant donnés, le produit de tous les nombres naturels qui précèdent le premier est au produit d’un égal nombre de facteurs consécutifs commençant par le second, comme le produit de tous les nombres naturels qui précèdent le second est au produit d’un égal nombre de facteurs consécutifs commençant par le premier.

Soient les deux nombres 5 et 8 ; je dis que le produit 2 4 des quatre facteurs naturels 1, 2, 3, 4 qui précèdent 5 est au produit 7920 des quatre facteurs consécutifs 8, 9, 10, 11, comme le produit 5040 des sept facteurs naturels 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, qui précèdent 8, est au produit 1 663 200 des sept facteurs consécutifs 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

En effet, si l’on multiplie le produit 5 x 6 x 7 par le premier produit considéré 1x 2x 3x 4, on obtient le produit des nombres consécutifs 1,2, 3, 4, 5, 6, 7. De même, le produit 6x6x7, multiplié par le produit 8X9X10X11 donne le produit des nombres consécutifs 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11. Il en résulte que le produit des nombres 1, 2, 3, 4 est au produit des nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 comme le produit des nombres 8, 9, 10, 11 est au produit des nombres 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11. C. Q. F. D. 332 ŒUVRES

��Prop. 2,

��Omnis productus à quotlibet numeris continuis est multiplex producti à totidem numeris continuis quorum primus est unitas, et quotiens est numerus figuratus.

Sit productus quilibet, à tribus v. g. numeris continuis 5, 6, 7, nempe 210, et productus totidem numerorum ab unitate incipientium 1 , 2, 3, nempe 6 : dico ipsum 210 esse multiplicem ipsius 6, et quo- tientem esse numerum figuratum.

Etenim ipse 6, ductus in quintum numerum or- dinis quarti, nempe 35, sequatur ipsi producto ex 5, 6, 7, ex demonstratis in tractatu de ordinibus numericis.

Prop, 3,

Omnis productus à quotlibet numeris continuis est multiplex numeri cujusdam figurati, nempe ejus cujus radix est minimus ex his numeris, expo- nens verô ordinis est unitate major quam multitudo horum numerorum.

Hoc patet ex praecedente. Et unica utrique conve- nit demonstratio.

Monitum.

Ambo divisores in his duabus propositionibus os- tensis taies sunt,ut alter alterius sit quotiens. Ita ut quilibet productus à quotlibet numeris continuis,

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUGTIS 533

Prop, 2,

Tout produit de facteurs consécutifs (en nombre quelconque) est divisible par le produit d'un nombre égal de facteurs consécutifs commençant par l'unité. Le quotient de la division est un nombre figuré.

Considérons par exemple le produit des trois nom- bres consécutifs 5, 6, 7, soit 210, et le produit d'un nombre égal de facteurs i, 2, 3 commençant par l'unité, soit 6. Je dis que 210 est un multiple de 6, et que le quotient est un nombre figuré.

En effet, d'après ce qui a été démontré dans le Traité des Ordres numériques, le produit de 6 parle cinquième nombre du quatrième ordre, savoir 35, est égal au produit 5x6X7.

Prop, 3.

Tout produit de facteurs consécutifs (en nombre quelconque) est divisible par le nombre figuré dont la racine est égale au plus petit de ces facteurs et dont l'exposant est supérieur d'une unité au nom- bre des facteurs.

Cette proposition résulte de la précédente. La même démonstration les établit l'une et l'autre.

Remarque.

Les diviseurs des deux divisions dont il est ques- tion dans les propositions précédentes sont récipro- quement égaux aux quotients de ces divisions. Ainsi

�� �

j34 œuvres

divisus per productum totidem numerorum ab uni- tate incipientium, ut secunda propositio docet fieri posse, quotiens sit numerus figura tus in tertiâ pro- positione enuntiatus.

Prop. 4.

Omnis productus à quotlibet numeris continuis ab unitate incipientibus est multiplex producti à quot- libet numeris continuis etiam ab unitate incipien- tibus, quorum multitudo minor est.

Sint quotlibet numeri continui ab unitate i, 2,3, 4, 5, quorum productus I20, quotlibet autem ex ipsis ab unitate incipientes i, 2, 3, quorum produc- tus 6 : dico 120 esse multiplicem 6.

Etenim productus numerorum i, 2, 3, 4, 5, fit ex producto numerorum i, 2, 3, multipUcato per pro- ductum numerorum 4,5.

JProp, 5,

Omnis productus à quotlibet numeris continuis est multiplex producti à quotlibet numeris continuis ab unitate incipientibus, quorum multitudo minor est.

Etenim productus continuorum quorumlibet est multiplex totidem continuorum ab unitate incipien- tium ex secunda ; sed ex quartâ productus continuo- rum ab unitate est multiplex producti continuorum ab unitate quorum multitudo minor est. Ergo, etc.

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUGTIS 535

tout produit de facteurs consécutifs (en nombre quelconque), divisé par le produit d'un nombre égal de facteurs consécutifs commençant par l'unité (con- formément à la deuxième proposition) admet pour quotient le nombre figuré dont parle l'énoncé de la troisième proposition.

JProp. 4.

Tout produit de facteurs consécutifs (en nombre quelconque) commençant par l'unité est divisible par tout produit d'un nombre moindre de facteurs consécutifs commençant par l'unité.

Soient une suite quelconque de nombres consécu- tifs partant de l'unité : i, 2, 3, Ix, 5, dont le pro- duit est 120; et, dans cette suite, soit une autre suite de nombres partant de l'unité : i, 2, 3, dont le produit est 6 ; je dis que 120 est un multiple de 6.

En effet le produit des nombres i, 2, 3, 4, 5 est égal au produit des nombres i , 2 , 3 multiplié par le produit des nombres 4, 5.

Frop, 5.

Tout produit de facteurs consécutifs (en nombre quelconque) est divisible par le produit d'un nom- bre moindre de facteurs consécutifs commençant par l'unité.

En effet, d'après la seconde proposition, le produit d'un nombre quelconque de facteurs consécutifs est divisible par le produit d'un nombre égal de facteurs

�� � 536 ŒUVRES

Prop. 6.

Productus quotlibet continuorum est ad produc- tum totidem proximè majorum, ut minimus multi- plicatorum ad maximum.

Sint quotlibet numeri 4, 5, 6, 7, quorum pro- ductus 84o ; et totidem proximè majores 5, 6, 7, 8, quorum productus 1680. Dico 84o esse ad 1680 ut 4 ad 8.

Etenim productus numerorum 4, 5, 6, 7, est factus ex producto continuorum 5, 6, 7, multipli- cato per 4; productus verô continuorum 5, 6, 7, 8, factus est ex eodem producto continuorum 5, 6, 7, multiplicato per 8. Ergo, etc.

Prop. ?.

Minimus productus continuorum cujuslibet spe- ciei ille est cujus multiplicatores ab unitate inci- piunt.

V. g., minimus productus ex quatuor continuis factus ille est qui producitur ex quatuor his conti- nuis I, 3, 3, 4, qui quidem multipticatores, 1,2, 3, 4, ab unitate incipiunt. Hoc ex se et ex prœceden- tibus patet.

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUCTIS 537

consécutifs partant de l'unité ; d'après la quatrième, d'autre part, ce produit de facteurs consécutifs par- tant de l'unité est divisible par le produit d'un nom- bre moindre de facteurs partant de l'unité. Donc, etc.

JProp. 6,

Le produit d'un nombre quelconque de facteurs consécutifs est au produit d'un égal nombre de fac- teurs immédiatement supérieurs comme le plus petit de tous les facteurs est au plus grand.

Soit une suite quelconque de nombres 4, 5, 6, 7, dont le produit est 8/io. Considérons les nombres immédiatement supérieurs 5, 6, 7, 8 dont le pro- duit est 1680. Je dis que 8/io est à 1680 comme 4 est à 8.

En effet le produit des nombres 4, 5, 6, 7 est formé du produit des nombres consécutifs 5, 6, 7, multiplié par 4 ; d'autre part le produit des nombres consécutifs 5, 6, 7, 8 est formé du même produit des nombres 5, 6, 7, multiplié par 8. Donc, etc.

rrop. 7.

Le plus faible produit de nombres consécutifs d'une espèce quelconque est le produit dont les fac- teurs commencent par l'unité.

Ainsi le plus faible produit formé de quatre nom- bres consécutifs est le produit des quatre nombres consécutifs i, 2, 3, 4, lesquels commencent par l'unité. C'est là une conséquence, d'ailleurs évidente par elle-même, des propositions précédentes.

�� � S38 ' ŒUVRES

��PRODUGTA GONTINUORUM RESOLVERE

Seu

Resolutio numerorum qui ex numeris

progressione naturaii procedentibus producuntur.

Problema.

Dato quocumque numéro, invenire tôt quot împe- rabitur numéros continuos ex quorum multiplica- tione factus numerus sit maximus ejus speciei qui in dato numéro contineatur.

Oportet autem datum numerum non esse mino- rem producto totidem numerorum ab unitate conti- nuorum.

Datus sit numerus f verbi gratiâ 4335, opor- teatque reperire, verbi gratiâ, quatuor numéros continuos ex quorum multiplie atione factus nume- rus sit maximus, qui in dato 4335 contineatur, eorum omnium qui producuntur ex multiplie atione quatuor numerorum. continuorum,

Sumantur ab unitate tôt numeri continui quot sunt numeri inveniendi, nempe quatuor in hoc exemple, 1, 2, 3, 4, quorum, per productum, 24, dividatur numerus datus, sitque quotiens 180. Ipsius quotientis inveniatur radix ordinis numerici non quidem quarti, sed sequentis, nempe quinti, sitque ea 6, Ipse 6 est primus numerus, secun- dus 7, tertius 8, quartus 9.

Dico itaque productum quatuor numerorum 6,7, 8, 9, esse maximum numerum qui in dato conti- neatur, id est : Dico productum quatuor nume- rorum 6, 7, 8, 9, nempe 3o24, non esse majorem

�� � DE NUMERORUM GONTINUORUM PRODUGTIS 539

��RÉSOLUTION DES PRODUITS DE NOMBRES CONSÉCUTIFS OU

Résolution des nombres obtenus en multipliant des termes consécutifs de la série naturelle

Problème,

Étant proposé un nombre quelconque, trouver un produit formé de facteurs consécutifs en nombre donné; et qui soit le plus grand produit de son espèce contenu dans le nombre proposé.

Pour que le problème soit possible il faut que le nombre proposé ne soit pas inférieur au produit formé de facteurs consécutifs, en nombre égal à l'espèce donnée, à partir de l'unité.

Soit, par exemple, 4335 le nombre donné, et soit à trouver un produit, formé par exemple de quatre facteurs consécutifs qui soit le plus grand produit de quatre t acteurs consécutifs contenus dans 4335.

Prenons à partir de l'unité autant de nombres consécutifs qu'il doit y avoir de facteurs, savoir quatre, 1, 2, 3, 4, pour V exemple considéré ; puis divisons le nombre proposé par le produit 24 de ces nombres; le quotient est 180. De ce quotient déterminons la racine, non pas du quatrième ordre numérique, mais de l'ordre suivant (cinquième) ; cette racine est 6. Le premier facteur cherché sera alors 6, le second 7, le troisième 8, le quatrième 9.

Je dis qu'en effet le produit des quatre nombres 6, 7, 8, 9 est le plus grand produit de quatrième espèce que contienne le nombre proposé : en d'au-

�� � S40 ŒUVRES

quam numerum datum 4335 ; productum verô quatuor proximè majorum numerorum 7, 8, 9, 10, nempe bolio, esse majorera numéro dato 4335.

Etenim, ex demonstratis in tractatu deordinibus numericis, constat productum numerorum i, 2, 3, 4, seu 2^, ductum in numerum quinti ordinis cujus radix est 6, nempe 126, efïicere numerum aequalem producto numerorum 6, 7, 8, 9, nempe 3o24; si- militer et eundem productum numerorum i, 2, 3, 4, nempe 2 4, ductum in numerum ejusdem ordinis quinti cujus radix est 7, efficere numerum aequalem producto numerorum 7, 8, 9, 10, nempe 5o4o.

Jam verô numerus quinti ordinis cujus radix est 6, nempe 126, cum sit maximus ejus ordinis qui in 180 contineatur, ex constr. patet ipsum 126 non esse majorem quam 180, numerum verô quinti or- dinis cujus radix est 7, nempe 210, esse majorem quam ipsum 180.

Cum verô numerus 4335,divisus per 24, dederit 180, quotientem patet 180 ductum in 24, seu4320, non esse majorem quam 4335, sed aut aequalem esse, aut differre numéro minore quam 24-

Itaque, cum sit 210 major quam 180, ex constr. patet 2 10 in 24, seu 5o4o, majorem esse quam 180 in 24 seu 4320, et excessum esse ad minimum 24 ; nu- merus verôdatus 4335, aut non excedit ipsum 432Q, aut excedit numéro minore quam 24- Ergo, nume- rus 5o4o, major est quamdatus 4335 ; idest produc- tus numéro iTim 7, 8, 9, 10, major est dato numéro.

Jam numerus 126 non est major quam 180, ex

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUGTIS 541

très termes, je dis que le produit 3o2 4 des quatre nombres 6, 7, 8, 9 est inférieur au nombre proposé 4335, tandis que le produit des quatre nombres immédiatement supérieurs 7, 8, 9, 10, savoir 5o/iO, est supérieur à 4335.

Il résulte en effet de ce qui a été établi dans le Traité des Ordres numériques que le produit 2 4 des facteurs i, 2, 3, 4, multiplié par le nombre du cin- quième ordre dont la racine est 6, savoir le nombre 126, donne un nombre égal au produit des facteurs 6, 7, 8, 9, c'est-à-dire égal à 3o24 ; pareillement, le produit 2 4 des facteurs i, 2, 3, 4, multiplié par le nombre du même ordre dont la racine est 7, donne un produit égal au produit des facteurs 7,8, 9, 10, c'est-à-dire à 5o4o.

Mais, par hypothèse, le nombre du cinquième ordre dont la racine est 6, savoir 126, est le plus grand de son ordre qui soit contenu dans 180 : il est donc inférieur à 180; au contraire le nombre du cinquième ordre dont la racine est 7, savoir 210, est supérieur à 180.

D'autre part, puisque 4335 divisé par 24 donne 180, il est clair que le quotient 180 multiplié par 24, c'est-à-dire 4320, n'est pas supérieur à 4335, mais ou bien est égal à ce nombre, ou en diffère de moins de 24.

Et ainsi, comme d'après ce qui précède, 210 est plus grand que 180, on voit que 210X24, soit 5o4o, est plus grand que 180X24 ou 4320, et que la différence de ces deux produits est au moins

�� � S42 OEUVRES

constr. Igitur 126 in 24 non est major quam 180 in 24; sed 180 in 2/1 non est major dato nu- méro ex ostensis. Ergo 126 in 24, seu productus numerorum 6, 7, 8, 9, non est major numéro dato; productus autem numerorum 7, 8, 9, 10, ipso ma- jor est. Ergo, etc. Q. E. F. E.

Sic ergo exprimi potest et enuntiatio, et generalis constructio.

Invenire tôt quot imperabitur numéros progres- sione naturali continuos, ex quorum multiplicatione ortus numerus sit maximus ejus speciei qui in dato numéro contineatur.

Dividatur numerus datus per productum totidem numerorum ah unitate série naturali procedentium quot sunt numeri inveniendi ; inventoque quotiente, assumatur ipsius radix ordinis numerici cujus exponens est unitate major quam multitudo nume- rorum inveniendorum. Ipsa radix est primus nume- rus, reliqui per incrementum unitatis in promptu habentur.

Monitum.

Haec omnia ex naturâ rei demonstrari poterant, absque trianguli arithmetici aut ordinum numerico- rum auxilio ; non tamen fugienda illa connexio mihi visa est, prsesertim cum ea sit quse lumen primum dédit. Et, quod amplius est, aiiia demonstratio labo riosior esset, et prolixior^

�� � DE NUMERORUM CONTINUORUM PRODUCTIS 543

égale h. 2 II. Mais, d'autre part, le nombre donné, 4335, ou bien ne surpasse pas 4320, ou bien le sur- passe de moins de 2/4. Donc le nombre 5o4o est supérieur à 4335 ; en d'autres termes, le produit des facteurs 7, 8, 9, 10 est plus grand que le nom- bre proposé.

Pareillement, le nombre 126 est par hypothèse inférieur à 180; donc 126X24 est inférieur à i8oX24; mais, d'après ce qui précède, le nom- bre proposé n'est pas inférieur à 180X24. Donc 126X24, c'est-à-dire le produit des facteurs 6, 7, 8, 9 ne surpasse pas le nombre proposé; au con- traire le produit des facteurs 7, 8, 9, 10 surpasse ce nombre. Donc, etc. C. Q, F. D.

On peut donc énoncer en ces termes le problème et sa solution générale :

Trouver une suite de facteurs consécutifs en nom- bre donné, dont le produit soit le plus grand de son espèce que contienne un nombre proposé.

Divisons le nombre proposé par le produit d'au- tant de nombres de la série naturelle, partant de l'unité, que doit contenir le produit inconnu ; puis déterminons celle des racines du quotient qui appartient à l'ordre numérique dont l'exposant suipasse d'une unité le nombre des facteurs cher- chés: cette racine est le premier facteur du pro- duit ; les facteurs suivants s'obtiennent en ajoutant chaque fois une nouvelle unité.

Remarque.

On aurait pu démontrer ces divers résultats di- rectement, sans faire usage du triangle arithmétique

�� � S44 ŒUVRES

��NUMERICARUM POTESTATUM GENERALIS RESOLUTIO.

Generalem Numericarum Potestatum Resolutio- nem inquirenti, haec mihi venit in mentem observa- tio : nihil aliud esse quaerere radicem v. g. qaadra- tam dati numeri quam quaerere duos numéros œquales quorum productus œquetur numéro dato. Sic et quae- rere radicem cubicam nihil aliud esse quam quaerere très numéros œquales quorum productus sit da- tus, et sic de caeteris.

Itaque potestatis cujuslibet resolutio est indagatio totidem numerorum aequalium qiiot exponens po- testatis continet unitates, quorum productus aeque- tur dato numéro. Potestates enim ipsae nihil aliud sunt quam aequahum numerorum producti.

Sicut enim in praecedenti tractatu egimus de nu- meris qui producuntur ex multiplicatioae numero- rum naturali progressione procedentium, sic, et in hoc de potestatibus tractatu, agitur de numeris qui producuntur ex multiplicatione numerorum aequa- lium.

Visum est itaque quam proximos esse ambos hos tractatus, et nihil esse vicinius producto ex aequali- libus quam productum ex continuis solius unitatis incremento differentibus.

Quapropter potestatum resolutionem generalem, seu productorum ex aequalihus resolutionem, non mediocriter provectam esse censui, cum eam prch

�� � POTESTATUM RESOLUTIO 545

et des ordres numériques. Mais j'ai préféré me réfé- rer à ces théories, parce que ce sont elles qui m'ont éclairé au début de mes recherches. La démonstra- tion directe eût d'ailleurs été plus pénible et plus longue.

RÉSOLUTION GÉNÉRALE DES PUISSANCES NUMÉRIQUES

En réfléchissant sur le problème général de la ré- solution des puissances numériques, je fis cette remarque : chercher une racine, par exemple, la ra- cine carrée d'un nombre donné, c'est en réalité cher- cher deux nombres égaux dont le produit soit égal au nombre donné. De même, chercher une racine cubique, c'est en réalité chercher trois nombres égaux dont le produit ait une valeur donnée. Et ainsi de suite.

En d'autres termes, la résolution d'une puissance quelconque revient à trouver une pluralité de nom- bres égaux — autant que l'exposant de la puissance contient d'unités — dont le produit soit égal à un nombre donné : en effet les puissances ne sont pas autre chose que des produits de facteurs égaux.

Tandis que dans le précédent traité nous nous occupions de produits formés par la multiplication d'une suite de nombres naturels consécutifs, il s'agira, — dans ce traité concernant les puissances, — des nombres produits par la multiplication de facteurs égaux.

Il m'a paru qu'entre deux traités ainsi conçus il y avait un rapport étroit, et que rien ne ressemble davantage à un produit de facteurs égaux qu'un

III — 35

�� � 546 ŒUVRES

ductorum ex continuis generalis resolutio praeces- serit.

Dato enim numéro, cujus radix cujusvis gradus quaeritur, verbi gratiâ quarti, quaeruntur quatuor numeri œquales quorum productus œquetur dato ; si ergo inveniantur ex praecedente trartatu quatuor continui quorum productus aequetur dato, quis non videt inventam esse radicem quaesitam, cum ea sit unus ex his quatuor continuis ? Minimus enim ex his quatuor, quater sumptus et toties multiplicatus, ma- nifeste minor est producto continuorum ; maximus verô ex his quatuor, quater sumptus ac toties multi- plicatus, manifeste major est producto continuorum; radix ergo quaesita unus ex illis est.

Verùm latet adhuc ipsâ in multitudine ; reliquum est igitur ut eligatur, et discernatur quis ex conti- nuis satisfaciat quaestioni.

Huic perquisitioni nondum forte satis incubui ; crudam tamen médita donem proferam, alias, si digna videatur, diligentius elaborandam.

�� � POTESTATUM RESOLUTIO 547

produit de facteurs consécutifs déduits les uns des autres par l'addition d'unités successives.

C'est pourquoi j'ai pensé que j'avais fait avancer d'un grand pas la résolution générale des puissances numériques (oa produits de facteurs égaux), en don- nant auparavant la résolution générale des produits de facteurs consécutifs.

En effet, lorsque l'on veut trouver une racine d'un nombre donné, par exemple la racine quatrième, on cherche quatre facteurs égaux dont le produit soit égal au nombre donné ; si donc on est parvenu, d'après le traité précédent, à trouver quatre facteurs consécutifs dont le produit soit égal à ce nombre donné, qui ne voit que l'on a trouvé la racine cher- chée, laquelle est évidemment l'un des quatre fac- teurs consécutifs obtenus? Et en effet, le plus petit de CQ?» quatre facteurs, multiplié quatre fois par lui- même, est évidemment inférieur au produit des quatre facteurs ; au contraire le plus grand fac- teur, multiplié quatre fois par lui-même, est sû- rement supérieur au produit des quatre facteurs : donc la racine cherchée est bien l'un de ces facteurs.

Mais nous ne savons pas encore lequel des fac- teurs consécutifs est égal à la racine inconnue : il nous reste à choisir et à distinguer celui qui satis- fait à la question.

Peut-être n'ai-je pas encore assez médité cette der- nière partie de la solution ; je la donnerai néanmoins telle que je l'ai trouvée, quitte à la reprendre une autrefois avec plus de soin, si elle en semble digne.

�� � S48 ŒUVRES

��Postulatum,

Hoc autem praenotum esse postulo : quae sit radix qaadrata numeri 2 , nempe i ; etenim i est radix maxi- mi quadrati in 2 contenti. Sic et quae sit radix cubica numeri 6, scilicet qui ex multiplicatione trium nume- rorum i, 2, 3, oritur, nempe i. Sic et quae sit radix quarti gradus numeri 24, scilicet qui ex multiplica- tione quatuor numerorum 1,2, 3, 4, oritur, nempe 2, et sic de caeteris gradibus. In unoquoque enim peto nosci radicem, istius gradus, numeri qui produ- citur ex multiplicatione tôt numerorum continuorum ab unitate quot exponens gradus propositi continet unitates. Sic ergo in investigatione radicis, v. g.' decimi gradus, postulo notam esse radicem istius decimi gradus, numeri 3628800, qui producitur ex multiplicatione decem priorum numerorum i, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, nempe 5. Et hoc uno verbo dici potest. In unoquoque gradu, postulo notam esse ra- dicem istius gradus minimi producti totidem con- tinuorum quot exponens gradus continet unitates ; minimus enim productus continuorum quotlibet ille est cujus multiplicatores ab unitate sumunt exordium.

