Bibliothèque historique et militaire/Histoire générale/Livre XXI

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Histoire générale
Traduction par Vincent Thuillier.
Texte établi par Jean-Baptiste Sauvan, François Charles LiskenneAsselin (Volume 2p. 865-873).
FRAGMENS
DU

LIVRE VINGT-UNIÈME.


I.


Fêtes chez les Romains après une victoire. — Réponse du sénat aux ambassadeurs étoliens.


À Rome, dès qu’on eut appris la victoire qui avait été remportée sur mer, on ordonna au peuple une fête de neuf jours, c’est-à-dire qu’il y eut ordre de ne pas travailler et d’offrir aux dieux des sacrifices en reconnaissance de l’heureux succès qu’ils avaient accordé aux armes des Romains. Ensuite on écouta les ambassadeurs des Étoliens et ceux de Manius. Après les avoir entendus, le sénat proposa aux Étoliens cette alternative, ou qu’ils remissent sans restriction tout ce qui les concernait en la disposition des Romains, ou qu’ils payassent sans délai mille talens, et qu’ils eussent les mêmes amis et les mêmes ennemis qu’avaient les Romains. Les Étoliens prièrent qu’il leur fût expliqué quelles choses on voulait qu’ils remissent en la disposition des Romains ; mais le sénat ne voulut point entendre à cette distinction, et on resta en guerre avec eux. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Ambassade des Athéniens auprès des Romains pour les Étoliens. — Embarras où les propositions des Romains jettent les Étoliens.


Pendant que le consul Manius faisait le siége d’Amphise, les Athéniens, informés de l’extrémité où se trouvait cette place, et que Publius Scipion venait d’y arriver, députèrent Échedème au camp des assiégeans, avec ordre de saluer de leur part les deux Scipions, Lucius et Publius, et de les engager, si cela se pouvait, à ne plus faire la guerre aux Étoliens. Publius, prévoyant que cet ambassadeur lui serait utile dans la suite, le reçut avec beaucoup de politesse et de bonté. Son dessein était de conduire les affaires des Étoliens à un accommodement, ou, s’ils refusaient d’y entrer, de ne point s’arrêter là et de passer en Asie ; car il sentait bien que pour terminer cette guerre et venir glorieusement à bout de cette expédition, le seul moyen était, non de subjuguer les Étoliens, mais de vaincre Antiochus et de se rendre maître de l’Asie. Il écouta donc volontiers ce que lui dit l’ambassadeur sur la paix, et il lui ordonna d’aller sonder les Étoliens sur le même sujet. Échedème part, arrive à Hypate et confère avec les magistrats d’Étolie. On l’entend avec plaisir parler de paix, et l’on nomme des ambassadeurs avec lesquels il revient trouver Publius, qui était campé à huit stades d’Amphise. Après un long détail qu’ils lui firent des services que les Romains avaient tirés des Étoliens, Publius, à son tour, leur parlant avec beaucoup de douceur et d’amitié, raconta ce qu’il avait fait en Espagne et en Afrique, et de quelle manière il s’était conduit à l’égard de ceux qui l’avaient fait maître de leur sort, et enfin il leur déclara qu’il fallait qu’ils se soumissent aussi et qu’ils s’abandonnassent aux Romains. D’abord ces ambassadeurs espéraient que la paix allait se conclure ; mais, quand ils se furent informés des conditions, et qu’on leur eut dit qu’ils n’obtiendraient la paix qu’en se remettant sans restriction à tout ce qu’il plairait aux Romains, ou qu’en payant sans délai mille talens, et qu’en aimant ou haïssant ceux que Rome aimait où haïssait ; ils furent indignés d’entendre un langage si peu conforme au premier qu’on leur avait tenu. Ils dirent cependant qu’ils communiqueraient ces ordres aux Étoliens, et prirent congé. Échedème reparle aux magistrats étoliens ; on remet l’affaire en délibération. Comme la première des conditions était impraticable, et que la somme immense que l’on demandait était au-delà de leur pouvoir, et que la seconde les effrayait, parce qu’après s’y être autrefois soumis ils avaient pensé être jetés dans les fers, inquiets et embarrassés sur le parti qu’ils avaient à prendre, ils renvoyèrent les ambassadeurs pour prier ou qu’on diminuât la somme, afin qu’on pût l’acquitter, ou que les magistrats et les femmes ne fussent pas comptés parmi ceux que les Romains avaient en leur disposition. Avec ces instructions ils reviennent à Publius ; mais Lucius leur dit qu’il n’avait pouvoir de traiter de paix avec eux qu’aux conditions qu’il leur avait marquées. Ils retournent à Hypate ; Échedème les accompagne ; nouvelle délibération. Il leur conseille, puisque la paix ne pouvait actuellement se faire, de demander une trève pour respirer un peu de l’accablement où ils étaient, et d’envoyer des ambassadeurs au sénat, ajoutant que peut-être il serait plus indulgent à leur égard, ou s’il les ménageait aussi peu, qu’ils épieraient l’occasion que le temps leur présenterait de se délivrer des maux qu’ils souffraient ; que leur état ne pouvait devenir pire qu’il était, mais que, pour bien des raisons, il avait lieu d’espérer qu’il deviendrait meilleur. On trouva cet avis très-judicieux, et l’on députa encore à Lucius pour en obtenir six mois de trève, pendant lesquels on enverrait une ambassade au sénat. Publius, qui brûlait depuis long-temps d’aller en Asie, persuada bientôt à son frère de leur accorder cette grâce. Les conventions rédigées par écrit, Manius lève le siége, remet toutes ses troupes à Lucius, et prend, avec les tribuns, la route de Rome. (Ambassades.) Dom Thuillier.


