Annales de l’Empire/Édition Garnier/Charlemagne

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CHARLEMAGNE,
premier empereur.

742. Naissance de Charlemagne, près d’Aix-la-Chapelle, le 10 avril. Il était fils de Pepin, maire du palais, duc des Francs, et petit-fils de Charles Martel. Tout ce qu’on connaît de sa mère, c’est qu’elle s’appelait Berthe. On ne sait pas même précisément le lieu de sa naissance. Il naquit pendant la tenue du concile de Germanie ; et, grâce à l’ignorance de ces siècles, on ne sait pas où ce fameux concile s’est tenu.

La moitié du pays qu’on nomme aujourd’hui Allemagne était idolâtre, des bords du Véser, et même du Mein et du Rhin, jusqu’à la mer Baltique ; l’autre, demi-chrétienne.

Il y avait déjà des évêques à Trêves, à Cologne, à Mayence, villes frontières fondées par les Romains et instruites par les papes. Mais ce pays s’appelait alors l’Austrasie, et était du royaume des Francs.

Un Anglais, nommé Villebrod, du temps du père de Charles Martel, était allé prêcher aux idolâtres de la Frise le peu de christianisme qu’il savait. Il y eut, vers la fin du viie siècle, un évêque titulaire de Vestphalie qui ressuscitait les petits enfants morts. Villebrod prit le vain titre d’évêque d’Utrecht. Il y bâtit une petite église que les Frisons païens détruisirent. Enfin, au commencement du viiie siècle, un autre Anglais, qu’on appela depuis Boniface, alla prêcher en Allemagne : on l’en regarde comme l’apôtre. Les Anglais étaient alors les précepteurs des Allemands, et c’était aux papes que tous ces peuples, ainsi que les Gaulois, devaient le peu de lettres et de christianisme qu’ils connaissaient.

743. Un synode à Lestine en Hainaut sert à faire connaître les mœurs du temps ; on y règle que ceux qui ont pris les biens de l’Église, pour soutenir la guerre, donneront un écu à l’Église par métairie : ce règlement regardait les officiers de Charles Martel et de Pepin son fils, qui jouirent jusqu’à leur mort des abbayes dont ils s’étaient emparés. Il était alors également ordinaire de donner aux moines et de leur ôter.

Boniface, cet apôtre de l’Allemagne, fonde l’abbaye de Fulde dans le pays de Hesse. Ce ne fut d’abord qu’une église couverte de chaume, environnée de cabanes habitées par quelques moines qui défrichaient une terre ingrate ; c’est aujourd’hui une principauté : il faut être gentilhomme pour être moine ; l’abbé est souverain depuis longtemps, et évêque depuis 1753.

744. Carloman, oncle de Charlemagne, duc d’Austrasie, réduit les Bavarois, vassaux rebelles du roi de France, et bat les Saxons dont il veut faire aussi des vassaux. On voit par là évidemment qu’il y avait déjà de grands vassaux ; et il est constant que le royaume des Lombards en Italie était composé de fiefs, et même de fiefs héréditaires.

745. En ce temps Boniface était évêque de Mayence. La dignité de métropole, attachée jusque-là au siége de Vorms, passe à Mayence.

Carloman, frère de Pepin, abdique le duché de l’Austrasie ; c’était un puissant royaume qu’il gouvernait sous le nom de maire du palais, tandis que son frère Pepin dominait dans la France occidentale, et que Childéric, roi de toute la France, pouvait à peine commander aux domestiques de sa maison. Carloman renonce à sa souveraineté pour aller se faire moine au Mont-Cassin. Les historiens disent encore que Pepin l’aimait tendrement ; mais il est vraisemblable que Pepin aimait encore davantage à dominer seul. Le cloître était alors l’asile de ceux qui avaient des concurrents trop puissants dans le monde.

747-748. On renouvelle dans la plupart des villes de France l’usage des anciens Romains, connu sous le nom de patronage ou de clientelle. Les bourgeois se choisissent des patrons parmi les seigneurs, et cela seul prouve que les peuples n’étaient point partagés dans les Gaules, comme on l’a prétendu, en maîtres et en esclaves.

749. Pepin entreprend enfin ce que Charles Martel son père n’avait pu faire. Il veut ôter la couronne à la race de Mérovée. Il mit d’abord l’apôtre Boniface dans son parti, avec plusieurs évêques, et enfin le pape Zacharie.

750. Pepin fait déposer son roi Hilderic ou Childeric III ; il le fait moine à Saint-Bertin, et se met sur le trône des Francs.

Comme cette usurpation atroce irritait plusieurs seigneurs, il attire le clergé dans son parti ; il fonde le riche évéché de Vurtzbourg, dont le prélat se prétend duc de Franconie : il appelle aux états généraux, nommés parliaments (parliamenta), les évêques et les abbés, qui auparavant n’y venaient que très-rarement, et quand on les consultait.

