Académie des sciences – Séance hebdomadaire/27

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19 janvier 1874

12 janvier 1874

2 février 1874

ACADÉMIE DES SCIENCES
Séance du 26 janvier 1874. — Présidence de M. Bertrand.

Élection de M. Paul Gervais. — L’Académie avait aujourd’hui à pourvoir à la place laissée vacante dans la section de zoologie par le décès de M. Coste. Quatre candidats étaient sur les rangs : en première ligne, M. Paul Gervais ; en seconde ligne M. Alphonse Milne Edwards ; en troisième, M. Camille Dareste, et enfin en quatrième, M. Beaudelot. Le nombre des votants étant de 58 ; 33 voix se sont portées sur M. Gervais, 24 sur M. A. Edwards et 1 sur M. Dareste. Il y a longtemps déjà que le savant professeur d’anatomie comparée du Muséum, l’ancien doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, le savant qui, après avoir produit d’innombrables travaux sur toutes les branches de la zoologie, a donné cette preuve de son amour pour la science de troquer la Sorbonne contre le Jardin des Plantes malgré la différence des traitements, mais à cause de la différence des moyens d’étude ; il y a longtemps qu’un tel homme aurait du appartenir à l’Institut,

Élection manquée de correspondant. — Nous n’en avons pas fini encore avec les correspondants de la section d’astronomie. Il paraît que le programme de la séance d’aujourd’hui portait l’élection d’un nouveau correspondant. Mais, au moment d’ouvrir le scrutin, M. le président a annoncé que M. Serret ayant déclaré les opérations du dernier comité secret entachées d’irrégularité, demandait que les conditions fussent de nouveau discutées, et l’élection par conséquent renvoyée à huitaine. M. Le Verrier, présent aujourd’hui, appuie de la manière la plus véhémente cette proposition inattendue, et M. Liouville se joint à lui. Toutefois, la chose n’est pas du goût de tout le monde ; M. Fuzeau surtout fait remarquer que cette remise est très-défavorable à la candidature préférée en ce moment et voudrait que l’Académie se prononçât tout entière sur la question.

Sans entrer dans le fond du débat, dont les détails nous sont d’ailleurs inconnus, faisons seulement remarquer qu’il est à regretter que quelques membres, à cause de leurs relations à l’étranger, enlèvent aux astronomes français qui peuvent exister en province l’espoir d’être nommés correspondants de l’Académie. Car il parait que cette espérance est de nature à exciter le zèle scientifique de beaucoup de personnes, et l’on sait que depuis quelque temps le nombre des travaux d’astronomie signés de noms français est désespérément restreint. À l’heure qu’il est, sur quinze correspondants de la section, il y en a quatorze qui sont étrangers : un seul, M. Roche, est Français ; à qui sera donnée la dernière place vacante ? Ajoutons d’ailleurs, sans aucun esprit de récrimination, que, d’après les bruits courants chez les astronomes, les étrangers nous rendent un signalé service en meublant les quatorze fauteuils en question, car dans toute la France on ne cite, comme éligibles, que deux astronomes, et outre qu’il est incontestable que leur notoriété est moins grande que celle de M. Lockyer ou de M. Newcomb, il va de soi qu’on n’aurait pu sans inconvénient leur donner à chacun sept fauteuils et demi.

Fondation de prix. — Pour en finir avec les sujets qui intéressent moins la science que son académie, notons deux fondations de prix destinés à la fois à encourager certains travaux scientifiques et à augmenter l’influence des académiciens chargés de leur distribution.

Le premier a pour fondateur Claude Gay, dont nous annoncions la mort il y a quelques mois : « Ayant trouvé, dit le testateur, un bonheur pur et profond dans les occupations scientifiques, n’ayant jamais connu ni l’oisiveté ni l’ennui, et voulant encourager les personnes qui auraient les mêmes goûts, je lègue à l’Académie une rente de 2 500 fr. applicable à un prix annuel de géographie physique, conformément au programme qui sera rédigé. »

Le second prix est un prix d’astronomie. Ce n’est pas un savant qui le fonde, mais sa veuve, madame Valz, de Marseille. Nos lecteurs savent que Valz, qui a été remplacé lundi dernier comme correspondant par M. Newcomb, était directeur de l’observatoire de Marseille. La somme mise à la disposition de l’Académie est de 10 000 fr., et les conditions du concours doivent être analogues à celles qui concernent le prix Lalande.