II.


Les Phocéens, fatigués d’être si long-temps les hôtes des Romains restés chez eux avec leurs navires, et, supportant impatiemment les tributs qu’on leur imposait, se divisent en différens partis. (Suidas in Ἐπισταθμ.) Schweigh.


Ambassade des Phocéens auprès d’Antiochus.


Séleucus campait sur les frontières de la Phocide, lorsque les magistrats de cette contrée, craignant que la disette où l’on était ne soulevât la multitude et que les partisans d’Antiochus ne loi inspirassent leurs sentimens, envoyèrent à ce prince des ambassadeurs, pour le prier de ne pas approcher de Phocée, parce que leur résolution était de rester tranquilles, et d’attendre quel serait le succès de la guerre, qu’alors ils se soumettraient à tout ce qui leur serait ordonné. Entre ces ambassadeurs, Aristarque, Cassandre et Rhodon étaient portés pour Séleucus ; Hégias et Gélias penchaient pour Antiochus. Le roi reçut les trois premiers poliment et leur fit beaucoup de caresses, et n’eut que très-peu d’égards pour les autres. Informé des dispositions du peuple et de la famine qu’il souffrait, sans entendre les ambassadeurs, sans leur donner aucune réponse, il se mit en marche et s’avança vers la ville. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Pausistrate commandant de la flotte rhodienne.


Pausistrate, commandant de la flotte des Rhodiens, se servit d’une machine propre à lancer du feu. Des deux côtés de la proue, à l’intérieur du bâtiment, sur la partie supérieure, deux ancres étaient placées l’une près de l’autre et fixées par des coins, de manière que leurs extrémités s’avançaient assez loin sur la mer ; de la tête de ces coins pendait, à l’aide d’une chaîne de fer, un vase portant une grande quantité de feu ; de telle sorte qu’à chaque fois qu’approchait, soit vis-à-vis, soit sur les côtés, un vaisseau ennemi, on secouait sur lui ce feu qui ne pouvait endommager le bâtiment sur lequel il était placé, attendu que par l’inclinaison de la machine il s’en trouvait fort éloigné. (Suidas in Πυρφόρος.) Schweigh.


Pamphilidas.