751. Pepin veut subjuguer les peuples nommés alors Saxons, qui s’étendaient depuis les environs du Mein jusqu’à la Chersonèse cimbrique, et qui avaient conquis l’Angleterre. Le pape Étienne III demande la protection de Pepin contre Astolphe[1], roi de Lombardie, qui voulait se rendre maître de Rome. L’empereur de Constantinople était trop éloigné et trop faible pour le secourir ; et le premier domestique du roi de France, devenu usurpateur, pouvait seul le protéger.

754. La première action connue de Charlemagne est d’aller, de la part de Pepin son père, au-devant du pape Étienne à Saint-Maurice en Valais, et de se prosterner devant lui. C’était un usage d’Orient : on s’y mettait souvent à genoux devant les évêques ; et ces évêques fléchissaient les genoux non-seulement devant les empereurs, mais devant les gouverneurs des provinces, quand ceux-ci venaient prendre possession.

Pour la coutume de baiser les pieds, elle n’était point encore introduite dans l’Occident, Dioclétien avait le premier exigé, dit-on, cette marque de respect, en quoi il ne fut que trop imité par Constantin. Les papes Adrien Ier et Léon III furent ceux qui attirèrent au pontificat cet honneur que Dioclétien avait arrogé à l’empire ; après quoi les rois et les empereurs se soumirent comme les autres à cette cérémonie, qu’ils ne regardèrent que comme un acte de piété indifférent, quoique ridicule, et que les papes voulurent faire passer comme un acte de sujétion.

Pepin se fait sacrer roi de France par le pape, au mois d’auguste, dans l’abbaye de Saint-Denis ; il l’avait déjà été par Boniface ; mais la main d’un pape rendait aux yeux des peuples son usurpation plus respectable. Éginhard, secrétaire de Charlemagne, dit en termes exprès « qu’Hilderic fut déposé par ordre du pape Étienne ». Pepin n’est pas le premier roi de l’Europe qui se soit fait sacrer avec de l’huile à la manière juive : les rois lombards avaient pris cette coutume des empereurs grecs ; les ducs de Bénévent même se faisaient sacrer : ces cérémonies imposaient à la populace. Pepin eut soin de faire sacrer en même temps ses deux fils, Charles et Carloman. Le pape, avant de le sacrer roi, l’absout de son parjure envers Hilderic son souverain ; et après le sacre il fulmina une excommunication contre quiconque voudrait un jour entreprendre d’ôter la couronne à la famille de Pepin.

C’est ainsi que les princes et les prêtres se sont souvent joués de Dieu et des hommes. Ni Hugues Capet ni Conrad n’ont pas eu un grand respect pour cette excommunication. Le nouveau roi, pour prix de la complaisance du pape, passe les Alpes avec Tassillon, duc de Bavière, son vassal. Il assiége Astolphe dans Pavie, et s’en retourne la même année sans avoir bien fait ni la guerre ni la paix.

755. À peine Pepin a-t-il repassé les Alpes qu’Astolphe assiége Rome. Le pape Étienne conjure le nouveau roi de France de venir le délivrer. Rien ne marque mieux la simplicité de ces temps grossiers qu’une lettre que le pape fait écrire au roi de France par saint Pierre, comme si elle était descendue du ciel ; simplicité pourtant qui n’excluait jamais ni les fraudes de la politique, ni les attentats de l’ambition.

Pepin délivre Rome, assiége encore Pavie, se rend maître de l’exarchat, et le donne, dit-on, au pape. C’est le premier titre de la puissance temporelle du saint-siége. Par là Pepin affaiblissait également les rois lombards et les empereurs d’Orient. Cette donation est bien douteuse, car les archevêques de Ravenne prirent alors le titre d’exarques. Il résulte que les évêques de Rome et de Ravenne voulaient s’agrandir. Il est très-probable que Pepin donna quelques terres aux papes, et qu’il favorisait en Italie ceux qui affermissaient en France sa domination. S’il est vrai qu’il ait fait ce présent aux papes, il est clair qu’il donna ce qui ne lui appartenait pas ; mais aussi il avait pris ce qui ne lui appartenait pas. On ne trouve guère d’autre source des premiers droits : le temps les rend légitimes. Il faut avouer qu’en fait de donations comme de décrétales, la cour de Rome est un peu décriée ; témoin la fameuse donation de Constantin, rapportée dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[2].

756. Boniface, archevêque de Mayence, fait une mission chez les Frisons idolâtres. Il y reçoit le martyre. Mais comme les historiens disent qu’il fut martyrisé dans son camp, et qu’il y eut beaucoup de Frisons tués, il est à croire que les missionnaires étaient des soldats. Tassillon, duc de Bavière, fait un hommage de son duché au roi de France, dans la forme des hommages qu’on a depuis appelés liges. Il y avait déjà de grands fiefs héréditaires, et la Bavière en était un.

Pepin défait encore les Saxons, Il paraît que toutes les guerres de ces peuples, contre les Francs, n’étaient guère que des incursions de barbares qui venaient tour à tour enlever des troupeaux et ravager des moissons. Point de place forte, point de politique, point de dessein formé ; cette partie du monde était encore sauvage.

Pepin, après ses victoires, ne gagna que le payement d’un ancien tribut de trois cents chevaux, auquel on ajouta cinq cents vaches : ce n’était pas la peine d’égorger tant de milliers d’hommes.

