Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6835
Famille aimable, je vous embrasse tous. J’aimerais mieux assurément être Picard que Suisse ; et, pour comble de désagrément, il faudra qu’au mois de mai je quitte la Suisse pour la Souabe[1]. Il est comique que le bien d’un Parisien soit en Souabe ; mais la chose est ainsi. La destinée est une drôle de chose. Je ne dois ni ne veux mourir avant d’avoir mis ordre à mes affaires.
La destinée des Scythes est à peu près comme la mienne : ce sont des orages suivis d’un beau jour. Ne regrettez point Paris quand vous serez à Hornoy, il n’y a plus à Paris que l’opéra-comique et le singe de Nicolet[2].
Je vois que les deux magistrats[3] resteront à Paris. Je prie le Grand Turc de me dire pourquoi le baron de Tott[4] est à Neuchâtel ; il me semble qu’il n’y a nul rapport entre Neuchâtel et Constantinople.
Quand M. d’Hornoy rencontrera par hasard mon boiteux de procureur, je le prie de vouloir bien l’engager à recommander au marquis de Lézeau de marcher droit.
Vous trouverez du blé en Picardie ; nous en manquons au pays de Gex : il faudra faire une transmigration à Babylone. On ne sait plus où se fourrer pour être bien. Je sais qu’il faut s’accommoder de tout ; mais cela n’est pas aussi aisé qu’on dirait bien.
Je finis, comme j’ai commencé, par vous embrasser du meilleur de mon cœur.