Aux glaces polaires/Chapitre VIII

La bibliothèque libre.
Noviciat des Oblats de Marie Immaculée (p. 197-222).


Remorquant une barge à la corde,
sur la rivière Athabaska.

CHAPITRE VIII



L’ÉVÊQUE DE PEINE




Mgr Isidore Clut. — Les bulles blanches et le sacre. — Égaré dans les bois. — Au concile du Vatican. — Recruteur. — Épisode du Grand Rapide. — Une rencontre de Mgr Clut et de Mgr Faraud. — Aux territoires du Youkon et de l’Alaska. — Les visites du vicariat. — L’indésirable bien-aimé. — Dompteur de chiens et meneur de traîneaux. — Campement à la belle étoile. — Vermine. — Le son du glas. — Au petit Lac des Esclaves. — « Notre joie et notre récompense ».


Dans quelle administration, dans quelle entreprise n’a-t-on pas trouvé, à côté du maître qui paraît, l’artisan ignoré ; sous le chef qui commande, l’humble manœuvre ; près de l’homme des honneurs, celui qui les gagne : l’homme de peine ?

L’évêque de peine, dans les missions du Mackenzie, s’il était possible que tous ne l’eussent pas été pareillement, serait Mgr Clut.

Toujours à la tâche obscure, partout éclipsé dans sa timidité et dans sa modestie, il marcha, il travailla, il peina, sans dire jamais : « C’est assez ». Le regard fixé sur son vicaire apostolique, comme celui du matelot sur son capitaine, il n’eut jamais à faire que la volonté des autres. Il avait inscrit sur £on blason, aux pieds de saint Isidore labourant, la parole du divin Maître : Jugum meum suave est et omis leve. Mon joug est doux et mon fardeau léger. Il eut en effet la paix surnaturelle des bons serviteurs de Dieu.

Quant à la consolation humaine, cette heure de repos, si rare mais si douce, qu’il est permis au courageux ouvrier de goûter, en se disant : « C’est mon ouvrage ! », on la chercherait en vain dans cette vie des solitudes sauvages, où l’évêque se fit semblable au plus laborieux de ses frères convers, au plus misérable de ses Indiens. Si, pourtant. Il dut éprouver, un jour, une joie d’ici-bas. Ce fut le 3 août 1889, à la mission de la Providence, en son jubilé épiscopal, lorsqu’il entendit le Père Grouard lui dire, dans une courte adresse qu’avaient signée les missionnaires, pères et frères, de l’Atliabaska-Mackenzie :


… Si ces pauvres pays ont un jour leur histoire, et que cette histoire soit fidèle à retracer, avant tout, le règne de Dieu, vous aurez droit, Monseigneur, à une belle page. Bonté, dévouement sans bornes et courage à toute épreuve brilleront à chaque ligne de cette page. Vos exemples et vos leçons de générosité et de vaillance nous piqueront d’une sainte émulation, soyez-en sûr, Monseigneur, pour cheminer au milieu de ces tribus sauvages qui bénissent votre nom et recueillir en grande partie le fruit de vos labeurs.


Né à Saint-Rambert-sur-Rhône, diocèse de Valence, le 11 février 1832, Isidore Clut grandit dans la piété et l’attrait du ministère des autels.

Le 8 décembre 1854, jour de la proclamation du dogme de l’immaculée Conception, il prononçait ses vœux perpétuels d’Oblat de Marie Immaculée, au scolasticat de Marseille.

Le 20 décembre 1857, il était fait prêtre par Mgr Taché, à Saint-Boniface.

Le 7 octobre 1838, il arrivait à la mission de la Nativité, lac Athabaska, comme vicaire du Père Faraud et son élève en montagnais. Le professeur profita bientôt de la présence de son pupille pour lui confier la mission et reprendre ses voyages.

C’est là que, neuf ans après, sans avoir quitté son poste d’isolement, de famine, et presque de mort — car une maladie de poitrine l’avait conduit à l’extrémité, en 1862, — c’est là que, le 15 août 1867, le Père Clut reçut l’onction des pontifes.


À peine Mgr Faraud avait-il été sacré, en 1864, qu’il se présentait au Vatican, pour demander un auxiliaire « aux jambes valides », et capable de parcourir le vicariat, que le vicaire apostolique administrerait de loin. Il redoutait des difficultés ; mais, « comme si l’Ange de nos missions eût parlé à l’oreille de l’auguste Pontife, raconte Mgr Faraud, Pie IX me répondit aussitôt, en me prenant affectueusement les mains :

« — Je connais toutes vos affaires et vos missionnaires, et j’en suis très édifié. Je vous accorde tous les pouvoirs que vous demandez.

« Je suis ensuite entré dans les détails propres à réjouir son cœur de père, et à chaque instant il essuyait une larme et disait avec une ineffable expression de bonté et de sainteté : « — Mirabilia quæ fecit Dominus cum apostolis suis ! — Ô merveilles accomplies par le Seigneur, avec ses apôtres ! »


Les bulles du coadjuteur, bulles blanches, sans nom exprimé — n’en serait-ce pas l’unique exemple dans les Actes de l’Église ? — furent émises le 3 août 1864, stipulant que Mgr Faraud consulterait, les missionnaires de son vicariat ; qu’il choisirait ensuite l’un d’eux ; qu’il le consacrerait, sous le titre d’Evêque d’Arindèle, in partibus infidelium, et d’auxiliaire sans aucun droit de succession ; et qu’enfin il enverrait le nom du prélat au Saint-Siège.

Tous les votes du vicariat, recueillis séparément et en secret, désignèrent le Père Clut.

La nouvelle fut intimée à l’élu, le 3 janvier 1866, et il fut décidé qu’il serait sacré, l’année suivante, au lac la Biche, par les trois évêques du Nord-Ouest. Mais l’époque arrivée, l’on apprit que Mgr Taché et Mgr Grandin s’embarquaient pour se rendre au chapitre des Oblats.

Mgr Faraud venait d’en être averti, quand il passa au lac Athabaska, en route pour rencontrer, au lac la Biche, les Sœurs Grises, fondatrices de l’hôpital de l’Extrême-Nord :

— Nous n’attendrons plus, dit-il au Père Clut. Voilà trois ans que vous êtes évêque ! Préparez-vous. Invitez les sauvages. À la mi-juillet, au plus tard, lorsque je repasserai, avec les sœurs, je vous consacrerai.


La mi-juillet ne ramena point la caravane. Les religieuses avaient été retardées par divers contretemps dans la prairie ; et du lac la Biche au lac Athabaska les eaux étaient devenues difficiles. Chaque jour, le Père Clut et les Indiens sondaient l’horizon du lac ; mais en vain. Si bien qu’au crépuscule du mardi 13 août 1867, lorsque la barge, au drapeau déployé, fut aperçue au bout des Ilots, il ne restait sur le rivage que cinq ou six familles montagnaises, résolues à jeûner jusqu’à l’impossible, « pour voir la fête ». Tous les autres sauvages, chassés par la faim, avaient repris les bois.

Il restait une seule journée entière avant le sacre.