758-759-760, Didier, successeur du roi Astolphe, reprend les villes données par Pepin à saint Pierre ; mais Pepin était si redoutable que Didier les rendit, à ce qu’on prétend, sur ses seules menaces. Le vasselage héréditaire commençait si bien à s’introduire que les rois de France prétendaient être seigneurs suzerains du duché d’Aquitaine. Pepin force, les armes à la main, Gaifre, duc d’Aquitaine, à lui prêter serment de fidélité en présence du duc de Bavière ; de sorte qu’il eut deux grands souverains à ses genoux. On sent bien que ces hommages n’étaient que ceux de la faiblesse à la force.

762-763. Le duc de Bavière, qui se croit assez puissant et qui voit Pepin loin de lui, révoque son hommage. On est prêt de lui faire la guerre, et il renouvelle son serment de fidélité.

766-767. Érection de l’évêché de Saltzbourg. Le pape Paul Ier envoie au roi des livres, des chantres, et une horloge à roues. Constantin Copronyme lui envoie aussi un orgue et quelques musiciens. Ce ne serait pas un fait digne de l’histoire s’il ne faisait voir combien les arts étaient étrangers dans cette partie du monde. Les Francs ne connaissaient alors que la guerre, la chasse, et la table.

768. Les années précédentes sont stériles en événements, et par conséquent heureuses pour les peuples ; car presque tous les grands traits de l’histoire sont des malheurs publics. Le duc d’Aquitaine révoque son hommage, à l’exemple du duc de Bavière, Pepin vole à lui, et réunit l’Aquitaine à la couronne.

Pepin, surnommé le Bref, meurt à Saintes[3], le 24 septembre, âgé de cinquante-quatre ans. Avant sa mort il fait son testament de bouche, et non par écrit, en présence des grands officiers de sa maison, de ses généraux, et des possesseurs à vie des grandes terres. Il partage tous ses États entre ses deux enfants, Charles et Carloman. Après la mort de Pepin, les seigneurs modifient ses volontés. On donne à Carl, que nous avons depuis appelé Charlemagne, la Bourgogne, l’Aquitaine, la Provence, avec la Neustrie, qui s’étendait alors depuis la Meuse jusqu’à la Loire et à l’Océan, Carloman eut l’Austrasie depuis Reims jusqu’aux derniers confins de la Thuringe. Il est évident que le royaume de France comprenait alors près de la moitié de la Germanie.

770. Didier, roi des Lombards, offre en mariage sa fille Désidérate à Charles : il était déjà marié. Il épouse Désidérate ; ainsi il paraît qu’il eut deux femmes à la fois. La chose n’était pas rare : Grégoire de Tours dit que les rois Gontran, Caribert, Sigebert, Chilperic, avaient plusieurs femmes.

771. Son frère Carloman meurt soudainement à l’âge de vingt ans. Sa veuve s’enfuit en Italie avec deux princes ses enfants. Cette mort et cette fuite ne prouvent pas absolument que Charlemagne ait voulu régner seul, et ait eu de mauvais desseins contre ses neveux ; mais elles ne prouvent pas aussi qu’il méritât qu’on célébrât sa fête, comme on a fait en Allemagne.

772. Charles se fait couronner roi d’Austrasie, et réunit tout le vaste royaume des Francs sans rien laisser à ses neveux. La postérité, éblouie par l’éclat de sa gloire, semble avoir oublié cette injustice. Il répudie sa femme, fille de Didier, pour se venger de l’asile que le roi lombard donnait à la veuve de Carloman son frère.

Il va attaquer les Saxons, et trouve à leur tête un homme digne de le combattre : c’était Vitikind, le plus grand défenseur de la liberté germanique après Hermann que nous nommons Arminius.

Le roi de France l’attaque dans le pays qu’on nomme aujourd’hui le comté de la Lippe. Ces peuples étaient très-mal armés ; car dans les Capitulaires de Charlemagne on voit une défense rigoureuse de vendre des cuirasses et des casques aux Saxons. Les armes et la discipline des Francs devaient donc être victorieuses d’un courage féroce. Charles taille l’armée de Vitikind en pièces, il prend la capitale nommée Erresbourgh. Cette capitale était un assemblage de cabanes entourées d’un fossé. On égorgea les habitants ; mais comme on força le peu qui restait à recevoir le baptême, ce fut un grand gain pour ce malheureux pays de sauvages, à ce que les prêtres de ce temps ont assuré.

773. Tandis que le roi des Francs contient les Saxons sur le bord du Véser, l’Italie le rappelle. Les querelles des Lombards et du pape subsistaient toujours, et le roi, en secourant l’Église, pouvait envahir l’Italie, qui valait mieux que les pays de Brème, d’Hanovre, et de Brunsvick. Il marche donc contre son beau-père Didier, qui était devant Rome. Il ne s’agissait pas de venger Rome, mais il s’agissait d’empêcher Didier de s’accommoder avec le pape pour rendre aux deux fils de Carloman le royaume qui leur appartenait. Il court attaquer son beau-père, et se sert de la piété pour appuyer son usurpation. Il est suivi de soixante et dix mille hommes de troupes réglées, chose inouïe dans ces temps-là. On assemblait, auparavant, des armées de cent et de deux cent mille hommes ; mais c’étaient des paysans qui allaient faire leurs moissons après une bataille perdue ou gagnée. Charlemagne les retenait plus longtemps sous le drapeau, et c’est ce qui contribua à ses victoires.

