Code noir/1744

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Code noir



1744





EDIT DU ROI,


Touchant l’Etat & la Diſcipline des
Eſclaves Négres de la Louiſiane.


Donné à Verſailles au mois de Mars 1724.



LOUIS, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre : A tous préſens & à venir, Salut. Les Directeurs de la Compagnie des Indes Nous ayant repreſenté que la Province & Colonie de la Louiſiane eſt conſidérablement établie par un grand nombre de nos Sujets, leſquels ſe ſervent d’Eſclaves Negres pour la culture des terres, Nous avons jugé qu’il étoit de notre autorité & de notre Juſtice, pour la conſervation de cette Colonie, d’y établir une Loi & des règles certaines, pour y maintenir la diſcipline de l’Égliſe Catholique, Apoſtolique & Romaine, & pour ordonner de ce qui concerne l’état & la qualité des Eſclaves dans leſdites Îſles ; & déſirant y pourvoir & faire connoître à nos Sujets qui y ſont habitués & qui s’y établiront à l’avenir, qu’encore qu’ils habitent des climats infiniment éloignés, Nous leur ſommes toujours préſens par l’étendue de notre puiſſance, & par notre application à les ſecourir. À CES CAUSES, & autres à ce que nous mouvant, de l’avis de notre Conſeil & de notre certaine ſcience, pleine puiſſance & autorité Royale, Nous avons dit, ſtatué & ordonné, diſons, ſtatuons & ordonnons, Voulons & Nous plaït ce qui ſuit.

ARTICLE PREMIER

L’Édit du feu Roi Louis XIII de glorieuſe mémoire, du 23 Avril 1615, ſera exécuté dans notre Province & Colonie de la Louſiane : ce faiſant, enjoignons aux Directeurs généraux de ladite Compagnie, & à tous nos Officiers, de chaſſer dudit Pays tous les Juifs qui peuvent y avoir établi leur réſidence, auſquels, comme aux Ennemis déclarés du nom Chrétien, Nous commandons d’en ſortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des Préſentes, à peine de confiſcation de corps & de biens.

II. Tous les Eſclaves qui ſeront dans notredite Province, ſeront inſtruits dans la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine & batiſés. Ordonnons aux Habitants, qui acheteront des Négres nouvellement arrivés, de les faire inſtruire & batiſer dans le tems convenable, à peine d’amende arbitraire. Enjoignons aux Directeurs généraux de ladite Compagnie & à tous nos Officiers, d’y tenir exactement la main.

III. Interdiſons tous exercices d’autre Religion que de la Catholique, Apoſtolique & Romaine ; Voulons que les contrevenans ſoient punis comme rebelles & déſobéiſſans à nos Commandements ; Défendons toutes aſſemblées pour cet effet, leſquelles Nous déclarons conventicules, illicites & ſéditieuſes, ſujettes à la même peine, qui aura lieu, même contre les Maîtres qui les permettront, ou ſouffriront à l’égard de leurs Eſclaves.

IV. Ne ſeront prépoſés aucuns Commandeurs à la direction des Negres, qui ne faſſent profeſſion de la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine ; à peine de confiſcation deſdits Négres, contre les Maîtres qui les auront prépoſés, & de punition arbitraire contre les Commandeurs qui auront accepté ladite direction.

V. Enjoignons à tous nos Sujets, de quelque qualité & condition qu’ils ſoient, d’observer régulièrement les jours de Dimanches & de Fêtes : leur défendons de travailler, ni de faire travailler leurs Eſclaves auſdits jours, depuis l’heure de minuit juſqu’à l’autre minuit, à la culture de la terre & à tous autres ouvrages, à peine d’amende & de punition arbitraire contre les Maîtres, & de confiſcation des Eſclaves qui ſeront ſurpris par nos Officiers dans leur travail ; pourront néanmoins envoyer leurs Eſclaves aux Marchés.