Levûre de bière et penicilium. — En entrant dans la salle, tout le monde remarque sur la table des lectures un énorme ballon de verre tubulé, à moitié plein d’un liquide jaunâtre : le mode de tubulure fait reconnaître un appareil de M. Pasteur, et l’on s’attend naturellement à une discussion animée. Il s’agit de la production de la levure dans les milieux minéraux sucrés. L’expérience que représente le ballon est très-simple et certainement très-intéressante. Elle consiste à placer une quantité imperceptible de levure dans un liquide formé d’eau distillée dans laquelle on a fait dissoudre du sucre candi pur et des sels d’ammoniaque cristallisés. Au bout de très-peu de temps la levure se multiplie d’une manière exubérante et il est manifeste qu’elle emprunte son carbone au sucre, et son azote aux sels ammoniacaux. M. Pasteur assure qu’on peut ainsi déterminer la fermentation de kilogrammes de sucre.

Tout ceci aurait passé tout simplement, mais l’auteur a cru devoir ajouter que son expérience est une preuve manifeste de l’inexactitude des assertions de M. Trécul, d’après qui la levure est susceptible de se transformer en penicilium glacum. En effet, M. Pasteur déclare qu’on peut décanter tout le liquide du ballon en laissant la levure, qui est en contact avec de l’air dépouillé de ses poussières, et que jamais, dans ces circonstances, la transformation annoncée n’a lieu.

M. Trécul a pris la parole à la suite de cette attaque, pour demander que son contradicteur se plaçât dans les conditions où il s’est placé lui-même ; mais nous avouons n’avoir pas bien compris les arguments dont il s’est servi et auxquels M. Pasteur nous paraissait avoir répondu d’avance. Aussi espérons-nous que le savant micrographe fera de sa réponse le sujet d’une communication spéciale.

Où la séance a failli perdre le caractère grave qui lui convient si bien, c’est quand M. Pasteur, ayant ainsi terminé avec M. Trécul, s’est tourné vers M. Frémy et lui a dit textuellement : « Eh bien, et vous ne répondez-vous pas ? — Oh ! pas encore ; la lecture du mémoire auquel je travaille sera ma réponse. — Il y a bien longtemps que je l’attends, votre mémoire ! »

Le métal à canon. — Le secrétaire perpétuel présente, de la part de M. Frémy, une brochure intitulée le Métal à canon. Nous reviendrons sur ce travail avec tout le soin que réclament l’importance du sujet et le nom de l’auteur. Disons seulement que celui-ci conclut de ses études, que le véritable métal à canon est une substance intermédiaire entre le fer et l’acier trempé.

Les poussières cosmiques. — On se rappelle la singulière découverte, faite par M. Nordenskjold, de poussière accompagnant la neige des régions arctiques et contenant, comme les matières météoritiques, du fer métallique et du charbon. L’auteur adresse aujourd’hui, par l’intermédiaire de M. Daubrée, une suite à son premier travail. Il a reconnu que la poussière noire renferme du nickel, du cobalt et du phosphore, trois des éléments les plus caractéristiques, comme on voit, des matières extra-terrestres. La conclusion, de plus en plus nécessaire, est que cette poussière est réellement d’origine cosmique, et il faut espérer que d’autres recherches feront faire de nouveaux progrès à son étude. S’il en est ainsi, on acquerra des notions très-importantes, à la fois pour la physique terrestre et pour l’agriculture, puisque l’on aura découvert une source, certainement bien imprévue, du phosphore et du fer que s’assimilent les végétaux.

Géologie arctique. — Le même savant fait parvenir, par la même occasion, la description des nombreux glaciers, élevés de 500 à 1 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, qu’il a eu l’occasion d’étudier dans son dernier voyage au pôle. En même temps, il fait connaître une nouvelle couche de terrain, remplie d’empreintes végétales avec une telle profusion, qu’il la compare à un herbier fossile. Il résulte de cette découverte que le Spitzberg offre au moins cinq niveaux, parfaitement distincts, de végétaux fossiles : deux dans le terrain houiller, un dans le jurassique, un dans le crétacé et un dans le miocène. La nature des plantes recueillies montre que, jusqu’à la fin de l’époque crétacée, la température de ces régions circumpolaires était comparable à celle de notre zone tropicale.

Statistique parisienne. — Un très-intéressant travail de statistique est soumis par M. Mortier, qui a eu l’heureuse idée de représenter les différences de population des divers points de Paris, par des lignes d’égale densité tracées sur le plan. Celui-ci prend dès lors un aspect tout à fait comparable à celui des cartes topographiques, et devient riche en enseignements, soit en ce qui concerne les épidémies, soit en ce qui touche aux travaux d’édilité, tels que la distribution d’eau et les égouts.

Stanislas Meunier.