774. L’armée française assiége Pavie. Le roi va à Rome, renouvelle, à ce qu’on dit, la donation de Pépin, et l’augmente : il en met lui-même une copie sur le tombeau qu’on prétend renfermer les cendres de saint Pierre. Le pape Adrien le remercie par des vers qu’il fait pour lui.

La tradition de Rome est que Charles donna la Corse, la Sardaigne et la Sicile. Il ne donna sans doute aucun de ces pays qu’il ne possédait pas ; mais il existe une lettre d’Adrien à l’impératrice Irène, qui prouve que Charles donna des terres que cette lettre ne spécifie pas. « Charles, duc des Francs et patrice, nous a, dit-il, donné des provinces et restitué les villes que les perfides Lombards retenaient à l’Église, etc. »

On sent qu’Adrien ménage encore l’empire en ne donnant que le titre de duc et de patrice à Charles, et qu’il veut fortifier sa possession du nom de restitution.

Le roi retourne devant Pavie. Didier se rend à lui. Le roi le fait moine, et l’envoie en France dans l’abbaye de Corbie. Ainsi finit ce royaume des Lombards, qui avaient, en Italie, détruit la puissance romaine, et substitué leurs lois à celles des empereurs. Tout roi détrôné devient moine dans ces temps-là, ou est assassiné.

Charlemagne se fait couronner roi d’Italie, à Pavie, d’une couronne où il y avait un cercle de fer, qu’on garde encore dans la petite ville de Monza.

La justice était administrée toujours dans Rome au nom de l’empereur grec. Les papes mêmes recevaient de lui la confirmation de leur élection. On avait ôté à l’empereur le vrai pouvoir ; on lui laissait quelques apparences. Charlemagne prenait seulement, ainsi que Pépin, le titre de patrice.

Cependant on frappait alors de la monnaie à Rome au nom d’Adrien. Que peut-on en conclure, sinon que le pape, délivré des Lombards, et n’obéissant plus aux empereurs, était le maître dans Rome ? Il est indubitable que les pontifes romains se saisirent des droits régaliens dès qu’ils le purent, comme ont fait les évêques francs et germains ; toute autorité veut toujours croître : et par cette raison-là même on ne mit plus que le nom de Charlemagne sur les nouvelles monnaies de Rome, lorsqu’en 800 le pape et le peuple romain l’eurent nommé empereur. Quelques critiques prétendent que les monnaies frappées au nom d’Adrien Ier n’étaient que des médailles en l’honneur de cet évêque : cette remarque est d’une très-grande vraisemblance, puisque Adrien n’était pas certainement souverain de Rome.

775. Second effort des Saxons contre Charlemagne, pour leur liberté, qu’on appelle révolte. Ils sont encore vaincus dans la Vestphalie ; et après beaucoup de sang répandu, ils donnent des bœufs et des otages, n’ayant autre chose à donner.

776. Tentative du fils de Didier, nommé Adalgise, pour recouvrer le royaume de Lombardie. Le pape Adrien la qualifie horrible conspiration. Charles court la punir. Il revole d’Allemagne en Italie, fait couper la tête à un duc de Frioul assez courageux pour s’opposer aux invasions du conquérant, et trop faible pour ne pas succomber.

Pendant ce temps-là même les Saxons reviennent encore en Vestpbalie ; il revient les battre. Ils se soumettent, et promettent encore de se faire chrétiens. Charles bâtit des forts dans leur pays avant d’y bâtir des églises.

777. Il donne des lois aux Saxons, et leur fait jurer qu’ils seront esclaves s’ils cessent d’être chrétiens et soumis. Dans une grande diète tenue à Paderborn sous des tentes, un émir musulman, qui commandait à Saragosse, vint conjurer Charles d’appuyer sa rébellion contre Abdérame, roi d’Espagne.

778. Charles marche de Paderborn en Espagne, prend le parti de cet émir, assiége Pampelune, et s’en rend maître. Il est à remarquer que les dépouilles des Sarrasins furent partagées entre le roi, les officiers, et les soldats, selon l’ancienne coutume de ne faire la guerre que pour du butin, et de le partager également entre tous ceux qui avaient une égale part au danger. Mais tout ce butin est perdu en repassant les Pyrénées. L’arrière-garde de Charlemagne est taillée en pièces à Roncevaux par les Arabes et par les Gascons. C’est là que périt, dit-on, Roland son neveu, si célèbre par son courage et par sa force incroyable.

