Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6775

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 141-142).
6775. — À M. PANCKOUCKE.
28 février.

J’ai reçu de vous, monsieur, une lettre charmante, et j’ai lu avec beaucoup de plaisir votre traduction de Lucrèce[1], et votre Mémoire sur l’impossibilité de la quadrature du cercle[2]. Je vois que vous étiez fait pour être l’ami de M. de Buffon, et non pas de Catherin Fréron. Vous nous rappelez ces beaux jours où les Estienne honoraient la typographie par la science.

Je doute fort que M. de La Harpe, que je crois très-supérieur au Tassoni, veuille s’abaisser à traduire le Tassoni. La Secchia rapita est un très-plat ouvrage, sans invention, sans imagination, sans variété, sans esprit et sans grâces. Il n’a eu cours en Italie que parce que l’auteur y nomme un grand nombre de familles auxquelles on s’intéressait. Si on voulait faire un poëme burlesque, il faudrait choisir pour sujet les querelles de Genève[3], et surtout être plus plaisant que Tassoni, qui ne l’est point du tout en cherchant toujours à l’être.

Je vous suis très-obligé, monsieur, de la bonté que vous avez de m’envoyer le livre que j’estime le plus[4]. Je vous supplie de vouloir bien me mander dans quel temps il doit arriver à Lyon, afin de prendre des mesures pour le faire venir à Ferney. Toute communication est interrompue entre Lyon et Genève, et entre Genève et le pays de Gex. J’espère que, malgré ces obstacles, je ne serai pas privé du beau présent que vous voulez bien me faire. J’ai reçu les volumes de M. de Buffon, et je vous en remercie. Tout ce qui me viendra de vous me sera précieux, excepté les feuilles de l’Année littéraire, auxquelles je me flatte que vous avez renoncé. Un homme de lettres comme vous, qui imprime M. de Buffon, n’est pas fait pour imprimer des sottises du Pont-Neuf.

Au reste, monsieur, je voudrais pouvoir vous prouver l’estime que vous m’avez inspirée, quand j’ai eu le plaisir de vous voir à Ferney. Tous les gens qui pensent doivent ambitionner votre amitié, et c’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, etc.

  1. La Traduction libre de Lucrèce (par Panckoucke) porte le millésime 1768, et est en deux volumes in-12.
  2. Le Mémoire sur l’impossibilité de la quadrature du cercle, dont parle ici Voltaire, est peut-être celui qui porte absolument le même titre, et qui est dans le Journal encyclopédique, second cahier de décembre 1765, et premier de janvier 1766.
  3. Voyez lettre 6670.
  4. L’Encyclopédie.