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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7979

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 157-158).
7979. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
29 juillet 1770.

Ne craignez rien, monsieur, pour vous ni pour votre statue ; vous êtes l’un et l’autre à l’abri de toute atteinte. Le temps pourra endommager la statue ; mais pour vous, qui est-ce qui peut vous nuire ? Votre gloire irait toujours en augmentant, si cela était possible ; bannissez toute terreur panique ; nous ne sommes plus dans le siècle des bons mots, et il aurait été difficile, dans aucun siècle, d’en dire contre vous. Les plaisanteries des sots sont bien peu redoutables. Je voudrais qu’il vous fût aussi aisé d’obtenir des privilèges pour vos émigrants qu’il vous l’est de terrasser tous vos envieux.

La grand’maman a le plus sincère désir de vous obliger en tout ce que vous désirez ; et quoique accablée de sollicitations, aucune des vôtres ne la fatigue ; elle est de retour de sa Salente depuis le 20 de ce mois : elle part aujourd’hui pour Compiègne, dont elle ne reviendra que le 27 d’août. Comment est-il possible que vous ne fassiez pas quelques vers pour elle ? Et pourquoi vous occupez-vous éternellement d’une philosophie sur laquelle tout est dit et tout parfaitement bien dit, puisque vous en avez traité toutes les parties ? Divertissez-nous, égayez-nous, nous en avons grand besoin, et moi en particulier, qui m’ennuie à la mort. L’horrible aventure que celle de Saint-Domingue ! Il faut de pareils événements pour qu’on se trouve heureux : celui-ci laisse l’abbé Terray bien en arrière.

Nous avons une princesse de M… qui s’est jetée dans un couvent, non pas pour prendre le voile comme Madame Louise, mais pour se séparer de son mari. Voilà une nouvelle aventure qui fera longtemps le sujet des conversation, et fera une grande diversion à l’affaire de M. d’Aiguillon.

Ce n’est pas une chose gaie, mon cher Voltaire, que de vieillir, surtout quand on n’a point fait les provisions dont vous me parlez. Si je ne me chauffais qu’au feu que j’ai préparé, je serais toute de glace ; mais par ma correspondance avec vous, je me trouve au coin de votre feu, et m’en trouve très-bien ; je n’en cherche point d’autre, parce qu’il n’y en a point d’autre.

Vous avez beau me reprocher de ne point aimer les philosophes, je n’en croirai pas moins qu’ils ne sont nullement de votre goût. Quoi qu’il en soit, vous serez parfaitement du mien jusqu’à la fin de ma vie.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.