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Aurora Floyd/37

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Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 229-238).
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CHAPITRE XXXVII

Le bouton de cuivre de Crosby, de Birmingham.

Matthew Harrison et le Capitaine Prodder prirent tous les deux un convenable repas à l’enseigne du Lapin bossu ; mais tandis que le marchand de chiens paraissait avoir une grande occupation dans le voisinage, occupation d’une nature mystérieuse, qui le tenait sur pied toute la journée et le renvoyait chez lui au coucher du soleil, fatigué et affamé, le marin, n’ayant rien autre chose à faire et de grands soucis, trouva que le temps lui pesait. Cependant, étant d’un caractère naturellement jovial et sociable, il s’installa comme chez lui dans ce singulier logis. Le Capitaine avait obtenu d’Harrison plusieurs informations concernant le secret du chagrin qui était venu fondre sur sa nièce. Le marchand de chiens avait connu Conyers dès son enfance, et son père, le beau cocher et le compagnon des nobles et des gentlemen de cette époque princière, où c’était un devoir pour la jeunesse aristocratique d’imiter les manières de M. Samuel Weller, l’aîné. Harrison avait connu l’entraîneur pendant sa courte et orageuse vie maritale et avait accompagné le premier mari d’Aurora dans un voyage à l’étranger, payé par les billets d’Archibald Floyd. Le sang de l’honnête Capitaine bouillonna quand il entendit la honteuse histoire de trahison et d’extorsion opérée sur l’ignorante pensionnaire. Oh ! comme il était prêt à venger les outrages faits à l’enfant de sa sœur ! Sa rage contre l’assassin redoubla, quand il se rappela comment Conyers avait échappé à sa vengeance.

Hargraves prit bien soin de se tenir éloigné du Lapin bossu, n’ayant aucun désir de rencontrer Prodder une seconde fois ; cependant il resta dans la ville de Doncastre, où il logeait au bout d’une misérable allée, cachée dans une des rues de derrière : une sorte de bouge comme il y en a dans toutes les grandes villes, et seulement trouvable pour les habitants de la localité.

L’idiot était né, avait été élevé, et avait passé sa vie dans un rayon si étroit, que le déracinement d’un des chênes de Mellish Park aurait été un travail moins pénible et moins lent que de rompre les nœuds de l’habitude qui retenaient le grossier serviteur dans le voisinage de la maison dont il avait si longtemps fait partie. Mais maintenant que son occupation à Mellish Park était finie pour toujours et que son maître, l’entraîneur, était mort, il était seul dans le monde et il avait besoin de chercher une nouvelle position.

Mais il semblait y mettre peu d’empressement. Ce n’était pas un individu très-prévenant, il faut se le rappeler, et il n’était pas fait pour rendre beaucoup de services. Quoique ayant dépassé la quarantaine, il était généralement regardé comme un jeune homme qui s’entendait aux chevaux, et cette qualification est ordinairement suffisante pour procurer à n’importe qui une occupation dans les environs de Doncastre. L’idiot semblait cependant se tenir à l’écart des gens qui le connaissaient et qui auraient pu le recommander : et lorsqu’on lui demandait pourquoi il ne cherchait pas une position, il faisait des réponses évasives et disait quelquefois qu’il avait fait quelques épargnes à Mellish Park et qu’il n’aurait pas besoin de vivre aux dépens de la paroisse s’il restait une semaine ou deux sans ouvrage.

Mellish était si bien connu comme un maître généreux, Que personne ne fut surpris de la chose. Hargraves avait sans doute fait de jolies petites prises dans cette maison libérale. L’idiot allait donc sans qu’on lui fît de questions, rôdant par la ville d’une manière misérable, passant la moitié du jour et de la nuit dans la salle d’une auberge, buvant d’une manière triste et sauvage, qui lui était particulière, et ne se liant avec personne.

Un soir, il fit une apparition à la station du chemin de fer, et essaya de déchiffrer les tableaux des heures collés contre les murs : mais sans aide il ne put en venir à bout, et fut à la fin obligé de s’adresser à un employé à figure avenante qui était occupé sur la plate-forme.

