Astronomie populaire (Arago)/VII/12

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 287-294).

CHAPITRE XII

temps moyen


Il n’est nullement nécessaire de se rendre un compte minutieux des trois causes qui font varier la durée des jours solaires, pour comprendre qu’un soleil qui se mouvrait uniformément, dans le plan de l’équateur, avec une vitesse angulaire de 0° 59′ 8″,3 s’avancerait chaque jour vers l’orient de quantités égales relativement aux cercles horaires des étoiles, et marquerait conséquemment des jours solaires moyens plus longs que les jours sidéraux, mais parfaitement égaux entre eux.

Supposons qu’un tel soleil existe, et que son point de départ ait une position déterminée relativement au soleil réel ; on pourra facilement, à l’aide de tables que les astronomes ont construites, et qu’on appelle tables du soleil, déterminer par le calcul, et jour par jour, la position du cercle horaire aboutissant à ce soleil fictif, relativement au cercle horaire qui passe par le soleil réel.

On saura ainsi, en minutes et secondes, de combien le midi déterminé par le soleil fictif précède le midi fixé par le soleil réel, ou de combien le soleil réel avance sur le soleil fictif.

On pourra donc régler une montre sur ce soleil fictif, puisque la position de ce soleil relativement au soleil visible, au soleil observable et observé, sera connue pour tous les jours de l’année. Si le soleil réel doit, d’après le calcul, précéder le passage au méridien du soleil fictif de 5 minutes, une montre sera réglée sur ce dernier soleil, lorsqu’au moment du midi vrai elle marquera 11 heures 55 minutes.

Si le calcul montrait, au contraire, que le soleil fictif passe au méridien 5 minutes avant le soleil véritable, la montre réglée sur le soleil fictif devrait marquer 12 heures 5 minutes au moment du midi vrai.

Quel avantage, dira-t-on, peut-on trouver à régler sa montre ou son horloge sur un soleil qu’on ne voit pas ? Je réponds qu’une horloge, qu’une pendule marchant uniformément, ne peuvent pas s’accorder avec les retours au méridien du soleil vrai ; car ces retours n’ont pas lieu après des intervalles de temps égaux ; ceux-là font donc un très-médiocre éloge de leur montre, qui disent qu’elle va avec le soleil. Seulement, lorsqu’on voudra que les horloges publiques s’accordent avec les retours au méridien du soleil fictif équatorial, il faudra que les midis de ce soleil diffèrent peu des midis du soleil réel ; car c’est le soleil réel qui, par sa présence au-dessus de l’horizon, règle et doit régler les travaux de la société.

Il faut donc placer le soleil fictif équatorial, celui qui détermine le temps moyen, de manière que les midis marqués par ce soleil fictif ne diffèrent jamais notablement des midis marqués par le soleil réel ; on a satisfait à cette condition ainsi qu’il suit.

Au moment où le soleil réel passe au périgée et s’avance de l’occident à l’orient en décrivant des arcs d’étendues inégales, en vertu de ce qu’on appelle le mouvement propre angulaire, on imagine qu’un soleil fictif en parte et se meuve dans le cercle écliptique avec une vitesse angulaire uniforme et égale à la vitesse angulaire moyenne du soleil réel. L’angle formé jour par jour à midi, entre le cercle horaire du soleil réel et le cercle horaire de ce soleil fictif situé dans le plan de l’écliptique, sera facilement déterminable par les astronomes en possession de tables faisant connaître les mouvements du soleil réel. Il est évident, par exemple, qu’à partir du périgée, point de la plus grande vitesse angulaire du soleil, le cercle horaire du soleil réel sera plus oriental que le cercle horaire du soleil moyen écliptique, qu’ils ne se réuniront de nouveau qu’à l’apogée, et qu’à partir de ce point jusqu’au nouveau passage par le périgée, le cercle horaire du soleil réel sera moins oriental que le cercle horaire du soleil fictif. Les deux soleils n’arriveront pas en même temps à l’équateur, c’est-à-dire à l’équinoxe de printemps ; à l’instant où le soleil moyen fictif qui parcourt l’écliptique passe par ce point, on imagine qu’un second soleil fictif parte de cet équinoxe doué de la même vitesse angulaire et se meuve dans le plan de l’équateur. Les positions jour par jour des cercles horaires de ce soleil fictif équatorial par rapport aux cercles horaires du premier soleil fictif qui parcourt l’écliptique seront facilement déterminables. Mais nous avions déjà trouvé les positions des cercles horaires du soleil fictif situé dans l’écliptique par rapport au soleil réel ; donc nous connaîtrons, par une simple addition ou par une simple soustraction, les positions des cercles horaires du soleil fictif équatorial relativement aux cercles horaires du soleil réel. Les jours solaires, déterminés par ce soleil équatorial, seront évidemment égaux entre eux ; c’est ce soleil qui règle définitivement le temps moyen. C’est au moment des coïncidences successives de son plan horaire avec le méridien qu’ont lieu les midis moyens[1]..

Voyons maintenant en point de fait si les midis correspondants à ce soleil diffèrent jamais notablement des midis marqués par le soleil réel.

Par exemple, en 1851, le 3 novembre, au milieu du jour, le cercle horaire du soleil moyen était en arrière du cercle horaire du soleil vrai d’un angle qui n’a été parcouru qu’en 16m 17s, 2 de temps moyen. C’est la plus grande quantité dont le midi vrai a précédé, en 1851, le midi moyen.

