Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6834

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6834. — À M. LE PRINCE GALLITZIN,
ambassadeur de russie à paris.
À Ferney, 11 avril.

Monsieur, Votre Excellence ne doute pas à quel point son souvenir m’est précieux. Je vous suis attaché à deux grands titres, comme à l’ambassadeur de l’impératrice, et comme à un homme bienfaisant.

Je vous remercie de l’imprimé que vous avez bien voulu m’envoyer[1]. Sa Majesté impériale avait déjà daigné m’en gratifier il y a trois mois, avant qu’il fût public. Je n’y ai rien trouvé ni à resserrer ni à étendre. Cet ouvrage me paraît digne du siècle qu’elle fait naître. J’oserais bien répondre qu’elle fera goûter à son vaste empire tous les fruits que Pierre le Grand a semés. Ce fut Pierre qui forma l’homme, mais c’est Catherine II qui l’anime du feu céleste.

J’ai une opinion particulière sur l’affaire de Pologne, quoiqu’il ne m’appartienne guère d’avoir une opinion politique. Je crois fermement que tout s’arrangera au gré de l’impératrice et du roi, et que ces deux monarques philosophes donneront à l’Europe étonnée le grand exemple de la tolérance. Les pays qui ne produisaient autrefois que des conquérants vont produire des sages, et, de la Chine jusqu’à l’Italie (exclusivement), les hommes apprendront à penser. Je mourrai content d’avoir vu une si belle révolution commencée dans les esprits.

  1. C’était le manifeste de Catherine sur les dissensions de Pologne.