Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5343

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 522-523).

5343. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 23 juillet.

Ô anges ! sans vous faire languir davantage, voici la tragédie des coupe-jarrets ; elle n’est pas fade. Je ne crois pas que les belles dames goûtent beaucoup ce sujet ; mais, comme on a imprimé au Louvre l’incomparable Triumvirat de l’inimitable Crébillon[1], j’ai cru que je pouvais faire quelque chose d’aussi mauvais sans prétendre aux honneurs du Louvre. Si vous croyez que votre peuple ait les mœurs assez fortes, assez anglaises pour soutenir ce spectacle, digne en partie des Romains et de la Grève, vous vous donnerez le plaisir de le faire essayer sur le théâtre ; se no, no.

Vous me direz : Mais quelle rage de faire des tragédies en quinze jours ! Mes anges, je ne peux faire autrement. Il y avait un peintre, élève de Raphaël, qu’on appelait Fa-presto, et ce n’était pas un mauvais peintre.

Je vais vite parce que la vie est courte, et que j’ai bien des choses à faire. Chacun travaille à sa façon, et on fait comme on peut. En tout cas, vous aurez le plaisir de lire du neuf ; cela vous amusera, et j’aime passionnément à vous amuser.

Remarquez bien que tout est historique : Fulvie avait aimé Octave, témoin l’épigramme[2] ordurière d’Auguste. Fulvie fut répudiée par Antoine. Sextus Pompée était un téméraire, il faisait des sacrifices à l’âme de son père. Lucius César, proscrit, à qui on pardonna, était père de Julie.

Antoine et Auguste étaient deux garnements fort débauchés.

Mes anges, j’ai vu votre chirurgien parmesan : il dit que vous irez à Parme[3], que vous passerez par Ferney ; je le voudrais. Quel jour pour moi ! que je mourrais content !

  1. Voyez sur cette pièce tome XXIV, page 362.
  2. Voyez cette épigramme, tome XVII, page 484.
  3. Voyez la note 2, tome XL. page 111.