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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2330

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 372-373).

2330. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
(Février.)

Sire, je mets aux pieds de Votre Majesté un ouvrage que j’ai composé en partie dans votre maison, et je lui en présente les prémices longtemps avant qu’il soit publié. Votre Majesté est bien persuadée que, dès que ma malheureuse santé me le permettra, je viendrai à Potsdam sous son bon plaisir.

Je suis bien loin d’être dans le cas d’un de vos bons mots, qu’on vous demande la permission d’être malade. J’aspire à la seule permission de vous voir et de vous entendre. Vous savez que c’est ma seule consolation, et le seul motif qui m’a fait renoncer à ma patrie, à mon roi, à mes charges, à ma famille, à des amis de quarante années ; je ne me suis laissé de ressource que dans vos promesses sacrées, qui me soutiennent contre la crainte de vous déplaire.

Comme on a mandé à Paris que j’étais dans votre disgrâce, j’ose vous supplier très-instamment de daigner me dire si je vous ai déplu en quelque chose. Je peux faire des fautes ou par ignorance, ou par trop d’empressement, mais mon cœur n’en fera jamais. Je vis dans la plus profonde retraite, donnant à l’étude le temps que des maladies cruelles peuvent me laisser. Je n’écris qu’à ma nièce. Ma famille et mes amis ne se rassurent contre les prédictions[1] qu’ils m’ont faites que par les assurances respectables que vous leur avez données[2]. Je ne lui parle que de vos bontés, de mon admiration pour votre génie, du bonheur de vivre auprès de vous. Si je lui envoie quelques vers, où mes sentiments pour vous sont exprimés, je lui recommande même de n’en jamais tirer de copie, et elle est d’une fidélité exacte.

Il est bien cruel que tout ce qu’on a mandé à Paris la détourne de venir s’établir ici avec moi, et d’y recueillir mes derniers soupirs. Encore une fois, sire, daignez m’avertir s’il y a quelque chose à reprendre dans ma conduite. Je mettrai cette bonté au rang de vos plus grandes faveurs. Je la mérite, m’étant donné à vous sans réserve. Le bonheur de me sentir moins indigne de vous me fera soutenir patiemment les maux dont je suis accablé.

  1. Voyez la lettre 2485.
  2. Dans la lettre du 23 août 1750.