VI. Défendons à nos Sujets blancs de l’un & l’autre ſexe, de contracter mariage avec les Noirs, à peine de punition & d’amende arbitraire ; & à tous Curés, Prêtres, ou Miſſionnaires ſéculiers, ou réguliers, & même aux Aumôniers des Vaiſſeaux, de les marier. Défendons auſſi à noſdits Sujets Blancs, même aux Noirs affranchis, ou nés libres, de vivre en concubinage avec des Eſclaves. Voulons que ceux qui auront eu un, ou pluſieurs enfans d’une pareille conjonction, ensemble les Maîtres qui les auront ſoufferts, ſoient condamnés chacun en une amende de trois cens livres ; & s’ils ſont les Maîtres, de l’Eſclave de laquelle ils auront eu leſdits enfans, voulons qu’outre l’amende, ils ſoient privés tant de l’eſclave que des Enfans, & qu’ils ſoient adjugés à l’Hôpital des lieux, ſans jamais être affranchis. N’entendons toutefois le préſent Article avoir lieu, lorſque l’homme Noir, affranchi, ou libre, qui n’étoit point marié durant ſon concubinage avec ſon Eſclave, épouſera dans les formes preſcrites par l’Égliſe ladite Eſclave, qui ſera affranchie par ce moyen, & les enfans rendus libres & légitimes.

VII. Les ſolennités preſcrites par l’Ordonnance de Blois, & par la Déclaration de 1639 pour les mariages, ſeront obſervées, tant à l’égard des perſonnes libres que des Eſclaves, ſans néanmoins que le consentement du pere & de la mere de l’Eſclave y ſoit néceſſaire mais celui du Maître ſeulement.

IX. Les enfans qui naîtront des mariages entre les Eſclaves, ſeront Eſclaves, & appartiendront aux Maîtres des femmes Eſclaves, & non à ceux de leurs maris, ſi les maris & les femmes ont des Maîtres différents.

X. Voulons, ſi le mari Eſclave a épousé une femme libre, que les enfans, tant mâles que filles, ſuivent la condition de leur mère, & ſoient libres comme elle, nonobſtant la ſervitude de leur pere, & que, ſi le pere eſt libre & la mere eſclave, les enfans ſoient eſclaves pareillement.

XI. Les Maîtres ſeront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetieres deſtinés à cet effet, leurs Eſclaves baptiſés ; & à l’égard de ceux qui mourront ſans avoir reçu le baptême, ils ſeront enterrés la nuit, dans quelque champ voiſin du lieu où ils ſeront décédés.

XII. Défendons aux Eſclaves de porter aucunes armes offensives, ni de gros bâtons, à peine du fouet & de confiſcation des armes, au profit de celui qui les en trouvera ſaiſis ; à l’exception ſeulement de ceux qui ſeront envoyés à la chaſſe par leurs Maître & qui ſeront porteurs de leurs Billets, ou marques connus.

XIII. Défendons pareillement aux Eſclaves appartenant à differents Maîtres, de s’atrouper, le jour, ou la nuit, ſous prétexte de nôces, ou autrement, ſoit chez l’un de leurs Maîtres ou ailleurs, & encore moins dans les grands chemins, ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être moins que du fouet & de la fleur de Lis ; & en cas de fréquentes récidives & autres circonſtances aggravantes, pourront être punis de mort ; ce que nous laiſſons à l’arbitrage des Juges. Enjoignons à tous nos Sujets de courre ſus aux contrevenants, & de les arrêter & conduire en priſon, bien qu’ils ne ſoient Officiers & qu’il n’y ait contre leſdits contrevenans aucun décret.

XIV. Les Maîtres qui ſeront convaincus d’avoir permis, ou toléré telles aſſemblées, composées d’autres Eſclaves que de ceux qui leur appartiennent, ſeront condamnés, en leurs propre & privé nom, de réparer tout le dommage qui aura été fait à leus voiſins, à l’occaſion deſdites aſſemblées, & en trente livres d’amende pour la première fois, & au double, en cas de récidive.

XV. Deffendons aux Eſclaves d’expoſer en vente au Marché, ni de porter dans les Maiſons particulières, pour vendre, aucune ſorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à bruler, herbes, ou fourages, pour la nourriture des Beſtiaux, ni aucune eſpéce de grains, ou autres marchandiſes, hardes, ou nipes, ſans un billet, ou par des marques connues, à peine de revendication des choſes ainſi vendues, ſans reſtitution de prix par les Maîtres, & de ſix livres d’amende à leur profit contre les acheteurs, par rapport aux fruits, légumes, bois à brûler, herbes, fourages & grains ; Voulons, que par rapport aux Marchandiſes, hardes, ou nipes, les contrevenans acheteurs ſoient condamnés à quinze cens livres d’amende, aux dépens, dommages, interêts & qu’ils ſoient pourſuivis extraordinairement comme voleurs & receleurs.