— Je désirerais prendre le train pour Liverpool, — dit-il, et je ne puis rien trouver ici à cet égard.

L’employé connaissait Hargraves et le regarda avec un ébahissement mêlé d’étonnement.

— Ma parole, Steeve, — dit-il en riant, — qu’est-ce qui vous prend d’aller à Liverpool ? J’ai cru que vous n’aviez jamais été plus loin qu’York dans votre vie.

— Cela se peut que je n’y sois pas allé, répondit Hargraves en faisant la mine, mais ce n’est pas une raison pour que je n’y aille pas. J’ai entendu parler d’une place à Liverpool qui, je crois, me conviendra.

— Pas davantage que celle que vous aviez à Mellish.

— Peut-être, non, — répondit Hargraves, — mais Mellish Park n’est plus une place pour moi à présent et ne l’est plus depuis longtemps.

L’employé rit.

L’histoire du châtiment d’Aurora était assez connue parmi la population de Doncastre, et je suis fâché de le dire, il y avait très-peu de personnes qui n’admirassent un peu plus la maîtresse de Mellish Park en raison de ce petit incident dans son histoire.

Hargraves reçut les indications désirées sur les trains entre Doncastre et Liverpool, et quitta ensuite la station.

Un petit homme à l’air misérable qui avait aussi demandé quelques indications au même employé qui avait parlé à Hargraves et qui avait, par conséquent, entendu le court dialogue ci-dessus relaté, suivit Stephen depuis la station jusqu’à la ville. En vérité, si l’idiot n’avait pas été d’une lenteur de perception extraordinaire, il se serait aperçu que ce jour il arrivait que le même petit homme à l’air misérable se trouvait à tous les endroits où lui, Hargraves, se rendait. Mais l’ancien domestique de Mellish Park ne prit aucun souci de cette coïncidence. Son intelligence étroite, jamais assez vaste pour embrasser plusieurs sujets à la fois, était complètement absorbée par d’autres préoccupations, et il se traînait par là avec une expression de physionomie qui ne rehaussait nullement ses attraits personnels.

Il ne faut pas croire que Grimstone laissât croître l’herbe sous ses pieds après son entrevue avec Mellish et Bulstrode. Il en avait assez entendu pour s’arranger, et il se mit à l’œuvre pour gagner la récompense offerte.

Il n’y eut pas une boutique de tailleur, dans Doncastre ou dans ses environs, dans laquelle il n’entrât. Il n’y eut pas un vêtement confectionné que Grimstone n’examinât, pas un tiroir de petits morceaux qu’il ne fouillât dans sa recherche de boutons de Crosby, de Birmingham. Mais pendant longtemps ses recherches furent vaines. Avant que le jour qui avait suivi celui de l’arrivée de Talbot à Mellish Park fût passé, l’agent avait visité tous les tailleurs et tous les marchands de drap du voisinage ; mais aucune trace de Crosby, de Birmingban, n’avait pu se trouver. Les boutons d’habits en cuivre ne sont pas particulièrement portés par les gens à la mode du temps présent, et Grimstone trouva presque toutes les manières de fermer les habits, excepté l’espèce de boutons dont il portait un spécimen déformé et taché de sang dans la poche de son pantalon.

Il retournait à l’auberge dans laquelle il avait établi sa demeure et où on le prenait pour un voyageur de commerce en amidons de Glenfied et en dragées, fatigué et exténué par une journée de travail inutile, quand il fut attiré par quelques vêtements tout faits, gracieusement étalés à la porte d’un prêteur sur gages, qui exposait des cuillères à thé en argent, des tableaux à l’huile, des bottes et des souliers, des montres, des restants de soie et de satin dans sa devanture artistement disposée.

Grimstone s’arrêta court devant la porte du prêteur d’argent.

— Je ne serai pas battu, — murmura-t-il entre ses dents ; — si cet homme a quelques habits, je les verrai.

Il entra dans la boutique d’un air désœuvré, demanda au propriétaire de l’établissement s’il n’avait pas quelque chose à bon marché en fait d’habits de fantaisie.

