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Aurora Floyd/28

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 112-121).

CHAPITRE XXVIII

Fuite d’Aurora.

Mme Mellish se trouvait dans la chambre de son mari, dans la matinée du jour où eut lieu l’enquête, parmi les fusils, les instruments de pêche, les bottes, les cravaches, les fouets, et tout l’attirail du sportsman. Elle s’était assise dans un immense fauteuil près de la fenêtre ouverte, la tête penchée sur les coussins recouverts de perse, et les yeux vaguement plongés sur la pelouse et les parterres de fleurs, dans la direction du sentier par lequel, selon toutes probabilités, Mellish reviendrait du Lion d’Or.

Elle avait défié ouvertement Mme Powell, et avait fermé la porte de cette pièce tranquille sur les civilités stéréotypées et les sourires sympathiques de cette dame. Le vieux chien s’était étendu à ses pieds, sa lourde tête appuyée sur ses genoux, et ses gros yeux ternes fixés sur elle. Elle était seule, ai-je dit ; mais elle n’était pas sans compagnons : les noirs soucis et les inquiétudes corrosives lui tenaient fidèlement compagnie, et n’auraient pas bougé de ses côtés. Quels compagnons sont plus fidèles que les peines et les misères ? quels hôtes sont plus tenaces, quels amis sont plus infatigables ? Cette malheureuse femme était seule au milieu d’un océan de chagrins, craignant sans cesse de tendre ses mains à ceux qui l’aimaient, dans la crainte de les entraîner avec elle dans ce gouffre qui s’entr’ouvrait pour l’engloutir.

— Oh ! si je pouvais être seule à souffrir, — se disait-elle, — si je pouvais être seule à souffrir toutes ces misères, je crois que je les supporterais jusqu’à la fin sans me plaindre ; mais la honte, la dégradation, l’angoisse, pèseront sur d’autres plus lourdement que sur moi. Que ne souffriront-ils pas si la folie sans nom de ma jeunesse vient à être connue du monde ?

Ces autres, à la douleur et à la honte possibles desquels elle songeait, étaient son père et John. Son amour pour son mari n’avait pas diminué d’un iota, son affection pour son père si indulgent et sur qui pourtant la folie de son enfance avait apporté de si amères souffrances. Son cœur généreux était assez vaste pour tous deux. Elle ne faisait pas de différence, et aurait repoussé le moindre empiétement de sa nouvelle affection sur l’ancienne. Le grand fleuve d’amour devenait un océan et mouillait de nouveaux rivages par sa crue puissante ; mais cette source lointaine de sa jeunesse, d’où sa première affection était sortie dans sa douce pureté enfantine, n’avait pas été troublée encore. Elle aurait à peine compris l’affection froide et mesurée de la plus jeune fille du fou Lear, cette affection qui pouvait se diviser avec une précision mathématique entre le père et le mari. Assurément, l’amour est un sentiment trop pur pour être pesé dans la balance. Devons-nous soustraire quelque chose du capital quand il nous faut faire face à une nouvelle demande ? ou bien l’affection n’a-t-elle pas plutôt quelque pouvoir magique au moyen duquel elle peut doubler son capital au moment où l’on tire sur lui ? Quand Mme John Anderson devint mère de six enfants, elle ne dit pas à son mari : « Mon cher John, je vais être forcée de vous reprendre six dixièmes de mon affection afin d’en avoir pour les petits. » Non, le cœur généreux de la femme s’agrandit pour faire face à toutes les nécessités de la mère, comme le cœur de la jeune fille se dilate pour le nouvel amour de l’épouse. La douleur qu’Aurora ressentait du malheur de son mari était doublée par l’image du chagrin de son père. Elle ne pouvait diviser ces deux choses dans son cœur. Elle les aimait tous deux, et souffrait pour eux avec une mesure égale d’amour et de douleur.

— Si… si la vérité allait être découverte à cette enquête, — pensait-elle, — je ne pourrais jamais revoir mon mari ; jamais plus je ne pourrais le regarder en face. Je m’enfuirais au bout du monde et je me cacherais de lui pour jamais.

