Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5183

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5183. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
À Ferney, 12 février 1763.

Comme je deviens un tant soit peu aveugle, monsieur, permettez que j’aie l’honneur de vous écrire par mon clerc. Nous marions demain Mlle Corneille à un Bourguignon fort joli, officier de dragons de son métier, et fils d’un maître des comptes. Mes anges, M. et Mme d’Argental, ont si bien fait par toutes leurs bontés, ont tellement suppléé à notre ignorance d’une publication de ban qui devait se faire à Paris, que rien ne nous retarde plus. Un enfant qu’on dit plus aveugle que moi, et qui est beaucoup plus puissant, se mêle de la cérémonie ; nous avons signé le contrat de mariage ; j’ai usé de la permission que vous m’avez donnée d’assigner à Mlle Corneille, désormais Mme Dupuits, vingt mille livres sur la plus belle terre de Bourgogne. Comme il faut que je fasse apparoir et que j’annexe au contrat que ces vingt mille livres m’appartiennent, j’ai recours à vos bontés.

On nous flatte dans nos déserts que nous pourrons avoir incessamment le plaisir de nous ruiner à votre parlement. Si Mme la comtesse de Pimbêche avait été Bourguignonne, elle serait morte de chagrin ces deux années-ci.

Je crois qu’on débusquera à la fin les jésuites nos voisins que vous connaissez[2]. Il y en a un pourtant[3] qui fait notre mariage demain à minuit. Je pense qu’il ne leur restera bientôt pour tout bien que des sacrements. On les lapide au bout de soixante et dix ans avec les pierres de Port-Boyal.

Conservez-moi vos bontés et agréez mon tendre respect. V.

  1. Editeur, Th. Foisset.
  2. Les jésuites d’Ornex.
  3. Le pèrc Adam.