Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6006

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 548-549).
6006. — À M. DAMILAVILLE.
4 mai.

Je vois par votre lettre du 24, mon cher frère, que l’enchanteur Merlin a été poursuivi par les diables. Mandez-moi, je vous prie, s’il est échappé de leurs griffes. Je m’y intéresse bien vivement. Je tremble pour un paquet que je vous ai envoyé à l’adresse de M. Gaudet. Si ce paquet est perdu, il n’y a plus de ressource ; et cependant je ne serai pas découragé. Je suis à peu près borgne comme Annibal ; j’ai juré comme lui une haine immortelle aux Romains ; et dussé-je être empoisonné chez Prusias, je mourrai en leur faisant la guerre.

La résolution de Pierre Calas de partir pour Genève m’effraye. Le gouvernement n’en serait-il pas indigné ? Calas a-t-il d’autre patrie que celle où Cicéron-Beaumont l’a si bien défendu, où le public l’a si bien soutenu, où les maîtres des requêtes l’ont si bien jugé, où le roi a comblé sa famille de bienfaits ? Car vous savez que, outre les trente-six mille livres, il y a encore six mille livres pour les procédures. Je me flatte qu’au moins vous l’empêcherez de partir sans une permission expresse : et je crains bien encore que la demande de cette permission ne déplaise à la cour, et ne fasse perdre les mille écus que le roi lui a donnés. Je soumets mon avis au vôtre.

J’ignore si Mlle Clairon remontera sur le théâtre de Paris. Je la tiens pour une pauvre créature si elle a cette faiblesse. Plus on persécute la raison, les talents, la vérité et le goût, plus notre phalange doit marcher serrée. Je crois que les verges dont on fouette monsieur le dénonciateur théologien arriveront bientôt à son cul.

Adieu, mon cher philosophe ; je m’unis toujours à vous dans la communion des fidèles, et vous embrasse avec la plus grande effusion de cœur. Écr. l’inf…