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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8006

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 182-183).
8006. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 22 août 1770.

Grand-papa, grand’maman, petite-fille, secrétaire, amis, connaissances, tous sont charmés de vos vers[2], mais on ne vous quitte point de la prose.

J’entends parler d’une réfutation d’un certain livre ; je voudrais l’avoir. Je m’en tiens à connaître ce livre par vous[3]. Toutes réfutations de systèmes doivent être bonnes, surtout quand c’est vous qui les faites. Mais, mon cher Voltaire, ne vous ennuyez-vous pas de tous les raisonnements métaphysiques sur les matières inintelligibles ? Ils sont, à mon avis, ce que le clavecin du père Castel était pour les sourds. Peut-on donner des idées et peut-on en admettre d’autres que celles que nous recevons par nos sens ? Un sourd, un aveugle de naissance, peuvent regretter de ne pas voir, de ne pas entendre ; mais cependant ils ne savent ce que c’est que voir et qu’entendre, ce que c’est que ces facultés qui leur manquent ; ils ne nient pas ce qu’on leur en dit, mais ils s’ennuient de tout ce qu’on leur dit pour leur en donner la connaissance. De tout ce qu’on a écrit sur ces matières, c’est le Philosophe ignorant et la Religion naturelle que je lis avec le plus de plaisir. Je ne me tourmente point à chercher à connaître ce qu’il est impossible de concevoir. L’éternité, le commencement, le plein, le vide : quel choix peut-on faire ?


Je n’irai point d’un vol présomptueux, etc., etc.


Voilà où je m’en tiens ; faire autant de bien que je peux, le moins de mal qu’il m’est possible, laisser à chacun sa façon de penser, ne troubler le bonheur ni la paix de personne, éviter l’ennui et les indigestions, les supporter patiemment quand on ne peut faire autrement ; aimer, estimer mon très-bon ami Voltaire, souhaiter qu’il me survive, parler sans cesse de lui avec la grand’maman, recevoir souvent de ses lettres et de ses ouvrages, voilà ce que je désire pour le peu de jours qui me restent.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
  2. Épître à Mme la duchesse de Choiseul.
  3. Système de la Nature ou des Lois du monde physique et du monde moral.