Nec sane molesta haec petitio est ; in unoquoque enim gradu unius tantum numeri radicem suppono, in vulgari autem methodo, multo gravius, in uno- quoque gradu, novem priorum characterum potesta- tes exiguntur.

�� � POTESTATUM RESOLUTIO 549

��Postulat,

��Je supposerai connues : la racine carrée du nombre 2, savoir i [i est en effet la racine du plus grand carré contenu dans 2] ; la racine cu- bique, I , du nombre 6 obtenu en faisant le produit des trois J acteurs i, 2, 3; la racine quatrième, 2, du nombre 2/4 obtenu en faisant le produit des qua- tre facteurs 1,2, 3, 4 ; et ainsi de suite : d'une ma- nière générale j'admettrai (pour chaque degré) qu'on sache quelle est la racine du produit d'autant de facteurs consécutifs à partir de i qu'il y a d'unités dans le degré considéré. Ainsi, par exemple, s'il s'agit de chercher une racine dixième, je suppose que l'on connaît la racine dixième, 5, du nombre 3628800 obtenu en faisant le produit des dix pre- miers nombres i , 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10. On peut énoncer ce postulat d'un mot en disant que, pour chaque degré, je demande que l'on connaisse la racine du produit minimum formé d'autant de fac- teurs consécutifs qu'il y a d'unités dans le degré considéré : on sait en effet que le produit minimum d'un nombre donné quelconque de facteurs consé- cutifs est le produit qui commence par l'unité.

Le postulat que je viens d'énoncer n'est certes pas exagéré : je ne suppose connu, pour chaque degré, que la racine d'un nombre unique, au lieu que la méthode ordinaire, bien plus exigeante, oblige à con- naître, pour chaque degré, les puissances des neuf premiers nombres.

�� � 530 ŒUVRES

Notum sit ergo :

Producti numerorum i, 2, nempe 2 rad. quadr. esse i

Producti numeror. 1 , 2, 3, nempe 6 rad. cub. esse 1

Producti num. i, 2, 3, A, nempe 24 rad. 4 grad. esse 2

Prod. num. i, 2, 3, 4, 5, nempe 120 rad. 5 grad. esse 2

Pr. num.i, 2, 3, 4, 5, 6, nempe 720 rad. 6 grad. esse 2

Pr. n. I, 2, 3, 4> 5, 6, 7, nempe5o4o rad. 7 grad. esse 3 etc.

Problema,

Dato quolibet numéro, invenire radicem proposi- tae potestatis maximse quae in dato contineatur.

Sit datus numerus, v. g. 4335, et invenienda sit radix gradus, v. g. quarti, maximi numeri quarti gradus seu qaadrato-quadrati qui in dato numéro contineatur.

Inveniantur, ex praecedente tractatu, quatuor nu- meri continui, quia quart us gradus proponitur, quo- rum productus sit maximus ejus speciei qui in 4335 contineatur, sintque ipsi 6, 7, 8, 9.

Radix qusesita est unus ex his numeris. Ut vero discernatur, sic procedendum est.

Sumatur ex postulato radix quarti gradus numeri qui producitur ex multiplicatione quatuor priorum numerorum i, 2, 3, 4, nempe radix quadrato-qua- drata numeri 24 quae est 2 ; ipse 2 cum minimo con- tinuorum inventorum 6 unitate minuto, nempe 5, efficiet 7 .

Hic 7 est minimus qui radix qucDsita esse possit ; omnes enim inferiores sunt necessario minores radice quaesitâ .

Jam triangulus numeri 4, qui exponens est propo-

�� � POÏESTATUM RESOLUTIO 551

Ainsi, on se rappellera que :

La racine carrée du produit 2 des facteurs i, 3 est

La racine cubique du produit 6 des facteurs i, 2, 3. . . . i,

La racine quatrième du produit 24 des facteurs i, 2, 3, 4- • 2.

La racine cinquième du produit 120 des facteurs 1,2, 3, 4, 5. 2.

La racine sixième du produit 720 des facteurs 1,2, 3, 4, 5, 6, 7. 2.

La racine septième du produit 5o4o des facteurs 1,2,3,4,5,6,7. 3, etc.

Problème.

Étant proposé un nombre quelconque, trouver la racine de la plus grande puissance d'un degré donné que contient ce nombre.

Soit par exemple proposé le nombre 4335 et soit à trouver la racine quatrième du plus grand nombre du quatrième degré, autrement dit du plus grand nombre quaro-carré, que contient ce nombre 4335.

On cherchera, d'après le traité précédent, les quatre facteurs consécutifs (quatre parce que le de- gré proposé est égal à 4) dont le produit est le plus grand de son espèce contenu dans 4335 : ces fac- teurs sont 6, 7, 8, 9.

La racine cherchée se trouve être l'un de ces quatre nombres : pour savoir lequel, on procédera comme il suit :

Considérons (en vertu du postulat) la racine qua- trième du produit des quatre premiers nombres i , 2, 3, 4, c'est-à-dire la racine quatrième du nombre 24, qui est 2 ; ajoutant ce nombre 2 au plus petit, 6, des facteurs consécutifs trouvés plus haut, dimi- nué lui-même d'une unité (ajoutant, par conséquent, 2 à 5) nous obtenons 7.

�� � 552 ŒUVRES

siti gradus quarti, nempe lo, dividatur per ipsum exponentem [\, sitque quotiens 2 (superfluum divisio- nis non caro) : ipse quotiens 2 , cum minimo conti- nuorum 6 junctus, effîcit 8.

Ipse 8 est maximus qui radix esse possit ; omnes enim superiores sunt necessario majores radiée quaesitâ.

Deniq. constituantur in quarto gradu ipsi extremi numeri 7, 8, nempe 2 /loi, 4096, neenon et omnes qui inter ipsos interjecti sunt, quod ad gêneraient methodum dictum sit, hic enim nulli inter '] et S inter- jacent, sed in remotissimis potestatihus quidam^ quamvis perpauci, contingent.

Harum potestatum, illa quae aequalis erit dato nu- méro, si ita eveniat, aut saltem quae proximè minor erit dato numéro, nempe 4096, satisfaciet proble- mati. Radix enim 8 unde orta est, ea est quae quae- ritur.

Sic ergo institui potest et enuntiatio et generalis constructio.

Invenire numerum qui, in gradu propositoconsti- tutus, maximus sit ejus gradus qui in dato numéro contineatur.

Inveniantur, ex tract. praeced., tôt numeri eontinui, quot sunt unitates in êxponente gradus propositi, quorum productus sit maximus ejus speciei qui in dato numéro contineatur. Et, assumpto producto totidem continuorum ah unitate, inveniatur ejus radix gradus propositi ; ex postulato ipsa radix jungatur cum minimo continuorum inventorum unitate minuto: hic erit minimus extremus.

Jam tiiangulus exponentis ordinis per ipsum

�� � POTESTATUM RESOLUTIO 553

Ce nombre 7 est le plus petit nombre qui puisse satisfaire aux conditions du problème ; car tous les nombres inférieurs sont sûrement plus petits que la racine cherchée.

Prenons maintenant le triangle du nombre 4 (ex- posant du degré 4), qui est 10, et divisons ce nom- bre par l'exposant 4 ; le quotient est 2 (je ne m'oc- cupe pas du reste) : ce quotient 2, ajouté au plus petit, 6, des facteurs consécutifs trouvés plus haut, donne 8.

Le nombre 8 est le plus grand nombre qui puisse être la racine cherchée, car tous les nombres supé- rieurs à 8 sont nécessairement plus grands que cette racine.

Elevons enfin à la quatrième puissance les valeurs minima et maxima trouvées, 7 et 8 (ce qui donne 2 4oi et 4096) ainsi que les nombres compris en- tre ces valeurs [ceci soit dit en vue du cas général : dans l'exemple ici traité, il n'y a pas de nombres compris entre les limites 7, 8; mais il pourra s'en rencontrer — fort peu il est vrai — dans l'extrac- tion des racines de degrés élevés].

Parmi les puissances ainsi trouvées, celle (s'il en est une) qui est égale au nombre proposé, ou du moins celle qui est immédiatement inférieure, ici 4 096, satisfait à l'énoncé du problème. La racine 8 qui a conduit à cette puissance est alors la racine cherchée.

Nous pouvons dès lors formuler en ces termes l'énoncé et la solution générale du problème :

�� � 554 OEUVRES

exponentem divisus quemlibet prœbeat quotientem,. qui cum minimo continuorum inventorumjungatur: hic erit maximus extremus.

Ambo M extremi ac numeri inter eos interpositi in gradu proposito constituantur.

Harum potestatuniy ea quœ dato numéro erit aut sequalis aut proximè minor, satisfacit problemati. Radix enim unde orta est, radix qusesita est.

Horum demonstrationem, paratam quidem, sed prolixam etsi facilem, ac magis tsediosam quam uti- lem supprimimus, ad illa quae plus afferunt fructus quam laboris vergentes.

�� � POTESTATUM RESOLUTIO S55-

Trouver lé nombre qui, élevé à une puissance de degré donné, soit le plus grand nombre de ce degré contenu dans un nombre proposé.

On cherchera, d'après le traité précédent, le pro- duit de facteurs consécutifs en nombre égal au de- gré proposé qui est le plus grand produit de son espèce contenu dans le nombre donné. Puis, pre- nant à partir de l'unité un même nombre de fac- teurs consécutifs, on déterminera (d'après le pos- tulat) la racine de leur produit; on ajoutera cette racine au plus petit des facteurs consécutifs trou- vés, diminué d'une unité: on obtiendra ainsi une limite inférieure de la racine cherchée.

D'autre part, on prendra le nombre triangulaire qui a pour exposant d'ordre le degré proposé ; on le divisera par ledit degré et l'on ajoutera le quo- tient au plus petit des nombres consécutifs trouvés: le nombre obtenu sera une limite supérieure de la racine cherchée.

Élevons maintenant au degré proposé les deux: limites et les nombres qu'elles comprennent.

Celle des puissances obtenues qui sera ou égale ou immédiatement inférieure au nombre proposé satisfera à la question : la racine qui lui donna naissance est la racine cherchée.

Je supprime la démonstration de cette règle, que j'ai toute prête, mais qui est longue, quoique aisée, et plus ennuyeuse qu'utile : laissons-la donc, et tournons-nous vers un sujet qui promet de rap- porter plus de fruits qu'il n'exigera d'efforts.

�� � COMBINATIONES*

Defînîtiones,

Combinationis nomen diverse a diversis usurpa- tur ; dicam itaque quo sensu intelligam.

Si exponatur multitudo quaevis rerum quarumli- bet, ex quibus liceat aliquam multitudinem assu- mere, v. g., si ex qaataor rébus per lilteras A, B, C, D expressis, liceat daas quasvis ad libitum assu- mere, singuli modi quibus possunt eligi daee diffé- rentes ex bis quatuor oblatis vocantur hîc combina- tiones.

Expérimente igitur patebit, duas posse assumi, inter quatuor, sex modis ; potest enim assumi A et B, vel A et C, vel A et D, vel B et C, vel B et D, velGetD.

Non constituo A et A inter modos eligendi duas, non enim essent différentes ; nec constituo A et B et deinde B et A tanquam différentes modos, ordine enim solummodo dillerunt ; ad ordinem autem non attendo : ita ut uno verbo dixisse potuerim ^ combi- nationes hîc considerari quae non mutato ordine procedunt.

Similiter experimento patebit, tria, inter quatuor,

1. Le commencement de ce traité est la traduction textuelle de VUsagedu triangle arithmétique pour les Combinaisons reproduit plus haut, p. 469 sqq. Nous nous dispensons donc de le retraduire.

2. Le texte imprimé porte : poteram.

�� � COMBINATIONES 557

quatuor modis assumi posse, nempe ABC, ABD, ACD, BCD.

Sic et quatuor in quatuor unico modo assumi posse, nempe ABGD.

His igitur verbis utar :

1 in 4 combinatur 4 modis seu combinationibus.

2 in 4 combinatur 6 modis seu combinationibus.

3 in 4 combinatur 4 modis seu combinationibus. 3 in 4 combinatur i modo seu combinatione,

Summa autem omnium combinationum quas fieri possunt in 4 est i5 ; summa enim combinationum i in 4, et 2 in 4 et 3 in 4, et 4 in 4, est i5'.

Lemma 1.

Numerus quîlibet non combinatur in minore. V. g., 4 non combinatur in 2.

Lemma 2,

1 in 1 combinatur 1 combinatione.

2 in 2 combinatur 1 combinatione.

3 in 3 combinatur 1 combinatione.

Et sic generaliter omnis numerus semel tantum in œquali combinatur.

��I. Frenicle, dans son Abrégé des Combinaisons (yoir supra p. 443) distingue les combinaisons d'ordre (permutations), les combinaisons de changement et les combinaisons générales (à la fois d'ordre et de changement). Pascal, comme on a coutume de le faire aujourd'hui, réserve le nom de combinaisons aux combinaisons de changement.

�� � 558

��ŒUVRES

��Lemma 3,

��1 in 1 combinatur 1 combiiiatione. 1 in 2 combinatur 2 combinationibus. 1 in 3 combinatur 3 combinationibus. Et generaliter unitas in quovis numéro toties combinatur quoties ipse continet unitatem.

Lemma 4.

Si sint quatuor numeri, primus ad libitum, se- cundus unitate major quam primus, tertius ad libi- tum, modo non sit minor secundo, quartus unitate major quam tertius : multitudo combinationum primi in tertio, plus multitudine combinationum secundi in tertio, sequatur multitudini combinatio- num secundi in quarto.

Sint quatuor numeri ut dictum est :

Primus ad libitum, verbi gratiâ i

Secundus unitate major, nempe 2

Tertius ad libitum, modo non sit minor quam

secundus 3

Quartus unitate major quam tertius, nempe. . l\

Dico multitudinem, combinationum i in 3, plus multitudine combinationum 2 in 3, aequari multi- tudini combinationum 2 in 4- Quod ut paradigmate fiât evidentias :

Assumantur très cbaracteres, nempe B, G, D ; jam vero assumantur iidem très cbaracteres et anus .Draeterea, A, B, G, D ; deinde assumantur combina-

�� � GOMBINATIONES • 5o9

tiones unius litterae in tribus, B, C, D, nempe B, G D ; assumantur quoque omnes combinationes dua- rum litterarum in tribus^, G, D, nempe BG, BD, GD ; denique assumantur omnes combinationes dua- rum litterarum in quatuor A, B, G, D, nempe AB, AG, AD, BG, BD, GD.

Dicoitaque, tôt esse combinationes duarum litte- rarum in quatuor A, B, G, D, quot sunt duarum in tribus B, G, D, et insuper quot unius in tribus B G, D.

Hoc manifestum est ex generatione combinatio- num ; combinationes enim duarum in quatuor for- mantur, partim ex combinationibus duarum in tri- bus, partim ex combinationibus unius in tribus; quod ita evidens fiet :

Ex combinationibus duarum in quatuor, nempe AB, AG, AD, BG, BD, GD, quaedam sunt in qui- bus ipsa littera A usurpatur, ut istse AB, AG, AD quaedam quae ipsâ A carent, ut istae BG, BD, GD.

Porro, combinationes illae BG, BD, GD, duarum in quatuor A, B, G, D, quae ipso A carent, constant ex residuis tribus B, G, D ; sunt ergo combinationes duarum in tribus B, G, D ; igitur combinationes duarum in tribus B, G, D, sunt quoque combinatio- nes duarum in quatuor A, B, G, D, nempe illse quae carent ipso A.

Illae verô combinationes AB, AG, AD, duarum in quatuor A, B, G, D, in quibus A usurpatur, si ipso A spolientur, relinquent residuas litteras B, G, D, quae sunt ex tribus litteris B, G, D, suntque combina-

�� � 560 ' ŒUVRES

tiones uniusliiierad in tribus B, C, D ; igiturcombina- tiones unias litterse in tribus B, C, D, nempe B, G, D, ascito A, effîciunt AB, AC, AD, quae constituunt combinationes duarum litterarum in quatuor A, B> C, D, in quibus A usurpatur.

Igitur combinationes duarum litterarum in quatuor A, B, C, D, formantur partim ex combinationibus wiius in tribus B, C, D, partim ex combinationibus duarum in tribus B, C, D. Quare multitudo prima- rum aequatur multitudini reliquarum. Q. E. D.

Eodem prorsus modo in reliquis ostendetur exem- plis, verbi gratiâ :

Tôt esse combin. numeri. . . . 29 in 4o quot sunt comb. numeri. . . . 29 in 89 et insuper quot suntcomb. numeri. 28 in 89 Quatuor enim numeri 28, 29, 89, [\o, conditio- nem requisitam habent.

Sic tôt sunt comb. numeri . . . 16 in 56 quot sunt comb. numeri. . . . 16 in 55 ac insuper quot suntcomb. numeri. i5 in 55 etc.

Lemma 5. In omni triangulo Arith. summa cellularum seriei cujuslibet aequatur multitudini combinatio- num exponentis seriei in exponente trianguli.

Sit triangulus quilibet, v. g. quartus GDA : dico summam cellularum seriei cujusvis, v. g. secundad c?4-^H-6, aequari multitudini combina tionum nu- meri 2, exponentis secundœ seriei, in numéro 4, exponente quarii trianguli.

�� � COMBINATIONES 56t

Sic Dico summam cellularum seriei, v. g. quintœ, Irianguli, v. g. octavi, sequari multitudini combina- tionum numeri 5 in numéro 8, etc.

Quamvis infiniti sint hujus propositionis casus, sunt enim infiniti trianguli, breviter tamen demons- trabo, positis duobus assumptis.

Primo, quod ex se patet, in primo triangulo eam proportionem contingere : summa enim cellularum unicae suae seriei, nempe numerus primae cellulae G, id est unitas, aequatur multitudini combinationum exponentis seriei in exponente trianguli ; hi enim exponentes sunt unitates ; unitas verô in unitate unico modo ex lemm. 2 hujus combinatur.

Secundo : si ea proportio in aliquo triangulo con- tingat, id est si summa cellularum uniuscujuscumque seriei trianguli cujusdam œquetur multitudini combina- tionum exponentis seriei in exponente trianguli, dico et eamdem proportionem in triangulo proximèsequenti contingere.

His assumptis, facile ostendetur in singulis trian- gulis eam proportionem contingere ; contingit enim in primo, ex primo assumpto ; immô et manifesta quoque ipsa est in secundo triangulo ; ergo ex se- cundo assumpto et in sequenti triangulo contingit, quare et in sequenti et in infinitum.

Totum ergo negotium in secundi assumpti de- monstratione consistit, quod ita expedietur.

Sit triangulus quilibet, v. g. tertius, in quo sup- ponitur haec proportio, id est : summam cellularum seriei primœ G -h a -h ^ aequari multitudini combi-

III — 36

�� � 862 ŒUVRES

nationum numeri i, exponentis sériel, in numéro 3,. exponente trianguli, summam verô cellularum se- cundœ seriei (^-h'\> eequari multitudini combinatio- num numeri 2, exponentis seriei, in numéro 3, expo- nente trianguli, summam verô cellularum tertise seriei, nempe cellulam A, aequari combinationibus numeri 3, exponentis seriei, in 3, exponente trian- guli : Dico et eamdem proportionem contingere et in sequenti triangulo quarto, id est : summam cellu- larum, V. g. secundse seriei, (pH-i)> + G, aequari mul- titudini combinationum numeri 2 , exponentis seriei, in numéro 4, exponente trianguli.

Etenim (^-\-^ aequatur multitudini combinatio- num numeri 2 in 3 ea? hypoth. ; cellula vero Ô aequa- tur, exgeneratione trianguli arith. , cellulis G-f-c7-|-7r ; hae vero cellulae aequantur ex hypoth. multitudini combinationum numeri i in 3. Ergo cellulae cp -t- <j> -f- ô aequantur multitudini combinationum numeri 2 in 3 , plus multitudini combinationum nu- meri I in 3 ; hae autem multitudines aequantur, ex quarto lemmate hujus, multitudini combinationum numeri 2 in 4. Ergo summa cellularum cp-|-']^-hô aequatur multitudini combinationum numeri 2 in 4 Q. E. D.

Idem Lemma 5, Problematicè enuntiatum.

Datis duobus numeris insequalibus, invenire in triangul. arith. quot modis minor in majore combi- netur.

Propositi sint duo numeri, v. g., 4 et 6 : oportet

�� � COMBINATIONES 563

reperire in triangulo arith. quot modis 4 combinetur in 6.

��Prima methodas.

Summa cellularum quartœ seriei sexti trianguli satisfacit, ex prœced. , nempe cellulœ D 4- E H- F.

Hoc est numeri i H- i + lo, seu i5. Ergo 4 in 6 combinatur i5 modis.

Secunda methodas.

Gellula quinta basis septimœ K satisfacit ; illi nu- meri 5,7, sunt proximè majores his 4,6.

Etenim illa cellula, nempe K, seu i5, aequatur summae cellularum quartae seriei sexti trianguli D-f-E + F, ex generatione.

Monitum.

In basi septlmd sunt septem cellulae, nempe V, Q, K, p, ?, N, Ç, ex quibus çwm^a assumenda est; potest autem ipsa duplici modo assumi ; sunt enim duse basis extremitates V Ç : si ergo ab extremo V inchoaveris, erit V prima, Q secunda, K tertia, p quarta, Ç quinta quaesita. Si vero à *( incipias, erit ^ prima, N secunda, l tertia, p quarta, K quinta quae- sita : sunt igitur duae quae possunt dici quintœ ; sed quoniam ipsse sunt aequè ab extremis remotae, ideo- que reciprocse, sunt ipsae eaedem ; quare indifferen- ter assumi alterutra potest, et ab alterutrâ basis extremitate inchoari.

�� � 564 ŒUVRES

��Monitum.

��Jam salis patet quam bene conveniant combina- tiones et triangulus arithmeticus, et, ideô, propor- tiones inter séries aut inter cellulas trianguli obser- vatas ad combinationum rationes protendi, ut in sequentibus videre est.

Prop. 1.

Duo qiîilibet numeri sequè combinantur in eo quod amborum aggregatum est.

Sint duo numeri quilibet 2, 4, quorum aggrega- tum 6 : dico numerum 2 loties combinari in 6, quo- ties ipse 4 in eodem 6 combinatur, nempe singulos modis i5\

Hoc nihil aliud est quam consect.^ U triang. arith. et potest hoc uno verbo demonstrari : cellulae enim reciprocae sunt eaedem. Si vero ampliori démons tra- tione egere videatur, hœc satisfaciet.

Multitudo combinationum numeri 2 in 6 œqua- tur, ex 5 lemm., seriei 5ectt/io?a? trianguli sexti, nempe cellulis o-f-'} + 9H-R-|-S, seu cellulaeç; sic multi- tudo quoque combinationum numeri /j in 6 sequatur, ex eodem, ^m^iquartx trianguli ^eo^^i, nempe cellulis D-f-E + F, seu cellulae K; ipsa verô K, est reci-

I. C'est à la cinquième conséquence du Triangle Arithmétique que Pascal devrait renvoyer ; de même, plus bas, il faut lire i8 au lieu de 17, II au lieu de lo, etc. Pascal commet sans doute une inadvertance. Il serait possible aussi qu'il eût remanié le traité du Triangle après avoir écrit ses traités latins, lesquels sont sans doute antérieurs {vide supra, p. 436).

�� � COMBlNATiONES 565

��DES COMBINAISONS

��jProp. 1.

Deux nombres quelconques se combinent le même nombre de fois dans un troisième nombre égal à leur somme.

Soient les deux nombres 2 et 4, dont la somme est 6 ; je dis que le nombre des combinaisons de 2 dans 6 est égal au nombre des combinaisons de 4 dans 6.

