Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7413

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 185-186).
7413. — À M. D’ALEMBERT.
12 décembre.

Mon cher philosophe, mon cher ami, je suis étonné et affligé de ne point recevoir de vos nouvelles dans le tombeau où le cher La Bletterie m’a condamné[1].

J’avais écrit à Damilaville[2] sous l’ancienne enveloppe de M. Gaudet, quai Saint-Bernard, comme il me l’avait recommandé. Je l’avais prié dans ma lettre de vous engager à m’instruire de son état, s’il ne pouvait m’en informer lui-même. Je vous demande en grâce de me faire savoir dans quel état il est. J’ai besoin d’être rassuré ; ayez pitié de mon inquiétude.

M. de Rochefort, votre ami, a été assez bon pour venir passer trois jours dans ma solitude avec madame sa femme, dont le joli visage n’a à la vérité que dix-huit ans, mais dont l’esprit est très-majeur. Je doute qu’aucun des capitaines des gardes du corps, de quelque roi que ce puisse être, soit plus instruit que ce chef de brigade. Il n’y a point, à mon gré, de place qui ne soit au-dessous de son mérite.

Je ne sais si vous avez connaissance de toutes les manœuvres qu’a faites votre hypocrite La Bletterie pour armer le gouvernement contre tous ceux qui ont trouvé sa traduction de Tacite ridicule. Vous devez, en ce cas, être puni plus sévèrement que personne. Au reste, s’il veut absolument qu’on m’enterre, je vous demande en grâce de ne lui point donner ma place à l’Académie. J’ai lu, dans une gazette suisse, que vous avez été présenté au roi danois avec une volée de philosophes, tels que les Saurin, les Diderot, les Helvétius, les Duclos, les Marmontel, et que les Ribaudier n’en étaient pas.

Dites, je vous en prie, au premier secrétaire de Bélisaire, que son ouvrage est traduit en russe, et qu’une partie du quinzième chapitre est de la façon de l’impératrice. On a prêché devant elle un sermon sur la tolérance qui mérite d’être connu, quand ce ne serait que pour le sujet. Dieu bénisse les Welches ! ils viennent les derniers en tout.

On dit que vous avez enfin une salle de Vauxhall, mais que vous n’avez point encore de salle de Magna Charta[3].

Ayez la bonté, je vous en prie, de mettre Marie de Médicis, au lieu de Catherine de Médicis, à la page 285 du premier volume du Siècle de Louis XIV[4].

Ce beau siècle a eu ses sottises comme les autres, mais du moins il y avait de grands talents.

Je vous embrasse bien tendrement, mon cher ami, vous qui empêchez que ce siècle ne soit la chiasse du genre humain.

  1. Voyez la note, pape 67.
  2. Il a déjà été question de cette lettre à Damilaville, qui est perdue, dans les nos 7326 et 7356.
  3. Que Voltaire appelle la Charte des libertés d’Angleterre, tome XI, page 423.
  4. Cette faute a été corrigée dans les éditions postérieures à 1768.