Mgr Clut raconte à Mgr Taché comment elle se passa :


Après avoir entendu les péripéties du long voyage des Sœurs Grises, on mit la question du jour de mon sacre aux avis. Il s’agissait de décider si on donnerait lieu à la cérémonie le 15 août (jeudi), fête de l’Assomption de notre glorieuse Mère, ou si on attendrait le dimanche suivant. D’après le pontifical, nous ne pouvions prendre que le jour d’une fête d’apôtre ou un dimanche. Cependant une raison grave nous fit nous décider pour le 15 août : la disette de vivres. Malgré mes précautions, je me trouvais dans la plus profonde pénurie pour recevoir mes hôtes nombreux, et je n’aurais pu les nourrir jusqu’au dimanche. Nous argumentâmes de la sorte : Si le Souverain Pontife a donné le pouvoir extraordinaire à Mgr Faraud de se créer un auxiliaire, il a dû lui donner les moyens d’arriver à cette fin. En écrivant au cardinal Barnabo, pour lui apprendre ma consécration, je fais connaître à Son Éminence ce qui en est, lui deman- dant pardon si nous avions encouru des censures sans le savoir…

Il eût été naturel que j’employasse le 14 à la retraite et au silence. Ce fut tout le contraire. Je dus m’occuper toute la journée de choses matérielles, payant les rameurs de Mgr Faraud, ou faisant les préparatifs pour la fête. Une bonne partie de la nuit dut être employée à ces ouvrages. Ayant reçu l’ordre d’aller prendre un peu de repos, c’est sur ma paillasse que je pus méditer aux grâces qui m’attendaient. La matinée même du 15, je fus pris encore de tous les côtés, et c’est à peine si je pus me réserver un quart d’heure de recueillement. Heureusement que j’avais fait une retraite de quatre jours, au temps présumé de l’arrivée probable de Mgr Faraud…


Mgr Clut.
Auxiliaire du Vicariat apostolique d’Athabaska-Mackenzie
La cérémonie se déroula dans la pompe de la pauvreté.

L’évêque consécrateur avait le Frère Salasse pour suite pontificale, et Mgr Clut avait les Pères Eynard et Tissier pour évêques assistants. Les Sœurs Grises s’improvisèrent sacristains et choristes. La petite chapelle était à moitié vide. L’on croyait avoir apporté, de Saint-Boniface, les ornements épiscopaux ; mais, au déballage, il manqua les deux tunicelles, la mitre et la crosse ; et l’on ne trouva que les uniques gants et l’anneau de Mgr Taché. Des tunicelles et de la mitre il fallut faire le deuil. Mgr Faraud pourvut à la crosse. Avisant un petit sapin, il l’abattit, l’écorcha et le passa au tour. Avec son couteau de poche, il découpa la volute dans un bout de planche. Avant de se mettre au lit, Mgr Clut badigeonna le tout en jaune argile. La crosse se trouva presque sèche pour la cérémonie[1].

Le sacre accompli, et les agapes « à la viande sèche et au poisson sec » finies, il importait d’éloigner, au plus tôt, Mgr Faraud, les Sœurs Grises et leurs nautoniers. L’après-midi du 15, la nuit entière et le lendemain virent Mgr Clut à l’œuvre d’expédier la besogne, dont on ne sort plus, des appareillages du Nord. Le soir même du vendredi, 16, la barge démarra, laissant l’Évêque d’Arindèle à sa solitude et à ses dernières provisions de bouche.


Les deux printemps qui suivirent, 1868 et 1869, Mgr Clut alla, à la raquette, au fort Vermillon, sur la rivière la Paix, à 300 milles du lac Athabaska, afin d’y sauver les Castors des mains du prédicant Bompas. Au deuxième de ces voyages, il s’égara dans les bois, avec son compagnon, Louis Lafrance — l’Iroquois qui devait être le meurtrier du Frère Alexis. — Il marcha « onze jours, du matin au soir, aussi vite qu’il le pouvait, par des chemins affreux, des neiges qui ne cessaient de tomber. »


Chaque soir, mes pieds en avaient assez, dit-il. Ils étaient très enflés et très sensibles. C’est à peine s’ils pouvaient supporter les cordes des raquettes. Cependant, je crois que la Providence, tout en voulant me préparer par la souffrance à la mission que j’allais donner, ne permit pas que mes jambes s’enflassent comme elles l’auraient dû faire, avec un pareil mal de raquettes. L’épreuve rend fervent. Que de prières et d’actes d’amour de Dieu n’ai-je pas fait pour implorer la grâce d’une heureuse arrivée !


À son retour à la Nativité, il trouva la bulle d’indiction du Concile du Vatican, ainsi que l’ordre de Mgr Faraud de se rendre aux grandes assises de l’Église, et d’en profiter pour faire la conquête de quelques jeunes missionnaires français.

De vieux évêques, consacrés longtemps avant le prélat missionnaire, mais dont les bulles étaient plus récentes que les siennes, se trouvèrent surpris d’avoir à lui céder le pas, dans l’auguste assemblée. Cependant, tout heureux qu’il fût d’avoir pris part au concile œcuménique, il ne vota point l’infaillibilité pontificale. Il dut quitter Rome, en décembre, moins d’un mois après l’ouverture des séances, afin de ne point manquer le départ des barges du Nord, au dégel de 1870.

En traversant la France, il s’occupa des « conquêtes ».

Mgr Clut fut l’un, des recruteurs de nos missions glaciales. Homme de cœur, comme l’est essentiellement tout missionnaire, il faisait passer dans ses conférences, peu châtiées dans la forme, mais d’une sincérité d’autant plus avenante, toutes ses visions de la misère des sauvages et des ouvriers de l’Évangile. Sa voix, aisément caverneuse, sépulcrale s’il le voulait, aidait sa description à charger de noir des tableaux que les réalités, d’ailleurs, eussent encore trouvés trop pâles.

Son accent apostolique fit une telle impression, au grand séminaire de Viviers, que, sur-le-champ, trois jeunes gens se donnèrent à lui, pour les missions du Mackenzie ; et que, sans même dire adieu à leurs familles, ils le suivirent en’ Amérique. Ces trois missionnaires étaient les abbés Roure, diacre, Ladet, sous-diacre, et Pascal (futur Mgr Pascal), minoré[2].

À ces recrues s’ajoutèrent, au port du départ, l’abbé Lecorre, sous-diacre du diocèse de Vannes, gagné lui aussi par Mgr Clut, le Père Collignon et le Frère Reygnier.


De passage au lac la Biche, l’évêque auxiliaire aida Mgr Faraud à couper l’avoine et le foin d’hivernage pour les bœufs de la mission ; et, sitôt les rameurs trouvés, il repartit en barge pour le Nord, avec M. Lecorre, le Père Roure qu’il venait d’ordonner prêtre, trois aspirants frères convers, une jeune tertiaire Franciscaine, Marie-Marguerite, envoyée à l’aide des Sœurs Grises du fort Providence, et Geneviève, sa compagne, orpheline de neuf ans.

À la tête du Grand Rapide de la rivière Athabaska, les métis engagés se mirent en grève. Sourds aux raisons et aux supplications des missionnaires, ils retournèrent, à travers bois, au lac la Biche, « afin de se faire payer par Mgr Faraud », disaient-ils cyniquement.

Se lancer, sans guide, dans la chaîne des rapides, c’était la perte presque assurée de l’approvisionnement des missions que portait la barque, et peut-être la mort de tous. L’on était au 7 septembre. La neige tombait déjà.