Comme les Saxons avaient repris les armes pendant que Charles était en Italie, ils les reprennent tandis qu’il est en Espagne, Vitikind, retiré chez le duc de Danemark son beau-père, revient ranimer ses compatriotes. Il les rassemble ; il trouve dans Brême, capitale du pays qui porte ce nom, un évêque, une église, et ses Saxons désespérés qu’on traîne à des autels nouveaux : il chasse l’évêque, qui a le temps de fuir et de s’embarquer. Charlemagne accourt, et bat encore Vitikind.

780. Vainqueur de tous côtés, il part pour Rome avec une de ses femmes, nommée Hildegarde, et deux enfants puînés, Pepin et Louis. Le pape Adrien baptise ces deux enfants, sacre Pepin roi de Lombardie, et Louis roi d’Aquitaine ; ainsi l’Aquitaine fut érigée en royaume pour quelque temps.

781-782. Le roi de France tient sa cour à Vorms, à Ratisbonne, à Cuierci[4]. Alcuin, archevêque d’York, vient l’y trouver. Le roi, qui à peine savait signer son nom, voulait faire fleurir les sciences, parce qu’il voulait être grand en tout. Pierre de Pise lui enseignait un peu de grammaire. Il n’était pas étonnant que des Italiens instruisissent des Gaulois et des Germains, mais il l’était qu’on eût toujours besoin des Anglais pour apprendre ce qui n’est pas même honoré aujourd’hui du nom de science.

On tient devant le roi des conférences qui peuvent être l’origine des académies, et surtout de celles d’Italie, dans lesquelles chaque académicien prend un nouveau nom. Charlemagne se nommait David ; Alcuin, Albinus ; et un jeune homme nommé Ilgebert, qui faisait des vers en langue romance, prenait hardiment le nom d’Homère.

783. Cependant Vitikind, qui n’apprenait point la grammaire, soulève encore les Saxons. Il bat les généraux de Charles sur le bord du Véser. Charles vient réparer cette défaite. Il est encore vainqueur des Saxons ; ils mettent bas les armes devant lui. Il leur ordonne de livrer Vitikind. Les Saxons lui répondent qu’il s’est sauvé en Danemark. Ses complices sont encore ici, répondit Charlemagne : et il en fit massacrer quatre mille cinq cents à ses yeux. C’est ainsi qu’il disposait la Saxe au christianisme[5]. Cette action ressemble à celle de Sylla ; les Romains n’ont pas du moins été assez lâches pour louer Sylla. Les barbares qui ont écrit les faits et gestes de Charlemagne[6] ont eu la bassesse de le louer, et même d’en faire un homme juste : ils ont servi de modèles à presque tous les compilateurs de l’Histoire de France.

784. Ce massacre fit le même effet que fit longtemps après la Saint-Barthélemy en France. Tous les Saxons reprennent les armes avec une fureur désespérée. Les Danois et les peuples voisins se joignent à eux.

785. Charles marche avec son fils, du même nom que lui, contre cette multitude. Il remporte une victoire nouvelle, et donne encore des lois inutiles. Il établit des marquis, c’est-à-dire des commandants des milices sur les frontières de ses royaumes.

786. Vitikind cède enfin. Il vient avec un duc de Frise se soumettre à Charlemagne dans Attigny sur l’Aisne. Alors le royaume de France s’étend jusqu’au Holstein. Le roi de France repasse en Italie, et rebâtit Florence. C’est une chose singulière que dès qu’il est à un bout de ses royaumes, il y a toujours des révoltes à l’autre bout : c’est une preuve que le roi n’avait pas, sur toutes les frontières, de puissants corps d’armée. Les anciens Saxons se joignent aux Bavarois : le roi repasse les Alpes.

787. L’impératrice Irène, qui gouvernait encore l’empire grec, alors le seul empire, avait formé une puissante ligue contre le roi des Francs. Elle était composée de ces mêmes Saxons et de ces Bavarois, des Huns, si fameux autrefois sous Attila, et qui occupaient, comme aujourd’hui, les bords du Danube et de la Drave ; une partie même de l’Italie y était entrée. Charles vainquit les Huns vers le Danube, et tout fut dissipé.

Depuis 788 jusqu’à 792. Pendant ces quatre années paisibles, il institue des écoles chez les évêques et dans les monastères. Le chant romain s’établit dans les églises de France. Il fait dans la diète d’Aix-la-Chapelle des lois qu’on nomme Capitulaires. Ces lois tenaient beaucoup de la barbarie dont on voulait sortir, et dans laquelle on fut longtemps plongé[7]. La plus barbare de toutes fut cette loi de Vestphalie, cet établissement de la cour vémique[8], dont il est bien étrange qu’il ne soit pas dit un seul mot dans l’Esprit des lois ni dans l’Abrégé chronologique du président Hénault. L’Inquisition, le conseil des dix, n’égalèrent pas la cruauté de ce tribunal secret établi par Charlemagne en 803 : il fut d’abord institué principalement pour retenir les Saxons dans le christianisme et dans l’obéissance ; bientôt après cette inquisition militaire s’étendit dans toute l’Allemagne, Les juges étaient nommés secrètement par l’empereur ; ensuite ils choisirent eux-mêmes leurs associés sous le serment d’un secret inviolable ; on ne les connaissait point ; des espions, liés aussi par le serment, faisaient les informations. Les juges prononçaient sans jamais confronter l’accusé et les témoins, souvent sans les interroger ; le plus jeune des juges faisait l’office de bourreau. Qui croirait que ce tribunal d’assassins ait duré jusqu’à la fin du règne de Frédéric III ! cependant rien n’est plus vrai ; et nous regardons Tibère comme un méchant homme ! et nous prodiguons des éloges à Charlemagne.

