Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6806

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 178-179).
6806. — À M. DE CHABANON.
21 mars.

Si vous êtes sage, mon cher confrère vous attendrez la fin, d’avril pour revenir dans votre couvent. Nous espérons que la communication avec Lyon et la Bourgogne sera rouverte dans ce temps-là, ou du moins au commencement de mai. Je ne sais si vous savez que nous sommes entourés de troupes et de misère. Nous aurons encore des neiges sur nos montagnes pendant plus d’un mois ; les désastres nous environnent, et les secours nous manquent. Je suis obligé en conscience de vous en avertir, afin que si vous nous faites le plaisir de venir plus tôt, vous ne soyez pas étonné de souffrir comme nous. Je crois même qu’il vous faudra un passe-port de M. le duc de Choiseul.

Je n’aime point du tout cette guerre, toute ridicule qu’elle est. Je me serais retiré à Lyon, si je n’avais pas eu trop de monde à transporter.

On joue actuellement les Scythes à Genève et à Lyon ; on va les jouer à Paris[1], dès que les spectacles se rouvriront. Les méchants m’attribuent tant d’ouvrages hétérodoxes que j’ai voulu leur faire voir que je ne faisais que de mauvaises tragédies. J’ai prouvé par là mon alibi ; j’ai fait comme Alcibiade, qui fit couper la queue à son chien afin qu’on ne l’accusât pas d’autres sottises. Les Scythes pourront être siffles par les Welches ; mais j’aime mieux être sifflé par le parterre que d’être calomnié par les cagots.

Mes respects à Eudoxie ou Eudocie[2]1, et à monsieur son père, que j’aime de tout mon cœur.

  1. Ils y furent joués le 26 mars.
  2. Tragédie de Chabanon.