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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7741

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7741. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 2 janvier.

Madame, j’apprends que la flotte de Votre Majesté impériale est en très-bon état à Port-Manon : permettez que je vous en témoigne ma joie.

On dit qu’on travaille par les ordres de Votre Majesté, dans Azof, à préparer des galères et des brigantins. Moustapha sera bien surpris quand il se verra attaqué par le Pont-Euxin et par la mer Égée, lui qui ne sait ce que c’est que la mer Égée et l’Euxin, non plus que son grand vizir ni son mufti. J’ai connu un ambassadeur de la Sublime Porte qui avait été intendant de la Roumélie ; je lui demandai des nouvelles de la Grèce, il me répondit qu’il n’avait jamais entendu parler de ce pays-là. Je lui parlai d’Athènes, aujourd’hui Sétine ; il ne la connaissait pas davantage.

Je ne puis me défendre de redire encore à Votre Majesté que son projet est le plus grand et le plus étonnant qu’on ait jamais formé ; que celui d’Annibal n’en approchait pas. J’espère bien que le vôtre sera plus heureux que le sien ; en effet, que pourront vous opposer les Turcs ? Ils passent pour les plus mauvais marins de l’Europe, et ils ont actuellement très-peu de vaisseaux. Léandre et Héro vous favorisent du haut des Dardanelles.

L’homme[1] qui avait la rage d’aller servir dans l’armée du grand vizir n’a point mis son projet en exécution. Je lui avais conseillé d’aller plutôt faire une campagne dans vos armées : il voulait voir, disait-il, comment les Turcs font la guerre ; il l’aurait bien mieux vu sous vos drapeaux : il aurait été témoin de leur fuite.

Il paraît un manifeste des Géorgiens qui déclare net qu’ils ne veulent plus fournir de filles à Moustapha. Je souhaite que cela soit vrai, et que toutes leurs filles soient pour vos braves officiers, qui le méritent bien : la beauté doit être la récompense de la valeur.

Suis-je assez heureux pour que les troupes de Votre Majesté aient pénétré d’un côté jusqu’au Danube, et de l’autre jusqu’à Erzeroum ? Je bénis Dieu, madame, quand je songe que vous devez tout cela à l’évêque de Rome et à son nonce apostolique il ne s’attendait pas qu’il vous rendrait de si grands services.

Je remercie Votre Majesté de m’avoir fait connaître les cinq frères[2] qui sont l’ornement de votre cour. Je commence à croire réellement qu’ils vous accompagneront à Constantinople.

J’ai écrit deux lettres[3] à M. de Schouvalow depuis quatre mois ; point de réponse. Il y a bien plus de plaisir à avoir affaire à Votre Majesté ; elle daigne écrire ; elle sait de quelle joie elle me comble en m’apprenant ses victoires : j’ai le plaisir de les apprendre tout doucement à ceux qu’on en croit fâchés. Le public fait des vœux pour votre prospérité, vous aime, et vous admire. Puisse l’année 1770 être encore plus glorieuse que 1769 !

Je me mets aux pieds de Votre Majesté impériale.

Le vieillard des Alpes.

  1. Dont Voltaire a parlé dans sa lettre 7689.
  2. Orloff ; voyez la lettre 7707.
  3. Elles manquent.