Naturellement le propriétaire avait tout ce qu’il fallait, et d’une espèce de bureau ou de trou rempli de toute espèce de marchandises, au fond de la boutique, il apporta une demi-douzaine de paquets, dont le contenu fut montré à Grimstone.

L’agent de police examina beaucoup d’habits, mais sans résultat satisfaisant.

— Vous n’avez rien, à ce que je vois, avec des boutons en cuivre ? — demanda-t-il à la fin.

Le propriétaire secoua la tête en réfléchissant.

Les boutons de cuivre ne se portent pas beaucoup aujourd’hui, — dit-il ; — mais, maintenant que j’y pense, j’ai ce que vous désirez. Je les ai eus, par un hasard extraordinaire, d’un voyageur d’une maison de Birmingham, qui était ici aux courses de septembre, il y a trois ans, et qui perdit un gros pari sur Underhand, et me laissa une quantité de choses pour avoir ce qu’il désirait.

Grimstone dressa les oreilles au mot de Birmingham. Le prêteur sur gages retourna de nouveau aux mystérieuses cavités du fond de la boutique, et, après une longue recherche, finit par trouver ce dont il avait besoin. Il apporta un nouveau paquet sur le comptoir, donna à la flamme du gaz un peu plus de hauteur, et montra un monceau d’habillements communs, appartenant évidemment à cette sorte de marchandises qu’on appelle confection.

— Voici les marchandises, — dit-il, — et ce sont des objets de très-bon goût et très-gais. J’en avais une douzaine et je n’en ai plus que cinq.

Grimstone souleva un habit d’une couleur éclatante, et l’examina à la lumière du gaz.

Le but de cette journée de travail était enfin atteint. Le dos du bouton de cuivre portait les mots : Crosby, Birmingham.

— Il ne vous en reste plus que cinq sur douze, — dit l’agent, — alors vous avez vendu les sept autres.

— Oui.

— Pouvez-vous me dire à qui ?

Le prêteur se gratta la tête en réfléchissant.

— Je crois les avoir vendus à des ouvriers, — dit-il. Ils reçoivent leur paye tous les quinze jours, et il y en a qui viennent tous les samedis soirs acheter une chose ou une autre, ou bien pour dégager quelque chose. Je sais que j’en ai vendu quatre ou cinq ainsi.

— Mais vous rappelez-vous d’en avoir vendu un à quelqu’un d’autre ? demanda Grimstone. Je ne vous interroge pas par curiosité, et je ne pense pas rester sans vous acheter quelque chose de beau, si vous me donnez ces informations. Pensez-y et prenez votre temps. Vous ne pouvez les avoir vendus tous les sept à des ouvriers.

— Non, — répondit le prêteur sur gages après une pause. — Je m’en souviens, j’en ai vendu un, avec des festons de fantaisie, sur un fond pourpre, à Joseph, le boulanger de la rue voisine, et j’ai vendu l’autre, qui avait une raie jaune sur un fond brun, au jardinier en chef de Mellish Park.

La figure de Grimstone se colora et devint brûlante. Le travail de sa journée n’avait pas été perdu. Il apportait les boutons de Crosby, de Birmingham, très-près de l’endroit où il voulait les porter.

— Vous pouvez me donner le nom du jardinier, n’est-ce pas ? — dit-il au prêteur.

— Oui ; son nom est Dawson. Il est de Doncastre ; lui et moi étions enfants ensemble. Je ne me rappelais pas lui avoir vendu l’habit, car il y a de cela à peu près un an et demi ; seulement, il s’arrêta et causa avec moi et ma femme le soir qu’il l’acheta.

Grimstone ne resta pas plus longtemps dans la boutique. Son intérêt sur les habits avait évidemment disparu. Il acheta deux mouchoirs de soie de seconde main, par politesse, et souhaita ensuite le bonsoir au prêteur sur gages.