Le 11 février 1851, au milieu du jour, le cercle horaire du soleil moyen se trouvait au contraire en avance sur le cercle horaire du soleil vrai d’un angle qui a été parcouru en 14m 32s, 6. C’est la plus grande quantité dont le midi vrai a été en retard, en 1851, sur le midi moyen.

En examinant les positions respectives du soleil réel et du soleil fictif équatorial sur lequel se mesure le temps moyen, on trouve par le fait que leurs cercles horaires coïncident quatre fois dans l’année. Cette coïncidence a eu lieu à Paris en l’année 1851 :

Entre les midis des 15 et 16 avril.
des 15 et 16 juin.
des 31 août et 1er septembre.
des 24 et 25 décembre.

À ces quatre dates, les midis moyens et les midis vrais sont arrivés presque exactement aux mêmes instants du jour.

Nous avons distingué dans la courbe que le soleil parcourt en vertu de son mouvement propre, et qui nous a paru circulaire, quatre points remarquables : les équinoxes et les solstices. À partir de l’équinoxe de printemps, les mouvements journaliers du soleil, d’inclinés qu’ils étaient, par rapport à une ligne marquant l’est, se rapprochent graduellement de cette orientation jusqu’au solstice d’été ; du solstice d’été jusqu’à l’équinoxe d’automne, on trouve les mêmes changements d’inclinaison, mais dans un ordre inverse. De l’équinoxe de printemps jusqu’au solstice d’été, les arcs diurnes que le soleil parcourt sont situés à des distances de plus en plus considérables de l’équateur ; on trouve la même série de distances, mais dans l’ordre inverse, si l’on considère la portion de la courbe solaire comprise entre le solstice d’été et l’équinoxe d’automne. Il semblerait donc que, par les deux causes mentionnées, les moments où le soleil vrai et le soleil moyen coïncident entre eux, au lieu d’être irrégulièrement distribués dans l’année, devraient occuper des places symétriques relativement aux équinoxes et aux solstices ; mais il faut remarquer que le point où le soleil se meut le plus vite, le périgée, et le point où il se meut le plus lentement, l’apogée, ne coïncident maintenant ni avec les équinoxes, ni avec les solstices ; il en résulte que l’inégalité du mouvement propre du soleil dans son orbite, l’une des trois causes des différences que présentent les jours solaires vrais, vient troubler la symétrie sur laquelle on aurait pu compter sans cela.

On a dû noter le mot maintenant que j’ai souligné dans le précédent paragraphe. Le périgée, en effet, se déplace, ce qui est une des causes qui empêchent que les calculs sur les passages successifs du soleil vrai et du soleil moyen puissent servir indéfiniment, et met dans l’obligation de faire, à cet égard, un calcul spécial pour chaque année.

Comparons maintenant les temps que le soleil vrai et le soleil moyen emploient à faire leurs révolutions diurnes aux époques où ces révolutions sont les plus dissemblables, et nous saurons de combien une montre, réglée sur le temps moyen, peut avancer ou retarder en vingt quatre heures sur le temps vrai.

Le 17 novembre 1851, par exemple, la révolution du soleil vrai a été plus courte que la révolution du soleil moyen de 21s,2. Une montre réglée sur le temps moyen retardait donc à cette époque de 21s,2 en vingt-quatre heures sur le soleil vrai.

Le 24 décembre 1851, la révolution du soleil vrai était plus longue que la révolution du soleil moyen de 30s,1. Une montre réglée sur le temps moyen avançait donc à cette époque, en vingt-quatre heures sur le soleil vrai, de 30s,1.

Un observateur en possession de tables astronomiques faisant connaître les positions relatives des cercles horaires du soleil réel et du soleil moyen équatorial, pourra régler sa montre sur le temps moyen. Mais, pour dispenser de ce calcul assez long, les astronomes l’exécutent eux-mêmes, en publiant les résultats de plusieurs années d’avance. Dans le calendrier annuel de l’Annuaire du Bureau des Longitudes, la colonne intitulée : Temps moyen au midi vrai[2], fait connaître l’heure que doit marquer une montre réglée sur le soleil moyen équatorial ou sur le temps moyen, au moment du passage du soleil réel au méridien, passage observable, soit à l’aide d’un cadran solaire exactement construit, soit à l’aide d’observations bien connues des marins, soit plus exactement encore au moyen de la lunette astronomique qu’on appelle, dans tous les observatoires, lunette méridienne (liv. vii, chap. iv).

  1. L’exactitude que les modernes ont cherché à introduire dans la division du temps, en ayant recours à des soleils fictifs, n’aurait évidemment pas été nécessaire chez les anciens, même à l’époque où l’on commençait à faire usage des clepsydres. À Rome, par exemple, c’était un huissier des consuls qui, monté sur la terrasse du palais du sénat, annonçait à grands cris le moment où le soleil se levait et celui de son passage au méridien. Lorsque l’astre était caché par des nuages, tout dans la journée tombait dans la confusion (Voir liv. ii, chap. v).
  2. Dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes, le temps moyen au midi vrai est donné en nombre rond de secondes ; dans la Connaissance des temps, on a poussé la précision jusqu’aux centièmes de seconde.