Elle avait essayé de capituler avec sa destinée ; elle avait tenté d’échapper à l’entière mesure de la rétribution, et elle avait failli. Elle avait fait le mal afin que le bien pût en sortir, en face de cette loi qui dit que tout mal fait en bonne intention sera péché perdu, iniquité vaine. Elle avait trompé Mellish avec l’espoir que le voile de la tromperie ne serait jamais mis en pièces, que la vérité resterait cachée jusqu’à la fin et pour épargner à l’homme qu’elle aimait une honte et une douleur cruelles. Mais les fruits de cette folle graine semée depuis longtemps, aux jours de sa désobéissance, avaient poussé autour d’elle et l’entouraient de tous côtés, et il lui avait été impossible de se frayer un sentier à travers les herbes nuisibles que ses propres mains avaient plantées.

Elle était là, sa montre à la main, et reportant alternativement ses yeux du cadran aux jardins. John Mellish était sorti un peu après neuf heures, et il en était maintenant près de deux. Il lui avait dit que l’enquête serait terminée dans une couple d’heures, et qu’il se hâterait de rentrer pour lui dire comment les choses avaient fini. Quel allait être le résultat de cette enquête ? quelles questions allait-on lui faire ? Quel témoignage pourrait, par un hasard malheureux, être produit et la compromettre ou la trahir ? Elle était comme frappée de stupeur en attendant sa sentence. Que serait-elle ? Condamnation ou acquittement ? Si son secret pouvait échapper à la découverte, si Conyers avait emporté dans la tombe l’histoire de son mariage, quelle joie, quel soulagement pour une malheureuse fille dont la seule faute avait été de prendre un homme mauvais pour un homme bon : l’ignorante confiance d’une enfant prête à accepter tout pèlerin misérable pour un noble exilé ou un prince déguisé !

Il était deux heures et demie quand elle tressaillit au bruit de pas qui se faisaient entendre sur le sable de l’allée couverte devant la vérandah. Les pas s’arrêtaient, puis continuaient, et s’arrêtaient encore ; enfin, un visage qu’elle haïssait se montra à l’angle de la fenêtre devant laquelle elle se tenait. C’était la face pâle d’Hargraves, qui s’avançait prudemment de quelques pouces à l’intérieur. Le chien se dressa en poussant un grognement, et parut sur le point de s’élancer sur la hideuse tête de l’homme qui faisait l’effet d’une gargouille sculptée en relief sur une construction gothique ; mais Aurora saisit l’animal par son collier et l’arrêta.

— Silence, Bow-wow, dit-elle ; là… là… mon vieux chien !

Elle le retenait encore d’une main ferme, le calmant de l’autre.

— Que voulez-vous ? — demanda-t-elle en se tournant vers Stephen avec un air de dédain glacial qui la faisait ressembler à la femme de Néron défiant ses faux accusateurs. — Que me voulez-vous ? Votre maître est mort et vous n’avez plus de prétexte pour venir ici. On vous a interdit l’entrée du château. Si une autre fois vous l’oubliez, je prierai M. Mellish de vous en faire souvenir.

Elle tenait sa main posée sur la fenêtre, et allait la fermer, quand Hargraves l’arrêta.

— Ne soyez pas si pressée, — dit-il ; — j’ai à vous parler. Je sors tout droit de l’enquête ; j’ai pensé que vous seriez bien aise de savoir ce qui s’y passe. Je suis venu d’amitié, bien que vous m’ayez une fois payé en coups de cravache.

Le cœur d’Aurora battait violemment dans sa poitrine oppressée. Ah ! quel rude service ce pauvre cœur avait fait dans ces derniers temps, quel fardeau de glace il avait porté, quelle horrible oppression de secret et de terreur avait pesé sur lui, brisant toute espérance, toute tranquillité d’esprit ! Une douleur causée par l’impatience et l’inquiétude qui torturaient son cœur la poussait à lui demander quel était le résultat de l’enquête, afin de recevoir de ses lèvres sa sentence de vie ou de mort. Elle ignorait ce que cet homme avait découvert de son secret, mais elle savait qu’il la haïssait et qu’il se doutait bien qu’elle connaissait le pouvoir qu’il avait de la torturer.