Pamphilidas, commandant de la flotte rhodienne, paraissait plus habile que son collègue Pausistrate à profiter de toutes les circonstances favorables. Il avait naturellement l’esprit pénétrant et profond, et s’il était moins hardi à entreprendre, il était plus constant dans ses entreprises. Cependant, comme la plupart des hommes jugent des choses non par principe et par raison, mais par les evénemens, parce que Pausistrate faisait paraître plus d’activité et de hardiesse, les Rhodiens l’avaient préféré ; mais l’accident qui leur arriva leur fit bientôt changer de sentiment. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Lettres du consul Lucius.


Séleucus et Eumène reçurent à Samos des lettres de la part de Lucius, consul, et de Publius Scipion, par lesquelles on leur apprenait que la trève demandée par les Étoliens leur avait été accordée, et que l’armée romaine marchait vers l’Hellespont. Les Étoliens mandèrent les mêmes nouvelles à Antiochus et à Séleucus. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Traité d’alliance entre Eumène et les Achéens.


Dans la Grèce, Eumène ayant député aux Achéens pour les engager à s’unir avec lui, il se fit une assemblée dans l’Achaïe, où l’on conclut et ratifia cette alliance, et les Achéens fournirent au roi mille hommes de pied et cent chevaux, et ils désignèrent pour chef Diophanes de Mégalopolis. (Ibid.)


Diophanes.


Diophanes le Mégalopolitain avait porté les armes sous Philopœmen pendant toute la longue guerre qu’avait faite Nabis, tyran de Lacédémone, dans le voisinage de Mégalopolis, et il s’était rendu fort habile dans le métier de la guerre. Il avait, outre cela, la mine haute et avantageuse, le corps robuste et redoutable, et ce que l’on estime principalement dans un homme de guerre, il était brave et entendait avec perfection le maniement des armes. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Eumène assiégé dans Pergame détourne les Romains d’accepter la paix proposée par Antiochus.


Antiochus s’étant répandu dans la campagne de Pergame, y apprit qu’Eumène arrivait. Dans la crainte que toutes les troupes de terre et de mer ne fondissent sur lui, pour éviter cet inconvénient, il résolut de proposer la paix aux Romains, à Eumène et aux Rhodiens. Il leva donc le camp et s’en alla à Élée. Vis-à-vis la place s’élevait une hauteur ; il y posta son infanterie. La cavalerie, au nombre de plus de six mille chevaux, il la fit camper dans la plaine, sous les murailles de la ville. Il prit son quartier entre l’une et l’autre, et de là, il députa à Lucius, qui était dans la place, pour traiter de la paix. Aussitôt le général romain assemble Eumène et les Rhodiens, et demande leur avis. Eudème et Pamphilidas n’étaient point éloignés de la paix ; mais Eumène dit qu’il n’était ni décent, ni possible de la faire actuellement, « Car, dit-il, où est la décence de faire des conventions quand on est enfermé de murailles ? Cela n’est pas non plus possible, puisque le consul n’est pas ici, et que sans son autorité nos conventions seraient sans force et ne pourraient subsister. Et d’ailleurs, quand du côté d’Antiochus il y aurait quelque apparence de paix, il ne nous serait pas permis, avant que le peuple et le sénat romain eussent ratifié notre traité, de nous retirer avec nos troupes tant de mer que de terre. Il ne nous reste donc qu’une chose à faire, qui est, en attendant leur décision, de nous mettre dans ce pays-ci en quartier d’hiver, de ne rien entreprendre les uns sur les autres, et de consumer les vivres et munitions que nous trouverons chez nos alliés. En cas qu’il ne plaise pas au sénat de finir la guerre, nous la recommencerons tout de nouveau, et avec l’aide des dieux nous sommes en état de la terminer. » Ainsi parla Eumène, et, sur cet avis, Lucius fit réponse aux ambassadeurs d’Antiochus, qu’avant l’arrivée du proconsul la paix ne pouvait se faire. Antiochus n’eut pas reçu cette réponse, qu’aussitôt il porta le dégât dans la campagne d’Élée, et, laissant Séleucus dans le pays, s’avança jusque dans la plaine de Thèbes, plaine fertile et abondante en toutes sortes de biens, et ses troupes s’y gorgèrent de butin. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Antiochus et les Romains attirent Prusias dans leur alliance.