XVI. Voulons à cet effet, que deux perſonnes ſoient prépoſées dans chaque Marché, par les Officiers du Conſeil ſupérieur, ou des Juſtices inférieures, pour examiner les Denrées & Marchandiſes qui y ſeront aportées par les Eſclaves, enſemble les billets & marques de leurs Maîtres, dont ils ſont porteurs.

XVII. Permettons à tous nos Sujets habitants du Pays, de ſe ſaiſir de toutes les choſes dont ils trouveront leſdits Eſclaves chargés, lorsqu’ils n’auront point de billets de leurs Maîtres, ni de marques connues, pour être rendues inceſſamment à leurs Maïtres, ſi leur habitation eſt voiſine du lieu où les Eſclaves auront été ſurpris en délit ; ſinon elles ſeront inceſſamment envoyées au Magaſin de la Compagnie le plus proche, pour y être en dépôt, juſqu’à ce que les Maîtres en ayent été avertis.

XVIII. Voulons que les Officiers de notre Conseil ſupérieur de la Louiſiane, envoyent leurs avis ſur la quantité des vivres & la qualité de l’habillement qu’il convient que les Maîtres fourniſſent à leurs Eſclaves ; leſquels vivres doivent être fournis par chacune ſemaine, & l’habillement par chacune année, pour y être ſtatué par Nous ; & cependant permettons auxdits Officiers de regler par proviſion leſdits vivres & ledit habillement : défendons aux Maîtres desdits Eſclaves de donner aucune ſorte d’eau-de-vie, pour tenir lieu de ladite ſubſiſtance & habillement.

XIX. Leur défendons pareillement de ſe décharger de la nourriture & ſubſiſtance de leurs Eſclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la ſemaine pour leur compte particulier.

XX. Les Eſclaves qui ne ſeront point nourris, vêtus & entretenus par leurs maîtres pourront en donner l’avis à notre Procureur Général dudit Conſeil, ou aux Officiers des Juſtices inéfrieures, & mettre leurs mémoires entre leurs mains, ſur leſquels, & même d’office, ſi les avis lui en viennent d’ailleurs, les Maîtres ſeront pourſuivis à la Requête dudit Procureur Général, & ſans frais ; ce que nous voulons être observé pour les crimes & traitements barbares & inhumains des Maîtres envers leurs Eſclaves.

XXI. Les Eſclaves infirmes par vieilleſſe, maladie, ou autrement, ſoit que la maladie ſoit incurable, ou non, ſeront nourris & entretenus par leurs Maîtres ; & en cas qu’ils les euſſent abandonnés, leſdits Eſclaves ſeront adjugés à l’Hôpital le plus proche, auquel les Maîtres ſeront condamnés de payer huit ſols par jour, pour la nourriture & entretien de chaque Eſclave ; pour le payement de laquelle ſomme, ledit Hôpital aura Privilége ſur les habitations des Maîtres, en quelques mains qu’elles paſſent.

XXII. Déclarons les Eſclaves ne pouvoir rien avoir qui ne ſoit à leurs Maîtres, & tout ce qui leur vient par induſtrie, ou par la libéralité d’autres perſonnes ou autrement à quelque titre que ce ſoit, être acquis en pleine propriété à leur Maîtres, ſans que les enfants des Eſclaves, leurs peres & meres, leurs parents & tous autres, libres, ou eſclaves, y puiſſent rien prétendre par ſucceſſions, diſpositions entre-vifs, ou à cauſe de mort ; leſquelles diſpoſitions Nous déclarons nulles, enſemble toutes les promeſſes & obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de diſposer & contracter de leur chef.