Nous halons notre barge pour la mettre en sûreté, raconte Mgr Clut, et je laisse un frère et un serviteur de la mission à la garde du bagage. La Sœur converse était tombée gravement malade et ne pouvait faire un pas ; elle reste donc aussi avec sa petite fille. La crainte de voir cette malade mourir sans sacrements me fait laisser là le Père Roure, qui se dévoue pour remplir ce devoir de charité. Puis, suivi du Père Lecorre, et de deux frères, je pars dans le but de me rendre jusqu’au fort Mac-Murray. Chacun prend ses couvertures et ses provisions pour cinq jours, et nous nous mettons en route le long de la rivière. Nous voilà donc marchant tantôt sur des pierres aiguës et coupantes, tantôt dans la boue jusqu’aux genoux, tantôt dans d’épais fourrés, tantôt sur le bord des précipices, tantôt sur le flanc des rochers ou des côtes escarpées. Vers le coucher du soleil, nous étions épuisés de fatigue, nos pieds étaient meurtris et ensanglantés ; nous songions à camper, quand nous aperçûmes la fumée d’un camp de Montagnais sur le bord opposé. Le Père Lecorre tire du fusil. Plusieurs décharges lui répondent. Bientôt un canot se dirige vers nous et nous traverse. Nous sommes au milieu de sept familles chrétiennes, qui reçoivent avec joie le grand Chef de la Prière et ses compagnons.

Ils nous procurèrent deux canots, dans lesquels nous descendîmes au fort Mac-Murray. Sans le secours providentiel de ces embarcations sauvages, nous aurions eu une peine incroyable à atteindre ce poste…

C’était dans Monsieur Mac-Murray, chef du district d’Athabaska, que j’avais mis, après Dieu, ma dernière espérance. Malheureusement, il n’était pas encore arrivé du Portage la Loche. Je l’attendis trois jours au fort Mac-Murray. Après quoi, impatient de m’entendre avec lui, afin d’assurer le transport de nos pièces, je résolus d’aller à sa rencontre. J’équipai un canot d’écorce, et je partis. Il me fallut ramer comme un galérien du matin au soir pour remonter le courant rapide de la rivière Eau-Claire. J’arrivai au Portage la Loche après quatre jours et demi de marche forcée. Je franchis à pied les 19 kilomètres du portage et je trouvai enfin la brigade désirée. Je me trouvais à 450 kilomètres des pauvres abandonnés au Grand Rapide. M. Mac-Murray n’y était pas, mais son commis se montra très complaisant et m’accorda tout ce que je pouvais désirer, c’est-à-dire une barge qui prendrait les devants, et me serait prêtée avec l’équipage et 1111 guide pour aller chercher mon bagage et mes compagnons laissés au Grand Rapide…

Je repartis dans mon canot d’écorce, et j’arrivai au fort Mac-Murray le 24. Un furoncle malin me causait des souffrances presque intolérables et une grosse fièvre accompagnée de violents frissons.

Le lendemain, la barge promise arrive du Portage la Loche. Mais quelle déception ! Le guide est tombé malade et crache le sang, un homme s’est blessé, et les autres se découragent en voyant l’eau trop basse. Je presse, j’exhorte, je supplie. Je parle du dévouement du missionnaire qui a tout sacrifié pour venir leur donner les moyens de se sauver ; je fais voir nos pères du Nord, les sœurs et les orphelines dénués de tout et condamnés à passer l’hiver dans de cruelles privations. C’était comme si j’eusse parlé à des cœurs de bronze. Ce ne fut qu’après cinq ou six heures de prières que je décidai ces gens à monter avec moi. Encore dus-je leur promettre une forte récompense, et « engager » cinq Montagnais et deux Cris, pour que notre grand nombre d’ouvriers fit paraître l’ouvrage moins pénible.

Enfin nous partîmes, et je versai des larmes de joie en pensant que je viendrais à bout de mon entreprise.

Le 1er octobre, nous arrivons au pied du Grand Rapide, où nous laissons notre barge, et nous nous dirigeons à pied vers le camp, où nos pauvres compagnons nous attendaient depuis si longtemps, désespérant de nous revoir. Aussi quel ne fut pas leur bonheur ! Le mien était grand aussi sans doute ; mais non pas sans mélange. Je trouve le Père Roure pâle et défait. Je m’informe s’il souffre de la faim, et il me répond qu’il a été pris d’un refroidissement, en se levant, la nuit, pour aller prendre soin de la pauvre sœur malade, qui dans des accès de délire courait de grands risques. J’entre dans la tente de la malade et la trouve très souffrante. Elle ne s’est pas levée depuis le 7 septembre, jour de notre séparation. Comment supportera-t-elle le voyage et les rigueurs du froid déjà très piquant ? Que lui donner pour la soulager ?

Cependant je n’avais pas de temps à perdre. Nos hommes, voyageurs expérimentés, ont examiné le terrain. Les difficultés sont grandes, mais pas insurmontables. Tous prennent courage. Nous nous mettons à transporter nos pièces et notre barge, que nous traînons au milieu des rochers et de mille embarras. Le lendemain, nous radoubons la barge, que tant de secousses avaient presque disloquée.

Nous avons été obligés de porter la pauvre sœur malade, sur un brancard, dans le portage, jusqu’au bout de l’île. Pauvre fille ! Qu’elle aura à souffrir le long du chemin 1 La rivière, en cette saison surtout, où l’eau est très basse, n’est qu’une suite de rapides et de cascades. Souvent la barque heurte violemment contre les récifs. Alors, les cris et le tapage des rameurs sont insupportables, même pour une personne en bonne santé ; et la malade est si faible qu’elle ne peut lever la tête. Trois fois nous dûmes la débarquer et la transporter le long du rivage. Au milieu de tant de souffrances, elle ne se plaignait pas. « Ma seule peine, disait-elle, est de vous donner tant de trouble ! »

Le 5 octobre, nous arrivâmes au fort Mac-Murray, et le 9, à la mission de la Nativité, du lac Athabaska…


Marie-Marguerite ne débarqua à la Nativité que pour mourir aussitôt, saintement résignée. Quant au Père Roure, Mgr Clut dut l’abandonner, au Grand Lac des Esclaves, et le remettre aux soins du Père Gascon, persuadé qu’il ne le reverrait plus vivant. La mort du jeune missionnaire fut même annoncée à sa famille. Sa constitution de franc Ardéchois eut cependant le dernier mot. En deux mois, le Père Roure perdit irréparablement sa chevelure, mais il récupéra, sa force. De son humeur spirituelle et pacifique, il n’eut rien à regagner alors, ni jamais.


L’année suivante, 1871, Mgr Clut revint de la mission de la Providence au lac la Biche, afin de recevoir de Mgr Faraud la cargaison annuelle. Mais dans quel attirail le vicaire apostolique et son coadjuteur se rencontrèrent-ils ! Il faut le dire.

Mgr Faraud, récemment établi au lac la Biche, et de plus en plus effrayé des difficultés amoncelées dans la voie des rapides, s’était convaincu que la seule garantie pour l’avenir était de pratiquer un chemin de charrettes, prenant au lac la Biche et aboutissant au fort Mac-Murray[3].

Deux cent quarante kilomètres de forêts vierges à démanteler, de fondrières à combler, de marais et de rivières à ponter, au moyen de peu d’ouvriers, d’outils rudimentaires et de bœufs efflanqués, un tel projet ne pouvait être conçu que comme en désespoir ; et, de fait, ce fut le grand échec contre lequel la volonté de Mgr Faraud eut à se briser, vaincue. Mais, avant de rendre les armes, il mit en œuvre tout ce qui lui fut possible.

En 1869, il avait commencé. En 1871, l’année dont nous, parlons, il était lui-même à la tête des travailleurs, bûchant dans les arbres, pataugeant dans les bourbiers, poussant les bœufs. Près de 120 kilomètres se trouvaient ainsi taillés, lorsque Mgr Clut apparut dans la forêt.

