Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5794

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 352-353).

5794. — À M.  DAMILAVILLE[1].
19 octobre 1764.

Mon cher frère, je sais, à n’en pouvoir douter, que le procureur général a ordre d’examiner le livre et d’en poursuivre la condamnation. Je sais bien qu’il est prouvé que je n’en suis pas l’auteur ; mais je n’en serai pas moins persécuté, et Dieu sait jusqu’où cette persécution peut aller. J’ai heureusement recouvré deux articles, dont l’un est tout entier de la main de l’auteur. Il est clair comme le jour que l’ouvrage est de plusieurs mains, et qu’on s’est servi de mon orthographe pour me l’attribuer, N’importe, mon innocence ne me servira de rien. C’est toujours pour moi une consolation bien chère que vous me rendiez justice, et que la voix de nos frères se joigne à la vôtre pour publier la vérité. Je subis le sort de tous ceux qui se sont consacrés aux lettres : on les a opprimés, mais tous n’ont pas trouvé un frère tel que vous.

Je joins ici un petit mémoire[2] que je vous prie d’envoyer à Briasson pour le communiquer aux encyclopédistes, et surtout à M. le chevalier de Jaucourt, dont la nièce a acheté à Genève plusieurs exemplaires du Portatif. Les encyclopédistes doivent sentir qu’on ira du Portatif à eux.

Ucalegon Jam proximus ardet
Ucalegon.

(Æneid., liv. II.)

C’est un nommé l’abbé d’Étrée, petit généalogiste et un peu faussaire de son métier, qui a donné le livre au procureur général. On trouve partout des monstres. Cher frère, il faut savoir souffrir.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Le mémoire déjà adressé à Damilaville.