XXIII. Voulons néanmoins que les Maîtres ſoient tenus de ce que leurs Eſclaves auront fait par leur commandement, enſemble de ce qu’ils auront géré & négocié dans les boutiques, & pour l’eſpèce particulière de commerce, à laquelle leurs Maîtres les auront prépoſés ; & en cas que leurs Maîtres n’aient donné aucun ordre & ne les aient point préposés, ils ſeront tenus ſeulement jusqu’à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; & ſi rien n’a tourné au profit des Maîtres, le pécule deſdits Eſclaves, que les Maîtres leur auront permis d’avoir en auront tenu, après que leurs Maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra leur en être dû, ſinon que le pécule consiſtât en tout, ou partie, en marchandiſes dont les Eſclaves auroient permiſſion de faire trafic à part, ſur leſquelles leurs Maîtres viendront ſeulement par contribution au ſol la livre avec leurs autres créateurs.

XXIV. Ne pourront les Eſclaves être pourvus d’offices, ni de commiſſions ayant quelques fonctions publiques, ni être conſtitués Agens, par autres que leurs Maîtres pour gérer & adminiſtrer aucun négoce, ni être arbitres, ou experts : ne pourront auſſi être témoins, tant en matière civile que criminelle, à moins qu’ils ne ſoient témoins néceſſaires, & ſeulement à défaut de blancs : mais dans aucun cas, ils ne pourront ſervir de témoins pour ou contre leurs Maîtres.

XXV. Ne pourront auſſi les Eſclaves être parties, ni être en jugement ni en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle ; ſauf à leurs Maîtres d’agir & de défendre en matiere civile, & de pourſuivre en matière criminelle, la réparation des outrages & excès qui auront été commis contre leurs Eſclaves.

XXVI. Pourront les Eſclaves être pourſuivis criminellement, ſans qu’il ſoit beſoin de rendre leur Maître parties, ſi ce n’eſt en cas de complicité ; & ſeront les Eſclaves accuſés, jugés en première inſtance par les Juges ordinaires, s’il y en a, & par apel, au Conseil, ſur la même inſtruction & avec les mêmes formalités que les perſonnes libres, aux exceptions ci-après.

XXVII. L’Eſclave qui aura frappé ſon Maître, ſa Maîtreſſe, le mari de ſa Maîtreſſe, ou leurs enfans, avec effuſion de sang, ou au visage, ſera puni de mort.

XXVIII. Et quant aux excès & voies de fait, qui ſeront commis par les Eſclaves, contre les personnes libres, voulons qu’ils ſoient ſeverement punis ; même de mort s’il y échoit.

XXIX. Les vols qualifiés, même ceux des chevaux, cavales, mulets, bœufs, ou vaches, qui auront été faits par les Eſclaves, ou par les affranchis, ſeront punis de peines afflictives, même de mort, ſi le cas le requiert.

XXX. Les vols de moutons, chévres, cochons, volailles, grains, fourage, bois, féves, ou autres légumes & denrées, faits par les Eſclaves, ſeront punis selon la qualité du vol, par les Juges, qui pourront, s’il y échoit, les condamner d’être battus de verges par l’Exécuteur de la haute juſtice, & marqués d’une fleur de Lis.

XXXI. Seront tenus les Maîtres, en cas de vol, ou d’autre dommage cauſé par leurs Eſclaves, outre la peine corporelle des Eſclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’Eſclave à celui auquel le tort aura été fait ; ce qu’ils ſeront tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui de condamnation, autrement ils en ſeront déchûs.

XXXII. L’Eſclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que ſon Maître l’aura dénoncé à la Juſtice, aura les oreilles coupées, & ſera marqué d’une fleur de Lis sur une épaule ; & s’il récidive pendant un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, & il ſera marqué d’une fleur de Lis sur l’autre épaule ; & la troisième fois il ſera puni de mort.

XXXIII. Voulons que les Eſclaves qui auront encouru les peines du fouet, de la fleur de Lis & des oreilles coupées ſoient jugés en dernier reſſort par les Juges ordinaires, & exécutés, ſans qu’il ſoit neceſſaire que tels Jugemens ſoient confirmés par le Conseil ſupérieur, nonobſtant le contenu en l’article XXVI des Présentes, qui n’aura lieu que pour les Jugemens portant condamnation de mort, ou de jarret coupé.