Il était près de neuf heures ; mais l’agent s’arrêta à son auberge assez de temps pour manger une livre trois quarts de beefsteak et boire un pot d’ale. Après ce court rafraîchissement, il partit à pied pour Mellish Park. C’était le principe de sa vie d’éviter de se laisser observer, et il préféra la fatigue d’une longue et solitaire promenade aux risques fortuits de louer un véhicule pour le mener à destination.

Talbot et John, pleins d’espoir, avaient attendu toute la journée son arrivée et le reçurent de leur mieux quand il apparut entre dix et onze heures. Ce soir-là, il apparut dans la propre chambre de John ; car les deux amis étaient restés à fumer et à causer après qu’Aurora et Lucy se furent retirées. Mme Mellish avait besoin de repos et pouvait dormir tranquillement, car l’ombre funeste qui s’était dressée entre elle et son mari avait disparu pour toujours, et elle ne pouvait craindre un péril, un chagrin, alors qu’elle se savait sûre de son amour. John regarda vivement quand Grimstone suivit le domestique dans la chambre ; mais un regard significatif de Bulstrode arrêta son impétuosité et il ne parla pas jusqu’à ce que la porte fût fermée.

— Eh bien, Grimstone, — dit-il, — quoi de nouveau ?

— Rien, monsieur, j’ai eu une dure journée de travail, — répondit l’agent gravement, — et peut-être aucun de vous, messieurs, n’étant de la profession, n’aura une haute idée de ce que j’ai fait : mais en fin de compte, je crois que j’ai trouvé, monsieur ! je crois que j’ai trouvé !…

— Dieu merci ! — murmura Talbot respectueusement.

Il avait jeté son cigare, et était assis près de la cheminée, le bras appuyé sur l’angle de la tablette de marbre.

— Vous avez un jardinier du nom de Dawson à votre Service, monsieur Mellish ? — dit l’agent.

— Oui, — répondit John, — mais que Dieu nous en préserve ! vous ne croyez pas que ce soit lui ? Dawson est le meilleur garçon qui ait jamais existé.

— Je ne dis pas que je crois que ce soit quelqu’un jusqu’à présent, monsieur, — répondit Grimstone, — mais quand un homme a eu deux mille livres sur lui en billets, qu’il est trouvé mort dans un bois, que les billets manquent, que le bois est désert, quoiqu’on puisse le traverser, c’est un joli cas à soupçons. Je désirerais voir ce Dawson, si cela est possible.

— Ce soir ? — demanda John.

— Oui, le plus tôt sera le mieux. Moins il y a de délai dans ces sortes d’affaires, et mieux cela vaut pour toutes les parties, excepté pour celle qui a rendu l’enquête nécessaire, — ajouta l’agent.

— Je vais faire chercher Dawson, — répondit Mellish ; — mais je m’attends à ce qu’il ait déjà été se mettre au lit.

— Dans ce cas-là il n’aura qu’à se relever, monsieur, — dit Grimstone poliment ; — j’ai résolu de le voir ce soir, si cela vous est égal.

Il ne faut pas croire que Mellish fût disposé à s’opposer à un arrangement qui pût hâter, même d’un moment, la découverte de ce qu’il désirait si ardemment. Il alla droit à la salle des domestiques chercher le jardinier, et laissa Bulstrode et l’agent ensemble.

— Il n’est rien arrivé, je pense, monsieur, — dit Grimstone s’adressant à Bulstrode, — qui puisse nous servir à quelque chose ?

— Si, — répondit Talbot. — Nous avons reçu les numéros des billets que Mme Mellish a donnés à l’homme assassiné. J’ai télégraphié à la maison de campagne de M. Floyd, et il est arrivé lui-même ici il y a une heure, apportant la liste des billets.

Cinq minutes après, Mellish rentra, amenant le jardinier. Cet homme avait été à Doncastre pour voir des amis, et il n’était revenu que depuis une demi-heure ; son maître l’avait surpris ravageant un formidable morceau de viande froide et un grand bocal de choux conservés dans la salle des domestiques.

