Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7055

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 417-418).
7055. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
28 octobre.

Non, mon cher défenseur de l’innocence des autres et des droits de madame votre femme, non, mon cher Cicéron, ne m’envoyez pas votre factum pour les Sirven : ce serait perdre un temps précieux. Je m’en rapporte à vous ; je ne veux voir votre mémoire qu’imprimé. Vous n’avez pas besoin de mes faibles conseils, et les malheureux Sirven ont besoin que leur mémoire paraisse incessamment, signé de plusieurs avocats. Je vais écrire à M. Chardon[1], puisque vous l’ordonnez ; mais il me semble qu’aucun maître des requêtes ne demande jamais d’être rapporteur d’une affaire. Ils attendent tous que monsieur le vice-chancelier les nomme. J’aurai du moins le plaisir de dire à M. Chardon tout ce que je pense de vous.

M. de La Borde, premier valet de chambre du roi, en revenant de Ferney, rencontra monsieur le vice-chancelier[2] dans la chambre de Sa Majesté : il lui dit que M. le duc de Choiseul devait lui demander M. Chardon pour rapporteur dans l’affaire des Sirven ; monsieur le vice-chancelier répondit qu’il le nommerait de tout son cœur. Je m’attends donc que votre mémoire pourra faire parler M. le duc de Choiseul, qui aura cette bonté.

Quand vous serez à Paris, pourrez-vous m’envoyer par M. Damilaville vos mémoires contre Mme de Roncherolles ? Tout ce qui vous concerne m’intéresse. Ne doutez pas que M. d’Argental ne parle et ne fasse parler M. le duc de Praslin à M. Chardon. J’aurai même l’insolence de demander la protection de M. le duc de Choiseul : il a déjà eu la bonté de m’écrire qu’il est depuis longtemps l’ami de M. Chardon, et qu’il l’avait envoyé dans une île[3] toute pleine de serpents, de laquelle il était revenu le plus tôt qu’il avait pu.

Vous avez donc trouvé d’autres serpents en Normandie ? M. Ducelier[4] siffle donc toujours contre vous, et tâche de vous mordre au talon ? Mais il paraît que vous lui écraserez la tête.

Voilà bien des affaires : vous faites la guerre de tous côtés ; mais la grande guerre, celle qui m’intéresse le plus, est celle de qui dépend la fortune de Mme de Beaumont. Je vous ai déjà dit que j’ai lu avec beaucoup d’attention vos factums. Je vois que vous demandez à rentrer dans une terre de sa famille, vendue à vil prix ; je vois que la raison et les lois sont pour vous : je veux voir absolument le factum de votre adverse partie. Je sais qu’elle a soulevé contre vous beaucoup de protestants ; je puis en ramener quelques-uns qui ne laissent pas d’avoir du crédit. Ce que je vous dis est plus essentiel que vous ne pensez. Je vous demande en grâce de m’envoyer ce mémoire de votre adversaire avec celui des Sirven. Depuis votre triomphe dans l’affaire des Calas, toutes vos affaires sont devenues les miennes.

Adieu, mon cher Cicéron : mille respects à Mme Terentia.

  1. Cette lettre manque.
  2. Maupeou.
  3. Sainte-Lucie ; voyez lettre 6712.
  4. C’est sans doute le nom de la partie adverse de Beaumont dans le procès pour la terre de Canon ; voyez tome XLIV, page 454, etc.