XXXIV. Les affranchis, ou Négres libres, qui auront donné retraite dans leurs maiſons aux Eſclaves fugitifs, ſeront condamnés par corps envers le Maître, en une amende de trente livres par chacun jour de rétention ; & les autres perſonnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en dix livres d’amende auſſi par chacun jour de rétention ; & faute par leſdits Négres affranchis ou libres, de pouvoir payer l’amende, ils ſeront réduits à la condition d’Eſclaves & vendus ; & ſi le prix de la vente paſſe l’amende, le ſurplus ſera délivré à l’Hôpital.

XXXV. Permettons à nos sujets dudit pays, qui auront des Eſclaves fugitifs en quelque lieu que ce soit, d’en faire faire la recherche par telles personnes & à telles conditions qu’ils jugeront à propos, ou de la faire eux-mêmes, ainsi que bon leur semblera.

XXXVI. L’Eſclave puni de mort sur la dénonciation de son maître, non complice du crime par lequel il aura été condamné, ſera eſtimé avant l’exécution par deux principaux habitans, qui ſeront nommés d’office par le Juge ; & le prix de l’eſtimation en ſera payé ; pour à quoi ſatiſfaire, il ſera impoſé par notre Conſeil Supérieur, ſur sur chaque tête de Négre, la ſomme portée par l’eſtimation, laquelle ſera régalée ſur chacun deſdits Négres, & levée par ceux qui ſeront commis à cet effet.

XXXVII. Défendons à tous Officiers de notredit Conſeil, & autres Officiers de Juſtice établis audit pays, de prendre aucune taxe dans les procès criminels, contre les Eſclaves, à peine de concuſſion.

XXXVIII. Défendons auſſi à tous nos Sujets deſdits pays, de quelque qualité & condition qu’ils ſoient, de donner, ou faire donner de leur autorité privée, la queſtion ou torture à leurs Eſclaves, sous quelque prétexte que ce soit, ni de leur faire, ou faire faire aucune mutilation de membres, à peine de confiſcation des Eſclaves, & d’être procédé contr’eux extraordinairement : leur permettons ſeulement, lorsqu’ils croiront que leurs Eſclaves l’auront mérité, de les faire enchaîner, & battre de verges, ou de cordes.

XXXIX. Enjoignons aux Officiers de Juſtice établis dans ledit pays, de procéder criminellement contre les Maîtres & les Commandeurs qui auront tué leurs Eſclaves, ou leur auront mutilé les membres, étant ſous leur puiſſance, ou ſous leur direction, & de punir le meurtre ſelon l’atrocité des circonſtances ; & en cas qu’il y ait lieu à l’abſolution, leur permettons de renvoyer, tant les Maîtres que les Commandeurs, ſans qu’ils ayent beſoin d’obtenir de Nous des Lettres de grace.

XL. Voulons que les Eſclaves ſoient réputés meubles[1], & comme tels, qu’ils entrent dans la Communauté, qu’il n’y ait point de ſuite par hypothéque ſur eux, qu’ils ſe partagent également entre les cohéritiers, ſans préciput & droit d’aîneſſe, & qu’ils ne ſoient point sujets au douaire coutumier, au rétrait lignager ou féodal, aux droits féodaux & Seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au rétranchement des quatre Quints, en cas de diſpoſition à cause de mort, ou teſtamentaire.

XLI. N’entendons toutefois priver nos Sujets de la faculté de les ſtipuler propres à leurs perſonnes, & aux leurs de leur côté & ligne, ainſi qu’il ſe pratique pour les ſommes de deniers & autres choſes mobiliaires.

XLII. Les formalités preſcrites par nos Ordonnances & par la Coutume de Paris[2], pour les ſaiſies des choſes mobiliaires, ſeront obſervées dans les ſaiſies des Eſclaves. Voulons que les deniers en provenans, ſoient diſtribués par ordre des ſaiſies ; & en cas de déconfiture, au ſol la livre, après que les dettes privilégiées auront été payées, & généralement, que la condition des Eſclaves ſoit réglée en toutes affaires, comme celles des autres choses mobiliaires.

