Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7912

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 101-102).
7912. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
8 juin.

Quand un cordelier[1] incendie
Les ouvrages d’un capucin,
On sent bien que c’est jalousie,
Et l’effet de l’esprit malin ;
Mais lorsque d’un grand souverain
Les beaux écrits il associe
Aux farces de saint Cucufin,
C’est une énorme étourderie.
Le saint-père est un pauvre saint,
C’est un sot moine qui s’oublie :
Au hasard il excommunie.
Qui trop embrasse mal étreint.


Voilà Votre Majesté bien payée de s’être vouée à saint Ignace ; passe pour moi chétif, qui n’appartiens qu’à saint François.

Le malheur, sire, c’est qu’il n’y a rien à gagner à punir frère Ganganelli plût à Dieu qu’il eût quelque bon domaine dans votre voisinage, et que vous ne fussiez pas si loin de Notre-Dame de Lorette.


Il est beau de savoir railler
Ces arlequins faiseurs de bulles ;
J’aime à les rendre ridicules ;
J’aimerais mieux les dépouiller.

Que ne vous chargez-vous du vicaire de Simon Barjone, tandis que l’impératrice de Russie époussette le vicaire de Mahomet ? Vous auriez à vous deux purgé la terre de deux étranges sottises. J’avais autrefois conçu ces grandes espérances de vous ; mais vous vous êtes contenté de vous moquer de Rome et de moi, d’aller droit au solide, et d’être un héros très-avisé.

J’avais dans ma petite bibliothèque l’Essai sur les Préjugés, mais je ne l’avais jamais lu ; j’avais essayé d’en parcourir quelques pages, et, n’ayant vu qu’un verbiage sans esprit, j’avais jeté là le livre. Vous lui faites trop d’honneur de le critiquer[2] ; mais béni soyez-vous d’avoir marché sur des cailloux, et d’avoir taillé des diamants ! Les mauvais livres ont quelquefois cela de bon qu’ils en produisent d’utiles.


De la fange la plus grossière
On voit souvent naître des fleurs.
Quand le dieu brillant des neuf Sœurs
La frappe d’un trait de lumière.


Tâchez, je vous prie, sire, d’avoir pitié de mes vieux préjugés en faveur des Grecs contre les Turcs : j’aime mieux la famille de Socrate que les descendants d’Orcan, malgré mon profond respect pour les souverains.

Sire, vous savez bien que, si vous n’étiez pas roi, j’aurais voulu vivre et mourir auprès de vous.

Le vieux Malade ermite.

Je vois que vous ne voulez point des trois Grâces de M. Hennin ; celles qui vous inspirent quand vous écrivez sont beaucoup plus grâces.

  1. Le pape Clément XIV, qui avait été franciscain, avait condamné plusieurs ouvrages anonymes de Voltaire, qui avait sa patente de capucin, et un écrit du roi de Prusse ; voyez lettre 7893.
  2. Voyez une note sur la lettre 7893.