Elle leva sa tête hautaine et jeta sur lui un regard de défiance.

— Je vous ai dit que votre présence m’est désagréable, dit-elle ; — allez-vous-en, et laissez-moi fermer la fenêtre.

L’idiot souriait avec impudence, et, retenant le battant de la fenêtre dans sa large main, il introduisit sa tête dans la chambre. Aurora se leva pour s’éloigner, mais il mit son autre main sur son bras, qui trembla instinctivement au contact de cette main calleuse et sale.

— Je vous dis que j’ai quelque chose de particulier à vous apprendre, — dit-il ; — vous l’entendrez jusqu’au bout. J’étais un des témoins de l’enquête ; j’y suis resté jusqu’à la fin, et même plus tard ; je sais tout.

Aurora recula sa tête avec dégoût, et essaya de dégager son bras.

― Laissez-moi, dit-elle. — Vous payerez cette insolence quand M. Mellish sera de retour.

— Oh ! il ne sera pas ici de sitôt, — dit l’idiot avec un ignoble sourire. — Il est retourné au Lion d’Or Le coroner et M. Lofthouse l’ont envoyé chercher pour lui dire quelque chose… quelque chose qui vous concerne ! — souffla Hargraves de ses lèvres pâles et sèches à l’oreille d’Aurora.

— Que voulez-vous dire ? — s’écria Mme Mellish, toujours retenue par l’étreinte de Stephen et toujours empêchant son chien de s’élancer sur lui, que voulez-vous dire ?

— Je veux dire ce que je veux dire, — répondit Hargraves ; — je veux dire que tout est découvert. Ils savent tout, et ils ont envoyé chercher M. Mellish pour le lui dire. Ils l’ont envoyé chercher pour lui dire ce que vous étiez à cet homme qui est mort.

Un faible cri s’échappa des lèvres d’Aurora. Elle s’était peut-être attendue à entendre cela, du moins elle l’avait redouté ; elle n’avait résisté que pour ne pas l’apprendre des lèvres de cet homme ; mais il l’avait vaincue, comme les natures sournoises, entêtées, si viles qu’elles soient, vaincront toujours les âmes généreuses et impressionnables. Il s’était vengé et avait réussi à être témoin de ses angoisses. Il laissa aller sa main en finissant de parler, et il la regarda, — il la regarda avec une expression triomphante et railleuse dans ses petits yeux.

Elle se redressa, toujours fière, toujours fière et brave, malgré tout ; mais son visage était changé, l’expression du désespoir le plus absolu avait cédé à celle de la douleur concentrée.

— On a trouvé le certificat, — dit l’idiot. — Il le portait sur lui, cousu dans la doublure de son gilet.

Le certificat ! que le ciel ait pitié de l’ignorance de la jeune fille. Elle n’y avait jamais songé ; jamais elle ne s’était souvenue de cette misérable feuille de papier qui était aujourd’hui la preuve légale de sa folie. Elle avait redouté la présence de ce mari qui semblait sortir de la tombe pour la tourmenter ; mais elle avait oublié cette autre preuve du registre de la paroisse, qui pouvait aussi s’élever contre elle à tout instant. Elle avait craint la découverte de quelque chose, d’une lettre, d’un portrait, de quelque souvenir trouvé en la possession de l’homme assassiné ; mais elle n’avait jamais songé à cette preuve plus concluante, à cette preuve incontestable. Le certificat de son mariage avec le groom de son père était entre les mains de Mellish !

— Que va-t-il penser de moi ? — se disait-elle. — Comment me croira-t-il jamais si je lui dis que j’ai reçu ce que je croyais la preuve évidente de la mort de Conyers, un an avant mon second mariage ? Comment pourra-t-il me croire ? Je l’ai trompé trop cruellement pour oser lui demander d’avoir confiance en moi.

Elle essayait de rassembler ses idées, de décider ce qu’elle devait faire, et dans son embarras, dans sa douleur, elle oublia un moment les yeux avides qui semblaient boire ses angoisses. Mais bientôt elle se souvint, et se tournant froidement vers Hargraves, elle lui parla d’une voix singulièrement claire et assurée :

— C’est tout ce que vous aviez à me dire ? — fit-elle. — Veuillez vous retirer pour que je ferme la fenêtre.

