Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5133

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 331-333).

5133. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 janvier.

Mes divins anges, si les mariages sont écrits dans le ciel, celui de M. de Cormont[1] et de notre marmotte a été rayé. Encore une fois, comment pouvions-nous ne pas croire que vous vous intéresseriez vivement à ce mariage ? Le futur était venu avec une copie d’une de mes lettres ; il s’était annoncé de votre part ; il se disait sûr du consentement de ses parents ; il avait débuté par demander si la souscription du Corneille n’allait pas déjà à quarante mille livres ; et la première confidence qu’il fit était que son dessein était de voyager en Italie avec cet argent. Il nous avoua qu’il avait cru que Mlle  Corneille était élevée dans notre maison comme une personne qu’on a prise par charité. Il lui parla comme Arnolphe[2], à cela près qu’Arnolphe aimait, et que le futur n’aimait point. Il fut un peu surpris de voir que Mlle  Corneille était élevée, et mise, et considérée chez nous, comme le serait une fille de la première distinction qu’on nous aurait confiée. Nous rectifiâmes, Mme  Denis et moi, les idées de notre homme. Cependant l’affaire s’ébruitait, comme je vous l’ai mandé ; il fallait prendre un parti. M. de Cormont[3] nous apprit lui-même que ses parents n’étaient ni si vieux ni si riches qu’on nous l’avait dit ; mais il attendait toujours le consentement. M. Micault nous assurait qu’il était honnête homme, quoique un peu dur, entier, et bizarre. Il devait avoir un jour cinq mille livres de rente ; mais en attendant, il n’avait rien du tout. Dans cette perplexité, et surtout dans l’idée que vous vouliez bien vous intéresser à sa personne, nous crûmes ne pouvoir mieux faire que de tâcher de lui procurer par votre protection la place que vous savez. Cet emploi était précisément à notre porte ; les terres de son père sont assez voisines des nôtres ; rien ne nous paraissait plus convenable pour notre situation. Nous savions que cette place dépend absolument de votre ami, qu’on la donne à qui l’on veut, que ce n’est point d’ordinaire une récompense de secrétaire d’ambassade, puisque ni le présent titulaire (qu’on aurait pu placer ailleurs), ni Champot son prédécesseur, ni Closure, ni aucun de ceux qui ont eu cet emploi, n’ont été secrétaires d’ambassade. Nous vous représentons tout cela, non pas pour désapprouver les arrangements que M. le duc de Praslin a pris, et que nous trouvons très-justes, mais seulement pour justifier notre démarche auprès de vous ; démarche qui n’a été fondée que sur la persuasion où nous devions être, par les discours du prétendu, et par la copie de mes lettres dont il était armé, que vous souhaitiez ce mariage. La seule manière d’y parvenir était d’obtenir la place que nous demandions : car le père ne voulant absolument rien donner, le fils n’ayant que des dettes, et n’ayant précisément pas de quoi vivre à la réforme de sa compagnie, quel autre moyen pouvions-nous imaginer ? Nous n’avons pas laissé d’avoir quelque peine à faire partir ce jeune homme, qui, sans avoir le moindre goût pour Mme  Corneille, voulait absolument rester chez nous, uniquement pour avoir un asile. Toute cette aventure a été assez triste. Il est vraisemblable que M. de Cormont a toujours caché à M. de Valbelle et à Mlle  Clairon l’état de ses affaires, sans quoi nous serions en droit de penser que ni l’un ni l’autre n’ont eu pour nous beaucoup d’égards. Nous serions d’autant plus autorisés dans nos soupçons, que Mlle  Clairon ayant dit qu’elle allait marier Mlle  Corneille, Lekain nous écrivit qu’elle épouserait un comédien, et nous en félicitait. J’estime les comédiens quand ils sont bons, et je veux qu’ils ne soient ni infâmes dans ce monde, ni damnés dans l’autre ; mais l’idée de donner la cousine de M. de La Tour-du-Pin à un comédien est un peu révoltante, et cela paraissait tout simple à Lekain. En voilà beaucoup, mes anges, sur cette triste aventure : nous nous en sommes tirés très-honorablement ; et la conduite de Mlle  Corneille n’a donné aucune prise à la malignité des Genevois ni des Français qui sont à Genève, car il y a des malins partout.

Mais est-il vrai que le fou de Verberie[4] qu’on a pendu était un jésuite ? Aurez-vous la bonté de me faire lire le discours du fou au mortier ? M. de Lasalle, ce M. de Lasalle, conseiller de Toulouse, qui était si persuadé de l’innocence des Calas, et qui les a fait rouer en se récusant[5], est-il à Paris ? est-il venu chez vous ?

Le beau Cramer, qui sait par ouï-dire qu’il imprime le Corneille, est-il venu s’entretenir avec vous des intérêts des princes ? Savez-vous à présent à quoi vous en tenir sur les souscriptions ? Savez-vous que ni Mme  de Pompadour, ni prince, ni seigneur, n’ont donné un écu ? N’êtes-vous pas fatigué de mes longues lettres ? Ne pardonnez-vous pas à votre créature V. ?

  1. Voyez la lettre 4777.
  2. Dans l’École des femmes, acte III. scène ii.
  3. Vovez la lettre 4777.
  4. Voyez la note 2 de la pape 328.
  5. Voyez tome XXIV, page 403.