Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7083

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 442-443).
7083. — À M. DAMILAVILLE.
2 décembre.

Mon cher ami, Mme de Sauvigny, à qui j’avais écrit de la manière la plus pressante, sans vous compromettre en rien, s’explique elle-même sur les choses dont je ne lui avais point parlé ; elle les prévient ; elle me dit que M. Mabille, dont par parenthèse je ne savais pas le nom, n’est point mort ; qu’on ne peut demander la place d’un homme en vie ; que son fils d’ailleurs a exercé cet emploi depuis cinq années, à la satisfaction de ses supérieurs ; et que, s’il était dépossédé, sa famille serait à la mendicité.

Ces raisons me paraissent assez fortes. Il n’est point du tout question, dans cette lettre, des impressions qu’on aurait pu donner contre vous à M. de Sauvigny. On n’y parle que des services que Manille a rendus à l’intendance pendant quarante années. C’est encore une raison de plus pour assurer une récompense à son fils. Que voulez-vous que je réponde ? faut-il que j’insiste ? faut-il que je demande pour vous une autre place ? ou voulez-vous vous borner à conserver la vôtre ? Vous savez mieux que moi que les promesses des ministres qui ne sont plus en place ne sont pas une recommandation auprès de leurs successeurs.

Vous savez qu’il n’y a point de survivance pour ces sortes d’emplois. Je vois avec douleur que je ne dois rien attendre de M. le duc de Choiseul dans cette affaire. Je n’ai jamais senti si cruellement le désagrément attaché à la retraite ; on n’est plus bon à rien, on ne peut plus servir ses amis.

Je crois être sûr que M. de Sauvigny ne vous nuira pas dans l’emploi qui vous sera conservé ; mais je crois être sûr aussi qu’il se fait un devoir de conserver au jeune Mabille la place de son père. En un mot, ce père n’est point mort ; et ce serait, à mon avis, une grande indiscrétion de demander son emploi de son vivant.

Mandez-moi, je vous prie, où vous en êtes, et quel parti vous prenez. Celui de la philosophie est digne de vous. Plût à Dieu que vous pussiez avoir un bénéfice simple, et venir philosopher à Ferney ! Mais si votre place vous vaut quatre mille livres, il ne faut certainement pas l’abandonner.

Vous êtes trop prudent, mon cher ami, pour mettre dans cette affaire le dépit à la place de la raison. Je ne vous parlerai point aujourd’hui de littérature, quand il s’agit de votre fortune. Je suis d’ailleurs très-malade. Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.