Après l’expédition que nous venons de raconter, Antiochus, arrivé à Sardes, députait coup sur coup à Prusias pour l’exhorter à faire alliance avec lui. Jusqu’alors Prusias, qui craignait que les Romains ne passassent en Asie et n’en soumissent toutes les puissances à leur domination, avait assez de penchant à s’unir avec Antiochus ; mais une lettre qu’il reçut des deux Scipions, Lucius et Publius, fixa ses incertitudes et lui ouvrit les yeux sur les suites de ce qu’Antiochus entreprenait contre les Romains ; car Publius s’était servi des raisons les plus fortes et les plus capables de le persuader et de le tirer de l’erreur où il était. Pour lui montrer que ni lui, ni la république n’avaient en vue de le dépouiller de ce qui lui appartenait, il lui faisait voir que les Romains, loin de chasser du trône les rois qui l’occupaient légitimement, avaient eux-mêmes fait des rois et augmenté beaucoup la puissance de quelques autres ; témoin dans l’Espagne, Indibilis et Colchas ; dans l’Afrique, Massinissa ; et dans l’Illyrie, Pleurate, qui tous, de petits dynastes, devenus rois par le secours des Romains, étaient maintenant reconnus pour tels. Qu’il jetât encore les yeux sur Philippe et Nabis ; quoique les Romains eussent vaincu le premier et l’eussent obligé à donner des ôtages et à payer un tribut, après avoir reçu quelques marques très-légères de son amitié, ils lui avaient rendu son fils et les autres jeunes seigneurs qui étaient à Rome en ôtage avec lui, l’avaient déchargé du tribut qui lui avait été imposé, et avaient ajouté à son royaume plusieurs villes qui avaient été prises pendant la guerre ; qu’à l’égard de Nabis, bien qu’ils fussent en droit de le perdre entièrement, ils l’avaient cependant épargné, quoique ce fût un tyran, et s’étaient contentés d’en tirer les assurances ordinaires ; qu’il cessât donc de craindre pour son royaume ; qu’il prît avec confiance les intérêts des Romains, et que jamais il n’aurait lieu de se repentir de les avoir pris. Cette lettre fit une telle impression sur l’esprit de Prusias, qu’aussitôt qu’il eut parlé aux ambassadeurs qui lui étaient venus de la part de C. Livius, il renonça à toutes les espérances dont le roi de Syrie, pour le gagner, l’avait jusqu’alors flatté. Antiochus, ne voyant plus de ressource de ce côté-là, prit la route d’Éphèse, et, jugeant que le seul moyen qui lui restait pour arrêter les Romains et empêcher la guerre en Asie, était de se rendre puissant et redoutable sur mer, il résolut de décider les affaires par un combat naval. (Ibid.)


Après le passage des Romains en Asie, Antiochus épouvanté envoie des ambassadeurs pour demander la paix. Instructions qu’il leur donne pour le conseil et pour Publius Scipion en particulier.