Cette proposition nest autre que la conséquence^ 5 du Traité du triangle arithmétique, et on peut la démontrer d'un mot en disant que chaque cellule est égale à sa réciproque. Voici d'ailleurs, pour qui la juge nécessaire, une démonstration plus développée.

Le nombre des combinaisons de 2 dans 6 est égal, d'après le lemme 5, à la somme des cellules de la seconde série du sixième triangle, savoir <p-l-t]>-f-OH-R-f-S,ouàla cellule ç ; pour la même raison le nombre des combinaisons de 4 dans 6 est égal à la somme des cellules de la quatrième série du sixième triangle, savoir D -f-E-f- F, ou à la cel- lule K. Mais les cellules K et ? sont réciproques, et par suite égales ; donc enfin le nombre des combi-

��I. Nous corrigeons, dans la traduction, les chiffres erronés donnés par le texte latin (^Voir la note ci-contre).

�� � .*)66 ŒUVRES

proca ipsius Ç, ideoque ipsi œqualis ; quare et mul- titudo combinationum numeri 2 in 6 aequatur mul- titudini combinationum numeri 4 in 6. Q. E. D.

Coroll.

Ergo omnis numerus loties combinatur in proximè majori quot sunt unitates in ipso majori.

Verbi gratiâ, numerus 6 in 7 combinatur septies, et 4 in 5 qainquies, etc. Ambo enim numeri i, 6, sequè combinantur in aggregato eorum 7, ex prop. hac I ; sed i in 7 combinatur septies, ex lemm. 3. Igitur 6 in 7 combinatur quoque septies.

Prop. 2.

Si duo numeri combinentur in numéro quod am- borum aggregatum est unitate minuto, multitu- dines combinationum erunt, inter se, ut ipsi numeri reciprocè.

Hoc nihil aliud est qaam consect.^ 17 trianguli arithmetici.

Sint duo quilibet numeri 3,5, quorum summa 8, unitate minuta, est 7 : dico multitudinem combina- tionum numeri 3 in 7 esse ad multitudinem com- binationum numeri 5 in 7 ut 5 ad 3.

Multitudo enim combinationum numeri 3 in 7 aequatur, ex 5 lemm., tertise seriei septimi trianguli arith., nempe A-}-B-l-G-|-o>4- î, seu 35 ; multi- tudo autem combinationum numeri 5 in 7 aequatur,

I. Lire : consect. i8.

�� � COMBINATIONES 567

naisons de 2 dans 6 est égal au nombre des combi- naisons de 4 dans 6.

CoroU,

Tout nombre se combine dans le nombre immé- diatement supérieur, autant de fois qu'il y a d'uni- tés dans ce dernier.

Par exemple 6 se combine sept fois dans 7 , et 4 se combine cinq fois dans 5. Car, d'après la pre- mière proposition, les deux nombres 6 et i se com- binent le même nombre de fois dans 7 ; mais i se combine sept fois dans 7, d'après le lemme 3, donc 6 et 7 se combinent aussi sept fois.

Prop, 2,

Si l'on combine deux nombres donnés dans un nombre égal à leur somme diminuée d'une unité, les multitudes de combinaisons obtenues sont dans un rapport égal à l'inverse du rapport des nombres eux-mêmes.

Cette proposition nest antre que la conséquence 18 du Traité du triangle arithmétique.

Soient les nombres 3 et 5, dont la somme, dimi- nuée d'une unité est égale à 7. Je dis que la multi- tude des combinaisons de 3 dans 7 est à la multitude des combinaisons de 5 dans 7, comme 5 est à 3.

En effet, la multitude des combinaisons de 3 dans 7 est égale, d'après le lemme 5, à la somme des cel- lules de la troisième série du septième triangle arith- métique, savoir A -h B-f- G -h to-}-$, ou 36. De,

�� � 568 ŒUVRES

ex eodem, quintœ seriei ejusdem septimi triangulî, nempe H-f-M + K, seu 21 ; in triangulo autem septimo, séries quinta et tertia sunt inter se ut 3 ad 5, ex consect. 17 triang. arilh. ; aggregatum enim exponentium serierum 5,3, nempe 8, aequatur ex- ponenti trianguli 7 unitate aucto.

Prop. 3.

Si numerus combinetur primo in numéro qui sui daplas est, deinde in ipsomet numéro diiplo unitate minute, prima combinationum multitudo secundse dupla erit.

Hoc nihil aliud est quam consect^ 10 triancf. arith.

Sit numerus quilibet 3, cujus duplus 6, qui uni- tate minutus, est 5 : dico multitudinem combina- tionum numeri 3 in 6 duplam esse multitudinis combinationum numeri 3 in 5.

Possem uno verbo dicere ; omnis enim cellula divi- dentis dupla est prœcedentis corradicalis : sic autem demonstro.

Multitudo enim combinationum numeri 3 in 6 œquatur, ex 5 lemm., cellulae k basis 7, nempe p, sea 20; quœ quidem p médium basis occupât locum, quod inde procedit quod 3 sit dimidium 6, unde fit ut 4, proximè major quam 3, médium occupet locum in numéro 7 proximè majori quam 6. Igitur ipsa cel- lula quarta p est in dividente ; quare dupla est cel-

I. Lire : consect. 1 1.

�� � COMBINATIONES 569

même la multitude des combinaisons de 5 dans 7 est égale à la somme des cellules de la cinquième sé- rie du septième triangle, savoir H-f-M-j-K, ou 21. Mais dans ce septième triangle, les sommes des nom- bres delà cinquième et de la troisième série sont entre elles comme 3 est à 5, d'après la conséquence 18 du Traité du triangle arithmétique ; car la somme des exposants 3 et 5, savoir 8, est égale à l'exposant 7 du triangle augmenté d'une unité. Donc, etc.

JProp. 3.

Si l'on combine un nombre donné, d'abord dans son double, ensuite dans ce double diminué d'une unité, la première multitude de combinaisons obte- nue sera double de la seconde.

Cette proposition n'est autre que la conséquence 11 du triangle arithmétique.

Soit le nombre 3, dont le double est 6, lequel double diminué d'une unité donne 5. Je dis que la multitude des combinaisons de 3 dans 6 est égale à deux fois la multitude des combinaisons de 3 dans 5.

Je pourrais dire d'un mot que chaque cellule de la dividente est double de la précédente cellule coradi- cale. Mais voici comment je le démontre.

D'après le lemme 5, la multitude des combinai- sons de 3 dans 6 est égale à la quatrième cellule de la septième base, savoir p ou 20 ; or p se trouveau mi- lieu de la base^ car 3 est la moitié de 6, d'où résulte que 4, nombre immédiatement supérieur à 3, se trouve au milieu du nombre 7 immédiatement su-

�� � 570 ŒUVRES

lulae F, seu o), ex lo consect. triang. arith. quaequi- dem ù) est qaoque quarta cellula basis sextse, ideôque ex lemm. 5, ipsa co seu F aequatur multitudini combi- nationum numeri 3 in 5 ; ergô multitudo combina- tionum 3 in 6 dupla est multitudinis combina tionum 3 in 5. Q. E. D.

Prop. 4.

Si sint duo numeri proximi, et alius quilibet in utroque combinetur, multitudo combinationum quae fiunt in majore erit ad alteram multitudinem ut major numerus ad ipsummet majorem dempto eo qui combinatus est.

Sint duo numeri unitate différentes 5, 6, et alius quilibet 2 combinetur in 5, et deinde in 6: dico multitudinem combinationum ipsius 2 in 6 esse ad multitudinem combinationum ipsius 2 in 5 ut 6 ad

6—2.

Hoc ex i3 consect.^ trianguli arithmetici est mani- festum et sic ostendetur.

Multitudo enim combinationum ipsius 2 in 6 «quatur summae cellularum seriei 2 trianguli 6, nempe cp + ^j^H-O-hRH-S, ex lemm. 5, hoc est cellulae 'i, seu i5. Sed, ex eodem, multitudo combi- nationum ejusdem 2 in 5 aequatur summae cellu- larum seriei 2 trianguli 5, nempe cp + tj> + 6 H- R, seu cellulae w, seu lo: est autem cellula $ ad w ut

��I. Lire : consect. i4.

�� � COMBINATIONES 571

périeur à 6. Ainsi la quatrième cellule p fait partie de la dividente, et, d'après la conséquence 1 1 du triangle arithmétique, elle est double de la cellule F ou w, laquelle o> est la quatrième cellule de la sixième base ; dès lors, d'après le lemme 5, w ou F est égal à la multitude des combinaisons de 3 dans 5 ; donc la multitude des combinaisons de 3 dans 6 est dou- ble de la multitude des combinaisons de 3 dans 5.

Prop. 4.

Étant donnés deux nombres consécutifs dans les- quels on combine un troisième nombre quelconque, la multitude des combinaisons obtenues dans le plus grand des nombres donnés sera à la multitude des combinaisons obtenues dans le plus petit comme le plus grand nombre est à son excès sur le nombre qui est combiné.

Soient deux nombres consécutifs 5,6; nous com- binons un autre nombre quelconque 2, d'abord dans 5, puis dans 6 ; je dis que la multitude des com- binaisons de 2 dans 6 est à la multitude des combi- naisons de 2 dans 5 comme 6 est à 6-2.

C'est là un fait qui résulte immédiatement de la con- séquence là du triangle arithmétique, et que l'on éta- blira comme il suit :

La multitude des combinaisons de 2 dans 6 est égale d'après le lemme 5, à la somme des cellules de la seconde série du triangle 6, soit à cp -f- i/ -f- -f- R -h S, par suite à la cellule ? ou i5. Mais, d'après le même lemme, la multitude des combinaisons de 2^

�� � 572 ŒUVRES

6 ad 4, hoc est ut 6 ad 6 — 2, ex i3, consect. triang. arith.

��Prop. 5.

Si duo numeri proximi in alio quolibet combi- nentur, erit multitude combiriationum minoris ad alteram ut major numerus combinatus ad nume- rum in quo ambo combinati sunt, dempto minore numéro combinato.

Sint duo quilibet numeri proximi 3, 4, et alius quilibet 6 : dico multitudinem combinationum mi- noris 3 in 6 esse ad multitudinem combinationum majoris 4 in 6 ut 4 ad 6 — 3.

Hoc cam 1 1 consect.^ tr. arith. convenitet sicosten- detur.

Multitudo enim combinationum numeri 3 in 6 œquatur, ex lemm. 5, summae cellularum seriei 3 trianguli 6, nempe A + B-HCH-co seu cellulae p, seu 20. Multitudo vero combinationum numeri 4 in 6 sequatur, ex eodem, summae cellularum seriei 4 trianguli 6, nempe D-|-E-f-F, seu cellulae K, seu i5 ; est autem p ad K ut 4- ad 3, seu ut 4 ad 6 — 3, ex consect. 1 1 tr. arith.

��I. Lire : consect. 12.

�� � COMBINATIONES 573

dans 5 est égale à la somme des cellules de la se- conde série du triangle 5, soit à (p-|-(l>-h6-hR, par suite à la cellule to ou lo. Or, d'après la consé- quence i/i du triangle arithmétique, la cellule $ est à 0) comme 6 est à 4, c'est-à-dire comme 6 est à 6-2.

��Prop. 5.

Si Ton combine deux nombres consécutifs dans un troisième nombre quelconque, la multitude des com- binaisons du plus petit nombre sera à la multitude des combinaisons du plus grand comme le plus grand est à l'excès sur le plus petit du nombre dans lequel on combine.

Soit deux nombres consécutifs quelconques 3, 4, et un autre nombre quelconque 6 : je dis que la multitude des combinaisons du plus petit nombre 3 dans 6 est à la multitude des combinaisons du p/as grand nombre 4 dans 6 comme 4 est à 6-3.

C'est là un fait qui découle de la conséquence 12 du triangle arithmétique et que Von établira comme il suit :

La multitude des combinaisons de 3 dans 6 est égale, d'après le lemme 5, à la somme des cellules de la 3' série du triangle 6, soit à A-f-B-hC-f-o), par suite à la cellule p ou 20. Mais, d'autre part, la multitude des combinaisons de 4 dans 6 est égale, d'après le même lemme, à la somme des cellules de la quatrième série du triangle 6, soit à D -h E -|- F, par suite à la cellule A ou i5. Or, d'après la consé-

�� � 574 ŒUVRES

Prop. 6,

Si sint duo numeri quilibet quorum minor in majore combinetur, sint autem et alii duo his proximè majores quorum minor in majore quoque combinetur : erunt multitudines combinationum^ inter se ut hi ambo ultimi numeri.

Sint duo quilibet numeri 2, 4, alii vero his proximè majores 3,5: dico multitudinem combi- nationum numeri 2 in 4 esse ad multitudinem combinationum numeri 3 in 5 ut 3 ad 5.

Consect. ^ 12 triang. arith. hanc continet et sic de- monstratur.

Multitudo enim combinationum ipsius 2 in 4 sequatur, ex lemm. 5, summae cellularum seriei 2 trianguli 4, nempe o+tj^-4-6, seu cellulae C, seu 6. Multitudo verô combinationum numeri 3 in 5 sequatur, exeodem, summae cellularum seriei 3 trian- guli 5, nempe A-j-B-|-G, seu cellulae F, seu lo : est autem G ad F ut 3 ad 5, ex 12 consect. triang. arith.

Lemma 6.

Summa omnium cellularum basis triang. cujus- libet arithmetici unitate minuta œquatur summae omnium combinationum quse fieri possunt in

��I. Lire : consect. i3.

�� � quence 12 du triangle arithmétique, p est à K comme 4 est à 3, c’est-à-dire comme 4 est à 6-3.

Prop. 6.

Deux nombres quelconques étant donnés, combinons le plus petit dans le plus grand ; prenant ensuite les nombres qui suivent respectivement les deux nombres donnés, combinons encore le plus petit dans le plus grand : les multitudes de combinaisons obtenues seront entre elles comme les deux derniers nombres considérés.

Considérons deux nombres quelconques 2, 4, et les deux nombres immédiatement supérieurs 3,5 : je dis que la multitude des combinaisons de 2 dans 4 est à la multitude des combinaisons de 3 dans 5 comme 3 est à 5.

C’est là un corollaire de la conséquence 13 du triangle arithmétique qui se démontre comme il suit :

La multitude des combinaisons de 2 dans 4 égale, d’après le lemme 5, à la somme des cellules de la seconde série du triangle 4, soit φ+ψ+θ, par suite de la cellule C ou 6. Mais, d’autre part, la multitude des combinaisons de 3 dans 5 est égale, d’après le même lemme, à la somme des cellules de la troisième série du triangle 5, soit à A+B+C, par suite à la cellule F ou 10. Or, d’après la conséquence 14 du triangle arithmétique, C est à F comme 3 est à 5.

Lemme 6.

La somme de toutes les cellules de la base d’un 576 ŒUVRES

numéro qui proximè minor est quam exponens basis.

Sit triangulus quilibet arithmeticus, v. g., quin- tus GHjut ; dico summam cellularum suae basis H-rEH-G-l-R-l-|:x, minus uniidiie sea minus una ex extremis H vel ^, aequari summse omnium com- binationum quae fieri possunt in numéro 4, qui proximè minor est quam exponens basis 5. Id est : dico summam cellularum R+GH-EH-H {sap- primo enim extremam p.) id est 4 -h 6 + 4 + i , seu i5, aequari multitudini combinationum numeri i in 4, nempe ^ ; plus multitudine combinationum nu- meri 2 in 4, nempe 6 ; plus multitudine combina- tionum numeri 3 in 4, nempe 4; plus multitudine combinationum numeri 4 in 4, nempe i. Qaœ qui- dem suntomnes combinationes quss fieri possant in 4; superiores enim numeri, 5, 6, 7, etc., non combinan- tur in numéro 4 • major enim numerus in minore non combinatur.

Multitudo enim combinationum numeri i in 4 œquatur, ex 5 lemm. , cellulae 2 basis 5, nempe R, seu 4. Multitudo verô combinationum numeri 2 in 4 œquatur cellulae 3 basis 5, nempe G, seu 6. Multi- tudo quoque combinationum numeri 3 in 4 aequatur cellulae 4 basis 5, nempe E, seu 4- Multitudo deni- que combinationum numeri 4 in 4 aequatur cellulae 5 basis 5, nempe H, seu i . Igitur summa cellularum basis quintae, demptâ extremâ seu unitate, aequatur summae omnium combinationum quae possunt fieri in 4.

�� � GOMBINATIONES 577

triangle arithmétique quelconque, diminuée d'une unité, est égale à la somme de toutes les combinai- sons que l'on peut faire dans le nombre immédia- tement inférieur à l'exposant de la base.

Soit donné un triangle arithmétique quelconque, par exemple le cinquième G H (x : je dis que la somme des cellules de la base, H-hE-h-G-f-R-f-fx, diminuée d'une unité ou (ce qui revient au même) diminuée de l'une des cellules extrêmes H ou i:/, est égale à la somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans le nombre 4, nombre immédiatement inférieur à l'exposant de la base 5. En d'autres ter- mes , j e dis que la somme des cellules R -hG H- E -h H (la cellule extrême fx étant supprimée), c'est-à-dire la somme /i-h-6-H/i-h-i ou i5, égale : la multitude des combinaisons de i dans f\, soit 4 ; plus la mul- titude des combinaisons de 2 dans 4, soit 6 ; plus la multitude des combinaisons de 3 dans 4, soit 4 ; plus la multitude des combinaisons de 4 dans 4, soit I [ce sont bien là toutes les combinaisons que l'on peut faire dans à, car les nombres supérieurs, 5, 6, 7 , etc., ne se combinent pas dans U, puisqu'on ne saurait combiner un nombre dans un nombre plus petit].

En effet la multitude des combinaisons de i dans 4 est égale, d'après le lemme 5, à la deuxième cel- lule de la cinquième base, c'est-à-dire à R ou à 4- Mais, d'autre part, la multitude des combinaisons de 2 dans 4 est égale à la troisième cellule de la cin- quième base, c'est-à-dire à G ou à 6. Pareillement la multitude des combinaisons de 3 dans 4 est égale à

III - 37

�� � 678 OEUVRES

��Prop, 7.

��Summa omnium combinationum quse fieri pos- sunt in numéro quolibet, unitate aucta, est nume- rus progressionis duplœ quse ab unitate sumit exor- dium, quippe ille cujus exponens est numerus proximè major quam datus.

Sit numerus quilibet, v. g., 4: dico summam omnium combinationum quae fieri possunt in 4, nempe i5, unitate auctam, nempe i6, esse nume- rum qaintum (nempe proximè majorem quam quar- tum) progressionis duplae quse ab unitate sumit exordium.

Hoc nihil aliud est quam 7. consect.^ triang. arith. et sic uno verbo demonstrari posset : omnis enim basis est numerus progressionis duplae ; sic tamen démons tro.

Summa enim combinationum omnium quae fieri possunt in 4, unitate aucta, aequatur, exlemm. 6., summae cellularum basis quintae ; ipsa verô basis est qaintus numerus progressionis duplae quae ab unitate sumit exordium, ex 7. consect. trianguli arithme- tici.

I. Lire : consect. 8.

�� � GOMBINATIONES 579

la quatrième cellule de la cinquième base, c'est-à-dire à E ou à 4- Enfin la multitude des combinaisons de 4 dans 4 est égale à la cinquième cellule de la cinquième base, c'est-à-dire à H ou à i. Donc la somme des cellules de la cinquième base, lorsqu'on y supprime une cellule extrême ou l'unité, égale la somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans 4,

Prop. 7.

La somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans un nombre, augmentée d'une unité, se trouve égale à celui des termes de la progression double commençant par 1 dont l'exposant est immé- diatement supérieur au nombre proposé.

Soit donné un nombre quelconque, par exemple 4 : je dis que la somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans 4, savoir i5, étant augmentée d'une unité, ce qui donne i6, est le cinquième terme (terme qui suit immédiatement le quatrième) de la progression double qui commence par l'unité.

Cette proposition n'est autre que la conséquence 8 du triangle arithmétique, et on pourrait la démontrer d'un mot en disant queiouie base est un nombre de la progression double ; mais je l'établirai comme il suit : La somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans 4, augmentée d'une unité, égale, d'après le lemme 6, la somme des cellules de la cinquième base ; or cette base est, d'après la conséquence 8 du trian- gle arithmétique, le cinquième nombre de la pro- gression double qui commence par l'unité.

�� � 580 ŒUVRES

��Prop. S.

��Summa omnium combinationum quas fieri pos- sunt in numéro quolibet, unitate aucta, dupla est summas omnium combinationum quae fieri possunt in numéro proximè minore, unitate auctse.

Hoc convenit cum 6 consect.^ triang. arith., nempe omnis basis dupla est praecedentis ; sic autem osten- demus.

Sint duo numeri proximi 4, 5: dico summam combinationum quas fieri possunt in 5, nempe 3i, unitate auctam, nempe 32, esse duplam summae combinationum quae fieri possunt in 4, nempe i5, unitate auctae, nempe i6.

Summa enim combinationum quae fieri possunt in 5, unitate aucta, aequatur, ex praecedente, sexto numéro progressionis duplae. Summa verô combi- nationum quae fieri possunt in 4, unitate aucta, aequatur, ex eâdem, qainto numéro progressionis duplae. Sextus autem numerus progressionis duplae duplus est proximè praecedentis, nempe quinti.

Prop. 9.

Summa omnium combinationum quae fieri pos- sunt in quovis numéro, unitate minuta, dupla est summse combinationum quas fieri possunt in nu- méro proximè minori.

��Lire : consect. 7.

�� � GOMBINATIONES 581

Prop. 8.

La somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans un nombre, augmentée d'une unité, donne le double de la somme de toutes les combinai- sons que l'on peut faire dans le nombre immédiate- ment inférieur, augmentée elle-même d'une unité.

Cette proposition résulte de la conséquence 7 du triangle arithmétique, puisque toute base est double de la précédente ; mais nous rétablirons comme il suit :

Soient donnés deux nombres consécutifs 4 , 5 : je dis que la somme des combinaisons que l'on peut faire dans 5, savoir 3i, étant augmentée d'une unité, ce qui donne 32, est le double de la somme des com- binaisons que l'on peut faire dans 4, savoir 1 5, aug- mentée elle-même d'une unité, — c'est-à-dire le double de i6.

En efîet la somme des combinaisons que l'on peut faire dans 5, augmentée d'une unité, égale, d'après ce qui précède, le sixième terme de la progression double. Mais la somme des combinaisons que l'on peut faire dans 4, augmentée d'une unité, égale pa- reillement le cinquième terme de la progression double. Or le sixième terme de la progression dou- ble est double du précédent (cinquième) terme.

Prop. 9,

La somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans un nombre quelconque, diminuée d'une

�� � 682 ŒUVRES

Hœc cam précédente omnino convenit.

Sint duo numeri proximi 4, 5 : dico summam omnium combinationum quse fieri possunt in 5, nempe 3i, unitate minutam, nempe 3o, esse du- plam omnium combinationum quœ fieri possunt in l^, nempe i5.

Etenim, ex preced. summa combinationum quae flunt in 5, unitate aucta, dupla est summae combi- nationum quae fiunt in 4, unitate auctae : si ergo ex minori summâ auferatur unitas, et ex duplâ summâ auferantur duse unitates, reliquum summae duplœ, nempe summa combinationum quœ fiunt in 5 unitate minuta, remanebit dupla residui alterius summae, nempe summœ combinationum quœ fiunt in 4.

Prop. 10.

Summa omnium combinationum quae fieri pos- sunt in quolibet numéro, minuta ipsomet numéro, sequatur summse omnium combinationum quae fieri possunt in singulis numeris proposito mino- ribus.

Hœc cum 8 consect.'^ triang. arith. concurrit, quœ sic habet : basis quaelibet unitate minuta aequatur summae omnium praecedentium. Sic autem ostendo.