Celui-ci avait pour escorte le Père Eynard, et Louis l’Iroquois, depuis le lac Athabaska. Il racontait de la sorte ce qui reste à savoir de Pavcntiirc, à Mgr Taché :


… Nous arrivâmes au confluent de la rivière des Maisons et de l’Athabaska, où le chemin de charrettes devait traverser, selon les plans de Mgr Faraud. Ne voyant ni chemin, ni vestige humain, nous essayons de remonter la rivière des Maisons ; mais nous la trouvons criblée de rapides. Nous mettons notre canot en cache ; et, prenant nos couvertures et nos provisions sur le dos, nous partons à travers bois… Nous marchons ainsi deux journées, sans rencontrer âme qui vive, si ce n’est une ourse menaçante, avec ses oursons. Là, un brûlé immense commençait. Ses arbres calcinés et entassés pêle-mêle semblaient nous défier. Louis et moi laissons le Père Eynard près de nos paquetons ; et nous nous engageons à la découverte dans le brûlé. Mais rien, sinon le grand silence du bois désert. Je craignis alors que Mgr Faraud n’eût suivi une direction différente. Nous étions à bout de provisions, et aller plus loin c’était nous exposer à nous égarer et à mourir de faim. Je décidai de retourner au canot et de redescendre au lac Athabaska. Nous avions fait quelques pas, quand un coup de fusil retentit au loin. Nous allâmes sur le bruit. C’était des métis qui apportaient des vivres aux travailleurs, sans savoir au juste où étaient ceux-ci. Nous joignant à eux, nous marchâmes encore une grosse journée. Le 5 juin, à 9 heures du soir, nous arrivions enfin à Mgr Faraud, aux Pères Collignon et Ladet et au Frère Alexis, qui frappaient tous à coups de hache dans les liards. Je vous assure que je ne ressemblais guère alors à un Père du Concile. Pour être plus allège, j’avais laissé ma soutane ; et ces trois jours dans le bois m’avaient mis en haillons. Quelqu’un qui m’eût rencontré ne m’eût certes pas pris pour un Prince de l’Église. D’après mon rapport et celui de mes compagnons, sur les bois forts et les maskegs que nous avions traversés, Mgr Faraud se rendit, quoique bien malgré lui, à la conclusion que le chemin était, pour le moment, impraticable. Rendant à la sauvagerie le fruit si coûteux de tant de travail, nous retournâmes ensemble au lac la Biche…


L’année suivante, 1872, Mgr Clut recevait de M. Mercier, Canadien Français, et chef du fort Youkon, l’un des postes commerciaux d’une compagnie de San-Francisco, opérant sur tout le versant du fleuve Youkon, l’imitation pressante de se rendre là-bas, pour convertir les sauvages.

Mgr Clut, ne pouvant communiquer avec Mgr Faraud, sans perdre une année, deux peut-être, prit sur lui de tenter l’évangélisation du Youkon et de l’Alaska. S’adjoignant le Père Lecorre, dont il voulait faire le premier missionnaire de ces territoires, il descendit le fleuve Mackenzie, et, de la pointe Séparation, tête du delta de ce fleuve, il se dirigea, à pied, sur les montagnes Rocheuses, par un portage de 130 kilomètres de marécages et de terrains inconsistants. Dans les replis des montagnes elles-mêmes, il y avait à passer à gué, ce qui veut presque dire à la nage parfois, quantité de torrents et de rivières dévalant des glaciers. Parvenus au versant du Pacifique, ils mirent leur canot de peau d’orignal, qu’ils avaient porté jusque-là, sur la rivière Porc-Épic, affluent tourmenté, autant que pittoresquement beau, du fleuve Youkon.

Ils avaient compté sans la précocité de l’hiver. Le vent du Nord souffla sans répit ; et, en quelques jours, le canot fut roulé par le courant dans la débandade des glaçons. Le Père Lecorre, étant tombé malade peu après le départ du Mackenzie, ne pouvait qu’à peine se mouvoir. Le 30 septembre, comme les voyageurs étaient à mi-chemin des montagnes Rocheuses au fort Youkon, la barrière redoutée des glaces solides entrava la rivière.

Qu’allaient-ils devenir, sans traîneau, presque sans vivres, sans espoir de rencontrer un être humain ? Seule la Providence les pouvait sauver. Elle n’y manqua pas. Le même jour, ils rencontrèrent une famille Loucheuse, arrêtée également par la glacé, dans sa navigation vers le fort Youkon. Ces braves Indiens offrirent aux missionnaires une part de leurs provisions, un traîneau et un de leurs chiens. Sauvages et missionnaires repartirent ensemble, le 6 octobre. Pendant sept jours, Mgr Clut, la hache à la main, fraya le passage aux attelages, tombant de ci de là, parmi les glaçons coupants, défonçant du poids de son corps les couches trop minces, et plongeant coup sur coup dans les mares glacées. Le Père Lecorre, un peu remis, suivait, trébuchant et se relevant sans cesse. Le 13 octobre, au soir, ils arrivèrent au fort Youkon, chez le tout aimable et fervent catholique M. Mercier. Ils acceptèrent avec bonheur de passer l’hiver sous son toit.

Hiver d’amertume pour l’âme des apôtres.

Aucun Indien ne se laissa toucher, tellement les ministres protestants avaient implanté les préjugés contre le catholicisme.

À la débâcle de 1873, les prêtres « secouèrent la poussière de leurs pieds » et descendirent le fleuve Youkon. Ils allèrent jusqu’à l’île du fort Saint-Michel, située à 64 kilomètres de l’embouchure du Youkon, dans la mer de Berhing (océan Pacifique).

Ils firent, en chemin, plus de 150 baptêmes d’enfants. Les Indiens de l’Alaska, ancienne Amérique Russe, se souvenaient des popes orthodoxes, qu’ils avaient vus autrefois, et semblaient sympathiques au rite catholique.


La débâcle des glaces

À Saint-Michel, grande déception. Mgr Clut comptait trouver des Oblats et des provisions. Il avait demandé de faire venir ces renforts, via San-Francisco, par le bateau de la Compagnie de Youkon-Alaska ; mais sa lettre, envoyée depuis plus d’une année, n’était point parvenue, et ne devait jamais parvenir, à Mgr Faraud.

Les missionnaires remontèrent le Youkon jusqu’à Anvik, lieu qui leur parut favorable à l’établissement de la mission. Le Père Lecorre consentit à demeurer seul en Alaska, en attendant le confrère et les secours espérés pour 1874.

Mgr Clut bénit son cher apôtre, et continua sa route, revenant sur ses pas de 1872, jusqu’au fort Providence, où il aborda le 10 octobre 1873[4].


Les brèves narrations des grands voyages que nous venons de faire laisseront-elles entrevoir ce qu’il ch fut des trente ans, et plus, que durèrent les courses de Mgr Clut ?

