Barzaz Breiz/1846/L’Hermine

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L’HERMINE.


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ARGUMENT.


La ballade allégorique connue sous le nom de Chanson à danser de l’Hermine, est un des plus singuliers monuments nationaux de la poésie armoricaine. Trois animaux y figurent : un loup, un taureau et une hermine. Le loup, Guillaume, poursuit Jean, le taureau ; Catherine, l’hermine, spectatrice du combat, les excite du bord de son trou, et fait des vœux pour qu’ils s’entre-tuent. Guillaume le Loup, c’est le parti français de Charles de Blois (comme on l’a vu plus haut, le nom de ce prince signifie loup en breton) ; Jean le Taureau, c’est le parti anglais de Jean de Montfort, c’est John Bull ; l’Hermine enfin, c’est le peuple breton.

J’avais recueilli la pièce de la bouche de petits enfants, qui la chantaient, en dansant, aux faubourgs de Châteauneuf-du-Faou, et je n’y attachais pas grande importance, lorsque M. le comte de Blois de la Calande, avec la sagacité qui lui est particulière, me donna l’explication qu’on vient de lire.

XXVII


L’HERMINE.


( Dialecte de Cornouaille. )


Voici les feuilles du chêne qui s’ouvrent avant celles du hêtre ; voici le loup qui guette le taureau.

— Oh çà, kiss ! kiss ! oh çà, kiss ! kiss ! —

Voici le loup qui guette le taureau : sur dix hommes il en mourra neuf.

Jean le Taureau et Guillaume le Loup sont deux terribles ennemis, sur ma foi ! Voilà Guillot qui guette, du rivage,

— Oh çà, kiss ! kiss ! Oh çà, kiss ! kiss !

Qui guette Jeannot arrivant à la nage.

— Si c’est de la chair fraîche de taureau que vous cherchez ; aujourd’hui vous n’en aurez pas : des cornes longues et aiguës,

— Oh çà, kiss! kiss !

Pour vous éventrer, si vous voulez.

Catherinette la fine, l’Hermine, riait le nez hors de son petit trou :

— Voyez avec quelle grâce

— Oh çà, kiss ! kiss !

Guillaume fait la cabriole !

Guillaume fait la cabriole, le pauvret ! sur la pointe de cornes dures : et moi qui croyais que tes dents...

— Oh çà, kiss ! kiss !

Que tes dents valaient mieux que ses cornes. —

Jeannot monte, Jeannot descend :

— Courage donc ! allons, Guillaume, cours après ! tu l’atteindras sans peine :

— Oh çà, kiss ! kiss !

Il est épuisé, il boite, et tu es si leste !

— Oh oui, je l’ai bien épuisé ; je vais le mettre à la raison.

— Ao ! ao ! Jean l’Anglais ; gare !

— Oh çà, kiss ! kiss !

Le grand diable est à tes trousses ! —

Dans tous les prés où ils ont passé, ils ont brûlé l’herbe ; dans tous les champs qu’ils ont traversés,

— Oh çà, kiss ! kiss !

Ne grainera ni avoine ni blé.

Il ne bourgeonnera aucun arbre dans les vergers ; les (yeux des) fleurs sont éraillés, comme si la pluie les avait frappés ; ah ! je souhaiterais de tout mon cœur,

— Oh çà, kiss ! kiss ! oh çà, kiss ! kiss !

Ah ! je souhaiterais de tout mon cœur qu’ils s’étranglassent l’un l’autre.


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Dans une légende que nous citons plus loin, le sentiment national du peuple, victime des querelles des grands, se révèle sous une forme moins satirique et plus chrétienne.

Un pauvre paysan qui se cache est découvert par une troupe de soldats étrangers. — De quel parti es-tu ? lui demandent-ils d’un air menaçant ; es-tu Blois ou Montfort ?

— Je ne suis ni Blois ni Montfort, répond simplement le pauvre homme, je suis serviteur de madame Marie. Vive Marie ! —

Cette altitude du peuple breton se tenant a l’écart, et ne prenant plus activement parti ni pour l’Anglais ni pour le Français, mais contre tous deux à la fois, prouve que, désabusé par l’expérience d’une guerre de vingt-trois ans, dont il paya les frais de son sang et de sa fortune, il ne lui restait plus que la force de maudire ou de prier. Un sentiment pareil dut naître à la fin de la guerre. C’est ce qui nous porte à faire remonter la date du chant populaire vers l’année 1363, où tout le monde demandait la paix :


De la paix très-grand mestier (besoin)
Avoit le peuple, sans nul doute ;
Car pauvres gens chacun déboute
En temps de guerre, chacun le sait.
Pour ce la paix on désirait[1].




Mélodie originale



  1. Chronique de Guillaume de Saint-André, édit. de M. Charrière, p. 529.