Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6948

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 321-322).
6948. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
22 juillet.

Ah ! mon respectable ami, mon cher ange, qu’il y a une différence immense entre les sentiments des sociétés de Paris et le reste de l’Europe ! Il y a bien des espèces d’hommes différentes ; et quiconque a le malheur d’être un homme public est obligé de répondre à tous.

Vous me mandez, dans votre lettre du 15 de juillet, que La Beaumelle est oublié, tandis qu’il y a sept éditions de ses calomnies dans les pays étrangers ; et que tous les sots, dont le monde est plein, prennent ses impostures pour des vérités. Il est triste en effet que La Beaumelle soit le beau-frère de Lavaysse : sa sœur a fait cet indigne mariage malgré son père. Mais dois-je me laisser déshonorer par un scélérat dans toute l’Europe, parce que ce malheureux est le beau-frère d’un homme à qui j’ai rendu service ? N’est-ce pas au contraire à Lavaysse de forcer ce malheureux à rentrer dans son devoir, s’il est possible ? La Beaumelle a fait commencer secrètement une nouvelle édition de ses infamies dans Avignon. Le commandant du pays de Foix[1] est chargé, par M. le comte de Saint-Florentin, de le menacer des plus grands châtiments, mais cela ne le contiendra point ; c’est un homme de la trempe des d’Éon et des Vergy : il niera tout, et il en sera quitte pour désavouer l’édition. Je n’ai de ressource que dans une justification nécessaire. Je n’envoie mon Mémoire[2] qu’aux personnes principales de l’Europe, dont les noms sont intéressés dans les calomnies que La Beaumelle a prodiguées : je remplis un devoir indispensable.

À l’égard des Scythes, je suis indigné de la lenteur du libraire de Lyon. Il me mande qu’enfin l’édition sera prête cette semaine ; mais il m’a tant trompé que je ne peux plus me fier à lui. Un libraire d’une autre ville veut en faire encore une nouvelle édition. On n’imprime pas, mais on joue les Illinois. Nous avons joué ici l’Orphelin de la Chine ; mais, Dieu merci, nous ne l’avons pas donné tel qu’on me fait l’affront de le représenter à Paris. Je ne sais si de Belloy a raison de se plaindre[3] ; mais, pour moi, je me plains très-fort d’être défiguré sur le théâtre et par Duchesne. Je me flatte que vos bontés pour moi ne se démentiront pas. Vous m’avouerez qu’il est désagréable que les comédiens, qui m’ont quelques obligations, prennent la licence de jouer mes pièces autrement que je ne les ai faites. Quel est le peintre qui souffrirait qu’on mutilât ses tableaux ?

Ayez soin de votre santé, mon cher ange ; portez-vous mieux que moi, et je serai consolé d’avoir une santé détestable.

  1. De Gudane.
  2. Celui qui est tome XXVI, page 355.
  3. Voyez lettre 6929.