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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7904

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 95-96).
7904. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
4 juin.

Mon cher ange, je vous dirai d’abord, pour m’insinuer dans vos bonnes grâces, que l’abbé de Châteauneuf s’est arrangé tout comme vous l’avez voulu avec le Dépositaire. Ninon n’a point couché avec le jeune Gourville ; et quant à M. Agnant, il n’est point un ivrogne à balbutiement et à hoquets ; c’est un buveur du quartier qui peut regarder les gens fixement et d’un air comique, en disant son mot, mais qui n’est point du tout ivre : et, en cela même, il est un personnage assez neuf au théâtre.

Dès que messieurs du clergé seront prêts à plier bagage, je vous enverrai celui de Ninon ; l’Encyclopédie ne me laisse pas à présent à moi.

Venons maintenant au profane. Je crains bien que M. le duc de Praslin ne fasse pas sitôt des présents de montres aux janissaires et aux douaniers de la Porte Ottomane. Vous savez comme on s’égorge dans la patrie de Sophocle et de Platon, comme on massacre et comme on pille. Cependant, si nos consuls restent, si M. le duc de Praslin veut des montres, nous sommes à ses ordres.

M. le duc de Choiseul a la bonté de nous en prendre. Favorisez-nous, je vous en conjure ; engagez vos camarades, messieurs les ministres étrangers, à nous donner la préférence. Si nous avions une estampe de votre prince[1], nous lui enverrions une montre avec son portrait en émail qui ne serait pas chère.

Nous avons fait celui du roi et de monseigneur le dauphin, qui ont parfaitement réussi. Nous faisons à présent celui de M. le comte d’Aranda ; c’est une entreprise très-considérable. M. l’abbé Terray en a fait une bien cruelle en me saisissant deux cent mille francs d’argent comptant qui n’avaient rien à démêler avec les deniers de l’État, et qui auraient servi à bâtir des maisons pour nos artistes, et à augmenter la fabrique. Il a fait un mal irréparable.

On avait bien trompé ou du moins voulu tromper M. le duc de Choiseul, quand on lui avait dit que les natifs de Genève massacrés par les bourgeois n’étaient que des gredins et des séditieux. Je vous assure que ceux qui travaillent chez moi sont les plus honnêtes gens du monde, les plus sages, les plus dignes de sa protection.

Dites bien, je vous prie, à MM. les ducs de Choiseul et de Praslin combien je leur suis attaché ; mon cœur vous en dit toujours autant.

  1. Le prince de Parme.