XLIII. Voulons néanmoins que le mari, ſa femme & leurs enfants impubéres, ne puiſſent être ſaiſis & vendus ſéparément, s’ils ſont tous ſous la puiſſance d’un même Maître ; Déclarons nulles les ſaiſies & ventes ſéparées, qui pourroient en être faites, ce que Nous voulons auſſi avoir lieu dans les ventes volontaires, à peine contre ceux qui feront leſdites ventes, d’être privés de celui ou de ceux qu’ils auront gardés, qui ſeront adjugés aux acquereurs, ſans qu’ils ſoient tenus de faire aucun ſuplément de prix.

XLIV. Vouons auſſi que les Eſclaves âgés de quatorze ans & au-deſſus juſqu’à ſoixante ans, attachés à des fonds ou habitations, & y travaillant actuellement, ne puiſſent être ſaiſis pour autres dettes que pour ce qui ſera dû du prix de leur achat, à moins que les fonds ou habitations ne fuſſent ſaiſis réellement : auquel cas Nous enjoignons de les comprendre dans la ſaiſie réelle & adjudication par décret ſur les fonds, ou habitations, ſans y comprendre les Eſclaves de l’âge ſuſdit, y travaillant actuellement.

XLV. Le Fermier judiciaires des fonds ou habitations ſaiſies réellement, conjointement avec les Eſclaves, sera tenu de payer le prix de ſon bail, ſans qu’il puiſſe compter parmi les fruits qu’il perçoit, les enfants qui ſeront nés des Eſclaves pendant ſondit bail.

XLVI. Voulons, nonobſtant toutes conventions contraires, que Nous déclarons nulles, que leſdits enfans appartiennent à la Partie ſaiſie, si les créanciers ſont ſatiſfaits d’ailleurs, ou à l’adjudicataire, s’il intervient un décret ; & à cet effet il ſera fait mention dans la derniere affiche de l’interpoſition dudit décret, des enfans nés des Eſclaves depuis la ſaiſie réelle, comme auſſi des Eſclaves décédés depuis ladite ſaiſie réelle, dans laquelle ils étoient compris.

XLVII. Pour éviter aux frais & aux longueurs de procédures, voulons que la diſtribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds & des Eſclaves, & de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires ſoit faite entre les créanciers, ſelon l’ordre de leurs priviléges & hypothéques, ſans diſtinguer ce qui eſt pour le prix des Eſclaves, & néanmoins les droits féodaux & Seigneuriaux ne ſeront payés qu’à proportion des fonds.

XLVIII. Ne ſeront reçus les lignagers & les Seigneurs féodaux, à retirer les fonds décrétés, s’ils ne retirent auſſi les Eſclaves vendus conjointement avec les fonds où ils travailloient actuellement ; ni l’adjudicataire, ou l’acquereur, à retenir les Eſclaves ſans les fonds.

XLIX. Enjoignons aux gardiens nobles & Bourgeois, uſufruitiers, amodiateurs, & autres jouiſſants de fonds auſquels ſont attachés des Eſclaves qui y travaillent, de gouverner leſdits Eſclaves en bons peres de famille ; au moyen de quoi ils ne ſeront pas tenus, après leur adminiſtration finie, de rendre le prix de ceux qui ſeront décédés, ou diminués par maladie, vieilleſſe, ou autrement, ſans leur faute : Et auſſi ils ne pourront pas retenir, comme fruits à leur profit, les enfants nés deſdits Eſclaves durant leur adminiſtration, leſquels Nous voulons être conſervés & rendus à ceux qui en ſont les Maîtres & les Propriétaires.

L. Les Maîtres âgés de vingt-cinq ans pourront affranchir leurs Eſclaves par tous actes entre-vifs ou à cauſe de mort ; & cependant, comme il ſe peut trouver des Maîtres aſſez mercenaires, pour mettre la liberté de leurs Eſclaves à prix, ce qui porte leſdits Eſclaves au vol & brigandage, défendons à toutes perſonnes, de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, d’affranchir leurs Eſclaves, ſans en avoir obtenu la permiſſion par Arrêt de notre Conſeil Supérieur, laquelle permiſſion ſera accordée ſans frais, lorſque les motifs, qui auront été expoſés par les Maîtres, paroîtront légitimes. Voulons que les affranchiſſemens qui ſeront faits à l’avenir ſans ces permiſſions, ſoient nuls, & que les affranchis n’en puiſſent jouir, ni être reconnus pour tels : Ordonnons au contraire qu’ils ſoient tenus, cenſés & reputés Eſclaves, que les Maîtres en ſoient privés, & qu’ils ſoient confisqués au profit de la Compagnie des Indes.