Si l’on décompte deux rapides tournées, au Canada et en France, la vie épiscopale du coadjuteur d’Athabaska-Mackenzie se passa à exécuter les visites du vicariat, au nom du vicaire apostolique, tant du lac la Biche au fort Mae-Pherson, que du fond du lac Athabaska aux montagnes Rocheuses, sur les rivières Athabaska, la Paix, Liard, Nelson, le fleuve Mackenzie, etc… Son calcul évaluait à 4 ou 5 ans le temps d’une ronde générale. L’on ne montrerait peut-être pas une baie des grands lacs où quelque tempête ne l’ait fait reculer devant l’abîme des vagues, pas une chaîne dé rapides qui ne lui ait broyé quelque embarcation, pas une grève des fleuves polaires qu’il n’ait gravie à pied, attelé par un cordeau à sa barque que les rames étaient impuissantes à pousser à l’encontre des courants accélérés. L’office du rameur, remontant ces cours d’eau, devient, en effet, celui des chevaux de halage de nos rivières et canaux d’Europe, à la différence que, sous les pieds ferrés de l’animal, le chemin, préparé par l’homme, se déroule ferme et uni, tandis que sous le souple mocassin du missionnaire la nature encombre ses rivages de rochers abrupts, d’éboulis monstrueux, ou bien les étend en tourbières visqueuses où le haleur s’enliserait s’il n’était retenu à l’esquif par son propre attelage. Que de fois aussi, du haut d’une falaise qui s’effrite sous son effort, ou mêlé au pan de grève que son poids achève d’entraîner, le malheureux ne tombe-t-il pas au fleuve ! Son cordeau devient encore son salut, s’il ne s’est pas tué dans le trajet même de la chute.

Au bout de ces longs pèlerinages apostoliques, l’évêque trouvait-il toujours le rafraîchissement du repos et la joie ? Il s’en fallait. Plus d’une fois, l’auguste visiteur put lire sur la figure des missionnaires qu’il venait revoir et réconforter, au lieu du bonheur attendu, et qu’ils eussent voulu lui exprimer, l’inquiétude si mal voilée qu’il comprenait dès l’abord : On jeûnait là ; et lui, le pasteur bien-aimé, qu’on avait supplié de venir, en des lettres écrites au temps de l’abondance, devenait, en arrivant pour cet hiver, l’indésirable, la bouche inutile, nuisible même au maintien de la mission. Il le comprenait et aussitôt s’en retournait, sachant qu’il serait peut-être isolé par les glaces, et qu’il n’arriverait à une mission, qui put le nourrir, qu’après des souffrances incroyablement pénibles.


Mgr Clut écrivit, dans son journal, le récit courant de ses épreuves. Près de mille pages s’y pressent, sans marges ni interlignes. « Et tout n’y est pas », dit-il. La simplicité et la bonhomie de l’allure achèvent de provoquer l’étonnement et l’admiration. Ces quinze cahiers jaunis seront-ils organisés un jour en un ouvrage, et publiés ? Souhaitons-le pour la gloire de l’Église. Nous les avons lus et relus avec émotion, savourant, comme en un contact direct, la grande âme d’un missionnaire des petits, qui pouvait bien dire, en l’appliquant à sa vocation, la parole de Jeanne d’Arc, demandant qu’on ne l’empêchât point de sauver la France : « C’est pour cela que je suis née ! »

Nous ne prendrons plus à l’épopée du bon évêque que quelques souvenirs sur les voyages de l’hiver, qui furent les principaux de sa vie, comme ils le sont de la vie de tous les missionnaires, au pays des neiges.


De même que comme pagayeur et comme haleur de grève, Mgr Clut ne trouva jamais son rival, ainsi comme entraîneur de chiens et conducteur de traîneaux, il n’eut point de pareil.

Il excellait à dompter les chiens de trait. Il leur apprenait notamment à redouter son fouet : savoir appliquer à temps le coup de fouet ; savoir surtout stimuler ces grands chiens-loups par le seul geste de leur montrer la mordante lanière, c’est le comble de l’art et le titre au brevet du cocher arctique. Mgr Clut frappait rarement ; mais, s’il frappait, la couture s’imprimait sur la peau du paresseux. Traiteurs et sauvages lui enviaient cette spécialité. Au coup de fouet, il joignait le coup de voix haut et strident, qui donne à l’attelage le frisson de vitesse.

« Mais quand les chiens meurent de faim et de fatigue, celui qui les conduit n’est pas haut », dit le proverbe montagnais.


En tournée épiscopale (1916)

Un équipage valide aux mains du prélat eût été le champion des courses de l’Extrême-Nord. Mais le vicariat n’eut que rarement les moyens de lui procurer des coursiers capables de faire honneur à l’entraînement de leur maître.


L’une des cinq ou six chevauchées qu’il fit, du fort Providence (fleuve Mackenzie) au fort Rae (Grand Lac des Esclaves), « afin de donner au Père Roure la facilité de la confession bisannuelle », comme il disait, Mgr Clut n’avait trouvé au chenil que quatre vieux chiens décrépits, dont l’un déserta, la première nuit. Comme l’itinéraire suivi cette fois était nouveau pour lui, il ne devait pas perdre de vue ses deux compagnons : le sauvage Grosse-Tête, qui battait la neige devant les chiens, et le métis Boucher qui trottait à la suite de Grosse-Tête avec un équipage dispos.

Pendant sept jours l’évêque poussa la traîne.

Pousser la traîne consiste à s’arc-bouter continuellement sur les raquettes de course, afin de faire porter la force et le poids du corps sur un bâton, dont une extrémité s’applique sur le creux de l’estomac, et l’autre sur l’arrière du traîneau. Est-il un missionnaire qui n’ait goûté de ce supplice ?

Ce n’est donc pas mes trois coursiers qui me traînaient, dit Mgr Clut, mais moi qui les aidais à traîner leur charge. Malgré ce moyen extrême, je n’arrivais généralement que deux ou trois heures après les autres au rendez-vous du dîner ou au campement de la nuit. J’avais beau fouetter mes chiens, ils étaient comme insensibles. J’employai toutes les industries, tantôt les changeant de place, tantôt en dételant un pour le faire reposer. Toutes ces manœuvres ne m’avançaient à rien et m’exposaient à me geler les mains. J’ai eu l’onglée assez forte pour perdre la peau des doigts. Après maints exercices violents dans la neige molle, où j’enfonçai, malgré mes raquettes, je m’échauffai tellement que mes habits de dessous étaient tout trempés, tandis que ceux de dessus, rendus humides par la transpiration, se gelaient et devenaient roides. Chaque soir, après mon souper, je devais passer un temps considérable à me sécher au feu du campement. Mais, tandis que je rôtissais d’un côté, je gelais de l’autre ; de sorte que, bon gré mal gré, je devais me coucher plus ou moins mouillé. Le froid d’environ 40 à 43 degrés centigrades me saisissait, et ma chemise me faisait l’effet d’une barre de glace. Que l’on juge si je dormais à l’aise !

