Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6477

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 404-405).

6477. — À MADAME D’ÉPINAI.
Ferney, 30 auguste.

Que toutes les bénétlictions se répandent sur ma belle philosophe et sur son prophète ! que leurs cœurs sensibles et honnêtes gémissent avec moi des horreurs de ce monde, sans en être troublés ! qu’ils voient d’un œil de pitié la frivolité et la barbarie ! qu’ils jouissent d’une vie heureuse, en plaignant le genre humain ! Le prophète me l’avait bien dit, que les étoiles du Nord deviennent tous les jours plus brillantes. Tous les secours pour les Sirven sont venus du Nord. On pourrait tirer une ligne droite de Darmstadt à Pétersbourg, et trouver partout des sages.

J’ai vu dans mon ermitage deux princes[1] qui savent penser, et qui m’ont dit que presque partout on pensait comme eux. J’ai béni l’Éternel, et j’ai dit à la Raison : Quand gouverneras-tu le Midi et l’Occident ? Elle m’a répondu qu’elle demeurait six mois de l’année à la Chevrette[2] avec l’imagination et les Grâces, et qu’elle s’en trouvait très-bien ; mais qu’il y avait certains quartiers où elle ne pénétrait jamais ; et quand elle a voulu en approcher, elle n’y a trouvé que ses plus cruels ennemis. Elle dit que la plupart de ses partisans sont tièdes, et que ses ennemis sont ardents.

Je me recommande aux prières de ma belle philosophe et de mon cher prophète.

  1. Voyez la lettre 6379.
  2. Maison de campagne de Mme d’Épinai.