Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4857

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 63-64).

4857. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
10 mars.

Ô mes anges ! daignez recevoir, pour vos œufs de Pâques, ce Droit du Seigneur, que je crois dans son cadre. Je vous demande en grâce qu’il soit joué tel qu’il est. J’ai, malgré toute ma modestie, la sincérité insolente de vous dire que je le crois très-bon : tâchez de penser comme moi, car, depuis l’effet que cette pièce a fait sur mes Suisses et sur mes Savoyards, j’aurai bien mauvaise opinion de vos pauvres Français s’ils ne rient pas, et s’ils ne sont pas touchés. Je veux qu’une comédie soit intéressante ; mais je la tiens un monstre si elle ne fait pas rire.

Je ne mets pas encore Olympie à vos pieds : j’attends que nous l’ayons jouée, et que je puisse vous rendre compte du jugement de nos Allobroges, et de la manière admirable dont nous disposons notre vestibule, notre temple, nos autels, et notre bûcher. Ce bûcher servira à jeter la pièce au feu, si elle n’est pas reçue avec transport par nos montagnards. Vous êtes bien à plaindre de ne pas voir mes fêtes ; mais pourquoi êtes-vous condamnés à demeurer dans votre vilaine ville de Paris ?

Au lieu d’Olympie, je vous supplie d’agréer le présent Mémoire. Pouvez-vous, mes divins anges, avoir la bonté de le faire recommander par M. le comte de Choiseul ? Le frère du capitaine[1] qui veut tirer du canon contre les Hanovriens et Prussiens est connu de M. le comte de Choiseul, et reçoit quelquefois des ordres de lui pour nos limites.

On ne demande qu’un mot ; ce mot est juste. L’officier qui a la rage de servir est très-bon ; enfin je vous demande instamment cette grâce.

Je ne sais plus que penser de mon Schouvalow : on n’a rien fait pour lui ; il voulait voyager, et il reste à sa cour. Je suis encore très-incertain sur le traité des Borusses avec les Russes. Qui vous eût dit, quand nous étions petits, qu’un jour ces Scythes tiendraient la balance de l’Europe ? Pauvres petits Français, ce n’est pas vous encore qui la tenez. Il faut espérer que nous ne serons pas toujours dans la boue ; mais jusqu’ici nous jouons un triste rôle, malgré le prodigieux succès de la farce italienne[2].

Divins anges, continuez vos bontés à la marmotte des Alpes.

  1. Il s’appelait Marchand de La Houlière.
  2. Voyez une note sur la lettre 4843.