Claude Paysan/036

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La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 160-161).


XXXVI


Dans les premiers jours de mai…

Par un temps de gazouillement général, de ciel pur, de gai soleil.

Claude se croyait maître de l’univers ; un bonheur débordant et fou qu’il ne pouvait contenir en lui l’étouffait ; jamais il n’avait éprouvé d’émotion semblable. Et, seul dans son champ en travaillant à ses semailles, il laissait son esprit s’égarer dans mille projets, mille rêves qu’il n’avait jamais conçus auparavant.

Il est vrai qu’il faisait très beau, mais pourtant non, il n’y avait pas encore assez de soleil dans le firmament bleu ni assez de parfums dans l’air pour l’enivrer à ce point… Oh ! l’oubli, le détachement qu’il s’était imaginé ressentir pendant l’hiver à l’égard de Fernande, c’est à ce moment-là qu’on pouvait en calculer le degré avec justesse…

Car, au fond, cet enivrement lui venait d’une autre cause, d’une petite cause de rien du tout maintenant, n’est-ce pas : un furtif regard machinalement jeté aux portes et aux fenêtres ouvertes de la maison des Tissot.

Et ce simple regard qui lui révélait le retour de Fernande avait tout à coup fait battre son cœur avec violence, carillonner mille harmonieuses sérénades à ses oreilles.

Comme un charbon qui se rallume sous la cendre, tout son être s’était embrasé dans le réveil soudain de ses chauds souvenirs et laissait alors voir jusqu’à quelle profondeur son cœur s’était momentanément abusé… À quel leurre avait-il donc cru ?…

Oui, cela n’avait été qu’une duperie passagère de son imagination ; et comme il se trouvait heureux, malgré les larmes et les tortures qu’il revoyait prochaines, de reprendre en secret ses chimères et ses rêves.