Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5359

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 533-534).
5359. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 6 auguste.

Mes divins anges sauront que je ne sais rien de la Gazette littéraire, à laquelle ils s’intéressent. Il est toujours fort singulier qu’après les peines que je me suis données, les auteurs ne m’aient rien fait dire, et ne m’aient pas envoyé une de leurs gazettes. Ne trouvez-vous pas cela fort encourageant ? Mes anges, servire e non gradire è una cosa per far morire.

Le président Hénault m’a envoyé une préface anglaise, en son honneur, qui est à la tête de la traduction de sa Chronologie[1] ; il ne me parle que de cela, et date de Versailles. Et moi, je ne lui parle point de la traduction anglaise de l’Histoire générale ; je ne parle de cette histoire qu’à vous. Nous avons imaginé avec Cramer une tournure pour que le parlement ne soit point fâché, et nous vous enverrons incessamment le petit Avertissement[2]. Je suis bien aise de ne point parler en mon nom ; il y a toujours quelque ridicule à parler de soi.

M. de Thibouville crie toujours après un cinquième acte. Vraiment j’ai bien autre chose à faire. Il faut attendre que l’inspiration vienne : malheur à qui fait des vers quand il le veut ! Quiconque n’en fait pas malgré soi n’en fait que de mauvais.

Permettez encore ce petit billet[3] pour Lekain ; il vous apprendra que je suis le plus grand acteur qu’il y ait en Suisse. J’ai joué, à l’âge de soixante-dix ans, Gengis-kan avec un applaudissement universel. Nous avions parmi les spectateurs une espèce de kalmouk qui disait que je ressemblais à Gengis-kan comme deux gouttes d’eau, et que j’avais le geste tout à fait tartare ; Mme  Denis jouait encore mieux que moi, s’il est possible. Je prends toujours la liberté de vous adresser des paquets pour frère Damilaville. Il y a des choses concernant mes petites affaires, des mémoires pour mon notaire et pour mon procureur. Je suis forcé de prendre ce tour, parce que M. Mariette, l’avocat des Calas, n’a pas reçu[4] une lettre de change que je lui ai envoyée avec un mémoire imprimé. L’imprimé a été saisi, et la lettre de change avec lui. On ne sait plus comment faire ; on coupe les vivres à l’âme, comme on coupe les bourses.

Vous n’aurez point de tragédie nouvelle par cette poste ; vous n’aurez pas même de changement pour la tragédie des roués, parce qu’il vaut mieux que je vous la renvoie avec toutes les corrections que j’aurai imaginées, et avec celles que vous m’aurez indiquées.

Respect et tendresse, et pardon pour les paquets.

  1. Voyez la note, tome XXXVI, page 298. La traduction anglaise, par Nugent, est intitulée A new chronological abridgment of the History of France, etc. ; Londres, 1762, deux volumes in-8o.
  2. Je n’ai vu d’Avertissement dans aucun exemplaire de l’édition de 1761-63 de l’ouvrage de Voltaire. (B.)
  3. Il manque.
  4. Il la recevait à peu près en même temps que Voltaire se plaignait ; voyez n° 5367.