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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7860

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 54-55).
7860. — À M. DE SUDRE,
avocat à toulouse.
20 avril.

Monsieur, quarante lieues de neige qui m’entourent, soixante-seize ans sur ma tête, ma vue presque entièrement perdue, trois mois de suite dans mon lit, m’ont privé de l’honneur de vous répondre plus tôt.

Il me semble qu’il est fort peu important que messieurs les avocats fassent un corps ou un ordre. Les ducs et pairs, les maréchaux de France, font un corps ; on dit le corps du parlement, et non pas l’ordre du parlement. Les mots ne sont que des mots. Ce qui est essentiel, c’est que les juges ne fassent pas rouer un innocent, quand les avocats ont démontré son innocence ; c’est qu’un gradué de village n’ait pas l’insolence de condamner à mort la famille de Sirven, sur les présomptions les plus absurdes ; c’est qu’on respecte plus la vie des citoyens, et que nos barbares usages, qu’on appelle jurisprudence, ne déshonorent pas notre nation.

Dieu merci, la française est la seule, dans l’univers entier, chez qui l’on achète le droit de juger les hommes, et chez qui les avocats ne parviennent pas à être juges par leur seul mérite. Nous avons été Gaulois, Ostrogoths, Visigoths, Francs, et nous tenons encore beaucoup de notre ancienne barbarie dans le sein de la politesse.

Ce sont là mes griefs ; et je souhaite passionnément que votre corps ou votre ordre puisse les corriger. Si cela était, ma lettre serait à M. le président de Sudre.