Sit numerus quilibet 5 : dico summam omnium combinationum quae possunt fieri in 5, nempe 3i, ipso 5 minutam, nempe 26, aequari summae om-

1. Lire : consect. g.

�� � COMBINATIONES 583

unité, donne le double de la somme des combinai- sons que Ton peut faire dans le nombre immédiate- ment inférieur.

Cette proposition nest quune répétition de la pré- cédente.

Soient donnés deux nombres consécutifs 4, 5 : je dis que la somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans 5, savoir 3i, étant diminuée d'une unité, ce qui donne 3o, est le double de la somme des combinaisons que l'on peut faire dans 4, savoir i5.

En effet, d'après la proposition précédente, la somme des combinaisons que l'on fait dans 5, aug- mentée d'une unité, est le double de la somme des combinaisons que l'on fait dans 4, augmentée elle- même d'une unité. Si donc de la. plus petite somme on retranche une unité, et de la somme double deux unités, le reste donné par la somme double (c'est-à- dire la somme des combinaisons que l'on peut faire dans 5, diminuée dune unité) se trouvera double du reste donné par la première somme (c'est-à-dire de la somme des combinaisons que U on peut faire dans 4).

Prop. 10.

La somme de toutes les combinaisons que Ton peut faire dans un nombre, diminuée de ce même nombre, égale la somme de toutes les combinaisons que Ton peut faire dans Tensemble des nombres in- férieurs au nombre proposé.

Celte proposition résulte de la conséquence 9 du

�� � 584 ŒUVRES

nium combinationum quse possunt âeri in /j, nempe 1 5 ; plus summâ omnium quâe possunt fieri in 3, nempe 7 ; plus summâ omnium quae possunt fieri in 2 , nempe 3 ; plus eâ quae potest fieri in i , nempe i ; quorum aggregatus est 26.

Etenim, Proprium numerorum hujus progres- sionis duplae illud est, ut quilibet ex ipsis, v. g., sextus 32, exponente suominutus, nempe 6, id est 36, sequetur summae inferiorum numerorum hujus progressionis, nempe i6-}-8 + 4-|-2-|-i, unitate minutorum, nempe i5-f-7 + 3-|-i+o, nempe 26. Unde facilis est demonstratio hujus proposi- tionis

��Prohlema 1,

Dato quovis numéro, invenire summam omnium combinationum quas in ipso fieri possunt. Absque

triang. arith,

Numerus progressionis duplœ quse ab unitate sumit exordium, cujus exponens proximè major est quam numerus datus, satisfaciet problemati, modo unitate minuatur.

Sit numerus datus, v. g., 5; quaeritur summa omnium combinationum quae in 5 fieri possunt.

Numerus sextus progressionis duplae quae ab uni- tate in cipit, nempe 32, unitate minutus, nempe 3i, satisfacit, ex lemm. 6.; ergo possunt fieri 3i combi- nationes in numéro 5.

�� � triangle arithmétique, d’après laquelle une base quelconque, diminuée d’une unité, égale la somme de toutes les bases précédentes. Mais voici comment nous raisonnerons.

Soit donné un nombre 5 : je dis que la somme de toutes les combinaisons que l’on peut faire dans 5, savoir 31 , étant diminuée de 5, ce qui donne 26, se trouve égaler : la somme des combinaisons que l’on peut faire dans 4, soit 15 ; plus la somme des combinaisons que l’on peut faire dans 3, soit 7 ; plus la somme des combinaisons que l’on peut faire dans 2, soit 3 ; plus la combinaison que l’on peut faire dans 1, soit 1 ; somme égale à 26.

En effet, c’est une propriété des termes de la progression double que l’un quelconque de ses termes, par exemple le sixième 32, étant diminué de son exposant 6, ce qui donne 26, se trouve égaler la somme des termes qui le précèdent dans la progression , savoir 16+8+4+2+1 respectivement diminués d’une unité, ce qui donne 26. De là on tirera facilement la démonstration de la proposition énoncée.

Problème 1.

Étant donné un nombre quelconque, trouver la somme de toutes les combinaisons que l'on peut faire dans ce nombre (sans se servir du triangle arithmétique).

Dans la progression double commençant par l'unitè, prenons le terme dont l'exposant est immédiatement supérieur au nombre donné. Ce terme, i86 ŒUVRES

��Problema 2,

��Datis duobus numeris inaequalibus, invenire quot modis minor in majore combinetur. Absque triang. arithm.

Hoc est propriè ultimum Problema Tractatus triang. arith., quod sic resolvo.

Productusnumerorumquiprœceduntdifferentiam datorum unitate auctam dividat productum totidem numerorum continuorum, quorum primus sit minor datorum unitate auctus : quotiens est qusesitus.

Sint dati numeri 2,6: oportet invenire quot mo- dis 2 combinetur in 6.

Assumatur eorum difTerentia /j, quae unitate aucta est 5. Jam assumantur omnes numeri qui praecedunt ipsum 5, nempe i, 2, 3, 4, quorum productus sit 24. Assumantur totidem numeri continui quorum primus sit 3, nempe proximè major quam 2 qui minor est ex amhohus datis, nempe 3,4, 5, 6, quorum pro- ductus 36o dividatur per praecedentem productum 24 '- quotiens i5 est numerus qusesitus. Ita ut nu- merus 2 combinetur in 6 modis i5 dijjerentibus.

jNec difficilis demonstratio. Si enim quaeratur in triangulo arithmetico quot modis 2 combinetur in 6, assumenda est cellula 3 basis 7, ex lemm. 5, nempe cellula H, et ipsius numerus exponet multitudinem combinationum numeri 2 in 6. Ut autem inveniatur numerus cellulae l cujus radix est 5 et exponens se- riei 3, oportet, ex probl. triang. arith., ut productus numerorum qui precedunt h, dividat productum totidem

�� � diminué d’une unité, satisfera aux conditions du problème.

Soit donné un nombre tel que 5 : on demande quelle est la somme de toutes les combinaisons que l’on peut faire dans 5.

Le sixième terme, 32, de la progression double commençant par l’unité, étant diminué d’une unité, ce qui donne 3i, satisfait à la question, d’après le lemme 6 ; on peut donc faire 3i combinaisons dans le nombre 5.

Problème 2.

Étant donnés deux nombres inégaux, trouver de combien de manières le plus petit se combine dans le plus grand (sans se servir du triangle arithmétique).

La question n’est autre que le dernier problème du traité du triangle arithmétique, problème que je résous comme il suit :

Considérons le produit des nombres qui précèdent la différence des nombres proposés, augmentée d’une unité; puis divisons par ce produit le produit d’un même nombre de termes consécutifs commençant par le plus petit des nombres donnés, augmenté lui-même d’une unité : le quotient sera le nombre cherché.

Soient donnés deux nombres 2, 6 : on veut trouver de combien de manières 2 se combine dans 6.

Considérons la différence 4 des deux nombres et augmentons-la d’une unité, ce qui donne 5. Puis prenons tous les nombres qui précèdent 5, savoir 1,2, 3, ^, et formons leur produit 24- Prenons en588 ŒUVRES

numerorum continuoram quorum primus sit 3, et quo- tiens erit numerus cellulae ç ; sed idem divisor ac idem dividendus in constructione hujus propositus est, quare et eumdemquotientem sortita estdivisio ; ergo in hâc constructione repertus est numerus cellulae H, quare et exponens multitudinis combinationum nu- meri 2 in 6, quae quserebatur. — Q. E. F. E. D.

��Monitum.

Hoc problemate tractatum hune absolvere consti- tueram, non tamenomninôsine molestiâ, cum multa alia parata habeam ; sed ubi tanta ubertas, vi mode- randa est famés : bis ergo pauca haec subjiciam.

Eruditissimus ac mihi charissimus D. D. de Ga- nieresS circa combinationes, assiduo ac perutili la- bore, more suo, incumbens, ac indigens facib con- structione ad inveniendum quoties numerus datus in alio dato combinetur, hanc ipse sibi praxim instituit.

Datis numeris, v. g. 2, 6, invenire quoi modis 2 combinetur in 6.

Assumatur,mquii, progressio duorum terminorum, quia minor numerus est 2, inchoando a majore 6, ac retrogrediendo, seu deirahendo unitatem ex uno- quoque termino, hoc modo 6, 5 ; deinde assumatur altéra progressio inchoando ah ipso minore i ac simi- îiter retrogrediendo hoc modo 2,1. Multiplicentur in- vicem nameri primas progressionis 6 , 5, sitque produc-

I. Vide infra Appendice II, p. 697.

�� � COMBINATIONÊS 589

suite, à partir de 3 (3 étant immédiatement supérieur au plus petit des nombres donnés, 2), un même nom- bre de termes consécutifs, savoir 3, ^, 5, 6 et for- mons leur produit 36o. Nous diviserons ce produit par le produit précédent, 24 : le quotient i5 sera le nombre cherché. En sorte que le nombre 2 se com- bine dans 6 de 15 manières différentes.

La démonstration est aisée. En effet, pour trou- ver dans le triangle arithmétique le nombre des combinaisons de 2 dans 6, il faut prendre, d'après le lemme 5, la troisième cellule delà septième base, soit ? : le nombre de cette cellule donne la multitude des combinaisons de i dans 6. D'ailleurs, pour trouver le nombre de la cellule ^ qui a 5 pour racine et 3 pour exposant de série, il faut, d'après le problème relatif au triangle arithmétique, diviser le produit des nombres qui précèdent 5 par le pro- duit d'un même nombre de termes consécutifs par- tant de 3 : le quotient est le nombre de la cellule H. Mais le diviseur et le dividende de cette division sont précisément ceux qu'indique la méthode donnée ci-dessus ; le quotient sera donc le même que tout à l'heure, et notre méthode fournit bien le nombre de la cellule $, c'est-à-dire le nombre des combinaisons de 2 dans 6. C. Q. F. D.

Remarque,

C'est par ce problème que j'avais décidé d'achever mon traité, non sans regret, je dois le dire, carj'aien

�� � 690 OEUVRES

tus 3o. Maltiplicentur et numeri secundœ progressionis 2, I, sitque prodactus 2. Dividatur major productus per minorem : quotiens est quaesitas.

Excellentem hanc solutionem ipse mihi ostendit, ac etiam demonstrandam proposuit ; ipsam ego sanè miratus sum, sed diffîcultate terri tus vix opus susce- pi, et ipsi auctori relinquendum existimavi ; attamen trianguli arithmetici auxilio, sic proclivis facta est via.

In 5 lemm. hujus, ostendi numerum cellulae l, exponere multitudinemcombinationum numeri 2 in 6 ; quare ipsius reciproca cellula K eumdem nume- rum continebit. Verum cellula ipsa K est quotiens divisionis in quâ productus numerorum 1,2, qui prx- cedunt 3 radicem cellulse K, dividit productum totidem numerorum continuorum quorum primus est 5 expo- nens seriei cellulse K, nempe numerorum 5, 6. Sed ille divisor ac dividendus sunt iidem ac illi qui in constructione amici sunt propositi ; igitur eumdem quotientem sorti tur divisio, quare ipse exponit mul- titudinem combinationum numeri 2 in 6, quae quae- rebatur^ Q. E. D.

��I . La formule de Gagnières est identique à celle que Pascal vient de donner lui-même dans son Problème II. D'après la règle de Pascal, le

nombre des combinaisons de r objets p a p est ^^ — ^-^ ^^

j.r...{r—p)

D'après les règles de Gagnières, ce même nombre est égal à

-^^ ; • • • (.^ p-t- i; Qj.^ g- Y^^ supprime dans le premier rap-

I ■ r • ' ■ p port les facteurs communs au numérateur et au dénominateur, on

��obtient le second rapport.

�� � COMBINATIONES 591

ma possession bien des résultats encore ; mais, de- vant une telle abondance, je suis bien forcé de me limiter ; je me contenterai donc d'ajouter à ce qui précède les quelques indications suivantes :

Un savant érudit, et qui m'est très cher, M. de Gagnières, s'étant occupé des combinaisons avec la patience et le succès dont il est coutumier, voulut connaître une méthode simple donnant la multi- tude des combinaisons d'un nombre dans un autre ; il fut ainsi conduit à la règle suivante :

Etant donnés deux nombres, par exemple 2, 6, trouver de combien de manières 2 se combine dans 6. Prenons, dit-il, à partir da plus grand nombre, 6, une progression de deux termes (deux, parce que le plus petit nombre donné est 2), cette progression étant décroissante (ce qui veut dire que chaque terme s'obtient en retranchant une unité du terme précédent) : nous obtenons ainsi 6, 5. Prenons ensuite, à partir du plus petit nombre 2, une seconde progression égale- ment décroissante qui nous donne 2, 1. Multiplions l'un par l'autre les termes 6, 5 de la première pro- gression : leur produit est 30. Multiplions de même les termes 2, 1 de la seconde progression : leur produit est 2. Divisons enfin le plus grand produit obtenu par le plus petit : le quotient sera le nombre cherché.

M. de Gagnières me communiqua lui-même cette excellente solution et me proposa même d'en cher- cher la démonstration ; j'admirai le problème, mais effrayé par la difficulté, je pensai qu'il convenait d'en laisser la démonstration à son auteur ; cepen-

�� � S92 ŒUVRES

Hac demonstratione assecutâ, jam reliqua quae invitus supprimebam libenter omiUo, adeo dulce est amicorum memorari.

�� � TRAITÉ DU TRIANGLE ARITHMÉTIQUE 593

dant, grâce au triangle arithmétique, une voie aisée me fut ouverte pour y parvenir.

J'ai montré, dans lelemme 5 du présent traité, que le nombre de la cellule $ donne la multitude des combinaisons de 2 dans 6. La cellule K, réciproque de Ç, fournira donc aussi le même nombre. Or la cellule K est le quotient de la division par le produit des nombres i, 2 (qui précèdent la racine 3 de la cel- lule K) du produit d'un même nombre de termes consé- cutifs, 5, 6, partant du terme 5, exposant de la série delà cellule K. Le diviseur et le dividende de cette division étant précisément ceux qu'indique la cons- truction de mon ami, leur quotient sera le même et donnera bien la multitude des combinaisons de 2 dans 6. G. Q. F. D.

Ce point étant acquis, je renonce volontiers à pu- blier les résultats qu'il me coûtait d'abord de sup- primer : tant il m'est doux de pouvoir rappeler ici le travail d'un ami.

��III — 3fî

�� � APPENDICE I

Extraits d'un fragment inédit relatif au calcul des probabilités^»

(Conservé à la Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions françaises, n» 5176, ff. 32-35.)

REGLE AUXQUELLES SE PEUVENT RAPPORTER LES PARTTS

Si mon hasard (attente) est égal de gagner (par ex.) 10 on 12, cela me vaut 11, c'est-à-dire toujours la moitié des deux hasards ou espérances.

Et ainsy quand on me propose vous aurez 10 ou vous au- rez 12, il m'appartient 11, ce qui fait une autre règle, qui est que mon espérance dans le party vaut une telle somme ou nombre, qu'en ayant un semblable et le jouant contre un égal, à condition que le gagneur donne au perdant la plus petite somme, je me trouve toujours dans la mesme espérance d'avoir le mesme party qu'on m'a proposé.

Par ex. on me donne à choisir au hasard entre deux sommes cachées, l'une de 9, l'autre de i3. Gela me vaut au tant que 1 1 , parce que, jouant 1 1 contre 1 1 à condition que le gagneur donne 9 au perdant, je reviens à la mesme espérance que j'avais auparavant qui est d'avoir toujours 9 ou i3 ; car, sy je gagne, j'auray 22, dont donnant 9 au perdant, j'auray i3 ; sy je perds, j'ay les 9 qu'il me revient.

Mais plus court et moins embrouillé. Il n'y a qu'à dire que des deux partys proposez j'ay déjà sûrement le moindre. Et il n'y a qu'a partager par moitié l'excédent du plus grand nombre sur le plus moindre et l'adjouter ou moindre pour faire ce qu'il me revient. Ainsy, quand j'ay hasard égal à tirer 9 ou i3, j'ay déjà sûrement 9 quoy qui arrive. Et, comme le

��I. Voir plus haut page 443.

�� � FRAGMENT SUR LES PARTIS 595

hasard est égal d'avoir aussy tost i3 que 9, sy on veut quitter sans que je tire et partager ce qui est du à chacun, il est certain que pouvant avoir aussy tost i3 que 9, il faut partager entre nous les 4 dont i3 excède 9, qui seront 2 pour pour moy, et avec 9 font 1 1, ce qui est le mesme que l'autre Règle. De mesme si le hasard n'est pas égal et que j'en aye par exemple 2 pour avoir i3 et i pour n'avoir que 9, il faut partager l'excédent en 3 parties et m'en donner deux, etc.

Le fragment continue par quelques exemples (« Exemples suivant ces règles ») et quelques règles : « En deux (parties) combien vaut la première? » Valeur des parties pour deux joueurs qui jouent en trois jeux ou en quatre jeux, pour trois joueurs qui jouent en deux jeux. Règle générale.

Pour les partis des dez.

Un dé estant cubique a 6 faces, et ainsy il peut amener 6 coups differens.

Deux dez en amènent 6 fois 6 qui sont 36, comme on peut voir par cette petite table où on voit la combinaison en mar- quant la difTerence des coups du dé A et du dé B.

3 dez font 6 fois 36 coups, qui sont 216.

4 dez font 6 fois 216 coups, qui sont i 296. Et ainsy du reste dont il n'est pas besoin de faire les tables.

2 dez ne peuvent faire 2 points que par un coup qui est i et i . Ils font 3 pour 2 coups, sçavoir A, i et B, 2, ou A, 2 et B, i. Mais cela se connaist aisément pour peu qu'on y pense (^Suit "/i tableau).

... On propose de faire un 6 avec un dé. En combien de coups le peut-on prendre?

��I 1 I ^

�2 1 2

�3 1

�^ 1

�5 1

�6 1

�� � 596 OEUVRES

Si on le prend en un coup, il faut seulement jouer i contre 5. Et, si on devait quitter sans j ouer , celuy qui me propose le party

aurait — et moy ^. Car, suivant les Règles cy-devant, j'ay 6 6

5 espérances pour o et seulement i pour 6. Donc, partageant

ces espérances par 6, il me revient — • Et qu'il me les faille

partager par 6, il est évident que c'est comme sy nous es- tions 6 joueurs contre 5 desquels j'entreprisse d'amener 6 du premier coup. Or qu'ils soient 5 gageant chacun i, ou qu'il n'y en ait qu'un gageant 5, c'est la mesme chose. Sy je le propose en 3, etc.

Le fragment se termine par quelques exemples.

�� � APPENDICE II

Extraits de lettres écrites à Mersenne par Aimé de Gagnières.

(Bibliothèque Nationale.

Nouvelles acquisitions françaises, n» 6204, pp. 56o sqq. et 62o5,

pp. 364 sqq.)

« Je viens à cette heure à vous parler des Combinations sur quoy j'ay plusieurs difficultez que je vous defmiray l'une après l'autre, vous demandant cette permission de pouvoir dire librement mes petites pensées sur ce subject où je me suis un peu attaché pour essayer de trouver la vérité.

P^ difficulté. — Premièrement, pour trouver combien de combinaisons se peuvent faire d'un certain nombre de choses proposées prises dans un plus grand nombre, lorsqu'il y en a quelques-unes semblables, par exemple de sçavoir combien de combinaisons ou de mots se peuvent faire de neuf lettres dont il y en aura quatre semblables sans la variété de l'ordre, vous dites dans votre second livre des chants en français prop. 17 p. i46 et 147 qu'il faut premièrement voir combien il y a de mots dans le chant sans avoir égard aux notes semblables qui ne sont comptées que pour une ; en sorte qu'en cest exemple les quatre A ne sont comptez que pour une lettre, et partant il faut chercher combien six lettres dif- férentes peuvent faire de combinaisons suyvant la table du 4^ corollaire de l'onziesme prop. du livre des Chants (p. i34) que j'ay mis à la marge pour plus grande facilité: il est donc ainsy que six lettres différentes se pourront combiner en

��I. Aimé de Gagnières, père de Roger de Gagnières, était écuyer et secrétaire du duc de Bellegarde (consulter sur sa biographie l'in- troduction de H. Bouchot dans l'Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gagnières, 1891). Il est cité par Hilarion de la Coste comme Tun des amis du Père Mersenne.

�� � 698 ŒUVRES

74 6i3 manières différentes, lequel nombre vous dites qu'il faut multiplier par quatre qui est le nombre des lettres sem- blables et par conséquent 7461 3 multipliez par quatre pro- duisent 398452, ce que je n'estime pas que vous trouviez véritable.

Car pour moy j'estime qu'il faut multiplier ledit nombre 74618 par six, qui est le nombre des différentes, et, par conséquent, qu'il y aura 44 7 678 combinaisons diff'erentes de neuf lettres dont quatre sont semblables, ex. de aaaabcdef^ s'entend sans y comprendre la variété de l'ordre...

  • *

Obligez moy de m' enseigner la méthode de combiner, s'il y en a quelqu'une, lors qu'il y des lettres semblables comme vous l'enseignez fort clairement lors qu'elles sont toutes diffé- rentes en votre sixiesme livre des Chants en latin prop. V p. 118.

Au mesme livre p. 119 ligne 44 vous dites que l'on peut corriger le Calcul qu'a fait un certain Xenocrates de toutes les syllabes possibles. Je vous supplie de me mander quel livre a fait le dit Xenocrates où il a fait cette supputation, et si on le peut recouvrer.

Je suis honteux de vous donner tant d'importunitez...

��


LXV



I. TRIANGULUS ARITHMETICUS

II. NUMERI FIGURATI

SEU ORDINES NUMERICI

DE NUMERICORUM ORDINUM

COMPOSITIONE

Bibliothèque de Clermont-Ferrand B 55568 [R]

Date présumée : derniers mois de 1654.

APPENDICE III



ADDITION AUX TRAITÉS MATHÉMATIQUES DE 1654

TRIANGULUS ARITHMETICUS ET NUMERI FIGURATI



INTRODUCTION.

Nous avons publié à leur date (derniers mois de 1654) les écrits de Pascal sur le triangle arithmétique, qui ne furent édités qu’en 1665, mais qui — comme nous le dit V Avertissement de l’édition posthume — avaient été « trouvez tout imprimez parmi les papiers de Monsieur Pascal » (vide supra T. III, p. 445 n. 1).

Cependant, l’édition de 1665 n’était pas complète : la bibliothèque de Clermont-Ferrand possède en effet une rédaction latine (imprimée) d’une partie des traités de 1654, qui ne figure point dans cette édition. Nous avons retrouvé cette rédaction latine dans le recueil d’opuscules mathématiques de Pascal qui fut donné à l’Oratoire de Clermont par Marguerite Perier (Bibliothèque de Clermont-Ferrand, B. 5568 [R], vide infra T. VIII, p. 329-330) et nous la reproduisons ci-dessous.

Le traité latin « Triangulus arithmeticus » remplit 9 pages in-4, numérotées I à IX. Le traité « Numeri figurati », d’autre part, formait, avec le (« De numerorum continuorum prodactis », la « Numericarum Potestatum generalis resolutio », les « Combinationes », la « Potestatum numericarum summa » et le « De numeris multiplicibus » un recueil de 48 pages numérotées de I à 48.

De ce recueil, les volumes édités en 1665 contiennent les pages 9-48. Les pages 1-8, par contre, sont remplacées par huit pages nouvelles contenant : ADDITIONS ET CORRECTIONS 601

I** Un « Traité des ordres numériques » en français (publié supraT. III, p. 5o4-5ii).

2® Un nouveau début de traité, en latin, précédé du titre général « De numericis ordinibus tractaius » Çsupra T. III, p. 5i2 sqq.).