— Ne vous effrayez pas, Dawson, — dit John avec une amicale indiscrétion. — Personne ne vous soupçonne plus que moi : mais monsieur désire vous voir, et vous savez sans doute qu’il n’y a pas de raison pour qu’il ne vous voie pas s’il le désire, quoique…

Mellish s’arrêta soudain, averti par un froncement de sourcils de Bulstrode, et le jardinier, qui ne comprenait rien à ce que voulait dire son maître, tira respectueusement ses cheveux en glissant sur la natte indienne.

— Je désire seulement vous adresser une question ou deux pour décider un pari entre ces deux messieurs et moi, Dawson, — dit l’agent avec une familiarité rassurante, — vous avez acheté un habit de seconde main à Gorgram, sur la place du Marché, n’est-ce pas, il y a un an et demi ?

— Oui, monsieur. J’ai acheté un habit, — répondit le jardinier, — mais il n’était pas de seconde main, il était tout battant neuf.

— Avec des dessins jaunes sur un fond brun ?

L’homme fit un signe de tête avec sa bouche grande ouverte, tant il était surpris de voir cet habitant de Londres si familier avec les détails de sa toilette.

— Je ne sais pas comment vous connaissez cette jaquette, — dit-il avec une grimace ; elle est usée depuis six mois, car je l’avais prise pour le jardin, et les travaux du jardin gâtent n’importe quel habit ; mais celui auquel je l’ai donnée a néanmoins été assez content de l’avoir, quoiqu’elle fût horriblement râpée.

— Celui auquel vous l’avez donnée, — répéta Grimstone, ne s’arrêtant pas pour corriger sa phrase dans sa précipitation. — Vous l’avez donc donnée ?

— Oui, je l’ai donnée à l’idiot, et le pauvre garçon en était enchanté ; c’est tout !

— L’idiot ! — s’écria Grimstone, qui est-ce l’idiot ?

— C’est l’homme dont nous avons parlé hier soir, — répondit Bulstrode ; l’homme que Mme Mellish a trouvé dans ce cabinet le matin même du jour où le meurtre a été commis… l’homme appelé Stephen Hargraves.

— Ah ! ah ! nous y voilà ! j’y pensais, — murmura l’agent. C’est assez, Dawson, — ajouta-t-il, s’adressant au jardinier, qui s’était glissé près de la porte dans une situation d’esprit non exempte d’inquiétude. Attendez, cependant ; j’ai encore une question à vous faire. Est-ce qu’un des boutons manquait à l’habit, quand vous l’avez donné ?

— Non pas, — répondit hardiment le jardinier, — ma femme est trop soigneuse pour cela. Elle est extrêmement rangée : tout est raccommodé et a des morceaux, et si l’un des boutons s’en était allé, bien sûr qu’elle l’aurait recousu avant qu’il fût perdu.

— Merci, Dawson, — reprit l’agent avec l’amicale condescendance d’un supérieur. — Bonsoir.

Le jardinier s’éclipsa, très-satisfait d’être délivré de la terrible présence de ses supérieurs et de retourner à sa viande froide et à ses pickles dans la salle aux domestiques.

— Je crois que je tiens le nœud de l’affaire, monsieur, — dit Grimstone quand la porte se fut refermée sur le jardinier. — Mais moins on parle, mieux cela vaut. Je vais prendre la liste des numéros des bank-notes, s’il vous plaît, monsieur, et je crois que je reviendrai vous voir pour les deux cents livres, monsieur Mellish, avant qu’un de nous soit plus vieux de bien des semaines.

Grimstone, ayant la liste faite par le prudent Archibald Floyd placée sûrement dans la poche de son paletot, retourna donc à Doncastre par une calme nuit d’été, et fort préoccupé de l’affaire qu’il avait entreprise.

— Il y a une semaine, cela prenait très-mauvaise tournure pour la dame, — pensa-t-il en passant à travers l’herbe pleine de rosée de Mellish Park, — et je m’imagine que la direction qu’ils ont prise aurait mis Scotland Yard sur une fausse trace et l’y aurait laissé jusqu’à ce que la bonne soit apparue. Mais cela devient clair, cela s’éclaircit magnifiquement, et je crois qu’il en sortira un des plus jolis cas que j’aie jamais eu en main.