Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5095

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 293-294).

5095. — À M.  SAURIN.
À Ferney, 28 novembre.

Je vous sais très-bon gré, mon cher confrère, d’avoir fait un Saurin, et je vous remercie tendrement de me l’avoir appris dans une si jolie lettre. Je suis de votre avis ; c’était un garçon qu’il vous fallait.


J’aime le sexe assurément,
Je l’estime, je sais qu’il brille
Par les grâces, par l’enjouement ;
Que souvent d’esprit il pétille,
Qu’en ses défauts il est charmant ;
Mais j’aime mieux garçon que fille.

Cela ne veut pas dire que je sois du goût de Socrate ou des jésuites ; j’entends seulement que je vous souhaitais un garçon.


Nous avons besoin de Saurins
Qui vengent la philosophie
De ces fanatiques gredins
Ergotants en théologie.
En vain depuis peu la Raison
Vient d’ouvrir en secret son temple ;
L’infâme Superstition,
Qu’un vulgaire hébété contemple,
Monte toujours sur ses tréteaux.
Elle nous vend son mithridate :
Chaumeix la suit, Omer la flatte ;
Et des fripons et des cagots
En violet, en écarlate,
Sont ses gilles et ses bedeaux.


Votre enfant, mon cher confrère, apprendra de vous à penser. Je fais mes compliments à la mère de donner à son fils ses beaux tétons : c’est encore là une sorte de philosophie qui n’est pas à la mode.

Vous devriez bien, avant que je meure, passer quelque temps à Ferney avec la mère et le fils. Les philosophes sont trop dispersés, et les ennemis de la raison trop réunis.

C’est une bonne acquisition que celle de l’abbé de Voisenon[1], tant qu’il se portera bien ; mais c’est un saint dès qu’il est malade.

J’ai ouï dire en effet beaucoup de bien d’une tragédie d’Éponine[2]. Il faut au moins que la France brille par le théâtre ; c’est toute la supériorité qui lui reste. Je crois que vous avez assisté aux assemblées où l’on a lu le Jules César de Gilles Shakespeare. J’enverrai incessamment l’Héraclius de Scaramouche Calderon ; cela vous amusera.

Je vous embrasse, mon cher confrère, de tout mon cœur.

  1. Qui fut élu le 4 décembre membre de l’Académie Française à la place de Crébillon, et y fut reçu le 22 janvier 1763.
  2. Tragédie de Chabanon, jouée le décembre 1762.