Si l’on veut savoir les coutumes du temps de Charlemagne dans le civil, le militaire, et l’ecclésiastique, on les trouve dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[9].

793. Charles, devenu voisin des Huns, devient par conséquent leur ennemi naturel. Il lève des troupes contre eux, et ceint l’épée à son fils Louis, qui n’avait que quatorze ans. Il le fait ce qu’on appelait alors miles, c’est-à-dire il lui fait apprendre la guerre ; mais ce n’est pas le créer chevalier, comme quelques auteurs l’ont cru. La chevalerie ne s’établit que longtemps après. Il défait encore les Huns sur le Danube et sur le Raab.

Charles assemble des évêques pour juger la doctrine d’Élipand, que les historiens disent archevêque de Tolède : il n’y avait point d’archevêque encore ; ce titre n’est que du xe siècle. Mais il faut savoir que les musulmans vainqueurs laissèrent leur religion aux vaincus ; qu’ils ne croyaient pas les chrétiens dignes d’être musulmans, et qu’ils se contentaient de leur imposer un léger tribut.

Cet évêque Élipand imaginait, avec un Félix d’Urgel, que Jésus-Christ, en tant qu’homme, était fils adoptif de Dieu, et en tant que Dieu, fils naturel : il est difficile de savoir par soi-même ce qui en est. Il faut s’en rapporter aux juges, et les juges le condamnèrent.

Pendant que Charles remporte des victoires, fait des lois, assemble des évêques, on conspire contre lui. Il avait un fils d’une de ses femmes ou concubines, qu’on nommait Pepin le Bossu, pour le distinguer de son autre fils Pepin, roi d’Italie, Les enfants qu’on nomme aujourd’hui bâtards, et qui n’héritent point, pouvaient hériter alors, et n’étaient point réputés bâtards. Le Bossu, qui était l’aîné de tous, n’avait point d’apanage ; et voilà l’origine de la conspiration. Il est arrêté à Ratisbonne avec ses complices, jugé par un parlement, tondu, et mis dans le monastère de Prum, dans les Ardennes. On crève les yeux à quelques-uns de ses adhérents, et on coupe la tête à d’autres.

794. Les Saxons se révoltent encore, et sont encore facilement battus. Vitikind n’était plus à leur tête.

Célèbre concile de Francfort. On y condamne le second concile de Nicée, dans lequel l’impératrice Irène venait de rétablir le culte des images.

Charlemagne fait écrire les livres carolins contre ce culte des images. Rome ne pensait pas comme le royaume des Francs, et cette différence d’opinion ne brouilla point Charlemagne avec le pape, qui avait besoin de lui. Observez que les livres carolins et le concile de Francfort traitent les Pères du concile de Nicée d’impies, d’insolents, et d’impertinents ; les Gaulois, les Francs, les Germains, encore barbares, n’ayant ni peintres ni sculpteurs, ne pouvaient aimer le culte des images.

Observez encore que la religion de presque tous les chrétiens occidentaux différait beaucoup de celle des orientaux.

Claude, évêque de Turin, conserva surtout dans les montagnes et dans les vallées de son diocèse la croyance et les rites de son église : c’est l’origine des réformes prêchées et soutenues presque de siècle en siècle par ceux qu’on appela vaudois, albigeois, lollards, luthériens, calvinistes, dans la suite des temps.

795. Le duc de Frioul, vassal de Charles, est envoyé contre les Huns, et s’empare de leurs trésors, supposé qu’ils en eussent. Mort du pape Adrien, le 25 décembre. On prétend que Charlemagne lui fit une épitaphe en vers latins. Il n’est guère croyable que ce roi franc, qui ne savait pas écrire couramment, sût faire des vers latins.

796. Léon III succède à Adrien. Charles lui écrit : « Nous nous réjouissons de votre élection, et de ce qu’on nous rend l’obéissance et la fidélité qui nous est due. » Il parlait ainsi en patrice de Rome, comme son père avait parlé aux Francs en maire du palais.

797-798. Pepin, roi d’Italie, est envoyé par son père contre les Huns, preuve qu’on n’avait remporté que de faibles victoires. Il en remporte une nouvelle. La célèbre impératrice Irène est mise dans un cloître par son fils Constantin V[10]. Elle remonte sur le trône, fait crever les yeux à son fils, il en meurt ; elle pleure sa mort. C’est cette Irène, l’ennemie naturelle de Charlemagne, et qui avait voulu s’allier avec lui.

799. Dans ce temps-là, les Normands, c’est-à-dire les hommes du Nord, les habitants des côtes de la mer Baltique, étaient des pirates. Charles équipe une flotte contre eux, et en purge les mers.