L’idiot se recula : elle ferma la fenêtre, et tira les rideaux pour s’isoler plus complètement du hideux espion qui s’éloigna à pas lents du côté du bois.

— Je l’ai largement payée, — se dit-il en s’enfonçant sous le taillis, — je l’ai largement payée, et en bonne monnaie, je puis le dire, — fit-il en riant ; c’est le meilleur moyen pour payer ces sortes de dettes.

Aurora s’assit devant le bureau de John, et écrivit précipitamment quelques lignes sur une feuille de papier qu’elle trouva au milieu des lettres et des mémoires de toute sorte.

« Mon cher amour,

« Je ne puis rester ici plus longtemps après la découverte qu’on a faite aujourd’hui. Je suis une misérable et une lâche, et je n’ai pas la force de voir le changement de vos traits, d’entendre votre voix altérée. Je n’ai aucun espoir que vous éprouviez d’autre sentiment pour moi que du mépris et du dégoût. Mais un jour à venir, quand je serai loin de vous, et quand l’agitation que me causent mes misères sera un peu calmée, je vous écrirai pour tout vous expliquer. Pensez à moi « avec pitié si vous pouvez ; et si vous pouvez croire que, dans ces derniers jours, le mobile de ma conduite a été mon amour pour vous, vous ne ferez que croire la vérité. Que Dieu vous garde ! mon amour. La douleur de vous quitter pour toujours est moindre que celle de savoir que vous aurez cessé de m’aimer… Adieu ! »

Elle alluma une bougie et cacheta l’enveloppe qui renfermait cette lettre.

— Les espions qui me haïssent et m’épient ne liront pas cela, pensa-t-elle en écrivant le nom de John sur l’enveloppe.

Elle laissa la lettre sur le bureau, et, se levant, elle promena un regard autour de la chambre, un long et triste regard qui s’arrêtait sur chaque objet familier. Combien elle avait été heureuse au milieu de tout cet attirail masculin, avec l’homme qu’elle avait cru son mari ? Quel bonheur innocent elle avait goûté avant le terrible orage qui venait de fondre sur eux deux ! Elle détourna les yeux par un mouvement convulsif.

— J’ai apporté le chagrin et la honte sur tous ceux qui m’ont aimée, — pensa-t-elle. — Si j’eusse été moins lâche… si j’eusse dit la vérité… tout cela ne serait pas arrivé, si j’avais confessé la vérité à Bulstrode !

Elle s’arrêta après avoir prononcé ce nom.

— Je vais aller trouver Talbot, — pensa-t-elle, — il est bon. Je vais aller le trouver ; je n’éprouverai pas de honte maintenant à lui tout avouer. Il me conseillera, et il se chargera d’annoncer ce nouveau malheur à mon père.

Aurora avait vaguement entrevu ce malheur, quand elle s’était entretenue avec Lucy à Felden ; elle avait vaguement entrevu un jour où tout serait découvert, et alors elle pensait à demander asile à Lucy.

Elle consulta sa montre.

— Trois heures un quart, — dit-elle. — Il y a un train qui part de Doncastre à cinq heures ; je pourrai y aller à pied.

Elle ouvrit la porte et courut à son appartement. Il n’y avait personne au salon ; mais sa femme de chambre était dans son cabinet de toilette, occupée à ranger quelques robes.

Aurora choisit son chapeau le plus simple et un manteau gris, et les mit tranquillement. La femme de chambre, très-occupée en ce moment, ne prenait pas garde aux mouvements de sa maîtresse ; car Mme Mellish avait coutume de s’habiller elle-même, et n’aimait pas les attentions officieuses.

— Comme cette chambre est jolie ! — pensait Aurora en soupirant. — C’est pour moi que ce mobilier a été choisi, c’est pour moi qu’on a construit la salle de bains et la serre.

Elle regardait l’enfilade des chambres richement tapissées.