Du « Triangulus Arithmelicus », l'édition de i665 ne donne que la version française (suivie des Divers usages du triangle arithmétique), version qui est évidemment de Pascal lui- même, mais qui diffère légèrement du texte latin, et est peut-être postérieure (vide supra T. III, p. 436).

Il convient de remarquer que le Conseclarium 3. du texte latin s'est décomposé, dans la version française, en deux Conséquences, la seconde et la troisiesme. Toutes les Consé- quences suivantes portent par suite des numéros supérieurs d'une unité aux numéros des Consectaria correspondants. Ainsi se trouve expliqué le défaut de concordance que nous avons signalé plus haut (T. III, p. 564, note i) entre le texte français du Triangle arithmétique et les renvois que Pascal fait à ce traité dans les « Combinationes » (Cf. égale- ment T. III, p. 4i5, et 417, note i).

�� � 60S

��TRIANGULUS ARITHMETIGUS

DEFINITIONES

Triangulas Arithmeticus sic construitur. Ex puncto quolibet Z aguntur ZL, ZT perpendicula- res ; In utrâque assumuntur quotlibet portiones aequales, i, 2, 3, 4, etc. à puncto Z exordium su- mentes. Punctum primae divisionis rectae ZL cum puncto primae divisionis alterius jungit recta, i, i, quae primum Triangulum iZi constituit, estque ipsa prima Basis. Secundum cum secundo con- jungit secanda Basis 2,2, quae secundum constituit triangulum 2Z2, et sic de reliquis divisionum punctis, 3, 4, 5, etc.

Jam ab ipsis divisionum punctis, 1,2, 3, 4, etc. utriusque rectae aguntur rectae parallelae lateribus, quae per intersectiones suas formant quadrata, quae Cellulœ vocantur.

Séries verô cellularum G, (7, r., 1, m, ^, (^, à si- nistrâ ad dextram procedentium, prima séries dici- tur, quia ipsius exponens est i . Sic séries cellula- rum, 9,4^,0, R,S,N secanda séries dicitur, quia ipsius exponens est, 2. Et sic de caeteris.

Numeri ergo, i, 2, 3, etc. qui rectae ZT divi- siones exponunt, sunt Exponentes serierum.

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS C33

Numeri verô, i, 2,3, etc. qui rectae ZL divi- siones exponunt dicti sunt Radiées.

Gellulae igitur v. g. G, w, sont ejasdem seriei nempe tertiae.

Gellulae vero, w, p. sunt Corradicales , procedunt enim ab eadem radiée 4.

Gellulae autem quas eadem basis diagonaliter per- meat, v. g. M, F, dicuntur cellulae ejasdem basis : Quae verô sunt ejusdem basis et œqualiter ab ejus extremis remotae dicuntur Reciprocse, ut cellulae Q,N; sunt enim in eadem basi, nempe septimâ, et aequè ab extremis ejus remotae. Dicuntur autem reci- procse, quia exponens seriei unius est idem nume- rus ac radix alterius. Ipsa enim Q est sextae seriei, secundœ vero radicis ; altéra autem N, est secundae seriei, sextae vero radicis ; unde reciprocatio patet. Facillimum est autem ostendere cellulas quarum radiées et exponentes serierum reciprocè convertun- tur esse in eadem basi et aequaliter ab ejus extremis remotas.

Sic et facile demonstratur, cujuslibet cellulae, exponentem seriei plus radiée unitate minuta, aequari exponenti basis; v. g. cellula F, est in série 4, à radiée 3, et in basi 6, et contingit exponentem seriei 4, plus radiée 3 unitate minuta id est, 2, aequari exponenti basis 6.

Sic et in promptu est quamlibet basim tôt conti- nere cellulas quot sunt unitates in exponente ; v. g. hasis quarta, D B G X, quatuor constat cellulis, basis quinta, H E G R /x, quinque, etc. Quae omnia potiùs

�� � (104 ŒUVRES

monstrantur quam demonstrantur ac primo intuitu noscuntur.

��Generatio Numerorum Cellalarum Triangul

Sic autem in quâque cellulâ numeri inseruntur,

In prima série : quaevis cellula continet unitatem. Sic G est unitas, g est i, t: est i, etc.

In secundâ série: Prima cellula 9 est unitas. Se- cunda cellula ^ aequatur summae daarum priorum cellalarum seriei praecedentis, 2 Ter lia, 9, aequatur summae triam priorum cellularum seriei praeceden- tis, nempe 3. etc. Igiiur sec anda séries numéros na- turales sortitur.

In tertiâ série : Prima cellula, A, est unitas. Se- cundâ B, aequatur summae duarum priorum cellula- rum seriei praecedentis 1-I-2, nempe 3. Tertia G aequatur summae trium priorum cellularum série hujus praecedentis i H- 2-j-3, nempe 6, etc. Igitur tertia séries triangulorum est.

In quartâ série : Prima cellula, D, est unitas. Se- cundâ, E, aequatur summae duarum priorum cellula- rum seriei praecedentis, i-|-3 nempe [\. Tertia, F, summae /rm/n priorum praecedentis seriei i -H 3 -1-6, nempe 10, etc. Sunt ergo Pyramides. Et sic de reliquis seriebus.

Itaque prima cujusvis seriei cellula est unitas, quaelibet vero cellula aequatur summae cellularum seriei praecedentis, à corradicali ad primam inclu- sive interceptarum. Unde haec colligo Gonsectaria.

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 60.>

Consectarium primnm,

Omniscellula, eequatur, proximè minori ejusdem seriei, plus proximè minori corradicali.

Sit qusevis cellula, F. Dico F aequari ipsi E quae eamprœcedit in sud série, plus G quœ ab eadem radice in série prœcedenti procedit.

Etenim, ex generatione, F aequatur G-(-B-f-A; sed B-f-A, aequatur E, ex generatione; ergo, F aequatur G-hE. Quod Erat Demonstrandum. Pro- posita cellula G est in base 6, et ambœ cellulœ G, E quibus ipsa G sequatur sant simul in base 5 précé- dente.

Consect. 2.

Omnis cellula, aequatur, summse earum quae à prsecedente radice procedunt in singulis seribus à sua ad primam inclusive.

Sit quae vis Gellula G, cujus radix 3, radix vero proximè minor seu praecedens est 2. Dico G aequari B -f- ^j^-l- G quae à radice 2 procedunt in singulis se- riebus, à série ipsius G, ad primam inclusive.

Etenim G aequatur B-f-9, ex prœced. 6 vero aequatur ^ -\-t. ex prœced. sed 7: aequatur a ex gê- nerai. ; sunt enim unitates. Ergo, G aequatur B-f-tJ;-+-(7. Q.E.D.

Consect. 3, Omnis cellula unitate minuta, sequatur summa?

�� � 606 ŒUVRES

cellularum inter suam seriem et suas corradicales inclusive interceptarum.

Sit quaevis cellula, ç ; Dico ^ — i aequari

R-H6-|-^-+-9-h).-h7r-f-(7-+-G,

nempe cellulis interceptis inter seriem S o) G B A, et cellulas corradicales ^ S (jl, exclusive.

Etenim ç œquatur ex prœced. X-|-R-|-w. Sed o) sequatur 7r-|-ô-f-G, et G aequatur r7-h'|-f-B, et B œquaturG-hç-i- A, et A aequatur unitati. Igitur, J aequatur, X-}-R-}-7rH-9-}-a-i-6^-G-h9-+- uni- tate. Ergo etc.

Consect. 4-

Cellulse reciprocse, sunt sequales inter se.

Etenim in secundâ basi, manifeste aequantur, 9, (7; sunt enim unitates. Sic et in tertiâ aequantur, A, 7t; unitates enim sunt. In quartâ basi aequantur quoque D, X ; sunt enim unitates. iEquantur autem et B , G . B enim aequatur A -t- <]/ , Ô vero aequatur ^ -+- t:, ex I . consect. sed A aequatur tt, ergo, B aequatur 0.

Sic ostendetur in proximè remotioribus basibus reciprocas aequari inter se, interpretando unam- quamque per ambas cellulas basis praecedentis quibus Aequatur ex i consect.

Consect. 5.

Ouotlibet priores cellulae corradicales à quacunque radice procédantes, similes sunt totidem prioribus

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 607

cellulis seriei cujus exponens est idem numerus ac radixcorradicalium, singulas singulis.

V. g. sex prières cellulse à secwidâ radice proce- dentes, (7, i|>, B, E, M, Q similes sunt 5ea; prioribus cellulis secundœ seriei 9,^J>,0,R,S,N, singulœ singu- lis ; sunt enim reciprocae.

Corollarium .

Unde patet, Triangulum Arithmeticum alio sensu inspectum, ita ut rectaB quse à sinistra ad dextram procedunt, à summo ad imum descendant ; quse vero à summo ad imum nunc procedunt, à sinistra ad dextram tendant ; et cellulae quae jam sunt corra- dicales, fiant cellulse ejusdem seriei ; quae vero nunc sunt ejusdem seriei, fiant corradicales ; nu- meri vero qui jam sunt exponentes serierum, fiant radiées ; qui vero sunt radiées, fiant exponentes se- rierum : manebit semper eadem figura sibi ipsi in utroque situ simillima, et paribus numeris in cellu- lis repleta.

Cons. 6.

Summa céllularum basis cujuslibet, dupla est summae céllularum basis praecedentis.

Sit quaevis basis D B ô A, Dico harum céllularum summam, duplam esse summae céllularum basis praecedentis A 9 tt.

Etenim D œquatur A, X. aequatur tt, B aequa-

�� � 608 ŒUVRES

tur A -h- ^)/, et 9 aequatur t)>-|-7:. Ergo, D-l-X-f-B-i-0

sequatur 2A-f-2'^-t-27r.

Cons. 7.

Summa cellularum basis cujuslibet, numerus est rogressionis duplae quae ab unitate sumit exordium ,

quippe ille cujus exponens idem est ac exponens

basis.

Etenim prima basis ex generatione est 1

Secunda ex prœced. dupla est primée, est ergo, 2 Tertidi ex prœced. dupla est secundae, est ergo, etc. 4

Cons. 8.

Summa cellularum basis cujuslibet unitate mi- nuta, sequatur summae cellularum basium onnium prsecedentium.

Hoc enim est proprium progressionis duplse quae ab unitate incipit, ut quilibet ejus numerus unitate minutus, sequatur summae omnium praecedentium.

Potest autem et sic enuntiari.

Summa cellularum basis cujuslibet unitate mi- nuta, aequatursummsB cellularum omnium triangu- lorum praecedentium.

Hoc enim id ipsum est.

Cons. g. Summa quotlibet priorum cellularum basis cujus-

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 609

libet œquatur totidem prioribus cellulis basis prœ- cedentis, plus iisdem demptâ ultimâ.

Sit basis quaelibet v. g. quarta D B OX. Dico sum- mam quotlibet ejus priorum cellularum v. g. triiim priorum à quolibet extremo sumatur exordium, D-}-B-j-6, aequari summae trium priorum cellula- rum basis praecedentis, nempe tertiae, id est cellulis A-f-^j;-l-7r, plus duabus prioribus cellulis ejusdem basis, nempe, -h A-f-^J/.

Etenim L aequatur A, B aequatur A-t-<J^, ô aequa- turtJ^-h-T:. Ergo D-i-B-f-0 aequatur

A-|-(i;-f-7r-t-A-f-'J^.

��Monitum.

Non interestà quo extremo sumantur très priores illae cellulae ; etenim très priores incipiendo ab extre- mo D nempe D -f- B -h , sunt eaedem ac très priores incipiendo ab altero extremo )>, nempe X-hO-f-B, sunt enim très istae, illis tribus, reciprocae. Idem de singulis basibus intelligendum.

��Definitio.

Cellalas Dividentis voco eas quas recta, quae angulum rectum LZT bifariam dividit, diagonaliter permeat v. g. cellulas G, ^, G, p, etc. Ipsae autem eae sunt quarum radix idem est numerus ac expo- nens seriei.

111 — 39

�� � 6i0 «JEUVRES

��Cons. 10

��Quaevis cellula dlvidentis, dupla est prsecedentis in eadem série; necnon et praecedentis corradicalis.

Sit cellula quaevis dividentis G. Dico G aequari, 2Ô, et etiam Dico G aequari 2B.

Etenim G aequatur ÔH-B ex i. consect., ô verô aequatur reciprocae B ex /J. consect.

��Consect.

��II.

��Duarum quarumlibet cellularum contiguarum ejusdem basis inferior est ad superiorem ut radix inferioris ad exponentem seriei superioris.

Sint duae queelibet cellulae contiguse ejusdem ba- sis, E, G. Dico injeriorem E, esse ad superiorem G, ut 2 radix inferioris E ad 3 exponentem seriei cellu- lœ superioris G.

Sunt hujus propositionisinfiniticasus, sunt enim infinitae bases ; breviter tamen demonstrabo suppo- nendo duo lemmata.

Primum (quod ex se manifestum est) proportio- nem istam in secundâ base contingere, o enim est ad (î ut I ad I .

Secundum, illud est. Si hœc proportio contingit in hase quâcumque, necessario et in sequenti base continget.

Ex his lemmatis facile concluditur singulas bases hanc sortiri proportionem ; contingit enim in se- cundâ base ex lemmate i. Ergo ex 2. lemm. contin-

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 611

get etiam in tertiâ base, quare ex eodem et iiî quarlâ et sic in infinitum.

Totum ergo negolium in secundi lemmatis de- monstratione consistit, quae sic fiet.

Si haec proportio in base quâlibet contingat ut in quartâ DA ; id est si contiguae cellulae D, B sunt inter se ut i ad 3, sitque B ad Ô ut 2 ad 2, sitque ad X ut 3 ad I :

Dico eamdem proportionem et in quintâ base H {k leperiri, et cellulam v. g. E esse ad C ut 2 ad 3.

Etenim D est ad B ut i ad 3 ex hypoth. Ergo D -^B seu E est ad B ut I H- 3 sea 4 ad 3. Jam B est ad ô ut 2 ad 2 ex hyp. Igitur, B-hO seu G est ad B ut 2 -h 2 seu 4 ad 2 , sed ex ostensis B est ad E ut 3 ad 4 ; ergo ex perturbata proportione C est ad E ut 3 ad 2. In reliquis demonstrabitur simililer. Q.E.D.

��Consect.

��12.

��Omnis cellula est ad proximè majoremcorradica- lem ut exponens seriei, ad exponentem basis.

Sit quaevis cellula C . Dico G esse ad F proximè corradicalem, ut 3 exponens seriei ipsius propositœ cellulœ G ad 5 exponentem suœ basis.

Etenim E est ad G ut 2 ad 3, ea? ii Consect. Ergo E-f-G^ett F est ad G ut 2 H- 3 seu 5 ad 3.

Consect. i3.

Omnis cellula, est ad proximè majorem ejusdem seriei ut radix ad exponentem basis.

�� � 61? OEUVRES

Sit quaevis cellula, E. Dico E, esse ad F proximè majorera ejusdem sériel, ut 2 radix cellulae propositœ E, ad 5 exponentem siiœ basis.

Etenim E est ad G ut 2 ad 3 ex 1 1 consect. ïgitur E H- G seu F est ad E ut 2 -f- 3 seu 5 ad 2 .

��Consect. i4'

In omni triangulo arithmetico, summacellularum seriei cujuslibet est ad maximam hujus seriei ut ex- poiiens trianguli ad exponentem seriei.

Sit triangulus quilibet v. g. qaarius GDX. Dico cujuslibet ejus seriei v. g. secundae summam cellu- larum cp-f-'j^-h-ô, esse ad maximam G, ut 4 expo- nentem trianguli, ad 2 exponentem seriei.

Etenim cp-h-^H-O aequatur G, et G est ad 6 ut 4 ad 2 ea; 12. consect.

Consect. i5.

In omni triangulo arithmetico, summa cellularum seriei cujuslibet est ad summam cellularum seriei proximè sequentis ut exponens seriei hujus sequentis ad radicem maximse cellulœ ipsius seriei.

Sit quilibet triangulus v. g. quintus HG//. Dico summam cellularum seriei cujuslibet v. g. tertiœ A-l-B-j-G, esse ad summam cellularum seriei se- quentis nempe quartœ, D-i-E, ut 4 exponens seriei quartœ ad 2 radicem maximx ejus cellulae, E.

Etenim A-t-B-f-G aequatur F, etD-f-E aequa- tur M, est autem F ad M ut 4 ad 2 ej? 1 1 consect.

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 613

��Consect. i6.

��Omnis cellula cum omnibus suis corradicalibus Juncta est ad eam cellulam cum omnibus cellulis in sua série praecedentibus junctam utexponens seriei ad radicem.

Sit qusevis cellula B. Dico B-|-t|H-rr esse ad B-f-A, ut 3, exponens seriei cellulœ B, ad 2, radi- cem cellulœ B,

Etenim B -f- cj^ -f- a aequatur G, ex consect. 2. et B -h A aequatur E, ex générât. ; est autem G ad E ut 3 ad 2 ea?. 11. consect.

��Consect. ij.

In omni triangulo arithmetico duse séries œquè ab extremis remotae sunt inter se in ratione reciproca exponentium.

Sit triangulus quilibet v. g. septimus GYJ. Dico summam cellularum seriei cujuslibet v. g. secundœ 9-1-^-t-O-hR-l-S-f-N esse ad summam cellula- rum seriei sextae P -f- Q ut 6 exponens sextae seriei ad 2 exponentem secundœ seriei.

Secundam autem et sextam seriem comparo, quia séries sexta tantum distat à septima série P, quas extrema est in septimo triangulo, quantum secunda séries distat à prima.

Etenim, ex 5. consect. sex priores cellulae secun- dœ seriei, 9, ^|>, 6, R, S, N, similes sunt sex prioribus

�� � 614 ŒUVRES

cellulis à radice secundâ procedentibus, nempe c, 4^, B, E, M, Q. Est autem, ex prsecedente, Q-t-P ad Q-hM-hE-i-B-t-^j^-H-cî ut 2 ad 6. Ergoetc.

Potes t autem et sic enuntiari.

Inomnitrianguloarithmetico, duae séries quarum exponentes simul juncti aequantur exponenti trian- guli unitate aucto sunt inter se ut exponentes serie- rum reciprocè.

Idem enim prorsus est.

Consect. ultimum.

Duarum quarumlibet contiguarum cellularum dividentis inferior est ad superiorem quater sump- tam ut exponens basis in quâ est superio ad nu- merum proximè majorem.

Sint contiguse dividentis cellulse, p, C. Dico p esse ad 4G, ut 5, exponentem basis ipsias G, ad 6, proximè majorem numerum.

Etenim est p duplaipsius w, et C ipsius 0, eo? 10. consect, ; quare 49 œquatar 2C; est ergo G ad 40 ut I ad 2.

Jam est p ad 4G ut o) ad 49, seu in ratione com- positâ (nempe interponendo G) ex ratione w ad G, et ex ratione G ad 4 ; est autem w ad G ut 5 ad 3 ea; 1 3. consect. G vero est ad 40 ut i ad 2 ex ostensis, seu ut 3 ad 6 ; est ergo p ad 4G in ratione compositâ et ratione 5 ad 3 et ratione 3 jad 6, hoc est, ahlato ipso intermedio 3, p est ad 4G, ut 5 ad 6. Q. E. D.

�� � ADDlTIOxNS ET CORRECTIONS 616

��Problema.

��Datiscellulaecujuslibet, radiceet exponente seriei, invenire numerum quem ipsa sortitur.

Produdus numerorum qui procédant radicem dividat produdum totidem numerorum continuorum quorum primus ille sit qui exponens est seriei : quo- tiens est quxsitus.

Propositum sit invenire numerum cellulaev. g. 'E, cujus radix 5, et exponens seriei 3, data sint,

Sumantur numeri qui prsecedunt radicem 5, nempe, i, 5, 3, i, et multipUcando efficiant 2l\. Su- mantur jam totidem numeri continui quorum primus sit exponens seriei 3, nempe 3, ^, 5, 6, qui multi- pUcando efficiant 36o ; Dividatur 36o per i[\ : quotiens i5, est quxsitus.

Etenim si inter cellulam, 5, et cellulam V, pri- mam suse hasis, interponantur omnes cellulae inter- jectae, p, K, Q, ratio ? ad V erit composita ex ratione J ad p, et ex ratione p ad K, et ex ratione K ad Q, et ex ratione Q ad V. Est autem ex consect. II. £ ad p ut 3 ad 4 ; et p ad K ut 4 ad 3 ; et K ad Q ut 5 ad 2 ; et Q ad V ut 6 ad i . Igitur est l ad Vin ratione composita ex ratione 3 ad 4, et ex ratione 4 ad 3, et ex ratione 5 ad 2, et ex ratione 6 ad i ; seu est J ad V ut 3 in 4 in 5 in 6 ad 4 in 3 in 2 in i . Sed V est unitas ; igitur 'i est quotiens divisionis ipsius 3 in 4 in 5 in 6 per 4 in 3 in 2 in i .

Quod erat Faciendum et Demonstrandum.

�� � 616 ŒUVRES

��Monitum.

��Cellulas per litteras designavi, non autem per numéros in ipsis cellulis insertos, adevitandam con- fusionem quse ex sirailitudine numerorum in variis cellulis insertorum orta fuisset.

Multas alias propositiones dare potuissem, sed necessarias solummodo exposui. Hoc ergo proble- mate tanquam hujus tractatus complemento finem ipsi impono, ad quospiam trianguli arithmeliciusus properans

�� � 617

��NUMERl FIGURATI SEU ORDINES NUMERICI

DEFINITIONES

Primum ordinem numericum voco seriem unita- tum.

I, I, I, I, I , etc.

Secundam ordinem numericum voco seriem eorum qui vulgo naturales dicuntur, i, 2, 3, ^, etc. qui quidem ex unitatum additione formantur.

Tertium ordinem numericum voco seriem eorum qui vulgo trianguli dicuntur, i, 3, 6, 10, etc, qui quidem ex naturalium additione formantur, secun- dus enim triangulorum, 3, sequatur duohus priori- èw^naturalibus 1-1-2. Ter dus vero triangulorum, 6, factus est ex additione trium priorum naturalium, ï -f-2H-3.

Quartum ordinem numericum voco seriem eorum qui pyramides dicuntur, i, 4, 10, 20, etc. qui ex praecedentium additione formantur.

Quintum ordinem numericum voco seriem eorum qui ex additione prœcedentium formantur, et trian- gulo trianguli dici possent, I, 5, i5, 35, etc.

Sextum ordinem numericum voco seriem eorum qui ex additione praecedentium formantur, I, 6, 21 , 56, etc.

�� � 618 ŒUVRES

Et sic in infinitum.

Numeri autem Jîgurati, illi sunt qui ex uno ex ordinibus numeri[ci]s sunt; sic trianguli, pyrami- des, triangulo trianguli, etc. sunt numeri Jîgurati.

Si ergo fiât tabula numericorum ordinum, appo- nanturque superius radiées, et à sinistrâ exponentes ordinum, hoc modo :

Radiées,

��Unitates seu Ordo i

Naturales seu Ordo 2

Trianguli seu Ordo S

Pyramides seu Ordo 4

etc.

��Manifestum est eam ipsissimam esse ac triangu- lum arithmeticum ; séries enim trianguli eodem modo generantur ac ordines numerici. Exponentes ergo serierum sunt iidem ac exponentes ordinum ; radiées verô cellularum, eaedem ac radiées Nume- rorum figuratorum.

Sic ergo numerus v. g. 21, qui in triangulo arith. est in série tertiâ, à radiée vero sextâ, jam inler numéros figuratos consideratus, erit tertii ordinis, à radicè vero sextâ.

Quidquid ergo de cellulis trianguli arith. dictum est, et figuratis numeris conveniet, modo vice hujus vocis, séries, "haec reponatur, Ordo, et vice iUius,

�� �2

�3

�4

� �I

�I

�I

� �2

�3

�4

� �3

�6

�10

� �4

�10

�20

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 619

cellula, hœc substituatur numérus fîguratus seu nu- merus ordinis numerici.

