Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5136

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 334-335).

5136. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Ferney, à quelques lieues de votre patrie, 12 janvier.

Mon cher et gros et respectable sous-doyen, soyez très-sûr que je mets en pratique vos belles et bonnes leçons. Je n’ai pas votre santé, je n’en ai jamais eu ; mais mon régime est la gaieté. Votre doyen[1] peut me rendre témoignage : c’est lui qui donnerait des leçons de gaieté à vous et à moi. Je l’ai trouvé plus jeune que je l’avais laissé. Vivez cent ans, messieurs les doyens, et donnez-moi votre recette. Vos séances académiques vont être plus agréables que jamais avec l’abbé de Voisenon, qui est très-aimable et très-gai. Je vous réjouirai, dès que les grands froids seront passés, par l’envoi de l’Héraclius espagnol ; il est bien plus plaisant que le César anglais. Qui croirait que deux nations si graves furent si bouffonnes dans la tragédie ? Nous sommes au septième tome de Pierre Corneille, et il y en aura probablement douze ou treize. J’ai été sur le point de faire un ouvrage qui m’aurait plu autant que Cinna, c’était le mariage de Mlle Corneille ; mais comme le futur ne fait point de vers, le mariage a été rompu. Si vous connaissez quelque neveu de Racine, envoyez-le-moi au plus vite, et nous conclurons l’affaire. Mais je veux que vous soyez de noces ; et comme je vous crois prêtre, vous ferez la célébration. Je vous avertis que notre petit jardin est la plus jolie chose du monde. Tout le monde y vient, tout le monde s’y établit. Le prince de Wurtemberg a tout quitté pour venir s’établir dans le voisinage ; vous n’êtes pas assez courageux pour revoir votre patrie. Fi ! que cela est peu philosophe ! C’est avec douleur que je vous embrasse de si loin ; seriez-vous assez aimable pour présenter mes respects à l’Académie ?

  1. Richlieu.