Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7087

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7087. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 7 décembre.

Mon cher ange, je vous dépêche mon gendre[1], qui ne va à Paris ni pour l’opéra de Philidor, ni pour l’opéra-comique, ni pour le malheureux tripot de l’expirante Comédie française. Il aura le bonheur de faire sa cour à mes deux anges ; cela mérite bien le voyage. De plus, il compte servir le roi, ce qui est la suprême félicité. Puisse-t-il le servir longues années en temps de paix !

J’ai vaincu mon horrible répugnance, en excédant M. le duc de Duras de l’histoire de la falsification de mon testament[2]. Je vois bien que je mourrai avant d’avoir mis ordre à mes affaires comiques, et que cela va produire une file de tracasseries qui ne finira point. Le théâtre de Baron, de Le Couvreur, de Clairon, n’en deviendra pas meilleur. La décadence est venue, il faut s’y soumettre ; c’est le sort de toutes les nations qui ont cultivé les lettres : chacune a eu son siècle brillant, et dix siècles de turpitude.

Je finis actuellement par semer du blé, au lieu de semer des vers en terre ingrate ; et j’achève, comme je le puis, ma ridicule carrière.

Vivez heureux en santé, en tranquillité.

Adieu, mon ange, que j’aimerai tendrement jusqu’au dernier moment de ma vie.

  1. Dupuits, qui avait épousé Mlle Corneille.
  2. Voyez la lettre 7048.