Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6514

La bibliothèque libre.

6414. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
19 septembre.

J’ai reçu, monsieur, la traduction de l’Exorde des Lois de Zaleucus[1], l’un des plus anciens et des plus grands législateurs de la Grèce. C’est un précieux monument de l’antiquité : il sert à prouver que nos premiers maîtres ont toujours reconnu un Dieu suprême qui lit dans le cœur des hommes, et qui juge nos actions et nos pensées. Il n’y a que la malheureuse secte d’Épicure qui ait jamais combattu une opinion si raisonnable et si utile au genre humain : la piété et la vertu sont de tous les temps.

Vous me mandez que vous avez trouvé des barbares, indignes de la société des honnêtes gens, qui se sont élevés contre ce fragment si respectable. Il est triste que, dans notre nation, il y ait des gens si absurdes : c’est le fruit de l’ignorance où l’on vit dans la plupart des provinces, et de la misérable éducation qu’on y a reçue jusqu’à présent. La rouille de l’ancienne barbarie subsiste encore. On trouve cent chasseurs, cent tracassiers, cent ivrognes, pour un homme qui lit ; c’est en quoi les Anglais, et même les Allemands, l’emportent prodigieusement sur nous.

J’ai vu, ces jours passés, M. Boursier[2], qui m’a dit qu’il avait fait quelques commissions pour vous ; il ne m’a pas dit ce que c’était : tout ce que je sais, c’est qu’il vous est attaché comme moi. Soyez bien persuadé, monsieur, des tendres sentiments de votre, etc.

  1. Voyez tome XI, page 78.
  2. Boursier est un des noms sous lesquels Voltaire se cachait ; voyez tome XLIII, page 568, et ci-dessus, page 170. Il s’agit peut-être ici du Recueil nécessaire ; voyez lettre 6473.