Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5142
Monsieur, j’ai les yeux rouges comme un ivrogne, et je n’ai pourtant pas l’honneur de l’être. Ma fluxion et quelques autres bagatelles de cette espèce me privent de l’honneur de vous écrire de ma main.
Quand je prends la liberté de vous demander du vin de Corton, ce n’est point par sensualité, c’est par régime ; c’est ce qui fait que je vous en demande peu cette année.
À l’égard de l’autre vin, j’avoue qu’il ne ressemble pas aux lis de France, qui ne travaillent ni ne filent ; mais je crois que c’est ma faute de l’avoir laissé trop longtemps un peu exposé dans la petite ville de Nyon, au pays de Vaud, où on me l’avait adressé. Je fais réparation d’honneur à Mme Le Bault, et je crois que son vin est, comme elle, très-agréable et bienfaisant.
Je conviens, monsieur, que les arbitres ont passé un peu leur pouvoir[2] ; mais il me semble qu’ils ne pouvaient le passer d’une manière plus raisonnable. Je conseille au père d’acquiescer et d’ensevelir dans l’oubli tous ces petits différends qui troublent le repos de deux hommes respectables.
Je vous rends, monsieur, de très-humbles actions de grâces de tout ce que vous avez bien voulu me mander.
Revenons, s’il vous plaît, au vin de Corton ; je ne le demande ni nouveau, ni vieux, ni en tonneau, ni en bouteilles, je le demande tout comme vous voudrez me l’envoyer ; tout m’est égal, pourvu qu’il soit bon ; faites comme il vous plaira, vous êtes le maître.
Je présente mon respect à Mme Le Bault, et j’ai l’honneur d’être avec le même sentiment, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
Vraiment, monsieur, j’oubliais de vous remercier des plants de vigne que vous voulez bien m’offrir. J’aurais l’air d’être un ingrat, et je ne le suis pas. Je vous aurai la plus grande obligation.