Sic itaque, qui meminerit in primo consect. triang. arith. ostensum esse omnem cellulam œqaari proximè minori ejusdem seriei, plus proximè minori corradicali, jam facile deducet hanc propositionem.

��Prop. /.

Omnis numerus figuratus œquatur proximè mi- nori ejusdem ordinis, plus proximè minori corra- dicali.

Sic ergo qaarta pyramis v. g. aequatur tertisB py- ramidi plus quarto triang alo, etc.

Similiter deducentur et aliae propositiones, ut sequentes.

��Prop.

��2.

��Omnis numerus figuratus aequatur summse eorurn qui à prsecedente radice procedunt in singulis ordi- nibus à suo ad primum inclusive.

Omnis enim cellula œquatur ex consect. i. sum- mse earum quœ à praecedente radice procedunt à sua ad primam inclusive.

Sic ergo, quinta v. g. pyramis aequatur quartae pyramidi plus quarto triangulo plus quarto naturali plus unitate seu unitate.

Polest autem illud sic et problematicè enuntiari.

�� � 620 ŒUVRES

Prop. 3. Prohlema.

Dato numéro figurato cujusvis ordinis, reperire numerum in unoquoque ordine à suo ad primum inclusive, ita ut omnium summa aequetur dato.

Facilis est solutio. Illi omnes qui in singulis his ordinibus procedunt à radice proximè minori quam sua satisfacinnl.

Prop. i.

Duo numeri figurati sunt iidem inter se si radix unius idem sit ac exponens ordinis alterius.

Gellulae enim reciprocae sunt eaedem inter se ex 4 consect.

Ergo ter lia pyramis v. g. aequatur quarto trian- gulo ; sic sextus octavi ordinis sequatur octavo sexti, etc.

Prop. 5.

Quotlibet priores numeri corradicales à quacun- que radice procedentes sunt iidem actotidem priores numeri ordinis numerici cujus exponens idem est ac radix corradicalium, singuli singulis.

nia nihil aliud est quam consect. 5 triang. arith.

Prop. 6. Omnis numerus figuratus est ad proximè majo-

�� � ADDITIONS ET COiiUEGTIONâ 621

rem ejusdem ordinis ut radix minoris ad eandem radicem cum exponente ordinis unitate minuto con- junctam.

Hoc nihil aliud est quam consect. i3.; ostensum enim est omnem cellalam esse ad proximè majorera ejusdem sériel ut radicem ad exponentem basis. Exponens verô basis idem est ac exponens seriei plus radice unitate minuta ex triang. arith. ad ini- tium.

Prop. 7.

Omnis numerus figuratus est ad proximè majo- rem corradicalem ut exponens ordinis minoris ad eumdem exponentem cum radice communi unitate minuta junctum.

Idem est ac 12. Consect.

Prop. 8

Omnis numerus figuratus est ad figuratum ordi- nis prœcedentis à radice proximè majore procedentis ut radix primi, ad exponentem ordinis secundi.

V. g. secundus quarti ordinis est ad tertium tertii ordinis ut 2 ad 3.

Gonvenit illud cum consect. ii. triang. arith. in quo ostensum est secundam cellulam quartse seriei E esse ad tertiam tertise seriei ut ^ radicem primœ E, ac/ 3 exponentem seriei secundœ G.

Monitum. Possunt infinita alia dari circa has proposîtiones,

�� � 622 OEUVRES

et quaelibet proposilio in varias mutari; v. g. cum dictum est, numerum quemlibet esse ad alterum ut tertium ad quartum, nùm potest induci factura ex primo in quartum œquari facto ex secundo in ter- tium? Vel factum exduobus divisumper alterutrum è reliquis œquari residuo ? Sic multiplicantur propo- sitiones et non sine fructu ; variée enim enuntia- tiones, etsi ejusdem propositi, varios prsebent usus. Hoc autem studium Geometrarum esse débet ; illâ enim arte aptatœ enuntiationes ad di versa et magna ducunt Theoremata, connectendo quse omnino aliéna videbantur ut primo concepta fuerant. Gui versatile hoc deest ingenium ingratus erit geome- triae cultus; quia vero non datur sed juvatur, hoc exemplo viam aperire suffîciet.

Ipsa hsec ultima propositio 8. sic exhibetur.

Numerus omnis figuratus, ductus in proximè minorem radicem, œquatur exponenti ordinis ducto in figuratum ordinis sequentis ab illa minori radice procedentem.

��Vel

��sic :

��Omnis numerus figuratus, ductus in radicem proxime minorem, toties continet figuratum ordi- nis sequentis ab ista minori radice procedentem, quotles exponens ordinis numeri propositi continet unitatem.

Ad horum instar ludatur circa reliqua. Figurato- rum compositionem, resolutionem et summam exponere urget utiUtas ac novitas rei.

�� � ADDITIONS ET GORREGTlOiNS 023

In sequentibus enim propriè ostenditur connexio inter numerum cujusvis ordinis cum sua radice et exponente sui ordinis, quae talis est, ut, ex his tri- bus datis duobus quibuslibet, tertius inveniatur . Verbi gratia, data radice et exponente ordinis, numerus ipse datur; sic, dato numéro et sui ordinis expo- nente, radix elicitur; nec non ex dato numéro et radice exponens ordinis invenitur : hœc consti- tuunt Tria priora problemata; quartum de summâ ordinum agit.

�� � 624 ŒUVRES

��DE NUMERICORUM ORDINUM COMPOSITIONE^

��Problema

��I .

��Datis, numeri cujuslibet, radice et exponente ordiniS; componere numerum.

Produdus numerorum qui procédant radicem dividat produdum totidem numerorum continuorum, quorum primus sU exponens ordinis : quotiens erit quœsitus numerus.

Propositum sit invenire numerum ordinis verbi gratia tertii, radicis vero quintal.

Produdus numerorum, i, 2, 3, 4, q^i prœce- dunt radicem, S\ nempe ilx, dividat produdum totidem numerorum continuorum, 3, Ix, 5, 6, quo- rum primus sit exponens ordinis, 3, nempe 36o: quotiens i5, est numerus qusesitus .

Nec difficilis démon stratio ; eâdem enim prorsus constructione inventa est, ad finem tractatus Triang. Arith., Cellula quinta tertiae seriei ; cujus cellulae numerus idem est ac numerus quintus or- dinis tertii, qui quaeritur.

1. Le recueil de i665 contient une version différente (sans doute postérieure) de ce même traité (cf. supra p. 365). Nous avons publié cette version au T. III, p. 5i2-5i5.

2. La racine est la cinquième ; voir la figure au T. III, p. 44^'

�� � ADDITIONS ET CORRECTIONS 62Ô

Coroïlarium.

Inde coUigitur hoc.

Omnis numerus figuratus, ductus in productum numerorum qui praecedunt radicem, œquatur pro- ducto totidem numerorum quorum primus est expo- nens ordinis.

Illo enim ultimo producto per primum divise, quotiens est numerus figuratus ex constructione.

Potest autem et sic resolvi illad prohlema.

Produdus numerorum qui prœcedunt exponen- tem ordinis dividat productum totidem numerorum continuorum quorum primus sit radix : quotiens est quœsitus.

Sic in proposito exemple, productus numero- rum, 1,2, qui praecedunt exponentem ordinis, 3, aempe 2, dividat productum totidem numerorum, 5,6, quorum primus sit radix, 5, nempe : 3o, quo- tiens, i5, est numerus quaesitus.

Nec differt haec constructio à praecedente, nisi in hoc solo, quod in altéra idem fit de radice quod fit in altéra de exponente ordinis. Perinde ac si idem esset invenire quintum numerum ordinis tertii, ac tertium numerum ordinis quinti. Quod quidem verum esse jam ostendimus :

Coroïlarium.

Unde et illud colligitur.

Omnis Numerus figuratus, ductus in productum

IH — 40

�� � 626 ŒUVRES

numerorum qui praecedunt exponentem ordinis, sequatur producto totidem numerorum continuo» rum quorum primus sit radix.

Ultimo enim hoc producto per primum diviso, quotiens est ipse numerus figuratus, ex hac con- structione.

Hinc autem obiter colligere possumus arcanum numericum ; cum enim ambo illi quotientes, i5, sint iidem, constat, divisores esse inter se ut divi- dendos. Animadvertemus itaque hanc prop.

Si sint duo quilibet nameri ; Prodactus omnium numerorum primum ex ambobus proposito prœce- dentium, est ad productum totidem numerorum quo- rum primus est secundus ex his ambobus, ut pro- ductus ex omnibus qui prœcedant secundum ex illis ambobus ad productum totidem numerorum conti- nuorum quorum primus est primus ex iis ambobus propositis.

Hase qui prosequeretur, et demonstraret, et novi fortassis tractatus materiam reperiret ; nunc autem quia extra rem nostram sunt sic pergimus\

I . Le traité se continue par le chapitre intitulé « De Numericoram Ordinum resolutione » que nous avons publié au T. III, p. 5i6 sqq. (Vide supra p. 365)