Les six fois que j’ai campé à la belle étoile, en ce voyage, je n’ai presque pas fermé l’œil ; ces nuits blanches n’étaient pas de nature à réparer mes forces. Il fallait cependant, le lendemain, marcher dans la neige, aider mes chiens, ou m’exposer à rester en arrière dans les bois, où je serais mort. Je ramassais donc toute la force et le courage qui me restaient, et allais de l’avant. Si encore, pour me soutenir, j’avais eu une bonne nourriture ; mais je n’avais que de la viande sèche…

Le 21 décembre, nous rencontrâmes des sentiers tracés dans tous les sens…

Comme de coutume, mes chiens allaient toujours plus doucement que ceux de Boucher. J’étais toujours loin derrière, ce qui me mit plusieurs fois dans un grand embarras, parmi ces sentiers sans ordre… Arrivé à une petite montée, mon doute devint plus sérieux : je vis un lacs tel qu’on en tend pour prendre les lynx, tendu à travers le sentier que je suivais. Mon chien de devant hésita un peu, puis avança et se prit par le cou. Je crus m’être égaré et avoir manqué le vrai sentier d’environ deux kilomètres. Je revins en courant sur mes pas ; et, après un examen attentif, il me fallut revenir à l’endroit où mon attelage était en détresse. Je poussai mes chiens dans la même direction. La nuit commençait à se répandre dans la forêt, ce qui augmentait mes craintes. Mais que faire ? me dis-je. Si je me suis égaré réellement, j’arriverai peut-être à ceux qui ont frayé cette trace. Enfin, bien tard dans la nuit, j’aperçus du feu. Je pensais que j’arrivai à un campement d’indiens et j’allais leur adresser la parole en leur langue, lorsque je reconnus Boucher. Je compris alors que c’était lui qui avait tendu le piège, et je me plaignis de cette espièglerie, qui m’avait exposé à rebrousser chemin et m’avait plongé dans la plus profonde incertitude. Il s’excusa, et me dit qu’il avait voulu simplement faire une farce à mon chien de devant, et qu’il regrettait de m’avoir causé de l’embarras.

Le 23, à notre arrêt pour le dîner, Boucher me dit : « Si vos chiens, Monseigneur, 1 pouvaient aller plus vite, nous pourrions arriver ce soir ». — « Eh bien ! lui dis-je, je ferai, tout en mon pouvoir pour réussir ; prenez les devants, mais ayez soin d’allumer du feu et de préparer un peu de thé avant d’arriver au lac qui nous sépare de la mission. Je serai alors tout en sueur, épuisé, et ne pourrai m’aventurer sur la baie immense du Grand Lac des Esclaves. »

En effet, mes compagnons firent du feu, à environ sept kilomètres du lac et me réservèrent une coupe de thé. Je repartis à leur suite, en leur demandant de m’attendre au Grand Lac des Esclaves, car je ne connaissais pas la direction.

Lorsque j’arrivai sur le bord du lac, la nuit était déjà complète. Je n’aperçus personne. Je pressai mes chiens de plus belle, mais ils n’en pouvaient plus et marchaient au pas de bœufs. Quand je fus incapable de rien distinguer, je laissai aller mes coursiers à leur gré. Le premier était excellent pour suivre une piste. Aussi je le laissai faire et me conduire, tout en répétant souvent la prière à l’ange gardien (dévotion favorite de Mgr Clut). Vers le milieu de la traverse, le chien hésita. J’eus grand peur de m’égarer alors et de me geler ; car j’étais mouillé. Bans le bois, je sentais moins le vent, mais sur le grand lac, l’air était glacial, et c’en était fait de moi, si je venais à me fourvoyer. Je passai devant l’attelage et fis quelques pas en avant pensant être sur le sentier. Le premier chien suit ma trace jusqu’au bout ; mais là, il se jette brusquement à gauche, flaire la neige et repart. Je le laissai aller, me fiant à son instinct. Ce fut mon salut. Bientôt j’aperçus des étincelles dans la direction que je suivais. Enfin je crus entendre crier des chiens. En effet, bientôt je fus rencontré par le traîneau du principal métis du fort Rae. Le bon petit Père Roure l’accompagnait, ainsi que plusieurs jeunes gens. Le père se jeta à genoux sur la neige du lac pour me demander ma bénédiction ; je le bénis et lui donnai l’accolade fraternelle, malgré ma barbe chargée de glaçons.


Le lendemain de ce Noël, Mgr Clut repartit, mais en traversant dans sa largeur le Grand Lac des Esclaves, afin de passer chez le Père Gascon, au fort Résolution, et de lui rendre le même service qu’au Père Roure. Il devait arriver le 30 ou le 31.

Le 31 décembre, à dix heures du soir, nous le trouvons campé sur une île du large, battue des vents :


… Il faisait horriblement froid, et je ne pouvais fermer l’œil. Pour en finir, à onze heures et demie je fis l’appel de mon monde. On ralluma le feu. À minuit, d’après ma montre, nous nous souhaitâmes la bonne année, et nous fîmes un festin matinal, avec des langues de caribou, quatre ou cinq biscuits, et un peu de café, que j’avais conservés en vue du premier de l’an, jour de grande fête dans le pays…

Nous partîmes à deux heures du matin, neuf heures avant le lever du soleil…


Les nuits à la belle étoile, que Mgr Clut vient de mentionner, ne sont pas les plus dures qu’il ait passées sous le ciel polaire. Il lui arriva, comme aux autres missionnaires, d’avoir à se coucher en plein lac balayé par la poudrerie, entre ses chiens blottis et son traîneau renversé.

Toutefois, ces campements de déplaisir ne sont pas l’ordinaire.

Le campement d’hiver, dressé selon les souhaits et les règles, ne manque pas tout à fait de confort, voire de poésie… à quelque distance.

Il coûte deux heures de travail.

La caravane s’efforce de parvenir, le jour tombant, à quelque lieu boisé. Pendant que le plus digne (l’évêque, s’il s’y trouve), déblaye à l’aide de sa raquette, convertie en pelle, l’espace d’une fosse de dix à* vingt pieds carrés, dans la neige profonde, les autres abattent des sapins, dont les branches vertes tapisseront la moitié de la fosse, et dont les troncs, jetés par-dessus l’autre hémicycle, serviront de bûcher. On allume. La flamme jaillit, grésillante de résine, lançant dans le noir ses longues gerbes de feu d’artifice, et faisant éclater en détonations de mitraille les arbres calcinés.

À ce foyer sauvage, on présente d’abord le poisson des chiens pour le faire dégeler. Les coursiers repus, on amollit au même feu le poisson des hommes, la viande cuite d’avance, ou le pémican. En deux minutes, la chaudière remplie de neige, et retenue par une perche, bout sur le brasier. On y jette la poignée de thé. Le thé est l’ambroisie et la panacée du Nord, le tonique rafraîchissant et reposant dont personne ne se passe. Tout manquera, mais point le thé. Si c’est l’année aux lièvres, il flottera dans la théière des matons révélateurs, que recèlera toujours la neige la mieux choisie. Mais qu’importe, depuis
Un missionnaire en costume
de voyage, l’hiver.
que l’on sait que l’ébullition stérilise tout !

Le souper est apprêté. À table, convives, sur le sapinage, à moins que, « rôtissant d’un côté et gelant de l’autre », vous ne préfériez girouetter devant le feu, le temps du repas ! Une remarque pour les nouveaux venus, s’il fait extrêmement froid : ne porter à la bouche ni couteau, ni fourchette, ni tranchant de hache. Le fer s’y collerait mieux qu’à la glu. Plusieurs perdirent, à cette imprudence, des lambeaux de leurs lèvres.

Là-dessus, une pipe, si c’est le goût ; un bon rire fraternel sur les drôles aventures de la journée ; la prière du soir en famille sous le regard des étoiles, si avivées dans la nuit bleue arctique qu’on les dirait fixées comme des yeux d’anges à la hauteur d’une échelle de Jacob, parmi les évolutions indescriptiblement animées des aurores boréales ; et, le cœur remis au Dieu qui dans « l’envers des cieux, si doucement rayonne », bonsoir à la terre ! Grand silence.

Le lit est à bon marché. Sur le sapin, une toile commune a été jetée, si l’on est riche. Les pieds vers le feu, le chef vers les parois de la fosse, chacun s’enveloppe dans sa couverture, ne laissant à son haleine que l’indispensable passage. Plus on se serrera, plus s’accumulera la chaleur. Les chiens, s’allongeant contre leur maître, seront les bienvenus ; mais ils préfèrent ordinairement s’arrondir, à l’écart, sur la neige nue… Les crépitements diminués du foyer et les hurlements rapprochés des loups occuperont le reste de la nuit.