Le nouveau pape Léon III irrite contre lui les Romains. Ses chanoines veulent lui crever les yeux, et lui couper la langue. On le met en sang, mais il guérit. Il vient à Paderborn demander justice à Charles, qui le renvoie à Rome avec une escorte. Charles le suit bientôt. Il envoie son fils Pepin se saisir du duché de Bénévent, qui relevait encore de l’empereur de Constantinople.

800. Il arrive à Rome. Il déclare le pape innocent des crimes qu’on lui imputait, et le pape le déclare empereur aux acclamations de tout le peuple. Charlemagne affecta de cacher sa joie sous la modestie, et de paraître étonné de sa gloire. Il agit en souverain de Rome, et renouvelle l’empire des Césars. Mais, pour rendre cet empire durable, il fallait rester à Rome. On demande quelle autorité il y fit exercer en son nom : celle d’un juge suprême qui laissait à l’Église tous ses priviléges, et au peuple tous ses droits. Les historiens ne nous marquent pas s’il entretenait un préfet, un gouverneur à Rome, s’il y avait des troupes, s’il donnait les emplois : ce silence pourrait presque faire soupçonner qu’il fut plutôt le protecteur que le souverain effectif de la ville dans laquelle il ne revint jamais.

801. Les historiens disent que dès qu’il fut empereur, Irène voulut l’épouser. Le mariage eût été entre les deux empires plutôt qu’entre Charlemagne et la vieille Irène.

802. Charlemagne exerce toute l’autorité des anciens empereurs partout ailleurs que dans Rome même. Nul pays, depuis Bénévent jusqu’à Bayonne, et de Bayonne jusqu’en Bavière, exempt de sa puissance législative. Le duc de Venise, Jean, ayant assassiné un évêque, est accusé devant Charles, et ne le récuse pas pour juge.

Nicéphore, successeur d’Irène, reconnaît Charles pour empereur, sans convenir expressément des limites des deux empires.

803-804. L’empereur s’applique à policer ses États autant qu’on le pouvait alors. Il dissipe encore des factions de Saxons, et transporte enfin une partie de ce peuple dans la Flandre, dans la Provence, en Italie, à Rome même.

805. Il dicte son testament, qui commence ainsi : « Charles, empereur, César, roi très-invincible des Francs, etc. » Il donne à Louis tout le pays depuis l’Espagne jusqu’au Rhin. Il laisse à Pepin l’Italie et la Bavière ; à Charles, la France, depuis la Loire jusqu’à Ingolstadt, et toute l’Austrasie, depuis l’Escaut jusqu’aux confins du Brandebourg. Il y avait dans ces trois lots de quoi exciter des divisions éternelles. Charlemagne crut y pourvoir en ordonnant que s’il arrivait un différend sur les limites des royaumes, qui ne pût être décidé par témoins, le jugement de la croix en déciderait. Ce jugement de la croix consistait à faire tenir aux avocats les bras étendus, et le plus tôt las perdait sa cause. Le bon sens naturel d’un si grand conquérant ne pouvait prévaloir sur les coutumes de son siècle.

Charlemagne retint toujours l’empire et la souveraineté, et il était le roi des rois ses enfants. C’est à Thionville que se fit ce fameux testament avec l’approbation d’un parlement. Ce parlement était composé d’évêques, d’abbés, d’officiers du palais et de l’armée, qui n’étaient là que pour attester ce que voulait un maître absolu. Les diètes n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, et cette vaste république de princes, de seigneurs, et de villes libres sous un chef, n’était pas établie.

806. Le fameux Aaron, calife de Bagdad, nouvelle Babylone, envoie des ambassadeurs et des présents à Charlemagne. Les nations donnèrent à cet Aaron un titre supérieur à celui de Charlemagne. L’empereur d’Occident était surnommé le Grand, mais le calife était surnommé le Juste.

Il n’est pas étonnant qu’Aaron-al-Raschild envoyât des ambassadeurs à l’empereur français : ils étaient tous deux ennemis de l’empereur d’Orient ; mais ce qui serait étonnant, c’est qu’un calife eût, comme disent nos historiens, proposé de céder Jérusalem à Charlemagne. C’eût été, dans le calife, une profanation de céder à des chrétiens une ville remplie de mosquées, et cette profanation lui aurait coûté le trône et la vie. De plus, l’enthousiasme n’appelait point alors les chrétiens d’Occident à Jérusalem.

Charles convoque un concile à Aix-la-Chapelle. Ce concile ajoute au symbole que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Cette addition n’était point encore reçue à Rome; elle le fut bientôt après ; ainsi plusieurs dogmes se sont établis peu à peu. C’est ainsi qu’on avait donné deux natures et une personne à Jésus ; ainsi on avait donné à Marie le titre de theotocos[11] ; ainsi le terme de transsubstantiation ne s’établit que vers le xiie siècle.

