Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5333

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 514-515).

5333. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 5 juillet.

Je vous demande pardon, mon cher confrère, d’un si long silence. J’ai fait de petits voyages ; mais comme on ne gagne jamais rien de bon à voyager, je suis revenu ici avec un gros rhume, un peu de fièvre, et un peu de goutte. Je n’ai point voulu vous écrire quand j’étais de mauvaise humeur.

Olympie m’est venue d’Allemagne. Je vous remercie, et vous fais hommage des larmes qu’elle m’a fait verser. Cassandre est toujours le personnage qui m’intéresse le moins ; mais Statira, mais Olympie, mais le grand prêtre, sont d’une grande beauté. Il me semble que les gens de goût ont fort accueilli cette tragédie. Il faut laisser dire que c’est un opéra récité : c’est un mérite de plus d’avoir choisi une action vraiment tragique, qui se lie nécessairement avec la pompe du spectacle. On m’écrit que le second volume de l’Histoire de Pierre le Grand paraît, et que vous avez donné une nouvelle édition de votre Histoire universelle, dans laquelle notre dernière guerre est comprise. J’ai mandé qu’on m’envoie tout cela. Outre l’empressement que j’ai pour tout ce qui vient de vous, je suis fort curieux de savoir comment vous avez traité la guerre d’Allemagne. Peu de vos lecteurs seront plus dignes que moi d’apprécier cette partie de votre Histoire générale.

Votre dernière lettre m’annonce une résolution qui m’afflige. Vous voulez vivre et mourir chez les Allobroges. Je m’étais flatté de vous revoir dans mon voisinage. J’espère au moins que l’air pur des Alpes vous fera vivre autant que Sophocle. On vous appellera un jour le Vieux de la Montagne, bien différent de celui qui faisait trembler tous les rois d’Asie. Votre empire sera plus doux ; vous éclairerez votre siècle, et vous ne ferez peur qu’aux vices et aux ridicules. Pour moi, à qui on a donné pour pénitence de jouir tranquillement d’une grande dignité et d’un revenu honnête, je cultiverai mon jardin ; je lirai pour la centième fois vos ouvrages ; je comparerai les temps, les actions des hommes, les contrastes de la vie ; j’allongerai la mienne par la frugalité du corps et par la tranquillité de l’âme, je l’animerai par l’amitié, je la diversifierai par des études variées et toujours volontaires : voilà mon plan, où vous voyez que vous tenez la place honorable.

Adieu, mon cher confrère ; soyez toujours gai, et faites-moi part de votre gaieté.