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Œuvres diverses en prose (Corneille)/Épitaphe de dom Jean Goulu

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Œuvres diverses en prose (Corneille)
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 396-398).

I

Épitaphe de dom Jean Goulu, général des Feuillants[1][trad 1].


Sta quisquis es, et perlege.

R. P. Ioan. GOVLV,

PARISIIS NATVS, VBIQVE NOTVS.
PIETATE, PROBITATE, ERVDITIONE, ELOQVVTIONE,
AD INVIDIAM VSQVE MIRABILIS,
VIXIT HEV, IMO VIVIT :

Qvippe dignum laude virum fama vetat mori.
A militia forensi Fuliensem ingressus, scriptis suis
Impugnatam fidei veritatem[2],
Impetita Monarchiæ iura[3],

Periclitantem sanctorum memoriam[4],
Mirum quantum ab iniuria temporu vindicauerit,
Simulque adulteratam eloquentiæ puritatem[5]
Reuocauerit, conseruauerit, illustrauerit.
Tandem vniuerso ordini postquam bis præfuit[6]

Exemploque non minus quam imperio profuit,
Vix dicas
Dignitate functusne prius an defunctus sit[7].
Magnatum amicitias vt meruerit, vt tenuerit,
Vel hoc marmor testabitur, quod

ILLVSTRISSIMI PRINCIPES,

CÆSAR BORBONIVS[8], ET FRANCISCA

LOTHARINGA, CHARISSIMI CONIVGES,

Duces Vindocin. Stapens. Bellefort. Mercœrei, Ponthieuræ, etc.
Bene merenti mœrentes posuere.
Obiit anno M.DC.XXIX, die V. Ianuarii, ætatis suæ LIII.
Ora pro eo.


  1. TRADUCTION DE L’ÉPITAPHE DU P. GOULU.

    Arrête, qui que tu sois, et lis cette épitaphe. Le R. P. Jean Goulu, né à Paris, connu partout, admirable par sa piété, sa probité, son savoir, son élocution, au point d’exciter l’envie, a vécu, hélas ! ou plutôt il vit encore, car la renommée empêche un homme digne de louange de mourir. Entré dans la milice des Feuillants, au sortir de celle du barreau, il a su défendre merveilleusement contre l’injure des temps la vérité de la foi attaquée, les droits de la monarchie coutestés, la mémoire des saints, qu’il voyait en péril, et en même temps rappeler, conserver, illustrer la pureté altérée de l’éloquence. Enfin, après qu’il eut été deux fois à la tête de tout son ordre et qu’il l’eut servi par son exemple non moins que par son gouvernement, on aurait peine à dire ce qu’il a achevé le plus tôt, de sa charge ou de sa vie. À quel point il a su mériter et garder l’amitié des grands, ce marbre même en témoignera, que les très-illustres princes César de Bourbon et Françoise de Lorraine, très-chers époux, duc et duchesse de Vendôme, d’Étampes, de Mercœur, de Penthièvre, etc., ont élevé au digne objet de leurs regrets. Il mourut l’an M.DC.XXIX, le 5 de janvier, dans la 53e année de son âge. Prie pour lui.


  1. Voyez la Notice des Œuvres en prose, p. 392-394.
  2. Réponse au livre de M. du Moulin : de la Vocation des pasteurs. (Note de l’édition originale.)
  3. Vindiciæ theologiæ iberopoliticæ. (Note de l’édition originale.) — Le titre complet de cet ouvrage est : Vindiciæ theologiæ iberopoliticæ ad catholicum regem Hispaniarum, etc., Philippum IV, contra pseudotheologi admonitoris calumnias. Cet ouvrage, publié en 1626, dans le format in-8o, sans mention de ville, répond à l’Avis d’un théologien sans passion sur plusieurs libelles imprimés depuis peu en Allemaigne, publié la même année, attribué à Mathieu de Morgues et dont la Bibliothèque impériale possède quatre éditions différentes.
  4. La Vie du B. Fr. de Sales, évêque de Genève. (Note de l’édition originale.) — Cette vie de saint François de Sales est de 1624. François de Sales avait été béatifié en 1601 ; il ne fut canonisé qu’en 1665.
  5. Lettres de Phyllarque à Ariste, (Note de l’édition originale.) — Ce fut probablement à cause de cet éloge des lettres de Phyllarque (pseudonyme du P. Goulu) que Balzac, contre qui ces lettres étaient dirigées, fit des vers latins contre l’épitaphe, dont il ignorait l’auteur (voyez tome III, p. 29-31, et ci-dessus, p. 392 et 393).
  6. Malgré ce passage de l’épitaphe, qui, ce semble, ne devrait laisser aucun doute, voici ce que nous lisons dans une note du Dictionnaire de Bayle (Amsterdam, 1734, tome III, p. 86) : « Ceux qui ont dit qu’il (Goulu) eut deux fois le généralat, n’avoient pas consulté son Éloge*, dans la seconde édition de son Saint Denis l’Aréopagite. Cet éloge nous apprend que depuis son noviciat il eut toujours quelque charge dans l’ordre, et qu’enfin il fut élevé à la première, qu’il exerça pendant six ans, après quoi il fut donné pour conseiller et pour assesseur à celui qui lui succéda**. »

     * L’Éloge que nous avons cité plus haut, p. 392, note 1.
     ** Nous avons vu plus haut dans la Notice (p. 392) que dom Pierre de Saint-Romuald désignait le P. Goulu par le titre de « premier assistant de notre Père général. »
  7. Il semble qu’on devrait pouvoir conclure de ces mots que dom Goulu était mort en sortant de charge. Si son généralat se terminait avec l’année 1628, il n’y aurait survécu que de cinq jours. Mais voyez ce qui est dit dans la note précédente.
  8. César, duc de Vendôme, fils naturel légitimé d’Henri IV, ce qui explique assez, ce semble, le surnom de Bourbon qui choquait fort Piganiol de la Force. « Quelque accoutumé que je sois, dit-il, à voir que nos historiens, même les plus habiles, se méprennent tous les jours dans les surnoms des princes de la maison royale, j’avoue cependant que j’ai été fort surpris que l’auteur de l’épitaphe qu’on vient de lire ait donné à César duc de Vendôme le surnom de Bourbon, qui n’a jamais été le sien, et aussi qu’il n’a jamais porté. »