Et les dormeurs ?

Qu’ils dorment, s’ils le peuvent. La lassitude, bonne berceuse, assoupit presque toujours. Heureux qui possède l’habileté ou l’instinct de se façonner, dans le mince sommier qui le sépare du sol glacé, un nid assez uniforme. Les maigres et les nerveux connaissent le gril de torture que ressentent les os, lorsque, les premiers instants de bien-être passés, les brindilles de sapin s’affaissent dans la neige, et que le corps ne porte plus que sur des bâtons coupants.

Cependant le dortoir de repos peut se changer en une arène d’horreur. Que la température descende sous les 45 degrés centigrades, la fumée s’écrasera sur place, étouffante. À 60, 70 degrés de froid, le feu lui-même refusera de prendre. Si le vent, à l’opposé duquel on a eu le soin de mettre le foyer, change de côté, les dormeurs seront en péril d’être brûlés. S’il neige, et c’est le moins redouté des contretemps, la brigade s’éveillera sous un ouateux et chaud linceul.


L’ennemi des campements dans les bois est le cyclone, qui saisit tout à coup la forêt, la disloque, arrache les vieux troncs à leurs racines vermoulues et les fracasse contre le sol. Mgr Clut parle ainsi de la cinquante-deuxième nuit anniversaire de sa naissance :

Le Frère Rousset, mon compagnon de voyage, voulut faire de l’extra pour le souper. Outre les mets habituels, c’est-à-dire un peu de viande de renne, il me servit du riz aux pommes. Après le souper, nous commençâmes une petite causerie que la tourmente vint bientôt interrompre. Le vent et les tourbillons de neige nous avertirent qu’il était temps de nous glisser sous nos couvertures et de nous y tenir enveloppés de notre mieux. Le vent devint si furieux que les arbres craquaient autour de nous, et menaçaient de nous écraser dans leur chute. J’eus l’idée toute la nuit que le cinquante-deuxième anniversaire de ma naissance pourrait bien être le dernier. Changer de place, il n’y avait pas à y penser par le temps qu’il faisait. Ma ressource était de me confier à mon ange gardien. Je lui adressai bien souvent la prière Angele Dei.

Aurions-nous dit vraiment ce qu’endura Mgr Clut pour l’Évangile, si nous taisions la principale, sans doute, de ses souffrances, celle de la vermine ?

La vermine habite l’Indien, de sa chevelure à ses mocassins. De lui au Blanc de son voisinage, il n’y a pour elle qu’un pas à franchir.

Mgr Clut ne pouvait revenir de la placidité d’une réponse qu’il reçut un jour du Père Roure, missionnaire des Plats-Côtés-de-Chiens, ces pouilleux sans pareils.

— Comment pouvez-vous tenir, lui disait le prélat ; ainsi mangé vif, et toujours souriant quand même, vous surtout qui êtes né et fûtes élevé dans toutes les gâteries ?

— Bah ! On s’y habitue, Monseigneur.

Lui, l’évêque d’Arindèle, fut pouilleux toute sa vie sauvage. Mais s’y habituer, il ne le put jamais.

Les maringouins de l’été faisaient déjà sa terreur, et il s’entourait partout de boucanières pour les éloigner. Mais les poux ! Les poux de l’été et les poux de l’hiver ! Son tempérament sanguin s’exaspérait à les sentir circuler sur sa personne et à les voir marcher sur autrui. Il ne comprenait pas surtout qu’on pût se régaler des grouillants parasites. Ses réflexions, à ces divers sujets, sont toujours piquantes.

Il est au fort Rae, en 1872 :


J’ai confessé pendant trois heures aujourd’hui. Mes chers pénitents et pénitentes, tout en se débarrassant de leurs péchés, se défaisaient un peu de leur vermine, que je voyais se promener sur leurs habits. Ma soutane en ramassait tant qu’il fallait pour me faire souffrir un vrai martyre. Et rien pour me changer… Pendant que nous dînions, le Père Roure et moi, le grand chef des Plats-Côtés-de-Chiens, tout à fait distingué et considéré dans la tribu, vint se pencher sur moi, pour me proposer un cas de conscience. Il voulait savoir si la manducation des poux rompait le jeûne eucharistique. Qu’eussiez-vous répondu ? Après avoir résolu le cas à ma façon, j’eus beau lui faire entendre que les Blancs n’aimaient pas à s’entretenir sur un sujet de ce genre pendant le repas, il nous tint « mordicus » là-dessus jusqu’à la fin… Assis sur mon paqueton, je faisais tout à l’heure le catéchisme. Un moment, j’aperçois une jeune fille passant la main sur sa poitrine et en retirant un gros parasite, qu’elle dépose sans gêne sur ma couverture. Je lui fais reprendre aussitôt l’insecte. Elle le porte à sa bouche pour le croquer.

Oh ! lui dis-je, ne mange pas cela devant moi ! Alors une vieille octogénaire à l’humeur enjouée me dit :

Mais pourquoi défends-tu de manger les poux ?

Parce que ces animaux sont sales et dégoûtants !

Eh, eh ! Ma fille ne pense pas comme toi, Grand Chef de la Prière. Elle en fait ses délices. Si tu savais comme c’est bon ! »


Vieilli, il s’amuse à noter l’étonnement d’un missionnaire débutant, devant ces spectacles, et il écrit, non sans songer — peut-être — à insinuer, du même coup, à bon entendeur la morale abstraite du cuique suum — à chacun ce qui lui revient — principe de la paix, dans les ménages comme dans les nations :


Le Père Ducot est arrivé de sa mission du fort Norman… Il nous raconte bien des choses dont j’ai été témoin bien souvent moi-même ; mais qui lui font plus d’impression, parce qu’il est plus nouveau dans nos pays sauvages. Il nous dit qu’étant allé instruire les Indiens dans leurs camps, ça et là, sur leurs terrains de chasse, il a été bien édifié de leur désir de s’instruire et de l’ardeur avec laquelle ils priaient. Mais dans ses visites à domicile, et couchant dans les huttes sauvages, il a eu souvent sous les yeux les habitudes peu propres des Indiens. Les loges de peaux ou de branches sont bien petites et mal commodes, et leurs habitants bien misérables. Aussi, soit pauvreté ou malpropreté, les Peaux-de-Lièvres sont couverts de vermine. Il est vrai qu’ils ne la redoutent pas et qu’elle les incommode fort peu. Ils la croquent à belles dents. Le Père Ducot a vu des enfants se disputer, se battre, pour avoir le fruit de la chasse qui se trouvait sur le peigne. Un jour il vit une femme dépouillant son mari ; mais comme elle le dépouillait à son profit, le mari réclama et fit observer à sa compagne que ce qu’elle trouvait dans ses habits et sur sa tête, et qu’elle mangeait de si bon cœur, lui appartenait à lui-même. Alors la dame, au lieu de porter les poux à sa propre bouche, les présentait avec une certaine gentillesse à celle du mari qui les dégustait.