��

Pages.
XLIII. Acte notarié signé de Gilberte et Jacqueline Pascal 3
XLIV. Lettre de Jacqueline Pascal à son frère 9
XLV. Fragment d’une lettre de Jacqueline Pascal à Madame Perier 19
XLVI. Lettre de Pascal à la reine Christine de Suède 23
XLVII. Extraits des actes notariés signés par Blaise et Jacqueline Pascal 35
XLVIII. Acte signé par Blaise Pascal pour la constitution de la dot de Jacqueline Pascal 39
XLIX. Fragment d’une lettre de Blaise Pascal à M. Perier 43
L. Relation de Jacqueline Pascal 49
LI. Lettre de Jacqueline Pascal à M. Perier 95
LII. Discours sur les Passions de l’Amour 103
LIII. Traités de l’Équilibre des Liqueurs et de la Pesanteur de la Masse de l’Air 143
LIV. Adresse à l’Académie Parisienne 293
LV. De Numeris multiplicibus 311
LVI. Potestatum numericarum summa 341
LVII. Fermat à Pascal 369
LVIII. Pascal à Fermat 375
LIX. Fermat à Carcavi 395
LX. Pascal à Fermat 399
LXI. Fermat à Pascal 413
LXII. Fermat à Pascal 421
LXIII. Pascal à Fermat 429
LXIV. Traité du Triangle Arithmétique et traités connexes 433
LXV. I. Triangulus arithmeticus. — II. Numeri figurati seu ordines numerici. — III. De numericorum ordinam compositione. 599
  1. Voir Thibaudeau, Histoire du Poitou, 2e éd. Niort, 1840, t. III, p. 312. Lors du voyage de la Cour à Poitiers, en octobre 1651 « le duc de Rouanes etoit allé au devant de Leurs Majestés avec beaucoup de noblesse ». En 1652, il guerroie contre le marquis de la Roche-Posay, et reprend les châteaux de Dissais, de Ghavigny, d'Angles. Il paraît avoir séjourné dans le Poitou au moins jusqu'en octobre 1653 (Molinier, Préface de l'édition des Pensées, 1877, p, xv).
  2. Voici à cet égard ce qu'écrit Marguerite Perier dans un mémoire publié par Faugère (Pensées, Fragments, etc. de Blaise Pascal, 1844, t. I, App. I, p. 381) et par Victor Cousin (Études sur Pascal, 5e édit., p. 389) : « M. de Rouanès étoit fils de M. le marquis de Boyssy, madame sa mère étoit fille de M. Hennequin, président au Parlement, et il etoit petit-fils de M. le duc de Rouanès ; madame sa grand'mere étoit sœur de M. le comte d'Harcourt. Il perdit monsieur son père à l'âge de huit ou neuf ans, et fut mis entre les mains de monsieur son grand-pere, qui ne connoissoit gueres sa religion, et qui étoit un homme très emporté, et peu capable de donner une éducation chrétienne à un enfant. Il lui donna un gouverneur qui n'en étoit gueres plus capable que luy ; il alla mesme jusque là que d'ordonner à son gouverneur de luy donner l'air de cour et de luy apprendre à jurer, croyant qu'il falloit qu'im jeune seigneur prist ces manieres-là. Il perdit monsieur son grand-pere à treize ans ; et alors il fut son maistre. Madame sa mère, qui étoit une bonne femme, toute simple, ne pouvoit et ne sçavoit pas mesme en prendre soin. Cependant il ne laissa pas de commencer assez jeune à avoir des sentiments de religion. Il avoit un très bon esprit, mais point d'étude. Il fit connoissance (je ne sais pas bien à quel âge) avec M. Pascal, qui étoit son voisin ; il gousta fort son esprit, et le mena mesme une fois ou deux en Poitou avec luy, ne pouvant se passer de le voir. » Ms. f. fr. 12988, p. 6. Cf. les Mémoires de Saint-Simon, à l'année 1696, avec l'admirable commentaire de M. de Boislisle, t. III, 1881, p. 311-315, et Appendice XXIX, t. III, p. 533.
  3. Gazier, Pascal et Mlle de Roannez, in Mélanges de littérature et d’histoire, 1904, p. 33.
  4. Vide supra, t. I, p. 131.
  5. Vide infra, p. 381. Plus tard, en réponse peut-être à des remarques analogues à celles que nous avons conservées sous le nom de Réflexions sur la Géométrie et l’Art de Persuader, ou d’Argument du Pari, Méré envoyait à Pascal une lettre qui a été publiée dans ses Œuvres, et dont les premières lignes coïncident exactement avec la conclusion de l’anecdote rapportée dans le Discours de l’Esprit : « Vous souvenez-vous de m’avoir dit, une fois, que vous n’estiez plus si persuadé de l’excellence des Mathématiques? Vous m’écrivez à cette heure que je vous en ay tout à fait désabusé et que je vous ay découvert des choses que vous n’eussiez jamais veuës si vous ne m’eussiez connu. Je ne sçais pourtant. Monsieur, si vous m’estes si obligé que vous pensez. — Dans le Portefeuille de M. D. F. (M. de la Faille), Carpentras, 1694, M. Strowski a rencontré l’anecdote suivante, qui fait peut-être allusion aux controverses philosophico-scientifiques de Pascal et de Méré : « M. Pascal parloit un jour de mathématiques avec quelqu’un qui n’en savoit pas beaucoup; ils se disputoient. Vous verrez, dit M. Miton, qu’il y a deux mathématiques. » Cité par M. Strowski, dans son excellent chapitre de l’Histoire de Pascal: La mondanité, p. 345. — Nous ajoutons, puisque nous parlons de Miton, que c’est par erreur que Victor Cousin (Etudes sur Pascal, 6e édition, p. 481 et 519) et nous même après lui (Pensées, 1904, t. II, p. 166, n. 1), nous avions lu le nom de Miton, dans la Copie de la lettre à Pascal du 27 décembre 1656 (ms. 12988, f. fr., p. 383). La lettre est du mathématicien Mylon.
  6. Voir l’étude de Charles Adam : Un séjour de Pascal en Auvergne, Revue de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur (pp. 462-471). Pascal aurait accompagné le duc de Roannez de Paris à Poitiers (à ce voyage se rapporteraient, suivant une tradition recueillie par Condorcet et Bossut, les vers de Fontenay-le-Gomte que nous publions ci-dessous, p. 140-141). Il aurait ensuite passé plusieurs mois à Clermont : il vint à Clermont chez M. Perier son beau-frère à la fin de 1662, et y demeura jusqu’au mois de mai 1653, dit une note manuscrite du Recueil 455o de la Bibliothèque Mazarine, qm serait tirée de l'Information sur le miracle de la Sainte-Épine.
  7. Strowski, Histoire de Pascal, 1907, p. 231.
  8. Voir Faguet, Revue des cours et conférences, 9 avril 1896, p. 135.
  9. Die Philosophische Schriften, Ed. Gerhardt, t. IV, 1880, p. 570.
  10. Est-ce une allusion aux Provinciales, et au conseil que Méré lui aurait donné après la quatrième lettre de laisser absolument la matière de la Grâce pour attaquer la morale des Jésuites (Daniel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, 1696, p. 18, et Sainte-Beuve, Port-Royal, 5e éd., t. III, p. 99). — On trouve encore dans le manuscrit un écho de la conversation que Pascal aurait eue suivant le Recueil d’Utrecht (1740, p. 300) avec l'homme sans religion, et où il aurait prédit le miracle de la Sainte-lapine (Voir notre édition des Opuscules et Pensées, 4e édit. 1907, p. 255) : « Ce qu'il trouve à redire dans le miracle de P.-R., c'est la manière dont ils en ont été frappés » (p. 69). En revanche, d'après le manuscrit, Méré n'aurait revendiqué dans les Pensées qu'un seul fragment de lui: « De cette pensée que M. Pascal a prise à M. le Chevalier : un Roy, un procureur, etc. Je croyois que M. Pascal estoit le moins larron de tous les hommes: je me trompois, il y a encore des tesmoins » (p. 56). Le piquant, et ce qui avait peut- être attiré l'attention de Méré, est que dans sa Préface Étienne Perier cite et commente ce texte pour donner une idée du caractère obscur et inachevé des fragments des Pensées (Voir dans la note de notre édition des Pensées, 1904, t. III, p. 287, le texte du passage correspondant de Méré : De l'éloquence et de l'entretien, 3e discours). Dans la Revue de Fribourg, juillet 1907, Pascal et les Pascalins d'après des jugements contemporains. M. Eugène Griselle a signalé, d'après un curieux manuscrit de la Bibliothèque Nationale, cette note de l'archidiacre Bridieu : ce M. Pascal a fait ses fragmens contre huit esprits forts du Poitou, qui ne croyoient point en Dieu. »
  11. Dans le manuscrit sur Méré, nous ne trouvons que de vagues renseignements, et qui se rapportent peut-être à une période posté- rieure de la vie de Pascal : « M. de Roannez gouvernoit M. Pascal, et M. du Bois gouvernoit M. de Roannez » (p. 69). Il s'agissait de Go- baud du Bois, ancien gouverneur du duc de Guise, qui prit une part active à la publication des Pensées de Pascal, et qui fut de l'Académie française. Son nom figure également, avec celui de Pascal, à la page précédente du manuscrit : « M. Pascal, M, Mi ton, M. du Bois, M. de Roannez et beaucoup d'autres n'auroient jamais rien sceu sans moy. »
  12. Plus exactement : Nic. De la Gr. Autre. piec. ms.
  13. Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1843, et Études sur Pascal, 6e édit., 1876, p. 477.
  14. « Balthasar Henri de Fourcy appartenait, dit M. Giraud, à une grande famille parlementaire. Né le 24 juillet 1669, il fut nommé abbé commendataire de Saint-Vandrille-en-Gaux, diocèse de Rouen, en 1690, et reçu docteur en théologie de la Faculté de Paris, le 2 août 1696. Il était chevalier de Malte depuis 1673. » Plusieurs manuscrits, qui avaient été en sa possession, ont fait partie de la bibliothèque que Louis Potier, cardinal de Gesvres, légua en 1786 à Saint-Germain-des-Prés, et qui de là passa dans les dépôts de la Bibliothèque Nationale. (Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1907, p. 800.)
  15. A ce propos, M. Giraud fait encore observer que la lettre de Saint-Evremond ayant été imprimé en 1705, au tome Ier des Œuvres meslées, publiées à Londres, chez Jacob Tronson, la copie manuscrote a dû être prise antérieurement à cette date, et la copie du Discours pourrait être également faite avant 1705 (Loc. cit., p.803, n°1).
  16. C'est une petite brochure de 52 p., qui avait d'abord été classée parmi les imprimés ; elle a été versée au département des manuscrits vers 1880 (elle porte dans les Nouvelles acquisitions française le numéro 4015); c'est à ce moment sans doute que le Discours a été relié avec le Pater Noster des Jésuites. Ici encore, la présence à côté du Discours d'un écrit qui rappelle de près les préoccupations religieuses de Pascal peut n'être qu'une coïncidence ; cette coïncidence même sera cependant de nature à ajouter quelque poids, aussi faible que l'on voudra, à l'hypothèse d'une origine janséniste du manuscrit.
  17. Voir l'article déjà cité de M. Griselle. Nous trouvons dans le même manuscrit, sous la signature de Dirois, un type singulier de groupement pascalin : « MM. Arnauld, Paschal, Méré, du Bois, delà Chaise, Perier » (p. 523).
  18. Saint-Simon dit même qu'elle avait été élevée à Port-Royal, et qu'elle en sortit fort jeune (voir le fragment inédit publié par A. de Boislisle, t. III, 1881, p. 533. Le récit de Saint-Simon est démenti par ce témoignage du chanoine Hermant, qu'elle ne connaissait personne à Port-Royal (Gazier, op. cit., p. 35-36).
  19. Voir l'Introduction de Faugère à l'édition des Pensées de 1844, t. 1, p. LXV, suiv., et le Discours sur les Passions de l'Amour de Pascal précédé d'une étude sur Pascal et Mlle de Roannez, par M. de Lescure, 1681.
  20. 2. Mélanges de Littérature et d'Histoire, 1904, p. 29.
  21. 3. Voir la remarquable édition des lettres à Mlle de Roannez, donnée par M. Ch. Adam dans la Revue bourguignonne de l'Enseignement supérieur, t. I, n°3, 1891.
  22. Voir la page 4 du manuscrit des Pensées : « L’homme est visiblement fait pour penser… » (Sect. II, fr. 146.)
  23. La terminologie du Discours est toute cartésienne. Cf. la première définition donnée par Descartes à la fin de ses Réponses aux Secondes Objections : « Par le nom de pensée, je comprens tout ce qui est tellement en nous, que nous en sommes immédiatement connoissans. Ainsi toutes les opérations de la volonté, de l’entendement, de l’imagination et des sens, sont des pensées. Mais j’ay adiousté immédiatement, pour exclure les choses qui suivent et dépendent de nos pensées : par exemple le mouvement volontaire a bien, à la vérité, la volonté pour son principe, mais luy-mesme neantmoins n’est pas une pensée. » (Les Méditations métaphysiques, trad. Clerselier, 1647, A T, t. IX, p. 124.)
  24. Nous donnons les variantes que fournit la comparaison des deux copies ; nous désignerons par C le manuscrit étudié par Victor Cousin, par G le manuscrit signalé par MM. Gazier et Giraud. Nous avons contrôlé et complété notre collation à l’aide de celle que M. Giraud avait faite avant nous, et dont il nous a fort aimablement communiqué les résultats.
    C : les.
  25. La Bruyère dira : a Les passions tyrannisent l’homme, et l’ambition suspend en lui les autres passions. » (Des Biens de fortune, 50).
  26. C : dans le.
  27. C : qu’on.
  28. C : temps.
  29. M. Michaut, dans son édition du Discours, Paris, 1900, p. 3, signale ce texte de La Bruyère {Du cœur), 76 : « Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition... »
  30. La Rochefoucauld dit (Max. 490) : « On passe souvent de l'amour à l'ambition, mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour. » Cf. Michaut, éd. cit., p. 4, n. 1.
  31. Il est remarquable que ce soit ce terme d'occasion, destiné à faire fortune avec Malebranche, que Pascal ait employé pour traduire les rapports du corps et de l'âme dans la passion, tels qu'il les trouvait définis dans les Passions de l'Ame, 1649 : « Apres avoir considéré en quoy les passions de l'ame différent de toutes ses autres pensées, il me semble qu'on peut generallement les définir des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'ame, qu'on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, et entretenues, et fortifiées par quelque mouvement des esprits. » {Première partie, §§ XXVII.) M. Michaut, dans ses notes, a insisté également sur le rapport constant du Discours au Traité de Descartes.
  32. C'est-à-dire, comme il est expliqué plus haut, pour l'amour est l'ambition ; les autres passions, comme le goût du jeu et de la bonne chère, ne suffisent pas à remplir l'âme ; par là elles donnent lieu à des combinaisons et à des oscillations.
  33. C'est-à-dire : on se donne le plaisir de paraître céder à la suggestion d'autrui, alors qu'en réalité on suit son mouvement naturel.
  34. Les pages 405 et 406 du manuscrit des Pensées contiennent un long développement sous ce titre : Différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse (Cf. Pensées, Sect. I, f. I; t. I, p. 9-14). Il est remarquable que le Discours des Agréments de Méré présente une distinction analogue. « Pour ce qui est des justesses, j'en trouve de deux sortes, qui font toujours de bons effets. L'une consiste à voir les choses comme elles sont et sans les confondre : pour peu que l'on y manque en parlant, et même en agissant, cela se connaît ; elle dépend de l'esprit et de l'intelligence. L'autre justesse paraît à juger de la bienséance, et à connaître en de certaines mesures jusqu'où l'on doit aller, et quand il se faut arrêter. Celle-ci, qui vient principalement du goût, et du sentiment, me semble plus douteuse, et plus difficile. » (Méré, Discours des agréments, Œuvres, 1698, t. I, p. 194.)
  35. C : on.
  36. C : on.
  37. à soy-mesme omis dans C.
  38. Voir la page 129 du manuscrit des Pensées : « Il y a un certain modelle d'agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature, foyble ou forte, telle qu'elle est, et la chose qui nous plaist. » (Sect. I, fr. 32 — rapprochement fait par M. Faguet, Pascal amoureux, apud Revue latine, 26 octobre 1904, p. 579.)
  39. C'est-à-dire : la beauté restreint la ressemblance.
  40. Dans cette proposition se trouve comme en germe la théorie romantique du XIXe siècle. Dieu a créé les âmes par couples, l'amour terrestre n'est que la suite et la manifestation d'une harmonie préétablie dans le ciel ; c'est pourquoi chacun « cherche dans le grand monde » cette beauté dont il porte en soi « l'original ».
  41. Voir la page 73 du manuscrit des Pensées : « Comme la mode fait l'agrément, aussy fait elle la justice, » (Sect. V, fr. 309). — Vauvenargues écrit (Max. 89, Œuvres, p. 377) : « La coutume fait tout, usqu'en amour. »
  42. Au moment même où il paraît le plus enthousiaste de l'amour, l'esprit large et profond de Pascal ne peut s'empêcher de faire plus d'une remarque pénétrante sur les circonstances de l'amour, dussent- elles contrarier cet enthousiasme. Le rôle de la mode et de la coutume ne lui échappe pas : cela lui paraît étrange, à lui si épris de raison, de vérité absolue, et cette « étrangeté » fait déjà pressentir la conception pessimiste de l'amour qu'il exprimera dans les fragments des Pensées, A. 487 : « Qui voudra connoistre à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effects de l'amour. » (Sect. II, fr. 162.)
  43. Passage écrit encore sous l'influence de Descartes qui tend à considérer les passions dans leur rapport avec la vérité de leur objet, c'est-à-dire avec la légitimité, avec la convenance de leur cause. Il est à remarquer que Descartes lui-même écrit : « Et mesme souvent une fausse joye vaut mieux qu'une tristesse dont la cause est vraye. » Les Passions de l'Ame, Partie II, Art. CXLII.)
  44. C : on.
  45. La Rochefoucauld interprète autrement le même fait : « Il y a des gens qui n'auroient jamais esté amoureux, s'ils n'avoient jamais entendu parler de l'amour. » (Max. 136.)
  46. C : luy.
  47. C : mesmes.
  48. bien omis dans G.
  49. G : l'on se.
  50. C : bien.
  51. G : ira.
  52. G : au dessus.
  53. C : qu’on.
  54. La séparation de l’alinéa n’est pas marquée nettement dans le G (Giraud, Revue latine, 25 janvier 1908). La phrase dans C avait un tout autre aspect, par suite de l’omission du mot grand : « Une haute amitié remplit bien mieux qu’une commune et égale le cœur de l’homme ; et les petites… »
  55. G : suit.
  56. G : omet nous.
  57. Première leçon de C : voir.
  58. La délicatesse, telle que l'entend ici Pascal, s'oppose à la grossièreté ; c'est la prédominance dans l'amour de l'esprit sur le corps c'est le raffinement intellectuel qui procède du goût de l'analyse, plutôt que la force de la passion, ce qui correspond en un mot à la spiritualité dans la dévotion et qui a été transporté par l'hôtel de Rambouillet de la vie religieuse dans la vie mondaine. C'est ce que confirme cette maxime de la Rochefoucauld : « La trop grande subtilité est une fausse délicatesse, et la véritable délicatesse est une solide subtilité. » (128.)
  59. G : on les perfectionne. Seulement de là il est visible que la delicatesse...
  60. Cf. le manuscrit des Pensées, f° 213, Sect. I, fr. 7 : « A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes... »
  61. Ne trouve-t-on pas dans cette phrase une indication suffisamment précise sur la manière dont ce discours a été composé ? Pascal y réuni[sic] quelques définitions ou maximes qu'il a proposées dans certains salons il nous transmet l'écho des réponses et des réflexions qu'elles ont provoquées.
  62. On omis dans G.
  63. Cela, c'est le fait de ne pas laisser une place pour les autres dans son cœur quand on en a pris une dans celui des autres. C'est cela qui est contre la nature et qui est injuste
  64. C : qu'on.
  65. Mot laissé en blanc dans C.
  66. Cette impossibilité de penser constamment à une même chose, la mobilité nécessaire de l'âme humaine, ce sont des traits que Pascal n'oubliera pas plus tard lorsqu'il décrira la misère essentielle de l'homme. La Rochefoucauld a, dans une réflexion subtile, essayé de montrer comment inconstance et constance se trouvent unies dans le cœur de l'homme : « La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre : de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet. »
  67. C : peines.
  68. G : omet tous.
  69. G : omet cent.
  70. C : le.
  71. C : se.
  72. C : qu'on.
  73. G : entend.
  74. Cette réflexion pourrait être l'épigraphe des interminables romans du temps, comme ceux de Mlle de Scudéry, et elle en explique le succès.
  75. G omet ces mots : héros ; il faudroit qu'ils fussent...
  76. G : plusieurs.
  77. G : pourroit.
  78. C : bon dans certaines rencontres.
  79. C : l'on.
  80. M. Huguet (Petit Glossaire des Ecrivains français du dix-septième siècle, 1907, p. 13) rappelle la remarque du Dictionnaire de l'Académie : « Amitié quelquefois se dit pour amour », et cite ce passage à l'appui. On lira avec intérêt la petite dissertation que M. Faguet a écrite sur ce passage dans la Revue latine du 25 décembre 1907, p. 732-786. Voir aussi la réponse de M. Giraud (ibid., 25 janvier 1908, p. 61-64).
  81. C : qu'on.
  82. C : aura.
  83. C donne simplement ces mots : estre sans excez.
  84. C : plus.
  85. C : des dames.
  86. C : sans l'avoir jamais esté.
  87. G : que la mesme chose.
  88. a et b C : pas souhaitter.
  89. « L'amour est comme le feu ; plus il s'agite, plus il brûle » proverbe de Publius Syrus que La Rochefoucauld reprend sous cette forme : « L'amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel. » — Il est inutile de souligner l'allusion à cette période singulière de la Fronde qui ne fut qu'un long tissu d'intrigues inséparablement « galantes » et politiques.
  90. C : on.
  91. C : toutte.
  92. Pascal se réfère peut-être à la définition de Descartes (Les Passions de l'Ame, Partie II, article LXXXV), où sont distinguées « deux espèces d'amour, à sçavoir celle qu'on a pour les choses bonnes et celle qu'on a pour les belles, à laquelle on peut donner le nom d'agrément... ». Comme le remarque également M. Michaut, on trouvera dans La Rochefoucauld et dans La Bruyère une distinction de l'agrément et de la beauté (Voir Max. 240, et Des Femmes, II).
  93. C : du.
  94. C : desagréable. — G : d'agreable.
  95. C : force et cependant il ne faut rien.
  96. C : tous sens.
  97. G : pensées.
  98. C : déterminant.
  99. Allusion au début du Discours de la Méthode : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. »
  100. C : on.
  101. C : de bien parler.
  102. C : feu.
  103. C : on.
  104. C : on.
  105. C : en.
  106. Voir les fragments que nous avons groupés dans notre édition des Pensées à la Section Vil, 381-383.
  107. G : de voir la personne aimée aprez un moment d'absence, on la trouve.
  108. C : se succèdent.
  109. C : omet c'est.
  110. Ces vers avaient été publiés par Condorcet, dans une Addition à son édition des Pensées (Londres, 1776, p. 505), précédés de ces mots : « Me du *** donnoit un azile dans son château de Fontenai-le- Comte, au Port-Royal fugitif et persécuté par les Jésuites, on a trouvé, dans ce château, deux tableaux derrière lesquels étaient les vers suivants de la main même de Pascal... » Nous reproduisons de préférence l'avertissement de Bossut, bien qu'il ait été publié postérieurement — parce que nous croyons qu'en fait Condorcet a travaillé sur les matériaux fournis par l'abbé Bossut.
  111. « Allusion à quelques figures peintes dans le ciel du Tableau. »
    Note de l'édition Bossut.
  112. Vide infra, p. 308.
  113. Vide supra, t. II, p. 513 sqq.
  114. Vide infra, p. 268.
  115. Vide supra, t. II, p. 495.
  116. Vide supra, t. II, p. 146.
  117. Vide infra, p. 277.
  118. Voir la lettre du 15 novembre 1647, t. II, p. 154.
  119. Voir en particulier le texte de Pierius, t. II, p. 290.
  120. Vide supra, p. 24.
  121. Vide supra, t. II, p. 62.
  122. Vide supra, t. I, p. 65 et n. 1.
  123. Vide infra, p. 267.
  124. Voir la page de Cournot, citée dans notre Introduction, t. I, p. xxii.
  125. Voir p. 193.
  126. Voir p. 225.
  127. Vide infra, p. 163, n. 1.
  128. Vide infra, p. 158, n. 1.
  129. Revue générale des Sciences pures et appliquées, 15 juillet 1905. Le Principe de Pascal, Essai historique, p. 602a.
  130. Phænomena hydraulica, prop. xlix, p. 204. Vide infra, p. 191, n. 1.
  131. Cf. Thurot, Recherches sur le principe d’Archimède, Revue Archéologique, juillet 1869, p. 16.
  132. Vide supra, t. I, p. 173.
  133. Art. cité, p. 605a.
  134. Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto dei gravi, note à l’Académie royale des Sciences de Turin. 8o Torino, 1898, p. 11, note.
  135. Art. cité, p. 606.
  136. 2e édit., 8o, Florence 1612, p. 17.
  137. Vide supra, t. I, p. 178.
  138. Cf. Duhem, Origines de la Statique, t.  I, 1905, p.  313 sqq.
  139. Explication des engins par l’ayde desquels on peut avec une petite force lever un fardeau fort pesant. Œuvres, éd. Adam et Tannery, t.  I, p.  431.
  140. Voir Lettre du 2 février 1643, t.  III, p.  613–614.
  141. Examen de la question, sçavoir si un corps pese plus ou moins estant proche du centre de la terre qu’en estant esloigné, Ibid., t.  II, p.  224 sqq.
  142. Lettres du 12 septembre et du 15 novembre 1638, t.  II, p.  352 sqq. et p.  432 ; cf. Duhem, Origines de la Statique, t.  I, p.  339 sqq.
  143. Vide supra, t.  II, p.  488.
  144. Pensées, sect. I, fr.  19.
  145. Cf. Vailati, Bulletino di bibliografia e storia della scienze mathematiche, janv.–mars 1906. Duhem, art. cité, 608b renvoie, en outre, au De dimensione parabolæ hyperbolici problemata duo, p. 14.
  146. Vide infra, p. 165, n. 1.
  147. Revue archéologique, juillet 1869, p. 15.
  148. Voir l’indétermination du passage qui précède vers la fin de la Préface le paragraphe : « Ce fut incontinent après ce temps là que des estudes plus serieuses, auxquelles Monsieur Pascal se donna tout entier, le dégousterent tellement des Mathematiques et de la Physique qu’il les abandonna absolument », infra, p. 278.
  149. Voir les figures sur le fac-simile des gravures de l’édition princeps.
  150. Cf. dans les Cogitata Metaphysica du P. Mersenne (Paris, 1644) l’Ars navigandi, hydrostaticæ liber primus, prop. VIII : « Aquæ fundo horizontali parallelo tantum insidet pondus, quantum est aqueæ columnæ, cujus basis fundo, altitudo perpendiculari ab aquæ superficie summa ad imam demissæ æqualis sit… » et prop. IX : « Prædicta propositio videtur mirabilis, cum ex ea sequatur libram aquæ super fundum cujuscumque vasis, tantum, quantum mille libras, imo quantum Oceanum integrum, gravitate. Si enim Oceanus vase includatur, et aquæ libra vas impleat aliud, æquale fundum habens fundo vasis præcedentis, tubum vero circa basim affixum tam angustum, ut totum vas unicam aquæ libram capiat, cujus altitudo æqualis sit altitudini vasis Oceanum concludentis, aquæ libra, sui tubi fundum æque premet, ac suum Oceanus » (p. 227–228). Propositions empruntées à Stevin : quatriesme livre de la Statique des Elemens hydrostatiques : Théorème VIII Proposition X : « Sur le fond de l’eau parallele a l’horizon repose un poids, egal à la pesanteur de l’eau, qui est egal à la colonne, dont la base est le fond susdit ; et la hauteur, la perpendicle sur l’horizon, entre le fond et la fleur de l’eau » (Trad. Albert Girard, Leyde, 1634, p. 487). Au corollaire V sont figurés les vases de formes diverses, ayant même surface de fond (p. 488). Le cinquième livre de la Statique, commençant la Practique de l’Hydrostatique, a pour but de « déclarer en effect » — car « plusieurs estymeroient cela estre contre nature — que le fond de l’eau illec EF n’est non plus chargé de beaucoup d’eau que de peu » (p. 498). « Notez, ajoute enfin Stevin, que l’eau d’un costé n’ayant qu’un brin de largeur pressera autant à l’encontre que le grand Ocean de l’autre costé, [contre les portes des escluses] ; moyennant que les eaux soyent de mesme hauteur, ce qui, estant assez clair, sera obmis » (p. 500).
  151. Comme l’a indiqué Thurot, Recherches historiques sur le principe d’Archimède, Revue Archéologique, juillet 1869, p. 19, Robert Boyle a fait observer qu’une pareille exactitude « though easily supposed by a Mathematician, will scarce be found obtainable from a Tradesman. » D’où il conclut que les Expériences proposées par Monsieur Paschall sont plus ingénieuses que pratiques. Hydrostatical paradoxes (communication faite à la Royal Society en Mai 1664, publiée à Oxford, en 1666), p. 6. À ce sujet, il y a lieu de remarquer que l’inventeur de la machine arithmétique n’était nullement le théoricien que suppose ici Boyle. D’autre part, les expériences du Traité de l’Équilibre des Liqueurs paraissent avoir été refaites et contrôlées par Mariotte. Voir la Préface de la Hire au Traité posthume du Mouvement des Eaux et des autres corps fluides. Édit. des Œuvres de Mariotte, Leyde, 1717, p. 322 : « Ceux qui jusqu’à présent ont écrit des Hydrauliques, nous ont donné chacun en particulier des remarques très-curieuses sur la pesanteur, sur la vitesse et sur plusieurs autres propriétez des eaux. Le Traité de l’Équilibre des Liqueurs de M. Pascal est un des plus considérables, tant pour les belles découvertes qu’il a faites, que pour les propriétez singuliéres qu’il démontre d’une maniére si claire et si convaincante, que nous ne pouvons pas douter que ce grand Génie n’eût entièrement épuisé cette matière s’il avoit examiné toutes les parties qui la composent. Il y avoit plusieurs années que M. Mariotte s’appliquoit avec un soin extraordinaire à faire les expériences qui sont dans le Traité de M. Pascal, pour voir s’il n’auroit point négligé des circonstances particuliéres qui lui pussent donner lieu de remarquer quelque chose de nouveau. »
  152. « Quod si aqua congeletur, non amplius habebit rationem celeritatis et motuum de quibus antea » (Cogitata Metaphysica, loc. cit., prop. XIII, p. 229).
  153. Mersenne, supposant un bâton pressant sur une couverture pour pénétrer dans l’Océan, ajoute : « Ille baculus æque premeret latera vasis, ac prædictus cylindrus [c’est-à-dire qu’un cylindre de bois ayant même hauteur que le bâton et même base que le couvercle du vase où la mer est contenue], quia in quovis foramine, tam in lateribus quam in fundo, et operculo, tanta vis esset necessaria, ad fluxum aquæ impediendum, quantum esset cylindri pondus. » Artis navigandi prop. XII, loc. cit., p. 228.
  154. Titre en marge dans l’édition de 1663.
  155. Cf. Mersenne, loc. cit. prop. XI et prop. XII.
  156. M. Duhem (ibid., p. 605) a retrouvé le prototype de cet exemple dans l’ouvrage de Giovanni-Battista Benedetti (Diversarum speculationum liber, Turin, 1585), à cette différence près que « Benedetti a substitué » seulement « un piston à une colonne d’eau de même poids, d’abord dans le tuyau étroit, puis dans le large corps de pompe ; s’il eût fait cette substitution en même temps dans les deux tuyaux, il eût été le véritable inventeur de la presse hydraulique. L’incidente de Pascal : qui lui soit juste, est peut-être même un souvenir direct de Benedetti : dummodo illud corpus ita sit adæquatum concavitati fistulæ F quod non permittat transitum aliquem aquæ vel aeris inter convexum ipsius corporis, et devexum ipsius fistulæ (p. 288).
  157. Comme M. Duhem l’a fait remarquer, ce principe est implicitement appliqué par Galilée (Les Méchaniques, traduction de Mersenne, 1634, p. 57) ; il est explicitement dégagé par Descartes dans ses communications de 1637 à Constantin Huygens (Œuvres, t. I, p 443) et de 1638 à Mersenne (ibid. II, p. 223). L’expression de chemin est employée par Galilée ; Descartes écrit hauteur, vide infra, p. 164. La notion de force, que Mersenne entendait encore au sens métaphysique de la scolastique, est parfaitement élucidée par Descartes dans sa lettre à Mersenne du 15 novembre 1638. Œuvres, t. II, p. 432, apud Duhem les Origines de la Statique, t. I, p. 339 sqq.
  158. L’application du principe des vitesses virtuelles à l’équilibre d’un liquide contenu dans deux vases communicants, tel que Benedetti en avait défini la loi en 1585, avait été faite en 1612 par Galilée : Discorso intorno alle cose, che stanno in su l’acqua che in quella muovono (Revue générale des Sciences, 30 juillet 1905, p. 605).
  159. « C’est par l’étude des liquides, écrit M. Mach, que s’est formée pour la première fois l’idée d’un continuum physique mécanique ». La mécanique, trad. Bertrand, 1904, p. 101.
  160. « La preuve de cecy ne dépend que d’un seul principe, qui est le fondement general de toute la Statique, a sçavoir qu’il ne faut ny plus ny moins de force, pour lever un cors pesant à certaine hauteur, que pour en lever un autre moins pesant à une hauteur d’autant plus grande qu’il est moins pesant, ou pour en lever un plus pesant à une hauteur d’autant moindre. Comme par exemple que la force qui peut lever un poids de 100 livres à la hauteur de deux pieds, on peut aussi lever un poids de 100 livres à la hauteur de deux pieds, en peut aussy lever un de 200 livres à la hauteur d’un pied, ou un de 50 a la hauteur de 4 pieds. » Examen de la question, sçavoir si un corps pese plus ou moins, estant proche du centre de la terre qu’en estant esloigné. Descartes à Mersenne, du 13 juillet 1638. Éd. Adam et Tannery, t. II, p. 228. Cf. Lettre du 12 sept. 1638 : « La mesme quantité de cette force qui sert à lever ce poids à la hauteur d’un pied ne suffit pas eadem numero pour le lever à la hauteur de deux pieds, et il n’est pas plus clair que deux et deux font quatre, qu’il est clair qu’il y en faut employer le double » (ibid. p. 353). Voir Duhem, Les Origines de la Statique, t. I, p. 339, et Revue générale des sciences, p. 906, p. 607.
  161. M. Duhem a rapproché de ce passage le texte du Diversarum speculationum liber : « Sit exempli gratia, tota fistula, seu hirundo, per quam ascendit aqua F, mortarium vero sit AU quod tam altum sit ut F sed F angustior ipso AU. Nunc cum repleta fuerint hæc duo vasa, manifestum erit quod aqua ipsius F. sufficiens erit ad resistendum toti aquæ ipsius AU et aqua AU resistet aquæ F quamvis aqua AU majoris quantitatis sit et ponderis ipsa F. Hoc autem evenit ex eo quod aqua AU non impellit aquam F toto suo pondere, propterea quod pondus dividitur proportionaliter supra basim vasis » (p. 287–288).
  162. Les géomètres sont ceux qui ont lu les Opera Geometrica Evangelistæ Torricelli publiées à Florence, en 1644 ; dans le second des traités du Recueil, De Motu gravium naturaliter descendentium au livre premier, se trouvent les termes mêmes du principe dont Pascal part ici : « Præemittimus Duo gravia simul conjuncta ex se moveri non posse, nisi centram commune gravitatis ipsoram descendat » (p. 99). M. Duhem a écrit l’histoire du Principe de Torricelli dans le chapitre XV des Origines de la Statique (t. II, 1906, p. 1 suiv.).
  163. Bossut ajoute réciproque.
  164. Ces imprimé en 1663 ; faute d’impression, selon toute vraisemblance. Bossut avait déjà fait la correction.
  165. Note marginale, qui est sans doute, comme les titres des paragraphes, une addition de l’édition de 1663 : « Ces sortes d’expériences ne se peuvent faire qu’en remplissant le Vaisseau jusques à l’embouchure des tuyaux, de la Liqueur la plus pesante. »
  166. Nouvelle correction de Bossut : « réciproquement proportionnelles ».
  167. Voir l’énoncé du principe de Stevin, p. 158, n. 1.
  168. Bossut imprime : réciproquement proportionnelles.
  169. Boyle (Hydr. parad. p. 63) conteste que Pascal ait fait l’expérience ; il invoque, outre le sien, l’insuccès de plusieurs expérimentateurs très exercés : « avec des tubes du diamètre de ceux dont on se servait pour l’expérience de Torricelli, la vitesse acquise par le mercure dans sa chute entraînerait tout en dehors du tuyau » (Thurot, Recherches sur le principe d’Archimède, Revue archéologique, juillet 1869).
  170. Correction euphonique de Bossut : « Aussi, le vif argent n’y étant pas. »
  171. Il est intéressant de retrouver cette comparaison dans le manuscrit des Pensées (fo 427) : « Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contrepoids de deux vices opposez, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : Ostez un de ces vices, nous tombons dans l’autre » (Sect. VI, p. 359).
  172. 1663 : on l’a met.
  173. Boyle prend texte de ce passage pour critiquer les Expériences de Pascal : « One of them requires, that a Man should sit there with the End of a Tube leaning upon his Thigh. But he neither teaches us how a Man shall be enabled to continue under Water… » Hydr, parad., p. 5.
  174. Vide supra, t. II, p. 290. Cf. les Phænomena hydraulica de Mersenne : « Prop. XLIX : Rationem ob quam corpus hominis ad quantamvis immersum aqaæ profanditatem nullum aquæ pondus sentiat explicare. Plurimi hac de re varias rationes attulere, verbi gratia, corpus hominis nullam ab aqua in quam demergitur, pressionem, nullumque dolorem sentire, quod ex omni parte urgeatur æqualiter, nec ulla pars corporis extra suum locum naturalem extendi possit, ita Stevinus 5 Staticæ prop. 3 » (Cogitata metaphysica, 1644, p. 204). Nous empruntons à la traduction de Girard le texte, et un extrait de la démonstration, de la proposition : « Déclarer la raison pourquoy un homme nageant au fond de l’eau ne meurt pour la grande quantité d’eau, qui est au dessus de luy… Soit ABCD une eau ayant au fond DC un trou, fermé d’une broche E sur lequel fond gist un homme F, ayant son dos sur E ; ce qu’estant ainsi, l’eau le pressant de tout costé, celle qui est dessus luy ne presse aucune partie hors de son lieu. »
  175. Note marginale de l’édition de 1663.
  176. Boyle s’attaque aussi à cette expérience proposée par Pascal : elle est telle « that at first sight I said that it would not succeed (and was not upon tryal mistaken in my conjecture)… the Animal was (une grosse mouche), presently drowned, and so made moveless, by the luke warm water » (Hydr. parad. p. 243 ; cf. Thurot, loc. cit.).
  177. Allusion à la théorie soutenue par le P. Mersenne contre Stevin : « Præterea, cum nullum corpus aquæ tam gravitate quam mole par in aqua ponderet, atque adeo nulla vis ad illud sustinendum requiratur, certum est etiam aquam in aqua gravitatis æqualis nihil ponderare » (loc. cit. p. 205).
  178. Peut-être est-ce une allusion à la réponse faite par Descartes à Mersenne, dans sa lettre du 16 octobre 1689 : « Je ne me souviens pas de la raison de Stevin, pourquoy on ne sent point la pesanteur de l’eau quand on est dessous ; mais la vraye est qu’il ne peut y avoir qu’autant d’eau qui pese sur le cors qui est dedans ou dessous, qu’il y en auroit qui pourroit descendre, en cas que ce corps sortist de sa place. »
  179. Bossut au-dessus.
  180. Nous reproduisons en fac-similé, p. 195, la gravure de l’édition originale de 1663 ; il est à remarquer qu’il n’y a pas dans le texte de renvoi aux figures. Nous ne savons pas si c’est Pascal, ou son éditeur, qui a imaginé de disposer l’espèce de tableau à double entrée qui illustre la correspondance des deux Traités.
  181. Pascal renvoie au début des Essays de Iean Rey, docteur en medecine sur la recerce de la cause pour laquelle l’Estain et le Plomb augmentent de poids quand on les calcine, Bazas, 1630 — à la première journée des Dialogues de Galilée, dans les Discorsi de 1638 — aux différents recueils de Mersenne : en 1644 les Phenomènes pneumatiques, prop. XXIX–XXXIV, p. 140-156, en 1647 le chapitre vi des Reflectiones physico-mathematicæ : De aëre ponderando, p. 101 sqq. Voir l’histoire de la découverte dans l’article de M. Duhem : le P. Mersenne et la Pesanteur de l’Air, I, Revue générale des Sciences, 15 sept. 1906, p. 778 sqq.
  182. L’édition originale donne le, il semble que ce soit par erreur, et qu’il faille avec Bossut, imprimer la.
  183. Nous avons retrouvé cette comparaison avec la laine à la fois dans la correspondance de Descartes, dès 1631 (vide supra, t. II, p. 46, n. 4), et dans celle de Torricelli, 1644 (vide supra, t. II, p. 157, n. 1).
  184. C’était la préoccupation du P. Mersenne, pendant l’hiver 1647–1648, de trouver une attitude assez grande pour avoir une influence sensible sur la hauteur de la colonne mercurielle (supra, t. II, p. 150 sqq.).
  185. C’est Pascal lui-même qui avait effectué l’expérience, lors de son séjour à Clermont (1649–1650, vide supra, t. I, p. 156 sqq). Voici le texte de Gassendi dans sa Lettre à Bernier, de Digne, 7 août 1652 : « Posset totum hoc ratiocinium eo confirmari experimento, quod mirificus Paschalius peregit ; cum montem illum Dommam conscendens, detulit secum follem lusorium, quem cum ad radicem montis leviter inflasset, et flaccidus cum foret, hinc inde in formam disci pressisset, deprehendit ipsum sic sensim inter conscendendum distendi, ut ad summum cum pervenisset, foret in orbem compositus ; deprehendit vero et eumdem inter exscendendum, sic sensim laxari, detumescereque, ut in imo tandem flaccidus perinde, ac ante fuerat, evaserit » (Œuvres, Éd. Lyon, 1658, t. VI, p. 318 et t. I, p. 215). M. Strowski remarque que Gassendi et Boyle trouvent cette expérience, qui est d’ailleurs la suite des fameuses expériences de Roberval, plus décisive encore que l’expérience exécutée par Perier (Histoire de Pascal, 1907, p. 182).
  186. Voir dans la Physique de Rohault, au ch. xii (Des mouvemens que l’on a coûtume d’attribuer à la crainte du vuide), le § 61 : quel est l’usage des ventouses.
  187. Éd. de 1663 : chacun.
  188. Bossut : cet effet.
  189. 1663 : il.
  190. L’édition originale porte ces. Bossut a corrigé les, et, semble-t-il, avec raison.
  191. Bossut corrige sa en la.
  192. Bossut corrige si l’homme se met.
  193. Naïf, exactement synonyme de naturel, comme chez Montaigne.
  194. Comparer les Expériences nouvelles de 1647, t. II, p. 71, no 3.
  195. Bossut imprime : reciproquement.
  196. Bossut imprime : varie.
  197. Voir les Observations de Perier, et les Fragments de Pascal, t. II, p. 441 sqq, et 513 sqq.
  198. Remaniement de la phrase de Pascal, fait évidemment pour l’édition de 1663. Vide supra, t. II, p. 349 sqq.
  199. La superficie. Ce sens est resté dans quelques formules : à fleur d’eau, à fleur de tête.
  200. Nous donnons ci-contre le fac-simile de la page 105 de l’édition originale où se trouve cette figure. On trouvera page 280 le texte de l’Avertissement qui signale la faute de la figure, où le mercure ne remplit pas la poche B. — Nous avons déjà eu l’occasion de faire remarquer dans notre Introduction à la Seconde Narration de Roberval que le dispositif de l’expérience décrite ici par Pascal avait été utilisé par Roberval dans ses conférences publiques de 1648. Nous avons cité (t. III, p. 291) le texte de la Gravitas comparata qui offre une frappante analogie avec ce passage du Traité de la pesanteur de la masse de l’Air. Voir Strowski, Histoire de Pascal, p. 401. Perier rappelle dans son introduction, vide infra, p. 277, que cette expérience ne diffère que par le dispositif de l’expérience que Pascal lui avait montrée quelques jours avant la lettre du 15 novembre 1647 (voir t. II, p. 158). Pour compléter l’histoire de l’Expérience du vide dans le vide, avant l’époque où fut composé le traité de Pascal, il convient de citer ici un texte de 1651, tiré des Experimenta nova anatomica ou Dissertatio de Circulatione Sanguinis et chyli motu. Le physiologiste Jean Pecquet y décrit une expérience inventée par l’ami intime de Pascal, Adrien Auzoult.