LI. Voulons néanmoins que les Eſclaves qui auront été nommés par leurs leurs Maîtres, Tuteurs de leurs enfans, ſoient tenus & réputés, comme Nous les tenons & réputons pour affranchis.

LII. Déclarons leurs affranchiſſements faits dans les formes ci-devant preſcrites, tenir lieu de naiſſance dans notredite Province de la Louiſiane, & les affranchis n’avoir beſoin de nos lettres de naturalité, pour jouir des avantages de nos Sujets naturels de notre Royaume, Terres & Pays de notre obéiſſance, encore qu’ils ſoient nés dans les pays étrangers ; Déclarons cependant leſdits affranchis, enſemble les Négres libres, incapables de recevoir des Blancs aucune donation entre-vifs, à cauſe de mort, ou autrement. Voulons qu’en cas qu’il leur en ſoit fait aucune, elle demeure nulle part à leur égard, & ſoit appliquée au profit de l’Hôpital le plus prochain.

LIII. Commandons aux Affranchis de porter un reſpect ſingulier à leurs anciens Maîtres, à leurs Veuves & à leurs Enfans ; enſorte que l’injure qu’ils leur auront faite, ſoit punie plus griévement que ſi elle étoit faite à une autre perſonne, les déclarons toutefois francs & quittes envers eux de toutes autres charges, ſervices & droits utiles que leurs anciens Maîtres voudroient prétendre, tant ſur leurs perſonnes, que ſur leurs biens & ſucceſſions en qualité de Patrons.

LIV. Octroyons aux Affranchis les mêmes droits, priviléges & immunités dont jouiſſent les perſonnes nées libres ; Voulons que le mérite d’une liberté acquiſe produiſe en eux les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets, le tout cependant aux exceptions portées par l’article LII. des Préſentes.

LV. Déclarons les confiſcations & les amendes qui n’ont point de deſtination particuliere par ces Préſentes, apartenir à ladite Compagnie des Indes, pour être payées à ceux qui ſont prépoſés à la Recette de ſes droits & revenus ; Voulons néanmoins que diſtraction ſoit faite du tiers deſdites confiſcations & amendes au profit de l’hôpital le plus proche du lieu où elles auront été adjugées.

SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amés & féaux les Gens tenant notre Conſeil ſupérieur de la Louiſiane, que ces Préſentes ils ayent à faire lire, publier, & regiſtrer, & le contenu en icelles garder & obſerver ſelon leur forme & teneur, nonobſtant tous Edits, Déclarations, Arrêts, Réglemens & Uſages à ce contraires, auſquels Nous avons dérogé & dérogeons par ces Préſentes. CAR tel eſt notre bon plaiſir. Et afin que ce ſoit choſe ferme & ſtable à toujours, Nous y avons fait mettre notre Scel. Donné à Verſailles au mois de Mars, l’an de grace mil ſept cent vingt-quatre, & de Notre Régne le neuviéme. Signé, LOUIS. Et plus bas : Par le Roi. Signé, PHELYPEAUX. Viſa, FLEURIAU. Vû au Conſeil, DODUN. Et ſcellé du grand Sceau de cire verte, en lacs de ſoie rouge & verte.


  1. Voyez l’art. 44 de l’Édit de 1685 & l’Acte de notoriété du 13 de novembre 1705.
  2. Toutes les Habitations Françaiſes ſont régies par la Coûtume de Paris, en quelque partie du Monde qu’elles ſoient ſituées ; art. 33 & 34 des Édits des mois de May & d’Août 1664 pour l’établiſſement des Compagnies des Indes Orientales & Occidentales, art. 46 de l’Édit de 1685, ci-devant pag. 95 & art. 15 de l’Édit de 1717 pour l’établiſſement de la Compagnie d’Occident.