Le prélat ajoute aussitôt :


Tous nos Indiens du vicariat avaient cette détestable habitude, lorsque nous arrivâmes, et la conservent encore plus ou moins. Cependant, grâce à la civilisation que nous tâchons de leur communiquer, grâce à nos écoles, dans quelques localités, Un grand nombre ont renoncé, ostensiblement du moins, à cette pratique.[5]

Mais Louis Veuillot disait de son « évêque pouilleux » :


Il prend la vermine comme le reste de son lourd attirail de voyage, puisqu’il n’arrivera qu’à cette condition. Cette vermine’ pourra pulluler sur sa chair ; elle ne rongera pas la joie de son âme, ni les trésors qu’il sait répandre ; il l’entretiendrait avec un soin jaloux, comme une souffrance de plus, s’il pensait que cette souffrance, ajoutée aux autres, attirera la bénédiction de Dieu sur son labeur.


La bénédiction de Dieu tomba sur le labeur de Mgr Clut, le missionnaire de peine. Sur ses lèvres, comme sur les lèvres de Mgr Grandin, Louis Veuillot aurait pu mettre :


Voilà un bon feu, nous quittons une bonne table, la soupe était excellente ; elle m’a rappelé la soupe de mon pays de Valence. Que de fois je n’ai pu me défendre de désirer une bonne soupe de mon pays ! Enfin, vous êtes chrétiens, mes amis et mes frères, et votre hospitalité m’est très douce. Toutefois, je voudrais être loin, je voudrais être là-bas, dans mon désert de glace, sous mes couvertures de neige, à jeun depuis la veille, couché entre mes chiens et mes sauvages pouilleux. C’est que je n’ignore pas à quoi ma vie de là-bas est bonne. Dans cette nuit, je porte la lumière ; dans ces glaces, je porte l’amour ; dans cette mort, je porte la vie.


Mgr Clut porta la vie, la vie surnaturelle ; et c’est à la porter qu’il usa la vie de son corps.

Le premier son de glas retentit à ses oreilles, en 1885, à la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance du fort Good-Hope.

Se relevant, il écrit :


Moi qui étais très fort, très robuste, et qui croyais que rien n’était à mon épreuve, je m’en étais peut-être trop donné, durant trente ans de ma vie de missions, de voyages très longs, très pénibles, malgré un mauvais régime alimentaire habituel. Mes forces, à la fin, m’ont manqué. Il y a eu appauvrissement de sang, puis épuisement ; enfin, un œdème dès jambes et des pieds qui vient de me tenir sept mois au lit.


La seconde attaque le terrassa, à Good-Hope encore, où il était retourné, en 1892-1893.

Mgr Grouard, devenu son supérieur, lui fit entendre qu’il devait dire adieu au Nord polaire, et lui assigna, pour résidence, la mission Saint-Bernard, du Petit Lac des Esclaves, au sud de la rivière la Paix.

Le Petit Lac des Esclaves et Mgr Clut étaient connaissances de vieille date.

Il était venu échouer sur ses bords, l’hiver 1881-1882, chassé qu’il était par la mission jeûnante du fort Dunvegan, et n’ayant pas trouvé le temps de regagner le lac Athabaska. Il se souvenait d’avoir, cet hiver-là, parcouru les 130 kilomètres de sa longueur, en compagnie du Père Husson, pour aller voir Mgr Faraud, au lac la Biche :


Nous mimes deux jours, écrivit-il alors, pour traverser le Petit Lac des Esclaves. La glace était épaisse et formait un magnifique miroir sur lequel nous glissions et tombions à chaque instant. Pour ma part, je tombai plus de soixante fois. À la fin, j’étais tout endolori, et mes pauvres coudes surtout, qui, avec les mains, se portaient en avant pour atténuer les chutes, étaient tout meurtris.


Le voilà donc au port de ses dernières années. Il se gardera bien de l’oisiveté, ce travailleur ; et, presque à l’extrémité, lorsque sa mémoire défaillante ne lui permettra plus de s’occuper directement des âmes, il défrichera, dans la forêt touffue, le vaste emplacement destiné à recevoir la belle mission Saint-Bernard d’aujourd’hui.

Au cours de ces neuf ans, il reprit même la raquette, et, sous la tutelle du Père Falher, « le voyageur de la rivière la Paix », il porta à plusieurs nouvelles chrétientés lointaines, la bénédiction du Grand Chef de la Prière et le sacrement qui fait le cœur fort.


Mgr Clut mourut, frappé d’apoplexie, le 31 juillet 1903.

Il repose, au pied d’une petite croix de bois, dans l’enclos sacré des missionnaires du Petit Lac des Esclaves, près du Père Collignon, son fils dans le sacerdoce.


Sur les restes de cet humble vaillant, si l’on voulait placer une épitaphe, l’on n’en trouverait pas de plus digne de lui, nous semble-t-il, que ces lignes, tombées de sa plume, tristement — mais si chrétiennement ! — un jour de 1871, lorsqu’au bout d’un voyage de 260 kilomètres dans les glaces, après avoir dépensé ses forces à instruire un camp de la tribu des Esclaves et à les préparer, les uns à leur première communion, tous à la confirmation, il les vit lever soudain leurs tentes et, sourds à ses prières, s’éloigner de lui, la veille même de la cérémonie, à la folle nouvelle jetée par un Indien passant, qu’à deux jours de marche de là l’on croyait avoir vu rôder un certain gibier :

« Le résultat de ce voyage semble se résumer en bien peu de chose… Mais il en est ainsi dans ces déserts dépeuplés du Nord. Nous passons une grande partie de notre temps à courir après quelques âmes, abandonnées, disséminées çà et là, et que l’hérésie cherche à nous ravir. J’espère que le bon Dieu tiendra compte aux missionnaires qui se dévouent dans ce pays, de tous leurs sacrifices, de leurs privations sans nombre et de toutes leurs peines de cœur, en présence de l’ingratitude de leurs ouailles. Notre joie et notre récompense assurément ne sont pas de ce monde. Nous les espérons dans l’autre ! »



  1. La hampe de cette crosse est encore à la mission de la Nativité, où elle sert de porte-croix aux processions et aux enterrements. La volute est conservée, avec les bulles blanches, dans le trésor du scolasticat de Marie Immaculée, à Edmonton (Alberta).

    Les détails des diverses scènes rapportées ici nous furent donnés, ou confirmés, par le R. P. Tissier, qui aida lui-même Mgr Faraud à tourner la crosse du sacre.

  2. Le Père Roure réside maintenant à la mission du fort Providence. Le Père Ladet passe sa vieillesse vigoureuse à Saint-Alben. Mgr Pascal vient de mourir, évêque de Prince-Albert. Mgr Clut recruta, plus tard, un autre évêque : Mgr Breynat, son compatriote de Valence.
  3. V. Chap. IV.
  4. Il fut découvert, dans la suite, que l’Alaska appartenait à la juridiction de Vancouver. Le Père Lecorre, rappelé par Mgr Faraud, en 1874, revint par San Francisco.

    La consolation et l’honneur, restèrent à Mgr Clut et au Père Lecorre d’avoir contribué au salut de plusieurs âmes et d’avoir été les premiers prêtres catholiques à fouler les terres et les eaux de l’Alaska.

    Le fort Youkon avait déjà reçu les visites, à peu près infructueuses, de deux missionnaires de Good-Hope : celle du Père Séguin, en 1862, et celle du Père Petitot, en 1870.

  5. Si le missionnaire ne peut encore se flatter d’échapper à la vermine, dans les visites qu’il fait aux camps sauvages, il retrouve du moins la tranquillité, avec la propreté, en rentrant chez lui. Les Indiens qui fréquentent la mission sont eux-mêmes de mieux en mieux policés.