    « Experim. III : Exterioris Aeris cum interiori Hydrargyri cylindro æquipondium ostenditur.

    « Lubet etiam, ne pertinax in te Antiquorum opinio adversum argumenta remurmuret, quibus exterioris aëris cum Hydrargyro interiori stabilitur æquipondium, te vacui in vacuo, tentatum feliciter acutissimi Auzotii sagacitate, Experimentum condocefacere.

    « Habe superiori similem et simili protensam collo lagenam AB, nisi quod stet juxta basim B, canaliculi G, auctarium, per cujus ostiolum, quoties opus fuerit, ingressus aëri pateat in lagenam. Per inversæ sublimisque basis B, apertum ostium inducito quadratum parallelepipedâ compage vasculum C, sicut ejus capacitas versus supremum basis B, hiatum patula, fundo suo subjectæ perpendicularis colli AC, fistulæ horizontaliter immineat. Sane vasculum C, externis quatuor angulis interius innixum vitro, dabit in arcubus demeaculum, id est inter latera vasculi, lagenamque intercapedo pervia remanebit. Injice vasculo C, verticalem seu erectum electæ longitudinis etiam ex vitro simul utrinque pervio tubum CF, cumque exactissime suillâ (quâ basim et pariter ostiolum G obturabis) vesicâ, in aëris exclusionem in B circumstringe ; tum jubebis, quo ministro utere, supposito digiti collare lagenæ ostiolum A, obturatum tandiu contineat, donec infuso Hydrargyro totam machinam per apertum ascititii tubi verticem F, impleveris ; quo demum vertice suilla quoque membrana coercito, si digitum subjectum, immersumque, ut antea, restagnanti exterius in D, Hydrargyro retraxerit, Hydrargyri AE, miraberis in inferiori tubo cum exteriori aëre perpetuum æquilibrium ; totus per inclusi C, vasculi latera vacuabitur, qui stat superior tubus, reduntante Hydrargyro, idispum lagenali AE, tubo per septem et viginti pollices retinente. Ac si tum acu subtilissima vesiculam ostiolo G, perforaveris, et aëris nonnihil concesseris intus irrepere, is certe cum dilatato intra lagenam commixtus ejusdem intendit Elaterem, sic ut fortiori jam conamine quaquaversum agat et subjectum in collo AE, Hydrargyrum opprimens, non parum deprimat, et ipsum, quod in interiori C, vasculo restagnat comprimens, in superiorem tubum CF, notabili cylindro cogat ascendere ; imo etiam pro Aeris irrepentis augmento, sensim ad septem et viginti pollicum versum F, altitudinem, inferioris tubi Hydrargyro penitus detruso, videas excrescere.

    « Deorsum in EA, deprimit aër Hydrargyrum, propter mutatum ex infuso per G adventitii aëris auctario, extranei videlicet aëris, cum incluse Hydrargyro æquipondium : sursum pellit in CF, quia reparatus virtutis compressoriæ nisus, etiam intus quærit æquilibrium.

    « Ex his quid concludendum ? Aër extraneus æquiponderat interioris Hydrargyri cylindro AE, Ergo Aër etiam in suâ, ut aiunt, sphærâ ponderosus.

    « Aëris partes intra tubum vesiculamque cyprinam, spontaneâ dilatatione distenduntur, Ergo insitus aëreæ substantiæ ad rarescendum Elater Spongiæ Lanæve naturam imitatur.

    « Et sic quo densior aer, ut in montana vacuique in vacuo patuit Experientia, eo quaquaversum agens majori robustiorique terra quæam superficiem impetit Elatere. » L’expérience que Pecquet attribue à Auzoult suit donc la même marche que les expériences de 1647 et de 1648. L’originalité d’Auzoult consiste uniquement dans la disposition de l’appareil. Nous en empruntons la description à l’excellent résumé que M. Mathieu a donné de la page de Pecquet (Revue de Paris, 15 avril 1906, p. 780 ; cf. 1 mars 1907, p. 202) : « Auzout prit un long tube terminé par un ballon largement ouvert et muni d’un goulot latéral ; l’orifice du tube étant dirigé vers le sol et bouché, le goulot latéral étant fermé par une membrane imperméable, il introduisit dans le ballon une cuvette à fond rectangulaire, disposée de façon à ne pas obstruer le tube, puis il ferma l’orifice du ballon au moyen d’une membrane qui soutenait un petit tube ouvert par les deux bouts, de façon que son extrémité inférieure plongeât dans la cuvette sans en toucher le fond. »

  201. Bossut corrige l’orthographe de 1663 : quelques hauts et quelques profonds.
  202. Bossut imprime au.
  203. Bossut imprime : le.
  204. Bossut corrige quelque.
  205. Bossut imprime avec raison peut-être : comme en eau.
  206. Voir plus haut, t. II p. 530, le fragment conservé à la page 393 du manuscrit autographe. Cf. à la page 360, vers la fin du fragment sur les Deux Infinis, Sect. II, fr. 72 ; « De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles corporellement. Car ils disent hardiment que les corps tendent en bas, qu’ils aspirent à leur centre, qu’ils fuyent leur destruction, qu’ils craignent le vide, qu’elle a des inclinations, des sympaties, des antipaties, qui sont toutes choses qui n’appartiennent qu’aux esprits. »
  207. Voir l’Avertissement de l’édition de 1663, p. 279.
  208. Bossut : disons de même.
  209. « Aristote, dit M. Duhem, pensait que l’air était pesant ; à l’appui de cette opinion, il citait (Aristote : De Cœlo, livre IV, ch. iv) [311 b. 9] une observation étrange, sans dire, d’ailleurs, s’il l’avait faite lui-même ou s’il la tenait de quelque autre philosophe : Une outre pèse davantage lorsqu’elle est gonflée d’air que lorsqu’elle est vide.

    « En ses commentaires au De Cœlo du Stagirite, Simplicius nous apprend qu’il avait reproduit cette expérience et que, contrairement au dire d’Aristote, il avait trouvé même poids à l’outre gonflée et à l’outre dégonflée ; il suppose que le résultat contraire rapporté par le Philosophe s’explique par une cause d’erreur : le souffle qui a gonflé l’outre y a introduit de l’humidité, qui en a accru le poids.

    « Les observations contradictoires d’Aristote et de Simplicius ont provoqué, dans les écoles du Moyen Âge, bien des discussions ; elles se rattachaient, en effet, à ce problème essentiel, l’un de ceux qui furent le plus vivement débattus parmi les mécaniciens d’Alexandrie aussi bien que parmi les physiciens de la Scolastique : Un élément pèse-t-il ou non lorsqu’il se trouve en son lieu naturel ? » (Revue générale des Sciences, 15 sept. 1906, p. 769).

  210. Jean Rey, qui avait pourtant démontré (Essai II) qu’il n’y a rien de leger en la nature, donne à son Essai VIII ce titre : Nul element pese dans soy-mesme, et pourquoy.
  211. L’affirmation de Pascal est inexacte. Salomon de Caus avait, dès 1615, signalé la limite que « la nature de la machine » opposait à l’ascension de l’eau ; il ajoutait, d’ailleurs, qu’avec une machine à deux corps de pompe, il pensait élever l’eau à soixante pieds (Duhem, Revue générale des Sciences, 15 sept. 1906, p. 778).
  212. Allusion au Spiritalium liber dont Commandin avait publié la traduction latine en 1575. Vide supra, t. II, p. 318.
  213. 1663 : par erreur, imprime autant.
  214. Vide supra, le Fragment de Préface, t. II, p. 187.
  215. Vide supra, t. II, p. 482–483.
  216. Bossut imprime tirés au pluriel.
  217. La phrase dont est tirée cette expression se trouvait déjà citée dans une note de l’Avis au Lecteur qui précède la lettre de Petit à Chanut avec renvoi aux Dialogues I, p. 12, 17, etc. (Vide supra, t. I, p. 321, sqq.)
  218. On trouvera la réponse des disciples d’Aristote dans l’écrit suivant : « La Verité du Vuide contre le Vuide de la verité où l’on découvre la veritable cause des effets, qui jusques icy ont esté attribuez à l’horreur du vuide contre l’erreur qui les attribuë à la pesanteur de la Masse de l’Air, par le F. P. Charles Bourgoing, Religieux Augustin, du Convent du Fauxbourg de Sainct Germain. À Paris, chez Iean Henault. Libraire-Iuré, rue Sainct lacques, à l’Ange Gardien. MDCLXIV. Avec privilege du roy, et permission des Superieurs. » La position du P. Bourgoing nous a paru être celle que Pierius avait adoptée dans la Responsio : il invoque uniquement la raréfaction, afin d’éviter le recours à la pesanteur de l’air. De ce point de vue, le P. Bourgoing reprend l’explication, non seulement de l’expérience du vide dans le vide, mais aussi de l’expérience du Puy-de-Dôme.
  219. Rédigée très probablement par Florin Perier, d’après la Vie que Gilberte Perier devait avoir écrite immédiatement après la mort de son frère (Vide supra, t. I, p. 43).
  220. Voir la Vie écrite par Mme  Perier, supra, t. I, p. 69.
  221. Voir la lettre écrite par Chapelain à Chr. Huygens (15 oct. 1659) sur Pascal : « Il a une quantité d’autres Traittés prests à donner de Problèmes curieux, mais qu’il tient supprimés avec assés de cruauté. Peu à peu l’on gaignera sur luy qu’il les souffre paroistre. On en avoit formellement esperé celuy qu’il avoit fait du vuide duquel il publia il y a sept ou huit ans une esbauche. Mais la devotion et ses infirmités l’ont retenu jusqu’icy de l’abandonner un jour. » (Œuvres de Huygens, 1889, t. II, p. 496 ; cf. Lettres de Jean Chapelain, Paris, 1883, t. II, p. 61).
  222. Ce pluriel est remarquable. Les fragments qui ont formé depuis les Pensées étaient-ils destinés à plusieurs ouvrages, par exemple à une Défense de la Religion contre les Libertins et à une Doctrine de l’Église contre les Jésuites ?
  223. Voir la Vie, supra t. I, p. 52.
  224. La lettre au P. Mersenne où Descartes exprime son jugement sur l’Essai de Pascal avait paru en 1659 (tome II de l’édition des Lettres par Clerselier, page 217) ; elle ne dit rien de ce que la préface rapporte ici (Vide supra, t. I, p. 246).
  225. Vide supra, t. II, p. 67 et t. III, p. 263. Libri, Histoire des sciences mathématiques en Italie, 1841, t. IV, p. 270, fait observer que l’anecdote du dialogue entre Galilée et le fontainier de Florence a sans doute son origine dans ce passage de Perier, et qu’elle est controuvée. Cf. Th. Henri Martin, Galilée, 1868, p. 820.
  226. Résumé des Expériences nouvelles de 1647. Voir t. II, p. 62.
  227. Vide supra, t. III, p. 236.
  228. Voir le fac-similé de l’édition princeps, supra, t. III. p. 237.
  229. Vide supra, t. II, p. 513-530.
  230. Allusion à la Vie écrite par Madame Perier. Vide supra, t. I, p. 81.
  231. Allusion aux traités parus sur la Roulette pour lesquels Pascal avait pris le nom d’Ames Dettonville.
  232. Allusion à la Copie qui fut faite des Pensées immédiatement après la mort de Pascal (Préface de l’édition de 1670, in Pensées, Ed. Hachette, 1904, t. I, p. cxc).
  233. L’édition de 1663 donne Rho ; l’erreur est corrigée dans la seconde édition de 1664. Rohault, né vers 1620, mort à la fin de 1672, fit l’étude systématique des phénomènes de capillarité, dans ses conférences hebdomadaires qui furent si célèbres au xviie siècle. M. Adam cite une lettre de Chapelain à Huygens, du 18 août 1659, qui permet de dater approximativement la découverte de Rohault (Pascal et Descartes, Revue philosophique, Janvier 1888, p. 89).
  234. Voir page 236. — À la suite de l’Avertissement est un Extrait du privilège du Roy, à la date du 8 avril 1663 : « Il est permis à M. Perier, Conseiller de Sa Majesté en la Cour des Aydes de Clermont Ferrand de faire imprimer, vendre et débiter dans tous les lieux de l’obéïssance de sadite Majesté, les Ouvrages de feu M. Pascal son beau-frere, sous le titre de Traitez, etc. » Le privilège est donné pour sept ans ; le libraire choisi « par ledit sieur Perier, est Guillaume Desprez.» Enfin ces mots : « Achevé d’imprimer pour la première fois le 17e jour de novembre 1663. Les Exemplaires ont esté fournis. »
  235. Éd. 1663, p. 210–232, l’auteur de ces pages n’est pas nommé ; mais c’est, à n’en pas douter, Florin Perier.
  236. Voici le titre complet : Nova Experimenta Physico-Mechanica de Vi Aeris Elastica, et ejusdem Effectibus, Facta maximam partem in Nova Machina Pneumatica et ad (Nepotem suum) Nobilissimum Dnum Carolum Vicecomitem de Dungarvan, Illustrissimi Comitis de Corke summi Regni Hyberniæ Thesaurarii filium primo-genitum literis pridem transmissa Ab Honoratissimo Dno Roberto Boyle Armig. — Ex Anglico in Latinum noviter conversaOxoniæ Excudebat H. Hall Academiæ Typographus, Impensis Tho : Robinson, 1661. — Perier avait trouvé dans le livre de Boyle plusieurs mentions du nom de Pascal : p. 22, l’éloge de l’expérience du Puy-de-Dôme, p. 98 une allusion à l’expérience illustre qui substitua l’eau au mercure.
  237. Otto de Guericke et Schott (ibid., p. 3).
  238. Sur l’expérience de la vessie, vide supra, t. II, p. 295 sqq.
  239. Vide supra, p. 179 sqq.
  240. Vide supra, p. 288.
  241. Vide supra, t. II, p. 12. n. 1, et p. 310.
  242. Nous publions, en regard du texte du Pascal, la traduction française, que nous avons faite en nous servant du travail de M. Ch. Drion, publié au tome troisième de l'édition Lahure.
  243. Serait-ce cette règle qui aurait soulevé une discussion à laquelle fait allusion un passage du manuscrit des Pensées ? « J'en sçay, dit Pascal, qui ne peuvent comprendre qui de zero oste 4 reste zero. » (f. 355, Sect. II, f. 72).
  244. Cette dernière règle est incorrectement énoncée.
  245. Cette règle n’est autre que la règle d’intégration  : On admirera la netteté avec laquelle Pascal dégage le principe du calcul intégral.
  246. Dans le chapitre VII de son Histoire de Pascal, p. 286, M. Strowski montre Pascal « lecteur alors assidu de Montaigne », et rapproche ce texte de l'Apologie de Raymond de Sebonde. Voir les Pensées à la page 69 de l'autographe, et notre édition, Sect. V, fr. 294, avec le commentaire.
  247. Le nom est en blanc dans le texte des Varia Opéra. Mais il s’agit probablement du chevalier de Méré qui avait fourni à Pascal l’énoncé du problème des dés. Dans la lettre adressée à Pascal qui nous a été conservée (voir supra, p. 877 et note 2), le Chevalier engage une longue discussion contre la divisibilité à l’infini, et il dit à Pascal : « Vous demeurerez toujours dans les erreurs où les fausses démonstrations de la Géométrie vous ont jette, et je ne vous croiray point tout-à-fait guéri des mathématiques tant que vous soutiendrez que ces petits corps dont nous disputâmes l’autre jour se peuvent diviser jusques à l’infini.» Œuvres, t. II, 1712, p. 60).
  248. Bossut imprime « onzième « au lieu de « douzième », et cette version est reproduite par Paul Tannery et Ch. Henry dans leur édition des Œuvres de Fermat. Il semble toutefois (quoique le mot soit peu lisible) que la copie conservée à la Bibliothèque Nationale porte : « douzième. » Vide infra, t. XI, p. 353.
  249. Vide supra, LV.
  250. Vide supra, LVI.
  251. Barroux, Actes notariés relatifs à Pascal el à sa famille, Paris, Leroux, 1889.
  252. Le De ratiocinils in ludo aleæ qui parut en 1657, inséré dans les Exercitationes mathematicæ de Schooten.
  253. Les lignes horizontales du tableau de Herigone ne sont autres que les lignes diagonales (bases, d'après la terminologie de Pascal) du triangle arithmétique.
  254. Frenicle avait composé un traité « De Triangulo Arithmetico » qui ne nous est pas parvenu et dont nous ignorons le contenu. Il est question de ce traité dans la correspondance de Leibniz avec Oldenburg (Briefw. mit Mathematik. Ed. Gerhardt. p. 168).
  255. Mersenne cite aussi un calcul (probablement empirique) qui serait dû à Xénocrate. Ce calcul est signalé par Plutarque. (Cf. Cantor, Vorles. üb. Gesch. d. Mathematik, t. I, chap. II.)
  256. Ce petit écrit est reproduit à la suite de la Dialectica de Seton, Londres, 1689.