Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6990

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 356-357).
6990. — À M. MARMONTEL.
À Ferney, 21 auguste.

Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 7 d’auguste, car août est trop welche. Vous avez dû recevoir la mienne[1], dans laquelle je vous disais que notre impératrice, notre héroïne de Scythie, avait traduit le quinzième chapitre. On m’assure, dans le moment, qu’il est traduit en italien, et dédié à un cardinal : c’est de quoi il faut s’informer ; mais ce qu’il faut surtout souhaiter, c’est que la Sorbonne le condamne : elle sera couverte d’un ridicule et d’un opprobre éternels ; elle sera précisément au niveau de Fréron.

Je vous recommande La Harpe quand je ne serai plus. Il sera un des piliers de notre Église ; il faudra le faire de l’Académie : après avoir eu tant de prix, il est bien juste qu’il en donne.

Au reste, souvenez-vous que s’il y a dans l’Europe des princes et des ministres qui pensent, ce n’est guère qu’en France qu’on peut trouver les agréments de la société. Les Français, persécutés et chargés de chaînes, dansent très-joliment avec leurs fers, quand le geôlier n’est pas là. Nous avons eu des fêtes charmantes à Ferney. Mme de La Harpe a joué comme Mlle Clairon, M. de La Harpe comme Lekain, M. de Chabanon infiniment mieux que Molé : cela console.

Adieu, mon cher confrère ; je n’écris point de ma main, je suis aveugle comme votre Bélisaire ; je répète mon Credo mais je ne le commente pas si bien que lui.

  1. Lettre 6966.