Antiochus, après sa défaite sur mer, s’arrêtait autour de Sardes, et délibérait lentement sur ce qu’il devait entreprendre, lorsque la nouvelle lui vint que les Romains étaient passés en Asie. Alors, consterné et ne voyant plus rien à espérer, il députa Héraclide de Byzance aux deux Scipions pour demander la paix, à la condition qu’il se retirerait de Lampsaque, de Smyrne et d’Alexandrie, les trois villes qui avaient donné occasion à la guerre ; qu’il sortirait aussi de celles d’Éolie et d’Ionie qui dans l’affaire présente s’étaient jointes aux Romains ; qu’il les dédommagerait de la moitié des frais qu’ils avaient faits pour cette guerre. Telles étaient les instructions d’Héraclide pour le conseil ; il en avait d’autres pour Publius que nous rapporterons bientôt. Cet ambassadeur arrive à l’Hellespont et y trouve les ennemis campés à l’endroit même où ils avaient assis leur camp après avoir traversé le détroit. D’abord cela lui fit plaisir, car il se flattait que c’était une disposition favorable pour la paix, que les ennemis n’eussent encore rien tenté dans l’Asie. Mais, quand il apprit que Publius était resté au-delà de la mer, il fut déconcerté, parce qu’il comptait que ce Romain lui serait d’un grand secours dans cette négociation. La raison pour laquelle Publius était demeuré dans le premier camp, c’est qu’il était Salien, c’est-à-dire, comme nous l’avons expliqué dans notre traité du gouvernement, membre d’un des trois colléges qui à Rome ont le soin des principaux sacrifices qui s’offrent aux dieux, et qui, en quelque endroit qu’ils se trouvent, quand la fête arrive, sont obligés d’y rester pendant trente jours. Or, comme l’armée devait traverser dans ce temps-là même, Publius ne l’avait pas suivie et était resté en Europe. C’est aussi pour cette même raison que l’armée s’arrêtait près de l’Hellespont en attendant que Publius l’eût jointe. Il arriva peu de jours après, et Héraclide fut appelé au conseil, où, après avoir fait connaître les conditions auxquelles Antiochus se soumettait pour avoir la paix, il exhorta les Romains à ne pas oublier qu’ils étaient hommes, à se défier de la fortune, à ne pas ambitionner une puissance sans bornes, et à la contenir du moins dans l’étendue de l’Europe. Il ajouta que leur domination, quoique renfermée dans cette partie du monde, ne laisserait pas que de paraître incroyable, puisque jamais personne ne s’en était acquis une pareille. Que, si, peu satisfaits du nombre de villes que leur abandonnait Antiochus, ils voulaient encore lui retrancher quelque chose de ce qu’il possédait en Asie, ils déclarassent ce qu’ils souhaitaient, que le roi était prêt à faire pour la paix tout ce qu’on lui prescrirait de possible.

Quand il eut fini, l’avis du conseil fut que le général romain répondrait à l’ambassadeur, qu’on demandait d’Antiochus qu’il indemnisât non-seulement de la moitié, mais de tous les frais de la guerre, puisque c’était lui-même, et non les Romains, qui avait pris le premier les armes, et qu’en laissant en liberté les villes d’Éolie et d’Ionie, il se retirât encore de tout le pays qui était en deçà du mont Taurus. Héraclide n’eut aucun égard pour des propositions qui excédaient si fort les ordres dont il était chargé, et ne se présenta plus au conseil ; mais il faisait assidûment la cour à Publius. Un jour, entre autres, qu’il pouvait lui parler confidentiellement, il lui dit que si par son moyen la paix pouvait s’obtenir, premièrement son fils, qui, dès le commencement de la guerre, avait été fait prisonnier, lui serait rendu sans rançon ; en second lieu, il n’avait qu’à dire quelle somme d’argent il souhaitait, qu’Antiochus était prêt à la lui donner, quelle qu’elle fût ; et qu’enfin ce prince partagerait avec lui les revenus de son royaume. De toutes ces offres, Publius n’accepta que celle qui regardait son fils, et dit qu’il serait obligé à Antiochus si sur ce point il tenait parole ; mais qu’à l’égard des autres, aussi bien celles qu’il avait faites dans le conseil que celles qu’il venait de lui faire en particulier, il entendait tout-à-fait mal ses intérêts ; que peut-être les propositions d’Antiochus eussent été écoutées, s’il les eût envoyées pendant qu’il était à Lysimachie et maître de l’entrée de la Chersonèse ; ou encore si, après avoir quitté ces deux postes, il eût paru à la tête d’une armée sur les bords de l’Hellespont pour empêcher que les Romains ne passassent dans l’Asie. « Mais à présent, dit-il, que nos troupes y sont campées, sans qu’il s’y soit opposé ; à présent que nous avons mis un frein à son ambition, et que nous sommes ses maîtres, il ne lui est pas permis de traiter avec nous à des conditions égales, et il juste que ses propositions soient rejetées. » Il ajouta qu’il eût à prendre de plus sages mesures, et qu’il fît sérieusement attention à l’extrémité où il était réduit ; que pour lui témoigner combien il était reconnaissant de l’offre qu’il lui avait faite de lui rendre son fils, il l’exhortait à céder sur tout ce que les Romains exigeraient de lui et à ne les attaquer en nulle manière. Héraclide s’en retourna vers Antiochus, qui, ayant entendu la réponse des Romains, ne pensa plus à la paix. S’il devait être pris les armes à la main, il n’avait rien à craindre de plus triste que ce qu’on lui ordonnait : il donna donc tous ses soins à se préparer à une nouvelle bataille. (Ambassades.) Dom Thuillier.


