Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5087 BIS

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 283-284).

5087 bis. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 10 novembre.
Vivent le roi et monsieur le duc de Praslin[1] !

Mon divin ange, quoique nos Suisses vendent leur sang à qui veut le payer[2], quoique les Genevois n’aiment pas la France passionnément, quoique notre petit pays de Gex soit séparé du reste du monde, cependant je ne vois que des gens enthousiasmés de la paix, et je n’entends que des cris de joie.

Je vous prie de vouloir bien donner à M. le duc de Praslin ces trois mots[3], que je prends la liberté de lui écrire. Il y a soixante et quatre ans qu’un marquis de Praslin, que je peindrais, avait beaucoup de bonté pour moi ; cela m’a été d’un bon augure.

Voici le temps des plaisirs et des spectacles. Il y avait une plaisante dédicace[4] à deux seigneurs de Praslin qu’on devait mettre à la tête du Droit du Seigneur, comédie de Jodelle, du temps de Henri II, rajustée depuis peu au théâtre par un quidam.

Nous avons joué depuis peu le Droit du Seigneur, avec tout le succès possible, à Ferney. Mlle Corneille a joué Colette supérieurement ; elle avait une cabale contre elle ; la cabale a été forcée de battre des mains.

Je soupçonne que M. de Chauvelin vous a envoyé, de Turin, une fin du troisième acte de Cassandre, et le quatrième tout entier : je ne voulais pas vous envoyer la pièce par morceaux ; j’attendais vos ordres angéliques pour vous faire parvenir la pièce entière ; mais ce que M. de Chauvelin aura fait sera bien fait.

Il y a un conseiller au parlement de Toulouse[5] qui vient, je crois, à Paris, pour rendre justice à l’innocence des Calas, et gloire à la vérité. Il y a de belles âmes ; celle-là sera bien digne de connaître la vôtre.

Je vous embrasse avec les plus tendres respects, et je me mets aux pieds de Mme d’Argental.

  1. Parodie du refrain de la chanson sur Lefranc de Pompignan (voyez tome X), qui commence ainsi :

    Nous avons vu ce beau village, etc.


    Le comte de Choiseul venait d’être créé duc de Praslin.

  2. Voltaire, dans sa Henriade, chant X, appelle les Suisses :

    Barbares dont la guerre est l’unique métier.
    Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.

  3. La lettre 5086.
  4. Voyez une note sur la lettre 4943.
  5. De Lasalle.