Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4973

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4973. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
21 juillet 1762, aux Délices.

J’ai l’honneur de vous renvoyer, monsieur, votre numéro seize. Tout ce que j’ai lu sur cette affaire achève de me prouver que toutes nos lois ont, comme Janus, deux visages, ou plutôt que nous n’avons point de lois, et qu’aucun État en France n’a de bornes reconnues.

Le numéro seize m’a fait bâiller ; mais je crois que les pièces que je vous envoie vous feront pleurer et frémir. Vous verrez combien l’esprit de fanatisme est plus funeste que l’esprit de corps. Cette affaire[2] commence à faire à la cour le bruit qu’elle mérite, et peut-être ne fera-t-elle que du bruit.

Encore une fois, plus je vois tout ce qui se passe dans le monde, et plus j’aime ma retraite. Il est vrai que Jean-Jacques, brûlé à Genève, et banni de Berne, est retiré dans une vallée inconnue de Neuchâtel ; mais je doute que ses paradoxes et ses contradictions politiques plaisent au roi de Prusse. Ce petit bonhomme a voulu être singulier, et ne sera jamais que singulier. On dit qu’un jour le chien de Diogène rencontra la chienne d’Érostrate et lui fit des petits dont Jean-Jacques est descendu. Adieu, monsieur, les tracasseries de votre parlement finiront, parce qu’il faut que tout finisse. Je vous embrasse tendrement.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Celle des Calas.