Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5937

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 483-484).

5937. — À M. DAMILAVILLE.
8 mars.

Mon cher frère, vous m’apprenez deux nouvelles bien intéressantes : on juge les Calas, et le généreux Élie veut encore défendre l’innocence des Sirven. Cette seconde affaire me paraît plus difficile à traiter que la première, parce que les Sirven se sont enfuis, et hors du royaume ; parce qu’ils sont condamnés par contumace ; parce qu’ils doivent se représenter en justice ; parce que enfin, ayant été condamnés par un juge subalterne, la loi veut qu’ils en appellent au parlement de Toulouse.

C’est au divin Élie à savoir si l’on peut intervertir l’ordre judiciaire, et si le conseil a les bras assez longs pour donner cet énorme soufflet à un parlement. Je crois qu’en attendant il ne serait pas mal de lâcher quelques exemplaires d’une certaine lettre[1] sur cette affaire.

Quant à celle que j’ai écrite à Cideville[2], il est discret, et je lui ai bien recommandé de se taire. Je dis ici à tout le monde que la Destruction est d’un génie supérieur, et que cependant elle n’est pas de M. d’Alembert. Quoi qu’il en soit, les nez fins le flaireront à la première page. Tout l’ouvrage sent l’Archimède-Protagoras d’une lieue loin. Qu’il dorme en paix ; la nation le remerciera avant qu’il soit peu.

J’ai reçu le paquet que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je vous remercie tendrement, malgré vous et vos dents, de toutes les bontés que vous avez pour moi.

Vous me mandez que Paris est ivre ; on craint qu’ayant cuvé son vin il ne lui reste une grande pesanteur de tête.

Je lirai l’Homme éclairé par ses besoins. J’ai grand besoin qu’on m’éclaire, et j’espère que le livre ne sera pas un amas de lieux communs. Un livre n’est excusable qu’autant qu’il apprend quelque chose.

Bonsoir, mon cher frère. Avant de finir, il faut que je vous demande quel cas on fait du Pyrrhonien raisonnable du marquis d’Autrey[3], qui croit prouver géométriquement le péché originel.

Pourquoi emploie-t-il toute la sagacité de son esprit à défendre la plus détestable des causes ? Pourquoi s’est-il déclaré contre Platon-Diderot ? J’ai toujours été affligé qu’un certain ton d’enthousiasme et de hauteur ait attiré des ennemis à la raison. Sachons souffrir, résignons-nous, et surtout écr. l’inf…

    membre de l’Académie française, et mourut en 1775. Cette lettre fait partie du volume intitulé Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse (voyez tome XXV, page 579) ; elle y est suivie d’une parodie en vers de cette même lettre.

  1. Celle du 1er mars, n° 5929.
  2. Celle du 4 février, n° 5909.
  3. Henri-J.-B. Fabry était comte d’Autrey. Son Pyrrhonien raisonnable parut en 1765, in-12. Il donna en 1776 l’Antiquité justifiée, réfutation de l’ouvrage de Boulanger intitulé l’Antiquité dévoilée. Il est aussi auteur de l’opuscule les Quakers à leur frère V. (Voltaire), 1768, in-8o. Né en 1724, il est mort en 1777. Voltaire lui écrivit le 6 septembre 1765.