Analyse du Kandjour/Le Kandjour

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Csoma de Körös
Traduction par Léon Feer.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Tome 2p. 145-147).


LE KANDJOUR[1]
COMPILATION DES LIVRES SACRÉS DU TIBET


La grande compilation en cent volumes des livres sacrés du Tibet est appelée Kâ-gyur ou vulgairement Kan-gyur (bkah-hgyur), བཀའ་འྒྱུར​ c’est-à-dire « traduction du commandement », parce que ces livres ont été traduits du sanscrit, ou de l’ancienne langue de l’Inde (rgya-gar-skad) རྒྱ་གར་སྐད​, terme par lequel on peut entendre le prâkrit ou dialecte du pays de Magadha[2], principal siége de la foi bouddhique dans l’Inde, en ce temps-là.

Ces livres renferment la doctrine de Çâkya, Buddha qui, selon la plupart des auteurs tibétains, aurait vécu un millier d’années avant le commencement de l’ère chrétienne[3]. Il en fut fait des compilations dans l’Inde ancienne à trois époques et dans trois localités différentes. La première suivit immédiatement la mort de Çâkya ; la deuxième date du temps d’Açoka, roi célèbre qui résidait à Pâtaliputra, cent dix ans après le décès de Çâkya ; la dernière est du temps de Kaniṣka, roi du Nord de l’Inde, postérieur à Çâkya de plus de quatre cents ans. Les adhérents de Çâkya s’étaient alors partagés en dix-huit sectes formant quatre divisions principales, dont les noms tant sanscrits que tibétains ont été conservés.

Les premiers compilateurs furent trois des principaux disciples de Çakya : Upâli (tib. Ñe-var-hkhor) compila le Vinaya-Sûtram (tib. Dul-ve-do) — Ananda (tib. Kun-Dgâ-vo) le Sûtranta (la classe Do en tibétain), et Kâçyapa (tib. Hot-srung), le Prajñâ-pâramitâ (tib. Çer-Chin). Ces divers ouvrages furent apportés au Tibet et y furent traduits entre le viie et le xiiie siècle de notre ère, mais surtout au ixe. L’édition du Kâ-gyur appartenant à la Société Asiatique[4] paraît avoir été imprimée précisément avec les planches qu’on dit avoir été préparées au dernier siècle en 1731 et qui sont encore d’un usage journalier à Snâr-Thang, vaste construction ou monastère, peu éloigné de Teçi-lhun-po (bkra-çis-lhun-po). ཟཀུ ཤིས་ལྷུན་པོ

La collection dite Kâ-gyur se compose des sept grandes divisions suivantes, qui sont, en fait, des ouvrages distincts :

I. Dul-va འདུལ་བ་ (Sk. Vinaya), ou « Discipline », en 13 volumes.

II. Çer-Chin ཤེར་བིན​ (Sk. Prajñâ pâramitâ), ou « sagesse transcendante », en 21 volumes.

III. Phal-Chen ཕལ་ཆེན་ (Sk. Buddhavata-sangha), ou « communauté bouddhique », en 6 volumes.

IV. Dkon-seks དཀོན་བརྩགས་ (Sk. Ratna-kûta), ou « amas de joyaux », en 6 volumes.

V. Do-de མདོ་སྡ​ (Sk. Sûtranta), « aphorismes » ou traités, en 30 volumes.

VI. Ñang-das མྱང་འྡས་ (Sk. Nirvâna), « délivrance de la peine », en 2 volumes.

VII. Gyut རྒྱུད་ (Sk. Tantra), « doctrine mystique, charmes », en 22 volumes, le tout formant exactement 100 volumes.

La collection du Kâ-gyur, dans son ensemble, est souvent désignée sous le nom de Dé-not-sum སྡེ་སྣོད་གསུམ, en sanscrit Tripitaka, « les trois vaisseaux ou réceptacles »[5], désignation qui comprend : 1o le Dul-va ; 2o le Do avec le Phal-chen, le Kon-seks, le Ñang-das et le Gyut ; 3o le Çer-chin avec toutes les divisions ou abréviations. — Cette division tripartite est aussi exprimée par les noms suivants : 1o Dulva (Sk. Vinaya) ; 2o Do (Sk. Sûtra) ; 3o Chos-ngon-pa (Sk. Abhidharma). Ce dernier titre a pour équivalents tibétains Ngon-pa-dsot, Yum et Ma-mo. C’est une opinion commune ou vulgaire que le Dulva est un remède contre la cupidité ou la convoitise ; que le Do en est un contre la colère ou l’ardeur des passions ; et que le Chos-ngon-pa en est un contre l’ignorance[6].

  1. J’écris Kandjour contrairement à mes principes d’orthographe, parce que Kandjour est une forme qui imite la prononciation et n’est point du tout le calque du mot tibétain. (L. F.)
  2. Pali est le nom usuel de ce dialecte prâkrit, appelé à Ceylan « langue de Magadha ». (L. F.)
  3. Les Bouddhistes de Ceylan et de l’Indo-Chine le placent à une époque plus récente, et assignent à sa mort la date de 543 avant de notre ère ; la critique moderne tend à ramener cette date à 478. (L. F.)
  4. Il s’agit de la Société Asiatique de Calcutta. (L. F.)
  5. On dit aussi « la triple corbeille ». (L. F.)
  6. C’est une adaptation des trois divisions du canon bouddhique aux trois péchés de la pensée, appelés aussi les trois taches, les trois souillures. (L. F.)