III.


Paix entre Antiochus et les Romains, et à quelles conditions.


Les Romains ayant gagné la victoire contre Antiochus, et pris Sardes avec quelques citadelles, Musée, en qualité de héraut, vint les trouver de la part de ce prince. Reçu gracieusement par Publius, il dit que le roi, son maître, voulait leur envoyer des ambassadeurs pour traiter avec eux, et qu’il venait pour lui demander un sauf-conduit, qu’on lui accorda. Quelques jours après, ces ambassadeurs arrivèrent ; c’était Zeuxis, autrefois satrape de la Lydie, et Antipater, son neveu. Le premier avec qui ils tâchèrent d’abord de s’aboucher était Eumène ; ils craignaient que les anciens démêlés qu’il avait eus avec Antiochus ne le portassent à indisposer le conseil contre eux. Mais, contre leur attente, ils le trouvèrent doux et modéré ; ainsi ils ne pensèrent plus qu’à la conférence. Appelés au conseil, entre autres choses sur lesquelles ils s’étendirent beaucoup, ils exhortèrent les Romains à profiter de leurs avantages avec sagesse et avec modération ; ils dirent que ces vertus n’existaient pas dans Antiochus, mais qu’elles devaient être précieuses aux Romains que la fortune avait faits les maîtres de l’univers. Ensuite ils demandèrent ce qu’il fallait que ce prince fit pour la paix et pour être ami des Romains. Après quelque délibération, Publius, par ordre du conseil, répondit que les Romains victorieux n’imposeraient pas des lois plus dures qu’avant la victoire ; qu’ainsi les conditions seraient les mêmes qui leur avaient été marquées, lorsqu’avant le combat ils étaient venus sur le bord de l’Hellespont ; savoir : qu’Antiochus se retirerait de l’Europe, et, dans l’Asie, de tout le pays qui est en deçà du mont Taurus ; qu’il donnerait aux Romains quinze mille talens euboïques pour les frais qu’ils avaient faits dans cette guerre : cinq cents actuellement, deux mille cinq cents lorsque le peuple romain aurait ratifié le traité, et le reste en douze mille talens chaque année ; qu’il payerait à Eumène les quatre cents talens qu’il lui devait et ce qui restait de vivres, ainsi que portait le traité fait avec son père ; qu’il livrerait aux Romains Annibal de Carthage, Théas Étolien, Mnasiloque d’Acarnanie, Philon et Eubulide de Chalcis, et que, pour assurances, il donnerait à présent vingt ôtages dont on lui marquerait le nom par écrit. Telle fut la réponse que fit Publius Scipion au nom du conseil, et les conditions furent acceptées par Zeuxis et par Antipater. On résolut ensuite unanimement de députer à Rome pour engager le peuple et le sénat à confirmer le traité, et l’on se sépara. Les troupes furent distribuées en quartiers d’hiver, et quelques jours après les ôtages étant arrivés à Éphèse, Eumène, les deux Scipions, les Rhodiens, les Smyrniens, presque tous les peuples d’en deçà du mont Taurus se disposèrent à envoyer incessamment leurs ambassadeurs à Rome. (Ambassades.) Dom Thuillier.


IV.


