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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7798

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 572-573).
7798. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
Ferney, 24 février.

Madame, tout l’ordre des capucins n’a pas assez de bénédictions pour vous. Je n’osais ni espérer ni demander ce que vous avez daigné faire pour ce pauvre canonnier Fabry[1]. Nous avons bien des saintes en paradis, mais il n’y en a pas une qui soit aussi bienfaisante que vous l’êtes. Je suis à vos pieds, non pas à ces pieds de quatorze pouces dont vous m’avez envoyé les souliers, mais à ces pieds de quatre pouces et demi[2] tout au plus, qui portent un corps aussi aimable, dit-on, que votre âme.

La dernière lettre[3] que j’eus l’honneur de vous écrire était au sujet du brigandage de Genève, et des meurtres qui se sont commis dans cette abominable ville. On ne tue plus à présent, mais on pille. M. le duc de Choiseul, mon bienfaiteur, est instruit par M. le résident Hennin de toutes les horreurs qui s’y passent. J’achève mes jours dans un bien triste voisinage ; j’ai de quoi fournir à notre patriarche saint François plus d’un million de femmes de neige[4]. C’est ainsi qu’il les aimait, tant il avait de feu ; mais pour moi, pauvre moine, trente lieues de neige dont je suis entouré, et des assassinats à ma porte, ne sont pas une perspective agréable. Vos extrêmes bontés, madame, font ma consolation.

Je ne crois pas que ce soit en abuser que de vous présenter les respects et la reconnaissance de mon gendre Dupuits, et d’oser même vous supplier de daigner le recommander en général à M. Bourcet[5]. Mon gendre est votre ouvrage ; c’est vous, madame, qui l’avez placé. Il ne s’est pas assurément rendu indigne de votre protection. Il sert bien, il est actif, sage, intelligent, et de la meilleure volonté du monde. M. Bourcet en paraît fort content. Mon gendre ne demande qu’un mot de votre bouche qui témoigne que vous l’êtes aussi. Toute ma famille ainsi que notre couvent se regardent comme vos créatures.

Agréez, madame, notre attachement respectueux et inviolable ; j’y ajoute mes ferventes prières et ma bénédiction.

Frère François, capucin indigne.
  1. Voyez les lettres 7837 et 7867.
  2. Voyez lettre 7793.
  3. C’est le n° 7740 du 1er janvier, qui est la dernière lettre adressée à Mme de Choiseul. Mais il n’est point question de meurtres à Genève. Celle où Voltaire lui en parle paraît perdue, à moins que Voltaire ne veuille désigner la lettre 7789, au duc de Choiseul.
  4. Voyez page 552.
  5. Le duc de Choiseul. (K.)