Ces chambres sembleraient-elles à leur maître aussi gaies qu’elles l’avaient été ? Continuerait-il à les occuper, ou bien en fermerait-il les portes avant de quitter la demeure où il avait goûté une vie si tranquille pendant près de trente-deux ans ?

— Mon pauvre, mon cher amour ! — pensait-elle, — pourquoi suis-je née, si je devais répandre sur ta vie de telles douleurs ?

Il n’y avait pas d’égoïsme dans sa douleur ; elle savait qu’il l’avait aimée, et que cette séparation serait la plus violente douleur de sa vie ; mais après les profondes mortifications que son orgueil de femme avait endurées, elle ne pouvait entrevoir, à travers la honte actuelle causée par la découverte de son premier mariage, un avenir de bonheur et de calme.

— Il croira que je ne l’ai jamais aimé, — pensait-elle ; — il croira avoir été la dupe d’une intrigante désireuse de regagner la position qu’elle avait perdue. Que ne pensera-t-il pas de moi qui ne soit horrible et ignoble ?

Le visage qu’elle voyait dans la glace était pâle et tiré ; ses grands yeux noirs secs et lustrés, ses lèvres fortement pincées sur ses dents blanches.

— J’ai l’air d’une femme qui pourrait bien se couper la gorge dans une crise comme celle-ci. Combien souvent m’est-il arrivé de m’étonner des actes désespérés commis par des femmes ! Je ne m’en étonnerai plus désormais.

Elle ouvrit une cassette et en tira une ou deux bank-notes, puis elle prit un peu d’or dans un des compartiments. Elle mit tout dans sa bourse, et, s’enveloppant dans son manteau, elle se dirigea vers la porte.

Elle s’arrêta sur le seuil pour parler à sa femme de chambre, occupée dans une autre pièce.

— Je vais au jardin, Parsons, — dit-elle ; — dites à M. Mellish qu’il y a une lettre pour lui dans son cabinet.

La chambre dans laquelle John rangeait ses bottes, ses armes et ses fouets était appelée cabinet par les domestiques respectueux.

Le chien Bow-wow quitta nonchalamment sa peau de tigre au moment où Aurora traversait le vestibule ; il vint flairer autour d’elle, et voulut la suivre hors de la maison. Mais elle le renvoya coucher, et l’animal soumis lui obéit comme lorsque, dans sa jeunesse, sa jeune maîtresse jetait sa poupée dans l’étang de Felden et envoyait le mâtin fidèle chercher sa blonde favorite de cire. Il lui obéit, mais avec une répugnance visible, et il la suivit d’un œil soupçonneux lorsqu’elle descendit le perron.

Elle traversa la pelouse d’un pas rapide et s’enfonça dans le taillis, se dirigeant du côté du midi, bien qu’elle fît ainsi un plus long détour, car la loge du nord se trouvait du côté de Doncastre. Sous le taillis, elle rencontra deux personnes qui marchaient côte à côte, causant à voix basse, et qui toutes deux tressaillirent et changèrent de contenance en la voyant. Ces deux personnes étaient Hargraves et Mme Powell.

— Ainsi, — pensa-t-elle en passant devant ce couple étrange, — mes deux ennemis réunissent leurs efforts pour comploter ma perte ; il est temps que je quitte Mellish Park.

Elle sortit par une petite porte conduisant dans une plaine. Au-delà de cette plaine se trouvait une longue avenue qui conduisait derrière les maisons de Doncastre. C’était un chemin rarement suivi par les gens du château ; c’était du reste le plus long pour se rendre à la ville.

Aurora s’arrêta à un mille environ de la maison qui avait été la sienne, et contempla un instant la magnifique construction à demi cachée sous une luxuriante végétation de deux siècles.

— Adieu, chère demeure où je n’ai su que mentir et trahir, — dit-elle ; — adieu pour jamais, mon cher et tendre amour.

Tandis qu’Aurora prononçait ces paroles d’adieu passionné, John était couché sur l’herbe grillée par le soleil, les yeux vaguement fixés devant lui sur les mares d’eau stagnante qui reflétaient le ciel gris, plaignant Aurora, priant pour elle, et lui pardonnant du fond de son loyal cœur.