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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7980

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 158-159).
7980. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, le 30 juillet.

On me dit, il y a un mois, mon cher Cicéron, que vous étiez en Normandie. Je ne vous écrivis point, attendant votre retour. Je ne sais où vous êtes ; mais je ne puis rester plus longtemps sans vous remercier de votre dernière lettre. J’ignore si vous embellissez Canon, si vous faites vos moissons, ou si vous prenez la défense de quelque innocent persécuté. Vous donneriez bien tous vos vergers et tout votre froment pour secourir quelque infortuné. Sirven ne l’est plus. Il est toujours demandeur en réparation, dommages et intérêts, qu’il obtiendra difficilement. Je ne sais pas un mot des procédures ; je sais seulement que nous avons affaire à un procureur général un peu dur.

Savez-vous bien que ce M. Riquet avait conclu à pendre Mme Calas, et à faire rouer son fils et Lavaysse ? Je tiens cette horrible anecdote de Mme Calas elle-même. Le pays des Chichacas et des Topinambous est la patrie de la raison et de l’humanité, en comparaison de ces horreurs ; et voilà de quels hommes nos vies et nos fortunes dépendent !

L’affaire de Sirven ne sera décidée qu’après la Saint-Martin. Il y a huit ans que cette pauvre famille combat contre l’injustice.

Avez-vous su l’histoire des deux amants[1] de Lyon ? Un jeune homme de vingt-cinq ans et une fille de dix-neuf, tous deux d’une figure charmante, se donnent rendez-vous avec deux pistolets dont la détente était attachée à des rubans couleur de rose ; ils se tuent tous deux en même temps : cela est plus fort encore qu’Arrie et Petus. La justice n’a fait nulle infamie dans cette affaire ; cela est rare.

Avez-vous lu le Système de la Nature ? Il ne me paraît pas consolant ; mais nous avons d’autres systèmes qui le sont encore moins, par exemple celui des jansénistes.

Adieu, mon cher Cicéron ; ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de Mme Terentia.

  1. Cette aventure, dont on parle avec quelques détails dans une lettre insérée au Journal encyclopédique du 15 juin 1770, est le sujet d’un quatrain de J.-J. Rousseau, et a fourni à Léonard le sujet d’un roman intitulé Lettres de deux Amants habitants de Lyon, 1783, trois volumes in-12. Le 16 juin 1812, on représenta sur le théâtre de l’Odéon Célestine et Faldoni, ou les Amants de Lyon, drame historique en trois actes et en prose, par M. Augustin *** (Hapdé), imprimé la même année. Voltaire a parlé du suicide des amants de Lyon dans l’article Caton de ses Questions sur l’Encyclopédie (voyez tome XVIII, page 93) ; le jeune homme s’appelait Faldoni ; la jeune personne, Thérèse Monier. (B.)