Les Lacédémoniens délibèrent pour savoir lequel de leurs concitoyens ils enverront dans cette circonstance à Philopœmen ; et bien que le plus souvent on paye pour obtenir ces sortes de missions agréables, parce qu’elles offrent l’occasion de faire des amis et des alliés, cependant on ne pouvait trouver personne qui voulût se charger de porter la nouvelle de cette faveur des Lacédémoniens. Enfin, forcés par la pénurie d’hommes, ils portèrent leurs suffrages sur Timolaüs, l’hôte et l’ami de Philopœmen. Timolaüs vint donc deux fois à Mégalopolis, mais sans oser communiquer à Philopœmen le sujet de sa démarche ; jusqu’à ce que se faisant en quelque sorte violence à lui-même, il y retourna une troisième fois, et lui avoua en confidence le présent qu’il venait lui offrir. Philopœmen l’ayant accueilli beaucoup mieux qu’il ne l’espérait, Timolaüs en devint si joyeux, qu’il s’imagina avoir atteint le but de son voyage. Toutefois Philopœmen lui déclara qu’il se rendrait sous peu de jours à Lacédémone, et qu’il y viendrait remercier en personne les principaux citoyens de l’honneur qu’on lui faisait. Il partit en effet, parut dans le sénat, et dit que, bien qu’accoutumé depuis long-temps à la bienveillance des Lacédémoniens, il ne pouvait s’empêcher de la remarquer encore, en voyant la couronne qui lui était offerte et les honneurs insignes qu’on voulait lui rendre. Que, cependant, un sentiment de pudeur ne lui permettait pas de recevoir de leurs mains un tel présent ; que ce n’était point à ses amis qu’il fallait offrir de pareils honneurs et des couronnes, car, en les acceptant, ils ne pourraient jamais échapper à l’envie ; mais qu’il valait mieux les donner à des ennemis. Les amis restés libres de leur âme et de leur langage pouvaient alors obtenir du crédit auprès des Achéens, chaque fois qu’ils demanderaient qu’on portât des secours à Sparte ; tandis que les ennemis, après s’être laissé prendre à cet appât, ou se trouveraient forcés de marcher d’accord avec les Lacédémoniens, ou du moins seraient réduits au silence et à l’impuissance de leur nuire. (Angelo Mai, Jacobus Geel, etc.)


V.


Il n’est pas indifférent, et il devient, au contraire, fort intéressant de savoir si on connaît les choses par ouï-dire, ou pour les avoir vues. Chacun doit donc désirer parvenir à la connaissance certaine des événemens auxquels il a concouru.

L’honnête et l’utile vont rarement d’accord, et il est bien peu d’hommes qui puissent concilier ces deux avantages, et les faire marcher de front. On ne peut nier, en effet, que l’honnêteté ne soit souvent contraire à l’utilité présente, et réciproquement que l’utilité ne devienne aussi contraire à l’honnêteté. Néanmoins, dans cette circonstance, Philopœmen, qui cherchait à les réunir, parvint à l’objet de ses vœux. Il était, en effet, honorable de faire rentrer à Sparte les prisonniers exilés, et il était utile aux Lacédémoniens de cette ville avec humilité..... sage et ornée de toutes les vertus militaires..... pour traiter l’affaire d’Ariarathe..... revenu de Thrace..... obtenir du roi..... miséricorde et pardon..... qui était doué d’une grande âme..... il était préférable de voir les traités violés par les autres, que de donner les premiers l’exemple du parjure. Il valait mieux souffrir un dommage que de le faire supporter..... (Ibid.)


VI.


..... Philippe avait reçu beaucoup d’offenses des Athéniens, et cependant, après la victoire de Chéronée, il ne voulut pas abuser de l’occasion pour se venger de ses ennemis. Ce prince ordonna, au contraire, qu’on ensevelit les Athéniens restés sur le champ de bataille, et renvoya sans rançon les captifs, leur faisant même don des vêtemens qui leur étaient nécessaires. Ceux-ci sont bien loin d’imiter cette générosité, et semblent plutôt rivaliser de fureur et de cruauté envers ceux auxquels ils font la même guerre.

Quant à Ptolémée, il ordonna qu’on fît attacher ces hommes nus à des chars pour être ainsi traînés, et qu’on les massacrât après de telles tortures. (Angelo Mai, Jacobus Geel, ubi suprà.)