Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7191

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 543-544).
7191. — À M. DE CHABANON.
1er mars.

Maman[1] verra donc Eudoxie[2] avant moi, mon cher confrère ; elle part pour Paris, elle fera Mme Dupuits juge si on joue mieux la comédie à Paris qu’à Ferney. Ce qui me désespère, c’est qu’elle sera logée très-loin de vous, chez sa sœur. Elle va arranger sa santé, ses affaires, et les miennes. Tout cela s’est délabré pendant vingt ans qu’elle a été loin de Paris. Je suis menacé plus que jamais d’un voyage dans le Wurtemberg. Voilà Ferney redevenu un désert comme il l’était avant que j’y eusse mis la main. Je quitte Melpomène pour Cérés et Pomone.

Braves jeunes gens, cultivez les beaux-arts, et gorgez-vous de plaisirs ; j’ai fait mon temps.

Voici une drôlerie[3] qui vient, dit-on, de Lyon ; elle pourra vous amuser. Je suis bien sûr de votre discrétion. Vous ne ressemblez pas aux gens qui font courir les bagatelles sous mon nom, et qui disent toujours : C’est lui, c’est lui. Non, messieurs, ce n’est point moi. Plût au juste ciel qu’on n’eût jamais publié certain second chant d’une baliverne[4] qui était enfermée dans ma bibliothèque ! Mais, encore une fois, tout le monde n’a pas votre discrétion, mon cher confrère. J’ai été profondément affligé ; mais je pardonne tout à ceux qui n’ont point eu d’intention de nuire. Adieu : je vous embrasse bien fort. Mme Denis et l’enfant vous embrasseront mieux.

  1. Mme Denis.
  2. Tragédie de Chabanon.
  3. Lettre de l’archevêque de Cantorbéry ; voyez tome XXVI, page 577.
  4. Le second chant de la Guerre civile de Genève ; voyez tome IX et la lettre suivante.