Claude Paysan/007

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La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 34-37).


VII


Un drôle de petit bruit aux vitres ; comme un crépitement, comme un pétillement… avec ce vent qui souffle dans la cheminée.

Claude était assis les jambes allongées devant l’âtre où il voyait distraitement grésiller la résine des écorces qui flambaient, et la vieille Julienne lavait, essuyait, bien net et bien luisant, les fleurs bleues très anciennes des assiettes du maigre souper.

Une rafale plus forte fit davantage crépiter les vitres…

— La neige… la neige… fit tout à coup la mère d’un ton triste.

C’est une chose bien banale la neige dans nos pays du nord. Chacun sait bien ça qu’aux premiers soleils d’hiver elle reviendra tout blanchir, recouvrir encore les coteaux, les arbres, les toits, comme l’an passé… comme tous les ans écoulés et enfuis dans les siècles éteints. Mais cette fois, elle recouvrirait quelque chose de plus.

Ils y avaient songé tout de suite eux, Claude et Julienne, à ce quelque chose qui était une tombe dans le cimetière et qui renfermait le cadavre du vieux Claude qui ne devait plus sourire maintenant. C’était si froid là-bas, sous la neige, quand il aurait été si bien à côté de son fils, assis devant l’âtre lui aussi.

Et la pauvre mère, sans parler, se hâtait, empilait les plats, les serrait pour s’en aller, à genoux au pied de son lit, faire une fervente et chaude prière, si chaude qu’il lui semblait qu’elle irait le réchauffer sous son sol glacé, sous les sapins morts.

…Puis toujours le même pétillement de grésil dans les fenêtres.

Elle était d’une tristesse plus morne, infiniment désespérante, l’humble chaumière des Drioux sous ce commencement, de neige qui s’entassait aux portes et l’ensevelissait peu à peu. Elle n’était pourtant déjà pas gaie, même sous les plus éblouissants rayons d’été, même quand, au lieu de la neige, c’étaient les feuilles des cerisiers, les longues plantes poussées tout près, qui en caressaient les vitres.

Et maintenant que tout était disparu, les feuilles, les fleurs, les tendresses du père Claude, le sourire de Fernande, le vent et le grésil venaient seuls susurrer leur musique grêle.

Comme elle était bâtie sur un renflement de la côte elle paraissait suffisamment large et haute ; mais, en y entrant, elle devenait petite, basse. Les épaisses solives profondément fendillées, qui semblaient attirer le plafond plutôt que le soutenir, prenaient trop d’espace et il fallait un certain temps pour y habituer ses poumons à respirer à l’aise. Mais ça venait vite, tant tout était propre, bien frotté, sentait bon.

Dans un coin on voyait, sur les rideaux suspendus au plafond par une tringle en fer, se dessiner en ombre la forme d’un lit, ses deux oreillers superposés. Un peu à droite, près d’une table sous la fenêtre, il y avait une huche. À gauche, une longue armoire brune était appuyée aux murs ; elle s’ouvrait par deux portes parallèles en deux compartiments semblables ; l’un contenait la maigre lingerie de la maison, les couvertures, les serviettes, l’autre la vaisselle. Et quand quelqu’un marchait lourdement, on entendait les assiettes et les plats qui dansaient avec leurs cliquetis particuliers.

Sur l’autre côté du logis dont il occupait tout le pan, il y avait encore un immense meuble noir et fruste, sans porte, sans tiroir, étendu le long du mur comme une boîte couchée.

Pendant le jour ce pouvait être un banc, car on s’asseyait dessus tout naturellement ; le soir, ça se disloquait, ça s’entre-bâillait sur le flanc comme une huître et ça devenait un lit.

Enfants, les poings sur les yeux, ils avaient tous dormi là-dedans leurs premiers rêves, les petits Drioux. Maintenant, que Claude grandi avait hérité de la chambre d’honneur sous le toit, ce meuble ne s’ouvrait plus.

Tout autour du logis, suspendus avec ordre, c’étaient des herbes sèches en paquets, un costume de travail à Claude, une capeline à sa mère, des ustensiles de cuisine à côté de l’armoire, un portrait jauni de Papineau, une vieille croix sans Christ, puis une image ancienne de Pie IX.

C’était là la maison de Claude et de mère Julienne.

… Comme la neige crépitait toujours, chuchottant toutes ses tristesses glacées, un silence pénible qu’ils ne savaient pas comment rompre, s’appesantissait sans cesse davantage sur eux. Claude feignait de ne point voir la contention évidente et voisine des larmes qui était prête à se trahir chez sa mère, et il n’osait point parler, n’étant pas très sûr lui non plus de la fermeté de sa voix…

Oh ! s’il avait pu faire du bruit, étouffer ce grésillement continuel. Mais comme c’était impossible il s’occupait tout doucement à caresser de la main son fidèle Gardien. Il avait senti cela, sans doute lui, le bon chien, que le chagrin seul veillait au foyer, car il avait appuyé sa tête sur la jambe de Claude, fixé sur lui ses bons yeux demi-clos comme dans une manière de vouloir pleurer ensemble.

… À la fin quelque chose comme un frisson les agita… Il faisait froid. Plus que quelques tisons dans l’âtre… Alors ils reconnurent que c’était l’heure du sommeil.

Quand Claude eut atteint l’escalier, le pied levé pour monter à sa chambre, certain que sa voix ne se briserait pas :

— Bon soir, vieille mère…

Il n’attendit point la réponse à cause de la peur qu’il avait d’entendre un sanglot en retour. Et ayant rapidement escaladé les marches, il jeta un coup d’œil sur ses blanches fleurs, puis il s’étendit sur son lit.

Comme il faisait froid sous le toit, que le vent soufflait encore, que la neige crépitait toujours, il ne renvoya point son chien qui était doucement venu se coucher sur ses pieds, les réchauffant de son corps et de son haleine tiède.