Dans ce temps, les peuples appelés Normands, Danois, et Scandinaves, fortifiés d’anciens Saxons retirés chez eux, osaient menacer les côtes du nouvel empire : Charles traverse l’Elbe, et Godefroi, le chef de tous ces barbares, pour se mettre à couvert, tire un large fossé entre l’Océan et la mer Baltique, aux confins du Holstein, l’ancienne Chersonèse cimbrique. Il revêtit ce fossé d’une forte palissade. C’est ainsi que les Romains avaient tiré un retranchement entre l’Angleterre et l’Écosse, faibles imitations de la fameuse muraille de la Chine.

807-808-809. Traités avec les Danois. Lois pour les Saxons. Police dans l’empire. Petites flottes établies à l’embouchure des fleuves.

810. Pepin, ce fils de Charlemagne, à qui son père avait donné le royaume d’Italie, meurt de maladie au mois de juillet : il laisse un bâtard, nommé Bernard. L’empereur donne sans difficulté l’Italie à ce bâtard, comme à l’héritier naturel, selon l’usage de ce temps-là.

811. Flotte établie à Boulogne sur la Manche. Phare de Boulogne relevé. Vurtzbourg bâti. Mort du prince Charles, destiné à l’empire.

813. L’empereur associe à l’empire son fils, Louis, au mois de mars, à Aix-la-Chapelle. Il fait donner à tous les assistants leurs voix pour cette association. Il donne la ville d’Ulm à des moines qui traitent les habitants en esclaves. Il donne des terres à Éginhard, qu’on a dit l’amant de sa fille Emma. Les légendes sont pleines de fables dignes de l’archevêque Turpin sur cet Éginhard et cette prétendue fille de l’empereur ; mais, par malheur, jamais Charlemagne n’eut de fille qui s’appelât Emma.

814. Il meurt d’une pleurésie après sept jours de fièvre, le 28 janvier à trois heures du matin. Il n’avait point de médecin auprès de lui qui sût ce que c’était qu’une pleurésie. La médecine, ainsi que la plupart des arts, n’était connue alors que des Arabes et des Grecs de Constantinople. Cette année 814 est en effet l’année 813 ; car alors elle commençait à Pâques.

Ce monarque, par lequel commença le nouvel empire, est revendiqué par les Allemands parce qu’il naquit près d’Aix-la-Chapelle. Golstad[12] cite une constitution de Frédéric Barberousse dans laquelle est rapporté un édit de Charlemagne en faveur de cette ville : voici un passage de cet édit : « Vous saurez que, passant un jour auprès de cette cité, je trouvai les thermes et le palais que Granus, frère de Néron et d’Agrippa, avait autrefois bâtis. » Il faut croire que si Charlemagne ne savait pas bien signer son nom, son chancelier était bien savant.

Ce monarque, au fond, était, comme tous les autres conquérants, un usurpateur : son père n’avait été qu’un rebelle, et tous les historiens appellent rebelles ceux qui ne veulent pas plier sous le nouveau joug. Il usurpa la moitié de la France sur son frère Carloman, qui mourut trop subitement pour ne pas laisser des soupçons d’une mort violente ; il usurpa l’héritage de ses neveux et la subsistance de leur mère ; il usurpa le royaume de Lombardie sur son beau-père. On connaît ses bâtards, sa bigamie, ses divorces, ses concubines ; on sait qu’il fit assassiner des milliers de Saxons : et on en a fait un saint[13].


  1. Toutes les éditions portent Luitprand. Mais Luitprand était mort en 744, et le roi de Lombardie, en 751, était Astolphe, ainsi que l’a dit Voltaire, tome XI, page 245. (B.)
  2. Chapitre x, tome XI, page 239.
  3. Il y tomba malade, mais il mourut à Saint-Denis.
  4. Probablement Quierzi, près des rives de l’Oise, où nos rois de la seconde race avaient un palais.
  5. La fin de cet alinéa fut ajoutée en 1772. (B.)
  6. Notamment Jean Turpin, moine de Saint-Denis et archevêque au viiie siècle, à qui l’on attribue le roman historique de Gestis Caroli magni (Cl.)
  7. Dans l’édition originale, après le mot plongé, on lisait : « Voici quels étaient les usages, les mœurs, les lois, l’esprit, qui régnaient alors. » Après quoi, sous le titre de : Coutumes du temps de Charlemagne, venait, en plus de quinze pages, un morceau dont Voltaire, en y faisant des additions et des corrections a depuis composé les chapitres xvii à xxii de l’Essai sur les Mœurs. La version actuelle des Annales est de 1772. (B.)
  8. Voltaire parle de la cour vémique dans le Commentaire sur le livre des délits et des peines, paragraphe xiii (Mélanges, année 1766), et dans l’A B C, premier entretien (Mélanges, année 1768).
  9. Chapitres xvii à xxii, tome XI, pages 267 et suivantes.
  10. L’Art de vérifier les dates le nomme, ainsi que Voltaire, Constantin V ; la Biographie universelle, et Lebeau, disent Constantin VI : Moréri, Constantin VII.
  11. Mère de Dieu.
  12. Voyez, dans les Mélanges, année 1753, le n° xii des Doutes sur quelques points de l’histoire de l’empire.
  13. Charlemagne fut canonisé par Gui de Crême, antipape sous le nom de Pascal III, vers 1165. (Cl.)